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Décisions | Chambre civile

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C/17541/2020

ACJC/268/2024 du 29.02.2024 sur JTPI/12193/2022 ( OO ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17541/2020 ACJC/268/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 29 FEVRIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], requérante en rectification de l'arrêt ACJC/1142/2023 rendu par la Cour de justice de Genève le 5 septembre 2023, représentée par
Me Jean-Jacques MARTIN, avocat, EVIDENTIA AVOCATS, rue Jacques-Grosselin 8, 1227 Carouge,

et

B______ LTD, sise ______, Iles Vierges Britanniques, citée, représentée par
Me Jean-François DUCREST, avocat, Ducrest Heggli Avocats LLC, rue Kitty-Ponse 4, case postale 3247, 1211 Genève 3.

 

 


EN FAIT

A. a. B______ LTD est actionnaire de A______ SA.

Le 3 juillet 2020 s'est tenue une assemblée générale de A______ SA, lors de laquelle les articles 6 et 6bis des statuts ont été modifiés, contre l'avis de B______ LTD.

b. Par action du 2 septembre 2020, déclarée non conciliée le 29 octobre 2020 et introduite devant le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) le 11 décembre 2020, B______ LTD a conclu, sous suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal annule et mette à néant la décision modifiant les articles 6 et 6bis des statuts de A______ SA adoptée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2020.

c. Par ordonnance du 20 mai 2021, le Tribunal a donné acte à B______ LTD de son engagement à fournir, soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 5'500 fr.

d. Par jugement JTPI/12193/2022 du 14 octobre 2022, le Tribunal a annulé la décision de l'assemblée générale de A______ SA du 3 juillet 2020 en tant qu'elle a modifié l'article 6bis de ses statuts (…) (ch. 1 du dispositif), mis les frais judiciaires – arrêtés à 20'620 fr. – à la charge des parties pour moitié chacune, compensé partiellement ces frais avec les avances de frais fournies, condamné B______ LTD et A______ SA à payer respectivement à l'Etat de Genève les sommes de 9'060 fr. et de 9'160 fr. à titre de solde de frais (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3), ordonné à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer à B______ LTD les sûretés de 5'500 fr. fournies par celle-ci (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

e. Statuant sur appel de chacune des parties, la Cour, par arrêt ACJC/1142/2023 du 5 septembre 2023, a annulé les chiffres 1 à 4 du dispositif du jugement entrepris et, statuant à nouveau, a débouté B______ LTD des fins de son action en annulation des décisions prises par l'assemblée générale de A______ SA du 3 juillet 2020, arrêté les frais judiciaires de première instance à 20'720 fr., mis à la charge de B______ LTD, compensés à hauteur de 2'500 fr. avec les avances fournies par les parties, acquises à l'Etat de Genève, condamné B______ LTD à payer à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 18'220 fr. à titre de solde des frais de première instance et condamné B______ LTD à payer à A______ SA la somme de 1'200 fr. à titre de remboursement de son avance de frais de première instance, ainsi que 31'440 fr. à titre de dépens de première instance et débouté les parties de toutes autres conclusions.

Les frais judiciaires des deux appels ont été arrêtés à 15'000 fr. au total, mis à la charge de B______ LTD et compensés avec les avances de frais fournies par les parties, acquises à l'Etat de Genève. B______ LTD a été condamnée à payer à A______ SA la somme de 5'000 fr. à titre de remboursement de son avance des frais d'appel, ainsi que 15'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Dans ses considérants 5 et 6, consacrés aux frais, la Cour n'a pas traité la question du sort des sûretés.

B.            a. Par courrier du 18 janvier 2024, A______ SA a sollicité la rectification de l'arrêt précité, au motif que la Cour avait omis de statuer sur le sort des sûretés en garantie des dépens versées par B______ LTD, soit la somme de 5'500 fr., ce malgré l'annulation du chiffre 4 du dispositif du jugement entrepris qui en prévoyait la restitution à celle-ci. Elle a conclu à ce que l'arrêt soit rectifié en ce sens qu'il soit ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de verser en sa faveur lesdites sûretés.

b. Dans des déterminations du 25 janvier 2024, B______ LTD a conclu au rejet de la requête de rectification, faisant valoir d'une part que A______ SA n'avait pas requis, dans son appel, le versement des sûretés en sa faveur et qu'en conséquence le dispositif n'était pas incomplet, et, d'autre part, que la Cour ne réglait pas le sort des sûretés dans ses considérants de sorte qu'il n'y avait aucune contradiction entre ceux-ci et le dispositif.

c. Par réplique du 6 février 2024, A______ SA a persisté dans ses conclusions en rectification. Elle a fait valoir que les sûretés en garantie des dépens suivaient le sort des dépens et que le juge devait ainsi, dans la cadre du règlement des frais, décider ce qu'il advenait desdites sûretés. Le dispositif de l'arrêt était ainsi incomplet et la voie de la rectification ouverte.

d. B______ LTD a dupliqué le 15 février 2024, soutenant que l'omission de statuer sur un chef de conclusion ne pouvait être revue par la voie de la rectification. Elle a conclu à la libération des sûretés en sa faveur, sur le compte bancaire de son conseil.

e. Les parties ont été avisées par courrier du greffe de la Cour du 19 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger sur demande de rectification.


 

EN DROIT

1. L'appelante sollicite une rectification/interprétation de l'arrêt de la Cour du 5 septembre 2023 au sens de l'art. 334 CPC.

1.1.1 Aux termes de l'art. 334 al. 1 CPC, si le dispositif de la décision est peu clair, contradictoire ou incomplet, ou s'il ne correspond pas à la motivation, le Tribunal procède, sur requête ou d'office, à l'interprétation ou à la rectification de la décision.

La procédure d'interprétation ou de rectification comporte deux étapes. Dans une première étape, il s'agit de déterminer si les conditions d'une interprétation ou d'une rectification du jugement sont réunies (ATF 143 III 520 consid. 6.1). Le but de l'interprétation et de la rectification n'est pas de modifier la décision du tribunal, mais de la clarifier ou de la rendre conforme avec le contenu réellement voulu par celui-ci (arrêt 5D_776/2019, précité, consid. 3.1 et les références citées). La rectification ne peut donc être exigée que si le dispositif est contradictoire en soi ou s'il y a une contradiction entre les considérants et le dispositif. L'objet de la rectification est de permettre la correction des erreurs de rédaction ou de pures fautes de calcul dans le dispositif. De telles erreurs doivent résulter à l'évidence du texte de la décision, faute de quoi l'on en viendrait à modifier matériellement celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_393/2023 du 9 janvier 2024 consid. 4.1.2).

En revanche, la correction d'erreurs qui procèdent d'une mauvaise application du droit ou d'une constatation inexacte des faits doit être effectuée par la voie du recours (Herzog, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n° 8 ad art. 334 CPC). L'interprétation et la rectification ne tendent pas à modifier le jugement rendu (Jeandin, Commentaire romand CPC, 2019, n° 20 ad Intro art. 308-334 CPC), à la manière d'un appel déguisé. Le juge saisi d'une demande d'interprétation ou de rectification ne doit donc pas changer le fond du jugement (Spühler/Dolge/Gehri, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2010, n° 101 p. 389).

En effet, en vertu du principe de dessaisissement, le juge ne peut corriger sa décision une fois celle-ci prononcée, même s'il a le sentiment de s'être trompé. Une erreur de fait ou de droit ne peut être corrigée que par les voies de recours (Schweizer, Commentaire romand Code de procédure civile, 2019, n° 1 ad art. 334 CPC). La voie de l'interprétation ou de la rectification permet toutefois, exceptionnellement, au juge de corriger une décision déjà communiquée. En principe, l'interprétation ou la rectification a uniquement pour objet la formulation du dispositif de l'arrêt qui serait peu claire, incomplète, équivoque ou contradictoire en elle-même ou avec les motifs. Un dispositif est peu clair, et doit être interprété, lorsque les parties ou les autorités qui doivent exécuter la décision risquent subjectivement de comprendre celle-ci autrement que ce que voulait le juge lorsqu'il s'est prononcé. Une requête d'interprétation ou de rectification n'a ainsi pour but que de clarifier ou rendre une décision conforme avec le contenu réellement voulu par le juge (Bastons Bulletti, Petit commentaire Code de procédure civile, 2020, n° 1 ad art. 334 CPC; ATF 139 III 379 consid. 2.2). Son objet est de permettre la correction des erreurs de rédaction ou de pures fautes de calcul dans le dispositif qui résultent à l'évidence du texte de la décision, soit des inadvertances ou omissions qui peuvent être corrigées sans hésitation sur la base de ce qui a déjà été décidé. Une requête en rectification ou en interprétation ne peut jamais tendre à une modification matérielle de la décision concernée. Pour cela, seules les voies de l'appel ou du recours sont ouvertes (ATF 143 III 520 consid. 6.1; 143 III 420 consid. 2.1 et 2.3; 139 III 379 consid. 2.1 et 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_776/2019 du 27 octobre 2020 consid. 3.1; 5A_79/2019 du 21 novembre 2019 consid. 4.4.2 et 5D_197/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.2). La requête doit être adressée à l'autorité qui a rendu le jugement dont l'interprétation ou la rectification est requise (ATF 143 III 520 consid. 6.2).

1.1.2 Selon tappy, bien que l’art. 111 CPC ne prévoie rien expressément au sujet des sûretés, constituées en garantie des dépens selon l’art. 99 CPC (Fischer SHK ZPO, art. 111 N 2 et 12), le sort final d’une cautio judicatum solvi peut être réglé par application analogique de l’art. 111 CPC. Il n’est en effet pas déraisonnable d’admettre que ce dernier vise le règlement final des questions de frais au sens large. Le tribunal pourra donc également régler le sort des sûretés dans la décision au sujet des frais. Il faut à cet égard distinguer selon que des dépens sont alloués ou non d’une part, selon que les sûretés ont été constituées par un versement ou par la remise d’une garantie bancaire ou d’assurance d’autre part.

Si des dépens sont alloués et que des sûretés qui en garantissent le paiement ont été constituées par un versement d’argent, la règle devant le Tribunal fédéral (auprès de qui des sûretés au sens de l’art. 62 al. 2 LTF sont en pratique toujours constituées en espèces) est de faire verser la somme correspondante directement en main de la partie à qui ces dépens sont alloués (Corboz, LTF, art. 62 N 42 s.), seule la différence éventuelle étant restituée au constituant des sûretés, respectivement allouée sous forme d’une créance en dépens. Même si une base légale expresse serait évidemment préférable, cette pratique assure avec simplicité une affectation desdites sûretés conforme à leur but. Elle paraît donc pouvoir être transposée à des sûretés en espèces fournies selon l’art. 99 CPC.

En revanche, elle n’est pas adaptée à des sûretés personnelles selon l’art. 100 al. 1 CPC. Si des dépens sont alloués et que des sûretés qui en garantissent le paiement ont été constituées sous la forme d’une garantie bancaire ou d’assurance, la décision réglant le sort des frais devra simplement fixer le montant des dépens dus en spécifiant que leur paiement est assuré par la garantie en question. Il appartiendra à la partie créancière des dépens, et non au tribunal lui-même, de faire appel ensuite à la garantie (apparemment d’avis contraire, Fischer, op. cit., art. 111 N 15), éventuellement dans un délai fixé à dire de justice.

Si la décision ne condamne pas la partie ayant constitué des sûretés en espèces à verser des dépens, ces sûretés doivent en principe lui être restituées. Il doit d’ailleurs en aller de même d’un éventuel surplus. Les solutions proposées plus haut en cas de restitution partielle ou totale d’avances, en particulier la restitution dès l’entrée en force de la décision sur les frais, sans intérêts pour la période écoulée depuis le versement en mains du tribunal, pourront s’appliquer par analogie. Faute de base légale on ne saurait à notre avis appliquer dans ce cas le système de compensation de l’art. 111 al. 1 en utilisant cet argent prioritairement pour couvrir des frais judiciaires à la charge de l’autre partie ou d’un tiers (dans le même sens Rüegg/Rüegg, BSK ZPO, art. 111 N 4). En revanche, une compensation à proprement parler, fondée sur l’art. 120 CO applicable à titre de droit public supplétif, pourrait être envisagée avec la créance en restitution de ces sûretés dans les cas, rares, où l’Etat aurait par ailleurs contre la partie ayant versé de telles sûretés en espèces une créance selon l’art. 111 CPC (cf. apparemment en ce sens Fischer, op. cit., art. 111 N 5 et 14) (tappy, CR CPC, art. 111 N 16-19).

1.1.3 Les sûretés peuvent être supprimées et restituées chaque fois que cesse d’exister en cours de procès la cause d’obligation qui avait justifié leur fourniture, même si elle était fondée sur la clause générale de l’art. 99 al. 1 let. d CPC (Rüegg/Rüegg, BSK ZPO, art. 100 N 3), cela de façon contraire à ce que prévoyaient jusqu’en 2010 certaines réglementations cantonales (cf. notamment ZR 72 n ° 23 et Frank/Sträuli/Messmer, § 79 ZPO-ZH N 4 ; voir aussi art. 117 al. 2 CPC-FR ne permettant la libération des sûretés si le demandeur établit son domicile en Suisse pendant le procès que s’il y est propriétaire de biens immobiliers offrant une garantie suffisante). Logiquement, il devrait en résulter que, dans le cas d’une obligation de fournir des sûretés fondée exclusivement sur l’existence de dépens impayés d’une procédure antérieure (art. 99 al. 1 let. c CPC), leur paiement pourrait entraîner la libération de sûretés déjà constituées, comme un tel paiement entre la demande de sûretés et la décision du juge peut entraîner un rejet de ladite demande (art. 99 N 35) (tappy, CR CPC, art. 100 N 11).

1.2 En l'espèce, il est constant que la Cour, dans son arrêt du 5 septembre 2023 dont la rectification est sollicitée, a annulé le jugement du 14 octobre 2022, lequel réglait sous chiffre 4 de son dispositif le sort des sûretés fournies par B______ LTD, a statué à nouveau sur le fond, condamné B______ LTD au paiement de dépens de première et seconde instance en faveur de A______ SA mais n'a pas abordé, dans ses considérants ou dans le dispositif, le sort des sûretés fournies en garantie des dépens par B______ LTD devant le Tribunal.

Il n'existe ainsi aucune contradiction entre les considérants et le dispositif de l'arrêt, et celui-ci n'est pas incomplet au regard des premiers.

Même à admettre que les sûretés suivent en principe le sort des dépens, comme le soutient Tappy, il n'en reste pas moins que le juge doit se prononcer sur leur sort, lequel peut varier suivant la nature que celles-ci revêtent ou suivant leur montant au regard des dépens alloués. Il se pourrait également qu'au moment de rendre la décision finale, le juge décide que les conditions à la fourniture de sûretés ne sont plus réalisées et en ordonne la levée.

Il découle de ce qui précède qu'il ne peut être statué par la voie de la rectification sur le sort des sûretés en garantie des dépens, une telle décision emportant modification matérielle du dispositif.

La requête en rectification doit être rejetée.

2. Les frais de la présente décision seront laissés à la charge du canton (art. 107 al. 2 CPC).

Il ne sera pas alloué de dépens à la citée, l'art. 107 al. 2 CPC ne le permettant pas (ATF 140 III 385 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur requête de rectification :

Rejette la requête de rectification de l'arrêt ACJC/1142/2023 rendu par la Cour le 5 septembre 2023 formée par A______ SA le 18 janvier 2024.

Dit que les frais de la présente décision sont laissés à la charge du canton.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, Président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.