Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/3756/2024

ACJC/230/2024 du 22.02.2024 ( IUS ) , ADMIS

Normes : CPC.5.al1.leti; CPC.262.al1; CPC.262; LPAP.25; LPAP.8.al1
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3756/2024 ACJC/230/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 22 FEVRIER 2024

 

Entre

INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE, sis Stauffacherstrasse 65/59g, 3003 Bern, requérant sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, représenté par Me Alexandra JACOT-GUILLARMOD, avocate, Legal Insights, rue de Bourg 16-18, 1003 Lausanne,

et

Monsieur A______, domicilié ______ [VD], cité.

 


Attendu, EN FAIT, que, par communication adressée le 29 janvier 2024 à l'INSTITUT FEDERAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (ci-après : IPI) en application de l'art. 32 LPAP en relation avec les art. 70 al. 1, 71 al. 1 et 72 LPM, l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (ci-après : OFDF) l'a informé avoir retenu à la douane de Genève aéroport un colis adressé par une entreprise sise en Pologne, désignée comme l'expéditrice, à A______, domicilié à B______ (VD) et désigné comme l'importateur, contenant deux boîtes de "C______" (complément alimentaire destiné à augmenter la production d'hormones de croissance et de testostérone) munies des armoiries suisses;

Que des photographies des deux boîtes retenues et de leurs emballages étaient annexées à cette communication; qu'il ressort de ces photographies que les armoiries de la Confédération suisse (soit une croix suisse au sens de l'art. 1 LPAP placée dans un écusson triangulaire – art. 2 al. 1 LPAP) ou un signe susceptible d'être confondu avec elles figuraient tant sur les emballages que sur les boîtes proprement dites, souvent à proximité des termes "SWISS ______"; que figurait également sur les emballages et les boîtes un drapeau suisse, au sens de l'art. 3 LPAP, jouxté des termes SWISS MADE";

Que l'OFDF précisait dans sa communication que la marchandise retenue le serait pendant dix jours ouvrables – délai pouvant, dans les cas justifiés, être prolongé sur demande de dix jours ouvrables – afin de permettre à l'IPI d'obtenir des mesures provisionnelles au sens de l'art. 25 LPAP;

Qu'informé par l'OFDF de ce qui précède, A______, par courriel du 3 février 2024, a indiqué ne pas comprendre pourquoi il devrait être "pénalisé à cause du logo de l'exportateur" et a émis l'espoir que le colis qui lui était destiné lui soit remis dans les plus brefs délais;

Que, donnant suite le 7 février 2024 à une requête du même jour de l'IPI, l'OFDF a prolongé au 27 février 2024 le délai de rétention des marchandises, indiquant que, si des mesures provisionnelles n'étaient pas ordonnées d'ici à cette date, les objets retenus seraient remis à A______;

Que, par acte adressé le 19 février 2024 à la Chambre civile de la Cour de justice, l'IPI a formé à l'encontre de A______ une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles, concluant, sur mesures superprovisionnelles, à ce qu'il soit ordonné à l'administration des douanes de continuer à détenir l'envoi destiné à A______ jusqu'à droit connu sur le litige et à ce qu'il soit interdit à A______, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, d'importer, jusqu'à droit connu sur le litige, des objets portant illicitement des signes publics suisses ou des signes susceptibles d'être confondus avec eux, et prenant les mêmes conclusions sur mesures provisionnelles avec suite de frais et dépens, un délai de soixante jours devant en outre lui être fixé pour ouvrir action au fond;

Qu'à l'appui de ces conclusions l'IPI explique que sa requête a pour objectif d'une part de conserver les moyens de preuve nécessaires à l'examen de ses prétentions et d'autre part d'assurer l'exécution d'un jugement futur ordonnant l'interdiction ou la cessation de l'atteinte portée aux intérêts de la Confédération suisse (art. 20 al. 1 LPAP) ainsi que la confiscation, voire la destruction des objets litigieux (art. 23 LPAP); qu'il expose pour le surplus que sa qualité pour agir résultait de l'art. 22 al. 2 LPAP; que l'importation de marchandises sur lesquelles les armoiries suisses avaient été illicitement apposées, comme c'était le cas en l'espèce, était elle-même illicite; qu'il était menacé d'un préjudice difficilement réparable en ce sens que, si l'envoi destiné à A______ lui était remis, celui-ci pourrait en disposer et faire ainsi échec à l'exécution d'une décision finale ordonnant leur confiscation et leur destruction; que la situation présentait une urgence particulière en ce sens que, si des mesures superprovisionnelles n'étaient pas ordonnées avant le 27 février 2024, l'OFDF remettrait les marchandises à l'importateur;

Considérant, EN DROIT, que la Chambre de céans est compétente à raison de la matière pour connaître de la requête (art. 24 LPAP; art. 5 al. 1 let. i et 5 al. 2 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ); qu'elle l'est également à raison du lieu, dès lors que l'une au moins des mesures provisionnelles requises doit être exécutée dans le canton de Genève (art. 13 let. b et 15 al. 2 CPC);

Que la requête satisfait aux exigences de forme prévues par la loi (art. 248 let. d et 252 CPC);

Que la qualité pour agir en cas d'emploi illicite d'un signe public revient aux personnes atteintes ou risquant de l'être (art. 20 al. 1 LPAP), aux associations et organisations de consommateurs aux conditions de l'art. 21 LPAP, ainsi qu'aux collectivités concernées (art. 22 al. 1 LPAP) soit, pour la croix suisse (art. 1 LPAP), les armoiries et le drapeau suisse (art. 2 et 3 LPAP), les autres emblèmes de la Confédération, les désignations officielles fédérales et les signes nationaux figuratifs ou verbaux (art. 4, 6 let. a et b et 7 LPAP), à la Confédération; que l'art. 22 al. 2 LPAP permet toutefois à l'IPI d'intenter les actions visant à la protection de ces signes et désignations lorsque leur utilisation "permet de conclure à une autorité nationale ou à une activité étatique ou semi-étatique";

Que, sur la base des faits allégués par le requérant, et au vu des pièces produites par celui-ci, la réalisation de cette condition peut, à ce stade précoce de l'instruction et sous réserve d'un réexamen après que la partie intimée aura pu se déterminer, être admise; qu'il paraît en effet vraisemblable que la présence, sur des emballages et des boîtes contenant des compléments alimentaires, des armoiries de la Confédération puisse permettre de conclure à l'existence d'une activité étatique ou semi-étatique, en particulier qu'elle puisse faire penser que les produits contenus dans les emballages et boîtes ainsi estampillés aient subi avec succès un processus de contrôle ou d'autorisation officiels;

Que la qualité pour agir de l'IPI doit ainsi être admise à ce stade et, avec elle, la recevabilité de la requête;

Qu'en application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite; qu'en matière de protection des signes publics, l'art. 25 LPAP, qui constitue à cet égard une disposition spéciale, prévoit que le tribunal peut également ordonner des mesures provisionnelles dans le but d'assurer la conservation des preuves (art. 25 let. a LPAP), de préserver l'état de fait (art. 25
let. c LPAP) et de déterminer la provenance des objets portant illicitement des signes publics protégés (art. 25 let. b LPAP);

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose cumulativement que le requérant rende vraisemblable l'existence du droit matériel invoqué, celle d'une atteinte ou d'un risque d'atteinte à ce droit, la menace d'un préjudice difficilement réparable et l'urgence de la situation (Bovey/Favrod-Coune, in Petit Commentaire CPC, 2021, N 2 ad
art. 261 CPC);

Que la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque, sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2);

Que les mesures ordonnées doivent être proportionnées au risque d'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 4_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1); que le juge doit en particulier procéder à la pesée des intérêts en présence, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs pour chacune des parties selon que la mesure requise est ou non ordonnée (Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n° 1773 à 1776 et 1779);

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a un risque d'entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC); qu'une urgence particulière suppose ainsi que le but recherché par les mesures requises ne pourrait pas être atteint s'il fallait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur mesures provisionnelles;

Que le requérant invoque en l'espèce une violation du droit d'exclusivité d'usage des armoiries de la Confédération;

Que l'art. 8 al. 1 LPAP confère à la Confédération – sous réserve de six exceptions énumérées à l'art. 8 al. 4 LPAP dont aucune ne paraît, prima facie, entrer en considération dans le cas d'espèce – l'exclusivité du droit d'utiliser ses armoiries telles que définies à l'art. 2 de la même loi, soit une croix suisse (croix blanche verticale et alésée placée sur un fond rouge et dont les branches, égales entre elles, sont d'un sixième plus longues que larges : cf. art. 1 LPAP) placée dans un écusson triangulaire, selon un modèle figurant à l'annexe 1 de la LPAP; que l'emploi des armoiries de la Confédération suisse par une personne tierce est donc, sous réserve des hypothèses prévues par l'art. 8 al. 4 LPAP ou d'une autorisation de la Confédération au sens de
l'art. 8 al. 5 LPAP, illicite; qu'il faut notamment entendre par "emploi" l'apposition des armoiries de la Confédération ou de signes pouvant être confondus avec elles sur des objets ainsi que la vente, la mise en vente, l'importation, l'exportation, le transit ou toute autre forme de mise en circulation de tels objets (art. 28 al. 1 let. a LPAP);

Que l'art. 23 LPAP autorise le juge à ordonner la confiscation des objets illicitement munis de signes publics ou de signes pouvant être confondus avec eux ainsi que leur éventuelle destruction;

Que, dans le cas d'espèce, les pièces produites permettent, à ce stade peu avancé de l'instruction – la partie citée n'ayant pas encore eu l'occasion ni d'exposer sa version des faits ni de faire valoir ses arguments juridiques – de tenir pour vraisemblable que la partie intimée a tenté d'importer en Suisse des objets (emballages et boîtes) portant les armoiries de la Confédération ou des signes pouvant être confondus avec elles; que cette constatation suffit pour retenir, à ce stade de l'instruction et sans préjuger d'une appréciation différente après que l'occasion aura été donnée à la partie intimée, à laquelle incombe le fardeau de la preuve d'une éventuelle autorisation d'utilisation au sens de l'art. 8 al. 4 et 5 LPAP (art. 19 LPAP), de se déterminer, le caractère illicite de cette importation et, partant, l'existence d'une atteinte ou d'un risque d'atteinte au droit d'usage exclusif de la Confédération;

Qu'il résulte par ailleurs des pièces produites que, si des mesures provisionnelles ne sont pas ordonnées avant le 28 février 2024, les objets munis des signes litigieux seront remis par l'OFDF à la partie citée, en sa qualité d'importateur; qu'une telle remise aurait pour effet de rendre considérablement plus difficile l'usage par le requérant des droits que lui confère la loi en lui faisant courir un risque de disparition des preuves, en lui rendant par conséquent plus difficile l'établissement de l'état de fait dans la procédure au fond et, surtout, en compromettant l'exécution d'un jugement final admettant par hypothèse ses conclusions en confiscation et en destruction des objets remis; qu'un risque de préjudicie difficilement réparable doit donc être admis;

Que la condition de l'urgence est également réalisée dès lors qu'aucune décision au fond ne pourra être rendue avant le 28 février 2024, date à laquelle l'OFDF a indiqué devoir remettre les objets litigieux à la partie citée;

Que cette urgence est même qualifiée au sens de l'art. 265 al. 1 CPC, dans la mesure où le délai susmentionné est trop court pour conduire une procédure de mesures provisionnelles; que, conformément à cette disposition, une décision sur mesures superprovisionnelles sera donc rendue immédiatement, sans audition de la partie citée; qu'un délai pour se prononcer par écrit sera toutefois simultanément imparti à cette dernière, après quoi une nouvelle décision sur mesures provisionnelles sera rendue (art. 265 al. 2 CPC);

Que le requérant sollicite en premier lieu qu'ordre soit donné à l'OFDF de continuer à retenir les objets litigieux jusqu'à droit jugé;

Que cette mesure est de nature à assurer la conservation des preuves (art. 25
let. a LPAP), la préservation de l'état de fait (art. 25 let. c LPAP) et l'exécution future d'une éventuelle décision de confiscation et de destruction; qu'elle est proportionnée au risque d'atteinte dans la mesure où, d'une part, aucune autre mesure moins incisive ne paraît pouvoir préserver les intérêts susmentionnés et où, d'autre part, l'atteinte aux intérêts de la partie citée – soit l'impossibilité pendant quelques semaines de recevoir les objets qui lui sont destinés – paraît relativement faible;

Que la mesure requise sera donc ordonnée;

Que le requérant sollicite en second lieu qu'il soit fait interdiction à la partie citée, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, d'importer des objets portant illicitement des signes publics suisses ou des signes susceptibles d'être confondus avec eux, et ce jusqu'à droit connu sur le présent litige;

Qu'une telle interdiction – sans limite de temps – résulte cependant déjà de l'art. 28 al. 1 let. a LPAP, selon lequel l'importation intentionnelle d'objets portant illicitement des signes publics suisses ou des signes susceptibles d'être confondus avec eux est punie d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire;

Que la seconde mesure sollicitée n'est donc ni nécessaire ni propre à atteindre le résultat souhaité, de telle sorte qu'elle ne sera pas ordonnée;

Qu'il sera statué sur les frais dans l'ordonnance à rendre sur mesures provisionnelles;

Qu'aucun recours n'est ouvert contre la présente ordonnance (ATF 139 III 86 consid. 1.1.1; 137 III 417; arrêts du Tribunal fédéral 5A_369/2019 du 28 mai 2019 consid. 3; 5A_253/2017 du 4 avril 2017 consid. 2; 5A_554/2014 du 21 octobre 2014 consid. 3.2).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures superprovisionnelles sans audition des parties :

Ordonne à l'Administration fédérale des douanes, Douane Ouest, Genève Aéroport, route de l'Aéroport 31, 1215 Genève, de continuer à retenir l'envoi qu'elle a retenu, sous la référence 1______; 2______, contenant deux (2) boîtes C______ avec armoiries suisses (y compris les emballages et les éventuels documents d'accompagnement) jusqu'à droit jugé sur la requête de mesures provisionnelles, et en particulier de ne pas les remettre à A______ ou à des tiers.

Rejette pour le surplus les conclusions prises à titre superprovisionnel par l'INSTITUT FEDERAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE dans sa requête du 19 février 2024.

Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles.

Impartit à A______ un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par l'INSTITUT FEDERAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE.

Réserve la suite de la procédure de mesures provisionnelles.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président ad interim; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).