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Décisions | Chambre civile

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C/5518/2023

ACJC/165/2024 du 06.02.2024 sur JTPI/10606/2023 ( SDF ) , CONFIRME

Normes : CPC.59.al2.leta; CC.176.al1.ch2; CC.179.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5518/2023 ACJC/165/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 6 FEVRIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 septembre 2023, représentée par Me Monica KOHLER, avocate, rue Marignac 9, case postale 324, 1211 Genève 12,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Anne-Laure DIVERCHY, avocate, Etude Mont-de-Sion 8, rue du Mont-de-Sion 8, 1206 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/10606/2023 du 19 septembre 2023, reçu le 21 septembre 2023 par les parties, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a annulé le chiffre 7 du dispositif du jugement JTPI/345/2022 rendu le 14 janvier 2022 par le même Tribunal [qui attribuait à A______ la jouissance exclusive du logement familial sis route 1______ no. ______, [code postal] Genève] (chiffre 1 du dispositif) et, cela fait, attribué à B______ la jouissance exclusive dudit logement (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 200 fr., compensés avec l'avance du même montant versé par B______ et répartis à raison de la moitié à la charge de chacune des parties, condamné A______ à verser à B______ le montant de 100 fr. (ch. 3), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 2 octobre 2023 à la Cour de justice, A______ forme appel contre le jugement précité, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut, avec suite de frais des deux instances, principalement, à l'irrecevabilité de la requête formée le 23 mars 2023 par B______ à son encontre et, subsidiairement, au renvoi de la cause au premier juge pour nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt à rendre.

Elle produit des pièces nouvelles, à savoir la photographie d'une boîte aux lettres avec une plaquette comprenant les noms de C______ et D______, ainsi que la mention "1er N°12", qu'elle désigne comme la "photo de la boîte aux lettres de l'appartement n° 12 sis route 1______ no. ______, [code postal] Genève portant les noms de Monsieur C______ et D______" (pièce 5), le bail à loyer daté du 14 avril 1997 relatif à l'appartement de cinq pièces, n° 12 au premier étage de l'immeuble sis route 1______ no. ______, [code postal] Genève, conclu entre E______ en tant que bailleur, d'une part, et B______ et F______, en tant que locataires conjoints et solidaires, d'autre part, pour un loyer mensuel de 2'305 fr., charges comprises (pièce 5a), la photographie d'une sonnette comprenant les deux noms précités, qu'elle désigne comme la "photo de la sonnette de l'appartement n° 12 sis route 1______ no. ______, [code postal] Genève portant les noms de Monsieur C______ et Madame D______" (pièce 6), un message électronique du 5 juillet 2023, par lequel son conseil a demandé à un collaborateur de la régie G______ SA de lui confirmer que "l'appartement anciennement loué par M. et Mme A______/B______ a[vait] été reloué ainsi que la date de cette nouvelle location", d'une part, et que "Monsieur B______ ne s'[était] pas acquitté du loyer afférent à cet appartement depuis la résiliation de son épouse ni n'a[vait] offert de le faire" (pièce 7), ainsi qu'un commandement de payer, poursuite n° 2______, notifié le 14 juillet 2023 à B______ sur réquisition de A______ et portant sur des arriérés de pensions (pièce 8).

Elle allègue nouvellement, d'une part, que lors de l'audience de conciliation du
4 juillet 2023 qui s'est tenue devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers dans le cadre de la procédure C/3______/2023 (cf. ci-dessous let. C.i), un collaborateur de la régie G______ SA a confirmé la relocation du logement litigieux à des tiers (allégué 19), et, d'autre part, en se référant à ses pièces nouvelles 5 et 6, que par la suite elle a "vérifié cette situation" (allégué 20).

b. Dans sa réponse du 6 novembre 2023, B______ conclut, avec suite de frais, à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de A______ à une amende disciplinaire de 2'000 fr. en vertu de l'art. 128 al. 3 CPC.

Il soulève l'irrecevabilité des pièces nouvelles de A______.

c. Dans sa réplique du 17 novembre 2023, A______ allègue des faits nouveaux et persiste dans ses conclusions.

d. Dans sa duplique du 28 novembre 2023, B______ persiste dans ses conclusions.

e. Les parties ont été informées le 15 décembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour ou constituent des faits notoires :

a. B______, né en 1959, et A______, née en 1959, se sont mariés le ______ 1999.

Ils sont les parents de 'H______, née le ______ 2002, et de I______, née le ______ 2005.

Ils se sont séparés en mai 2021.

b. Par jugement JTPI/345/2022 rendu sur mesures protectrices de l'union conjugale le 14 janvier 2022, le Tribunal a notamment attribué à A______ la jouissance exclusive du logement familial sis route 1______ no. ______,
[code postal] Genève (chiffre 7 du dispositif).

B______ a formé appel contre ce jugement, en concluant notamment à l'attribution à lui-même de ladite jouissance. Par arrêt ACJC/1514/2022 du
15 novembre 2022, la Cour a confirmé le jugement du 14 janvier 2022 sur ce point.

La Cour a considéré qu'il était dans l'intérêt de I______ de rester vivre au domicile familial et que dès lors que l'enfant allait vivre avec sa mère qui s'en était vu attribuer la garde, c'était avec raison que le premier juge avait attribué la jouissance du logement familial à A______.

B______ a été condamné à verser à A______, par mois et d'avance, allocations familiales ou d'études non comprises, à titre de contribution à l'entretien de leur fille I______, 1'000 fr. de juin à août 2021, 900 fr. de septembre 2021 à janvier 2023, puis 600 fr. de février 2023 jusqu'à la majorité de l'enfant, voire au-delà en cas d'études sérieuses et régulières.

Il ressort de l'arrêt que le loyer du logement familial était de 2'415 fr. La Cour a intégré dans les charges mensuelles de B______ un loyer estimé à 1'523 fr., soit le loyer mensuel pour un appartement de trois pièces à Genève.

c. Par lettre recommandée du 4 février 2023, A______ a informé la régie G______ SA (ci-après : la régie) de ce que "compte tenu de [s]a situation actuelle" et comme discuté avec une collaboratrice de la régie le
2 février 2023 par téléphone, elle souhaitait résilier le bail relatif à l'appartement litigieux "dans les meilleurs délais, soit pour le 15 mars 2023". Elle précisait que "la justice" lui avait attribué la jouissance de l'appartement. La régie était invitée à lui "communiquer les éventuelles autres démarches à accomplir pour mener à bien cette résiliation, ainsi que l'état des lieux de sortie y relatif".

d. Le 3 mars 2023, B______ a appris que A______ et leurs filles déménageaient dans un appartement sis rue 4______ no. ______ et que A______ avait résilié le contrat de bail portant sur l'appartement de la route 1______ no. ______.

Le même jour, B______ a écrit à la régie que nonobstant le jugement sur mesures protectrices de l'union conjugale, il était toujours cotitulaire de ce dernier bail, que l'appartement avait toujours la qualité de logement familial, qu'il n'avait jamais renoncé à le considérer comme tel, ni voulu le quitter de manière définitive et que son épouse ne pouvait pas résilier le bail du logement sans son consentement, conformément à l'art. 266m CO, sous peine de nullité de ladite résiliation. Dans la mesure où A______ ne souhaitait plus occuper l'appartement, il l'occuperait donc dorénavant.

e. Le 10 mars 2023, la régie a répondu à B______ qu'elle ne pouvait pas donner suite à son courrier du 3 mars 2023, vu qu'il était, "selon décision judiciaire, séparé de corps et de biens de Mme A______ dès le 4 juin 2021" et que, "de plus, l'appartement ne constituait plus le logement familial puisqu'il avait été attribué exclusivement à la précitée".

Le même jour, la régie a confirmé à A______ que l'un de ses collaborateurs passerait dans l'appartement le 15 mars 2023 afin de procéder à l'état des lieux de sortie ainsi qu'à la restitution des clés.

f. Le 17 mars 2023, B______ a déposé à la réception de la régie un courrier par lequel il invitait un collaborateur de celle-ci à lui remettre une copie de son bail et un jeu des clés de l'appartement litigieux. Il entendait passer à la régie le
20 mars 2023 afin de les récupérer.

Par message électronique du 20 mars 2023, ledit collaborateur lui a répondu qu'une décision judiciaire ne le reconnaissait plus comme étant locataire puisque le logement avait été attribué à son épouse. Ainsi, il ne disposait "plus de droits" et l'objet avait été restitué "parfaitement" par celle-ci. Ainsi, il ne serait pas donné suite à sa requête qui était "sans fondement respectivement sans objet".

g. Par requête en modification de mesures protectrices de l'union conjugale déposée le 23 mars 2023, B______ a demandé au Tribunal d'annuler le chiffre 7 du dispositif du jugement JTPI/345/2022 du 14 janvier 2022 et de lui attribuer la jouissance exclusive du domicile conjugal sis route 1______ no. ______, [code postal] Genève, avec suite de frais.

Il a allégué que A______ avait résilié le bail de l'appartement de la route 1______ et avait déménagé avec leurs filles. Il avait contacté la régie en charge de l'immeuble pour récupérer l'appartement, mais s'était heurté à une fin de non-recevoir. Il avait par ailleurs contesté la résiliation auprès de la régie, qui lui avait opposé l'attribution de la jouissance exclusive du logement à A______.

h. Dans des déterminations écrites du 12 mai 2023, A______ a conclu, avec suite de frais, à l'irrecevabilité de la requête, à la condamnation de B______ à une amende disciplinaire de 2'000 fr. en application de l'art. 128 al. 3 CPC et au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

A______ a reconnu avoir quitté l'appartement de la route 1______, mais a soutenu que B______ ne pouvait pas se le voir attribuer, au motif que ses revenus étaient insuffisants. En tout état de cause, l'appartement "ne semb[lait] plus disponible", de sorte que B______ devait être débouté de ses conclusions. Le Tribunal n'était pas en mesure d'attribuer à celui-ci un logement "déjà reloué à des tiers".

i. B______ a contesté la résiliation du bail auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (C/3______/2023) et une audience de conciliation s'est tenue le 4 juillet 2023.

La conciliation n'ayant pas abouti, B______ a porté son action, dirigée contre A______ et J______, devant le Tribunal des baux et loyers. Lors de l'audience de débats du 23 janvier 2024, un délai au 25 mars 2024 a été imparti aux parties pour se déterminer sur les questions de légitimation passive et de recevabilité de la demande (faits notoires résultant d'une procédure parallèle opposant les parties).

j. Lors de l'audience du Tribunal du 21 juin 2023, A______ a déclaré qu'elle avait quitté l'appartement de cinq pièces sis route 1______ no. ______ le
15 mars 2023. Avant de quitter le logement, elle n'avait pas demandé à B______ s'il était intéressé par sa reprise. Elle n'avait plus d'intérêt à l'appartement. Elle était néanmoins opposée à l'attribution de la jouissance de celui-ci à B______, au motif que ce dernier n'avait pas les moyens d'en payer le loyer. Cela la concernait, parce que s'il reprenait l'appartement, comme il n'aurait pas les moyens de l'assumer, il lui demanderait une contribution d'entretien.

B______ a déclaré qu'il aurait les moyens de payer le loyer de l'appartement, car il emménagerait avec une amie, accompagnée de deux enfants, à qui il sous-louerait une partie du logement.

La cause a été gardée à juger au terme de l'audience.

k. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a considéré que, depuis le prononcé des mesures protectrices de l'union conjugale du 14 janvier 2022 et l'attribution de l'appartement conjugal à A______, la situation s'était manifestement modifiée de manière essentielle et durable concernant cet appartement. En effet, à l'époque du premier jugement, A______ habitait dans l'appartement avec ses enfants, notamment H______, et avait souhaité y rester. La présence de H______ [recte : I______] dans l'appartement avait d'ailleurs été considérée par la Cour comme déterminante dans sa décision de confirmer l'attribution de l'appartement à l'épouse. Or, postérieurement au jugement, celle-ci avait déménagé, résiliant le bail de l'appartement. Cette circonstance représentant une modification essentielle et durable de la situation de fait, il y avait lieu d'entrer en matière sur la requête de modification.

A______ avait quitté l'appartement, qui lui avait été attribué sur mesures protectrices de l'union conjugale. Elle avait manifesté clairement son intention de ne plus y retourner, en résiliant le contrat de bail tout d'abord, puis en déclarant au cours de la présente procédure qu'elle n'avait aujourd'hui plus d'intérêt à l'appartement. De son côté au contraire, B______ avait clairement exprimé son intérêt à réintégrer l'appartement, en demandant dans la présente procédure, comme il l'avait déjà fait au cours de la précédente procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, tant devant le juge de première instance que devant la Cour sur appel, que la jouissance du logement lui soit attribuée. Le domicile conjugal était ainsi manifestement plus utile à l'époux.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 3, 271 et 314 al. 1 CPC), à l'encontre d'un jugement de mesures protectrices de l'union conjugale, considéré comme une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC;
ATF
137 III 475 consid. 4.1) rendue dans une affaire non pécuniaire puisque portant sur l'attribution du domicile conjugal (arrêt du Tribunal fédéral 5D_126/2009 du 27 octobre 2009 consid. 1.1).

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen
(art. 310 CPC). Les mesures protectrices de l'union conjugale étant ordonnées à la suite d'une procédure sommaire (art. 271 let. a CPC), sa cognition est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité
(ATF 138 III 636 consid. 4.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_812/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.2; 5A_937/2014 du 26 mai 2015 consid. 6.2.2).

La maxime de disposition est applicable (art. 58 al. 1 CPC).

2. L'appelante produit des pièces nouvelles avec son appel et forme des allégués nouveaux dans sa réplique.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard
(let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Il faut distinguer les vrais nova des faux nova. Les vrais nova sont des faits et moyens de preuve qui ne sont apparus qu'après la clôture des débats principaux de première instance. En principe, ils sont toujours admissibles dans la procédure d'appel, s'ils sont invoqués ou produits sans retard dès leur découverte. Les faux nova sont les faits et moyens de preuve qui existaient déjà au moment de la clôture des débats principaux de première instance. Leur admission en appel est restreinte en ce sens qu'ils sont écartés si, la diligence requise ayant été observée, ils auraient déjà pu être invoqués ou produits en première instance. Celui qui invoque des faux nova doit notamment exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles il n'a pas pu invoquer ou produire ces faits ou moyens de preuves en première instance (ATF 143 III 42 consid. 5.3 in SJ 2017 I 460 et les références citées).

Des pièces ne sont pas recevables en appel pour la seule raison qu'elles ont été émises postérieurement à la procédure de première instance. Il faut, pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie, examiner si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5A_266/2015 du 24 juin 2015
consid. 3.2.3).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles 7 et 8 de l'appelante sont postérieures au
21 juin 2023, date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger. Elles sont donc recevables. Le bail du 10 avril 1997 (pièce 5a), qui aurait pu être produit en première instance, n'est pas recevable. Il n'est pas possible de déterminer à quelle date (et à quel endroit) les photographies produites sous pièces 5 et 6 ont été prises. De son allégué nouveau 20, il peut être déduit que l'appelante prétend qu'elles ont été prises dans l'immeuble sis rue de Frontenex 110 après le
4 juillet 2023, ce qui n'est pas établi. En toute hypothèse, la question de la recevabilité des pièces 5 et 6 de l'appelante peut demeurer indécise, dans la mesure où celles-ci ne sont pas déterminantes pour la solution du litige
(cf. ci-dessous consid. 3.7 à 3.9).

Les allégués nouveaux figurant dans la réplique auraient pu être formés en tout cas dans l'appel. N'étant pas formés sans retard, ils sont irrecevables.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir attribué le logement litigieux à l'intimé, alors que celui-ci n'a pas établi qu'il serait en mesure de s'acquitter du loyer de cet objet (par lui-même ou par l'intermédiaire d'un tiers), qu'il a adressé un dossier à la régie "en ce sens", qu'il s'est acquitté du loyer de l'appartement conjugal (ce qui aurait empêché sa remise en location) et que le logement est encore disponible. Par ailleurs, de l'avis de l'appelante, l'intimé n'aurait "pas d'intérêt" dès lors qu'il s'agit d'un logement de cinq pièces et que les enfants du couple sont majeurs. De plus, l'usage que son époux entendrait faire de cet appartement priverait le logement de sa qualité de domicile conjugal. Enfin, l'appelante fait valoir que son mari, étant dans l'incapacité d'assumer seul le loyer du logement, n'hésiterait pas à lui réclamer une contribution d'entretien. Elle relève que tant que le logement conserve sa qualité de domicile conjugal, elle reste codébitrice solidaire du loyer.

3.1 Conformément à l'art. 59 al. 2 let. a CPC, le justiciable qui fait valoir une prétention doit démontrer qu'il a un intérêt digne de protection à voir le juge statuer sur sa demande. L'existence d'un intérêt digne de protection est ainsi une condition de recevabilité de toute demande en justice : le demandeur doit obtenir un avantage, factuel ou juridique, du résultat de la procédure. L'absence d'un tel intérêt - qui doit être constatée d'office (art. 60 CPC) - entraîne ainsi l'irrecevabilité de la demande (ATF 140 III 159 consid. 4.2.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_729/2021 du 24 février 2022 consid. 3.1.2.2; 5A_282/2016 du
17 janvier 2017 consid. 3.2.1).

3.2 La notion de logement de famille recouvre le lieu qui remplit la fonction de logement et de centre de vie de la famille. Seuls bénéficient de cette protection les époux mariés, avec ou sans enfants. Le caractère de logement familial subsiste tant que dure le mariage, même si les époux sont séparés de fait ou en instance de divorce. C'est précisément ce type de situation que vise la protection légale de l'art. 169 CC, dont la ratio legis est d'éviter qu'en cas de tensions conjugales ou par légèreté, l'époux titulaire des droits dont dépend le logement ne dispose unilatéralement de celui-ci, lorsque cela cause des difficultés injustifiées à son conjoint (ATF 114 II 396 consid. 5a).

Dans certaines circonstances, le logement perd son caractère familial, et partant, la protection spécifique qui lui est conférée par l'art. 169 CC. Tel est notamment le cas lors de séparation de corps, d'abandon du logement familial d'un commun accord par les époux ou lorsque l'époux bénéficiaire de la protection légale quitte le logement familial de manière définitive ou pour une durée indéterminée, que ce soit de son propre chef ou sur ordre du juge (ATF 136 III 257 consid. 2.1 et les références). Il appartient à l'époux qui allègue la perte du caractère familial du logement d'en apporter la preuve; pour admettre que le conjoint a quitté définitivement le logement familial, le juge doit pouvoir se fonder sur des indices sérieux (ATF 136 III 257 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_141/2020 du 25 février 2021 consid. 3.1.2).

3.3 La décision d'attribution du logement sur la base de l'art. 176 al. 1 ch. 2 CC ne modifie pas le statut des époux en matière de droits réels ou de droit des obligations (RIEBEN, Commentaire romand, CC I, 2ème éd. 2024, n.13
ad art 176 CC). Le juge statue sans égard au bail et indépendamment de savoir qui est locataire; il n'a pas la compétence de modifier le bail portant sur le logement de la famille (WESSNER, Le divorce des époux et l'attribution judiciaire du logement à l'un d'eux des droits et obligations résultant du bail portant sur le logement de la famille, in Séminaire sur le droit du bail, 2000, nos 17 et 19).

3.4 Le locataire du logement de famille ne peut résilier le bail que moyennant le consentement exprès de son conjoint (art. 169 al. 1 CC, 266m al. 1 CO). Cette réglementation vise à protéger le conjoint du locataire contre un congé donné par son époux de manière intempestive, ou à son insu. Si le conjoint n'a pas donné son consentement, le congé est nul (art. 266o CO). Cette nullité peut être invoquée en tout temps, sauf abus de droit, aussi bien par le bailleur que par le conjoint non titulaire du contrat (LACHAT, in Le bail à loyer, Edition 2019, pp. 831-832,
ch. 4.3).

3.5 La modification des mesures protectrices (art. 179 al. 1 CC) ne peut être obtenue que si, depuis leur prononcé, les circonstances de fait ont changé d'une manière essentielle et durable, à savoir si un changement significatif et non temporaire est survenu postérieurement à la date à laquelle la décision a été rendue, si les faits qui ont fondé le choix des mesures provisoires dont la modification est sollicitée se sont révélés faux ou ne se sont par la suite pas réalisés comme prévu, ou encore si la décision de mesures provisoires est apparue plus tard injustifiée parce que le juge appelé à statuer n'a pas eu connaissance de faits importants (ATF 143 III 617 consid. 3.1; 141 III 376 consid. 3.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_895/2022 du 17 juillet 2023 consid. 10.2.1; 5A_800/2019 du 9 février 2021 consid. 3.1, non publié in ATF 147 III 301; 5A_154/2019
du 1er octobre 2019 consid. 4.1).

3.6 Si les époux ne parviennent pas à s'entendre au sujet de la jouissance de l'habitation conjugale, le juge l'attribue provisoirement à l'une des parties en faisant usage de son pouvoir d'appréciation (cf. art. 176 al. 1 ch. 2 CC). Il doit procéder à une pesée des intérêts en présence, de façon à prononcer la mesure la plus adéquate au regard des circonstances concrètes. En premier lieu, le juge doit examiner à quel époux le domicile conjugal est le plus utile. Ce critère conduit à attribuer le logement à celui des époux qui en tirera objectivement le plus grand bénéfice, vu ses besoins concrets. Si ce premier critère de l'utilité ne donne pas de résultat clair, le juge doit, en second lieu, examiner à quel époux l'on peut le plus raisonnablement imposer de déménager, compte tenu de toutes les circonstances. Sous ce rapport, doivent notamment être pris en compte l'état de santé ou l'âge avancé de l'un des époux ou encore le lien étroit qu'entretient l'un d'eux avec le domicile conjugal. Des motifs d'ordre économique ne sont en principe pas pertinents, à moins que les ressources financières des époux ne leur permettent pas de conserver ce logement. Si ce deuxième critère ne donne pas non plus de résultat clair, le juge doit alors tenir compte du statut juridique de l'immeuble et l'attribuer à celui des époux qui en est le propriétaire ou qui bénéficie d'autres droits d'usage sur celui-ci (ATF 120 II 1 consid. 2c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_884/2022, 5A_889/2022 du 14 septembre 2023 consid. 5.2; 5A_953/2021 du 20 avril 2022 consid. 3.1; 5A_524/2017 du 9 octobre 2017 consid. 6.1 et les références).

Le juge des mesures protectrices de l'union conjugale dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider à qui il attribue la jouissance du domicile conjugal en cas de litige (MAIER/SCHWANDER, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I,
7ème éd. 2022, n. 7 ad art. 176 CC).

3.7 En l'espèce, il est rendu vraisemblable que l'attribution à l'épouse de la jouissance de l'appartement n'a pas fait perdre à celui-ci son caractère de logement familial. Dès qu'il a appris que son épouse et ses filles déménageaient, l'intimé a rappelé ce qui précède à la régie, en lui indiquant qu'il n'avait pas quitté le logement familial de manière définitive et qu'il souhaitait l'occuper à nouveau. Il n'était pas tenu de soumettre "un dossier" à la régie, contrairement à ce que soutient l'appelante.

Par ailleurs, il apparaît, pour le moins au stade de la vraisemblance, que le congé donné par l'appelante le 4 février 2023 sans le consentement de son époux est nul, ce qui peut être invoqué en tout temps. L'intimé a d'ailleurs déjà saisi la juridiction des baux et loyers. Dans la mesure où le bail n'a pas valablement pris fin, l'époux a un intérêt digne de protection à agir, indépendamment de la question de savoir si le logement est vacant ou a été reloué par le bailleur, laquelle relève du litige entre celui-ci et l'intimé.

Ainsi, contrairement à ce que soutient l'appelante, son époux a un intérêt digne de protection à agir et sa demande est recevable.

3.8 Cela étant, il n'est ni contesté ni contestable qu'un changement significatif et non temporaire est survenu postérieurement à la date à laquelle la décision d'attribuer le logement familial à l'épouse a été rendue, puisque celle-ci a quitté définitivement le logement avec les enfants des parties - quatre mois après l'arrêt de la Cour du 15 novembre 2022 - et s'est constitué un domicile séparé. L'appelante admet qu'elle n'a plus l'utilité de l'appartement litigieux.

C'est ainsi à juste titre que le premier juge a annulé le chiffre 7 du dispositif du jugement JTPI/345/2022 du 14 janvier 2022, par lequel le Tribunal avait attribué à l'épouse la jouissance exclusive de l'appartement litigieux et a ainsi rétabli la situation qui prévalait avant la décision d'attribution. Le chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué sera donc confirmé.

Dans la mesure où le juge des mesures protectrices n'intervient qu'en cas de litige au sujet de la jouissance de l'habitation conjugale et que l'appelante ne la sollicite plus, il apparaît superflu de l'attribuer à l'intimé. Ainsi, l'annulation précitée suffirait à sceller le sort du litige.

3.9 Cependant, par souci de clarté et vu la position adoptée par l'appelante, il se justifie de confirmer également le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué.

L'appelante allègue que le logement litigieux a été reloué; les pièces qu'elle produit ne suffisent pas à le rendre vraisemblable. En effet, la régie n'a pas répondu à son message électronique du 5 juillet 2023 et il n'est pas possible de déterminer où et quand les deux photographies qu'elle produit ont été prises. En toute hypothèse, comme indiqué, cette question peut demeurer indécise, puisqu'elle relève du litige entre le locataire et le bailleur.

Le juge des (nouvelles) mesures protectrices doit se borner à décider de l'attribution provisoire de l'habitation conjugale à l'un des époux, en appliquant les critères développés par la jurisprudence. Selon le premier de ces critères, la jouissance du logement doit être attribuée à l'intimé, qui est manifestement l'époux auquel le domicile conjugal est le plus utile, vu ses besoins concrets.

Les autres arguments soulevés par l'appelante ne sont ainsi pas pertinents. En toute hypothèse, des motifs d'ordre économique pourraient éventuellement être pris en compte à titre exceptionnel dans le cadre du deuxième critère dégagé par la jurisprudence; en l'occurrence, le logement est attribué à l'intimé en application du premier critère de l'utilité. Par ailleurs, il peut difficilement être reproché à l'intimé de ne pas avoir versé le loyer à compter du 15 mars 2023, alors qu'avant que l'appelante libère le logement, la régie avait déjà avisé l'époux qu'elle ne l'autorisait pas à le réintégrer. Enfin, le risque que l'intimé réclame à l'appelante un contribution d'entretien au motif qu'il ne parviendrait pas à assumer le loyer du logement familial est purement hypothétique. Dans ce cas, le juge appelé à déterminer les charges de l'époux pourrait, cas échéant, réduire son loyer à un montant admissible.

4. L'intimé sollicite que l'appelante soit condamnée au paiement d'une amende disciplinaire pour procédés téméraires et mauvaise foi.

4.1 Selon l'art. 128 al. 3 CPC, la partie ou son représentant qui usent de mauvaise foi ou de procédés téméraires sont punis d'une amende disciplinaire de 2'000 fr. au plus.

Agit notamment de façon téméraire celui qui bloque une procédure en multipliant des recours abusifs (ATF 111 Ia 148 consid. 4 - JdT 1985 I 584) ou celui qui dépose un recours manifestement dénué de toute chance de succès dont s'abstiendrait tout plaideur raisonnable et de bonne foi (ATF 120 III 107
consid. 4b; Haldy, Commentaire romand CPC, 2019, n. 9 ad art. 128 CPC).

La sanction disciplinaire a un caractère exceptionnel et postule un comportement qualifié (Haldy, op. cit., n. 5 ad art. 128 CPC).

4.2 En l'occurrence, quand bien même les chances de succès de l'appel étaient faibles, les circonstances d'espèce ne justifient pas de condamner l'appelante au paiement d'une amende disciplinaire.

5. Les frais judiciaires du recours, arrêtés à 800 fr. (art. 95 al. 1 et 2, 104 al. 1 et
105 CPC; art. 17 et 31 et 37 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec l'avance de frais de même montant effectuée par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111
al. 1 CPC).

S'agissant d'un litige relevant du droit de la famille, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 octobre 2023 par A______ contre le jugement JTPI/10606/2023 rendu le 19 septembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/5518/2023.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance effectuée, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.