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Décisions | Chambre civile

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C/23894/2020

ACJC/146/2024 du 06.02.2024 sur JTPI/5837/2023 ( OS ) , CONFIRME

Normes : co.62
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23894/2020 ACJC/146/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 6 FEVRIER 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [VS], appelant d'un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 mai 2023, représenté par Me Andreia RIBEIRO, avocate, Etude B&B, cours des Bastions 5, 1205 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [AG], intimé, représenté par
Me Andres MARTINEZ, avocat, Schmidt & Associés, rue du Vieux-Collège 10,
1204 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/5837/2023 du 17 mai 2023, reçu par A______ le 22 mai 2023, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure simplifiée, a condamné ce dernier à payer à B______ 11'270 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 26 novembre 2019 (ch. 1 du dispositif), prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______ à concurrence de 11'235 fr. avec intérêts à 5% dès le 26 novembre 2019 (ch. 2), mis les frais judiciaires en 2'670 fr., compensés avec les avances fournies, à la charge de A______ (ch. 3 et 4), l'a condamné à verser 90 fr. l'Etat de Genève au titre des frais judiciaires (ch. 5), 2'200 fr. au même titre à B______ (ch. 6) ainsi que 2'900 fr. à titre de dépens (ch. 7) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 8).

B. a. Le 21 juin 2023, A______ a formé appel de ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et déboute B______ de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

b. Le 20 septembre 2023, B______ a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Le 23 octobre 2023, A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Il a produit une pièce nouvelle.

d. B______ a dupliqué le 24 novembre 2023, persistant dans ses conclusions et produisant des pièces nouvelles.

e. Le 29 novembre 2023, A______ a fait valoir que les pièces nouvelles déposées par sa partie adverse étaient irrecevables.

f. Les parties ont été informées le 11 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ est titulaire de la raison individuelle C______, A______, sise à D______ [VS], qui dispose de quatre appartement loués à des prostituées officiant dans le quartier des E______ à Genève.

b.a Dans la nuit du 26 au 27 novembre 2018, B______ s'est rendu avec une jeune femme rencontrée dans un bar dans l'un de ces appartements.

Il a payé à cette jeune femme, au moyen de sa carte de crédit F______, une prestation sexuelle d'un montant de 115 fr. dont il a bénéficié.

b.b Dans les minutes qui ont suivi ce paiement, d'autres paiements ont été exécutés au moyen de la carte de crédit précitée, ainsi que de l'autre carte de crédit G______ de B______. Ces débits ont tous été effectués en faveur de l'entreprise individuelle C______, A______, entre 1 heure 42 et 3 heure 10, soit dans un laps de temps d'un peu moins d'une heure et demie. La chronologie de ces transactions est la suivante :

- 115 fr. le 27 novembre 2018 à 1h42 (F______)

- 115 fr. le 27 novembre 2018 à 1h43 (F______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 1h44 (F______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 1h45 (F______)

- 2'300 fr. le 27 novembre 2018 à 1h45 (F______)

- 150 fr. le 27 novembre 2018 à 1h50 (F______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 1h59 (F______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 2h00 (F______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 2h30 (F______)

- 115 fr. le 27 novembre 2018 à 2h38 (G______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 2h42 (G______)

- 1'150 fr. le 27 novembre 2018 à 2h42 (G______)

- 460 fr. le 27 novembre 2018 à 3h09 (G______)

- 115 fr. le 27 novembre 2018 à 3h10 (G______)

 

Par ailleurs, 8 opérations supplémentaires sur la F______ ont été tentées mais refusées entre 01h45 et 03h08 pour un montant total de 4'600 fr.

B______ allègue que, à l'exception du premier, tous ces débits ont été faits à son insu et sans son accord. Le montant total des transactions non acceptées est de 8'280 fr. pour la F______ et de 2'990 fr. pour la G______.

Il soupçonne la première jeune femme, ou une autre femme qui se trouvait sur les lieux, d'avoir observé son code lors de la première transaction et d'avoir effectué ensuite les autres. Les deux cartes avaient le même code. Il allègue avoir été drogué dans le bar où il avait rencontré la prostituée et ne plus se rappeler précisément de ce qui s'est passé dans cet appartement. Il avait déjà bu plusieurs bières et on lui avait offert dans ce bar un gin tonic; après en avoir bu deux gorgées, il s'était senti faible et tout était devenu flou. Il se souvenait vaguement d'avoir été entouré de plusieurs prostituées qui lui ordonnaient de payer la première transaction à l'aide de la machine à cartes, ce qu'il avait fait. Il ne savait pas ce qui s'était passé ensuite. Il avait repris connaissance dans une chambre; ses affaires étaient éparpillées, il était désorienté et ne savait pas où il se trouvait. Il s'était senti très mal physiquement pendant plusieurs jours. Par la suite, la police lui avait indiqué qu'il était possible qu'il ait été drogué, précisant que ce mode opératoire était connu.

b.c B______ a quitté l'appartement appartenant à A______ le 27 novembre 2018 aux alentours de 3h30 du matin. Il a pris un taxi [de la compagnie] K______ à 3h54.

d.a Il a déposé plainte contre inconnu le 4 décembre 2018 pour utilisation frauduleuse d'un ordinateur auprès de la police. A cet égard, le procès-verbal de plainte mentionne : "Ce dernier assez aviné, ne se souvient pas des détails de la soirée […] la seule chose dont il se rappelle, c'est avoir payé une prestation à une masseuse […]".

d.b Par la suite, la police a remis au Ministère public un rapport de renseignement duquel il ressort que tous les récépissés des paiement reçus par A______ avaient été saisis par la Brigade financière dans le cadre d'une procédure pénale pour blanchiment d'argent. La police avait analysé les récépissés du mois de novembre 2018 des cartes de crédit utilisées dans les logements loués par A______ mais n'en avait retrouvé aucun concernant la soirée du 27 novembre 2018.

Les policiers poursuivent en relevant ce qui suit :"n'ayant pas retrouvé des récépissés, nous avons analysé plus en avant le relevé bancaire remis par M. B______. Sur ce document, nous pouvons remarquer qu'il y a eu plusieurs opérations abouties ou non de la somme de 1'150 fr. Nous avons été avisés par la Brigade Financière que le prix de la passe, pratiqué dans les appartements loués par M. A______, s'élève à 100 fr. Ce à quoi s'ajoute la taxe de 15 fr. de l'utilisation d'un terminal bancaire. Ce qui nous amène à dire qu'une passe se monte à 115 fr.

Par conséquent, la somme de 1'150 fr. correspondrait à 10 passes: Le relevé bancaire de M. B______ met en évidence le passage de la somme de 1'150 fr. à 5 reprises. Cela voudrait dire que M. B______ aurait consommé une cinquantaine de passes en une heure et demie. A moins d'être un dieu grec ou de vouloir battre un record mondial, nous pensons qu'il est peu probable que M. B______ ait pu avoir une cinquantaine de rapports sexuels aboutis.

En conclusion, nous pensons fortement qu'une ou plusieurs personnes ont abusé des cartes bancaires de M. B______. Cependant, nous n'avons aucun moyen d'identifier le ou les malfaiteurs."

d.c Le 15 mai 2020, le Ministère public a fait savoir à B______ que les auteurs de l'infraction n'avaient pas pu être identifiés, de sorte qu'il rendait une ordonnance de non entrée en matière.

d.d La procédure pénale a par la suite été reprise à une date qui ne ressort pas du dossier. Aucunes parties n'allègue qu'une condamnation serait intervenue dans ce cadre.

e. Par courrier du 13 novembre 2019, B______ a sommé A______ de lui rembourser la somme de 11'235 fr. au plus tard le 25 novembre 2019.

Le 3 décembre 2019, A______ a répondu que, pour cause d'un contrôle de la Brigade financière, il ne pouvait pas satisfaire à sa demande.

f. Le 26 novembre 2019, B______ a déposé une réquisition de poursuite à l'encontre de A______. Suite à cela, un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur la somme de 11'235 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 27 novembre 2018 a été notifié à A______ le 31 janvier 2020. Opposition a été formée à ce commandement de payer.

g. Par acte déposé en conciliation le 24 novembre 2020 et introduit en temps utile, B______ a conclu à ce que le Tribunal condamne A______ à lui payer 11'270 fr. avec intérêts à 5% à compter du 27 novembre 2018 et prononce la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité.

h.a Le 7 février 2022, A______ a conclu au déboutement de sa partie adverse de toutes ses conclusions.

Il a produit 14 récépissés signés relatifs aux transactions précitées, précisant qu'il ressortait desdits récépissés que trois prostituées roumaines étaient intervenues ce jour-là, à savoir H______ ("H______"), I______ ("I______") et J______ ("J______"). Ces deux dernières avaient quitté la Suisse.

Il a allégué louer des locaux commerciaux à des travailleuses du sexe dans le quartier des E______ et mettre à leur disposition l'usage de machine à cartes. Les travailleuses en question exerçant en qualité d'indépendantes, lui-même n'intervenait pas dans leur travail et n'était jamais présent sur les lieux. Le fait que B______ ait signé les récépissés des transactions effectuées le 27 novembre 2018 attestait de son accord avec celles-ci. Les montants facturés, bien qu'ils puissent paraître élevés, n'avaient rien d'inhabituel; s'il était exact qu'usuellement le prix d'une prestation "simple" était facturé 100 fr. en espèces, ou 115 fr. par carte, pour une durée d'environ 15-20 minutes, il arrivait fréquemment que des clients demandent à bénéficier de prestations sexuelles spécifiques justifiant un montant plus élevé et/ou de passer une nuit entière avec une, voire plusieurs prostituées. Selon les récépissés des transactions litigieuses, trois professionnelles avaient travaillé la nuit du 26 au 27 novembre 2018. Chaque professionnelle facturant ses propres prestations, cela pouvait engendrer plusieurs paiements par carte en un court laps de temps. Aucun élément du dossier n'établissait par ailleurs que B______ avait été drogué.

Il n'avait jamais suspecté aucun problème et avait dans les jours qui avaient suivi, reversé aux prostituées concernées l'intégralité des montants des prestations de la nuit en question, en espèces, de main à main.

h.b A______ a précisé lors de son audition par la police le 22 février 2023, que, après chaque journée de travail, les prostituées travaillant dans ses appartements lui envoyaient un message avec le total de la recette de la journée. Il se rendait le lendemain sur place et remettait sa rémunération à l'intéressée, en échange d'une quittance signée par cette dernière et des récépissés des cartes de crédit.

i. Lors de l'audience du 11 novembre 2022, le Tribunal a procédé à l'audition en qualité de témoin de H______, l'une des professionnelles qui, selon les affirmations de A______, aurait effectué des prestations en faveur de B______.

Lors de son audition, le témoin a indiqué qu’elle travaillait comme prostituée à son compte dans un appartement loué par A______. D'autres femmes faisaient le même travail dans le même appartement. Elle ne reconnaissait pas B______.

D'une manière générale, le client demandait une prestation, discutait du prix et le payait d'avance. Après le paiement, la prestation était exécutée. Ensuite, la prostituée demandait au client s'il voulait encore "d'autres fantaisies". Le témoin demandait entre 300 fr. et 400 fr. pour une prestation de base, étant précisé que chaque fille avait ses propres tarifs. Il était possible qu'un homme dépense 11'000 fr., voire plus en une nuit dans cet appartement, s'il avait "beaucoup de fantaisies", étant précisé que, plus celles-ci étaient spéciales, plus elles étaient chères. Il était possible que 11'000 fr. soient dépensés en 1 heure si le client avait recours aux services de plusieurs femmes en même temps.

Les paiements par carte bancaire étaient la règle. Ils étaient crédités sur le compte de A______. Les filles présentaient à celui-ci les quittances de carte de crédit correspondant aux prestations fournies et il leur versait les montants perçus, sous déduction d'une commission de 15%. A______ lui avait payé tout ce qu'il lui devait.

j. H______ a en outre été entendue par la police valaisanne le 1er juin 2023 en tant que prévenue dans le cadre de la plainte pénale déposée par B______. Elle a affirmé que, le 27 novembre 2018, elle ne se trouvait pas à Genève. I______ et J______ ne s'y trouvaient pas non plus. Elle n'avait jamais vu B______, avant de le rencontrer au Tribunal. Elle travaillait de manière indépendante en tant qu'escort girl, dans différents endroits. Elle gagnait entre 3'000 fr. et 4'000 fr. par mois.

Les opérations se déroulaient de la manière suivante : le client et la prostituée se mettaient d'accord sur le prix de la prestation et le mode de paiement et le client payait d'avance. Lorsque le paiement se faisait par carte, le client entrait le montant dans le terminal, elle vérifiait que ce soit correct sur le ticket et remettait la copie de celui-ci au client. Le client signait toujours le reçu original "pour confirmer la passe, comme un contrat". Le paiement avait lieu dans l'appartement et la prestation était ensuite effectuée dans l'une des chambres.

k. Lors de l'audience du Tribunal du 16 décembre 2022, les avocats des parties ont plaidé et celles-ci ont persisté dans leurs conclusions.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, dans les causes dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

La valeur litigieuse étant, en l'espèce, supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel, formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC), est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC). Elle applique en outre la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. Les deux parties ont produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'article 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

2.2 Les pièces produites par les parties sont toutes postérieures au 16 décembre 2022, date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger, de sorte qu'elles sont recevables.

Contrairement à ce que fait valoir l'appelant, les rapports de renseignements du 27 mars 2023 et procès-verbaux d'audition des 23 février et 1er juin 2023 produits par l'intimé le 24 novembre 2023 sont recevables. Il n'est en effet pas établi que l'intimé aurait pu avoir accès plus tôt à la procédure pénale, étant rappelé que celle-ci a été classée en 2020 puis réouverte par la suite. Il n'y a dès lors pas lieu de déclarer ces pièces irrecevables au motif que l'intimé n'a pas fait preuve de la diligence requise.

3. Le Tribunal s'est déclaré convaincu que l'intimé avait été victime d'infractions répétées contre son patrimoine le 27 novembre 2018 au petit matin. Le nombre, la fréquence et l'importance des débits opérés sur ses cartes bancaires en l'espace d'une heure et demie ne permettaient d'aboutir à aucune autre conclusion, dans la mesure où si l'intimé en avait été l'auteur, il aurait passé la quasi-totalité de son temps au sein des locaux à utiliser le terminal de paiement. Il était impossible qu'il ait pu parallèlement pratiquer à cinquante reprise l'acte sexuel. Il n'était pas établi que le témoin H______ se trouvait dans les locaux la nuit du 26 au 27 novembre 2018. Ce témoin n'avait d'ailleurs pas reconnu l'intimé, ni confirmé qu’il avait consommé des prestations sexuelles pour environ 11'000 fr. cette nuit-là. Les signatures des récépissés ne correspondaient pas à celles figurant sur le permis de séjour et le contrat de bail de l'intimé. Le fait que celui-ci ait pu commander un Uber n'était pas incompatible avec son affirmation selon laquelle il avait été drogué. Il importait peu de savoir si l'appelant s'était dessaisi ou non des montants litigieux car, au regard du nombre, de la fréquence et de l'importance des débits opérés dans un très court laps de temps, il aurait dû se douter de leur caractère suspect et s'attendre à devoir restituer les sommes concernées. L'appelant était donc tenu de rembourser à l'intimé les montants litigieux en application des règles sur l'enrichissement illégitime.

L'appelant fait valoir que trois prostituées sont intervenues ce soir-là, à savoir J______, I______ et H______, ce qui expliquait le montant élevé des prestations facturées. Les récépissés de cartes bancaires avaient été signés. L'intimé n'avait pas été drogué car il était allé travailler le lendemain. Il reconnaissait n'avoir utilisé qu'une seule carte de crédit et n'avait pas expliqué comment les prostituées avaient trouvé sa deuxième carte de crédit et le code y afférent. L'intimé avait ainsi très vraisemblablement décidé de requérir des prestations supplémentaires après la première relation sexuelle et avait approuvé les débits y relatifs. Les paiements avaient dès lors été effectués en vertu d'une cause valable, soit un contrat entre l'intimé et les prostituées concernées. En tout état de cause, l'appelant n'était pas enrichi car il n'avait reçu les sommes concernées qu'en dépôt, pour le compte des prostituées, auxquelles il les avait restituées de bonne foi quelques jours plus tard. Les montants concernés n'étaient pas inhabituels, les récépissés étaient signés et il ne se trouvait pas sur place, de sorte qu'il ne pouvait pas déceler une éventuelle irrégularité. Au 13 novembre 2019, il s'était dessaisi des montant litigieux depuis près d'un an.

3.1.1 Selon l'art. 1 al. 1 CO, le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d’une manière concordante, manifesté leur volonté. Cette manifestation peut être expresse ou tacite (al. 2).

3.1.2 A teneur de l'art. 62 CO, celui qui, sans cause légitime, s'est enrichi aux dépens d'autrui, est tenu à restitution (al. 1). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d'une cause qui ne s'est pas réalisée, ou d'une cause qui a cessé d'exister (al. 2).

Les conditions d'application de l'art. 62 CO sont au nombre de quatre : un enrichissement du débiteur, un appauvrissement du créancier, la connexité entre l'appauvrissement de l'un et l'enrichissement de l'autre, et enfin l'absence de cause légitime à l'enrichissement du débiteur (Chappuis, Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd. 2021, n. 3 ad art. 62 CO).

Celui qui agit en restitution de l'enrichissement illégitime doit établir que l'avantage obtenu à ses dépens est dépourvu de cause légitime (art. 8 CC). Il y a absence de cause légitime notamment lorsqu'une prestation est effectuée en l'absence de tout contrat, sur la base d'un contrat inexistant ou de celle d'un contrat qui serait nul (Chappuis, op. cit., n. 18 ad. art. 62 CO).

L'action en enrichissement illégitime a pour fonction de corriger un déplacement patrimonial qui profite sans droit au débiteur (Chappuis, op cit., n. 2 ad art. 62 CO; Schulin/Vogt, Basler Kommentar, OR I, 7ème éd. 2020, n. 1 ad art. 62 CO). L'enrichi doit ainsi restituer ce qu'il a reçu sans droit et dont il se trouve encore enrichi au moment où la répétition est exigée (ATF 87 II 137, JdT 1961 I 604; Tercier/Pichonnaz, Le droit des obligations, 2012, n. 1856 et 1857).

3.1.3 Selon l'art. 64 CO, il n'y a pas lieu à restitution, dans la mesure où celui qui a reçu indûment établit qu'il n'est plus enrichi lors de la répétition; à moins cependant qu'il ne se soit dessaisi de mauvaise foi de ce qu'il a reçu ou qu'il n'ait dû savoir, en se dessaisissant, qu'il pouvait être tenu à restituer.

La bonne foi doit être niée quand l’enrichi pouvait, au moment du transfert, s’attendre à son obligation de restituer, parce qu’il savait, ou devait savoir en faisant preuve de l’attention requise, que la prestation était indue (ATF 130 V 414, consid. 4.3; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 9C_319/2013 du 27 octobre 2013, consid. 2.2).

Dans la mesure où la disparition de l'enrichissement est une objection, c'est à l'enrichi de prouver les faits qui diminuent ou suppriment son obligation de restitution (Schulin/Vogt, op. cit., n. 24 ad art. 64 CO).

3.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que l'intimé a conclu, le 27 novembre 2018 à 1h40 environ, avec une prostituée se trouvant dans l'appartement propriété de l'appelant, un contrat portant sur une prestation sexuelle au prix de 115 fr. Par contre aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'intimé a conclu, par la suite, avec une ou plusieurs prostituées, d'autres contrats portant sur d'autres prestations sexuelles pour un montant de 11'300 fr. environ.

En effet, les allégations de l'appelant selon lesquelles les prestations pour lesquelles il a reçu des paiements ont été effectuées par H______ ("H______"), I______ ("I______") et J______ ("J______") ne sont pas confirmées par les pièces du dossier. Le témoin H______ a déclaré au Tribunal qu'elle ne reconnaissait pas l'intimé. Elle a ajouté, lors de son audition par la police valaisanne en juin 2023, qu'elle ne se trouvait pas à Genève le 27 novembre 2018 et que ses collègues I______ et J______ ne s'y trouvaient pas non plus.

A cela s'ajoute que, comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, le nombre et la fréquence des débits opérés sur les cartes bancaires de l'intimé, en l'espace d'une heure trente, excluent que ceux-ci aient été effectués par l'intimé.

L'appelant soutient que l'intimé a très vraisemblablement décidé de requérir des prestations supplémentaires après la première relation sexuelle et a approuvé les débits y relatifs.

Ces allégations ne sont pas crédibles. Il n'est en effet pas contesté que la procédure dans les salons de prostitution de l'intimé était toujours identique, à savoir que, après que le client et la prostituée se soient mis d'accord sur le prix, celui-ci était débité de la carte de crédit du client et la prestation, d'une durée de 15 à 20 minutes, était ensuite effectuée.

Or, en l'espèce, dans les 20 minutes qui ont suivi le premier paiement, sept débits supplémentaires pour plusieurs milliers de francs ont été effectués sur les cartes de crédit de l'intimé.

Cette chronologie contredit la thèse de l'appelant, selon laquelle l'intimé avait requis de nouvelles prestations après que la première lui ait été fournie. L'intimé ne pouvait pas à la fois profiter de la prestation sexuelle qu'il venait de payer et, en même temps, effectuer des débits supplémentaires sur sa carte de crédit pour des prestations futures.

Les constatations de la police et du Tribunal, selon lesquelles il est impossible que l'intimé ait commandé, payé et obtenu autant de prestations sexuelles entre 1h42 et 3h10 sont ainsi parfaitement justifiées.

Contrairement à ce que fait valoir l'appelant, il n'est pas établi que les récépissés qu'il a produits aient été effectivement signés par l'intimé. Les signatures apparaissant sur ces documents diffèrent de celles figurant sur le permis de séjour et le contrat de bail produits par l'intimé, ainsi que de celle de la procuration conférée par l'intimé à son avocat. Ces signatures ne sont de plus pas similaires à celle apposée sur la plainte pénale du 4 décembre 2018, contrairement à ce que fait valoir l'appelant.

Compte tenu de ce qui précède, il importe peu de savoir quel a exactement été le mode opératoire des personnes ayant frauduleusement utilisé les cartes de crédit de l'intimé. La version des faits exposée par celui-ci est au demeurant tout à fait crédible, à savoir qu'il n'était pas dans son état normal, soit en raison du fait qu'il avait été drogué, soit en raison du fait qu'il était ivre, et que les personnes présentes ont profité de son état pour observer le code de sa carte bancaire lorsqu'il l'a composé la première fois, puis utilisé à son insu ses deux cartes de crédit, qui avaient le même code.

Le fait que l'intimé soit allé travailler le lendemain des faits, ou qu'il ait commandé un taxi peu avant 4h00 du matin, ne suffit pas à démontrer qu'il n'a pas été drogué. Il se peut notamment que, après un certain temps, l'effet de la drogue, voire de l'alcool, se soit dissipé.

Il résulte de ce qui précède que le Tribunal a retenu à juste titre que les versements litigieux ont été effectués sans cause valable.

L'appelant, qui a reçu lesdits versement, s'est en outre bien enrichi dans une mesure correspondant à l'appauvrissement de l'intimé.

Les conditions d'application de l'art. 62 CO sont dès lors réalisées.

L'appelant fait valoir qu'il n'est pas tenu à restitution car il s'est déssaisi de bonne foi des sommes reçues, en les versant aux prostituées ayant effectué les prestations fournies en faveur de l'intimé.

Il ressort cependant du dossier que les personnes à qui l'appelant prétend avoir versé les montants indûment reçus n'ont prodigué aucune prestation à l'intimé, puisqu'elles ne se trouvaient pas sur place. L'appelant n'a de plus produit aucun document établissement qu'il avait effectivement versé de l'argent aux intéressées, quelques jours après les faits, comme il l'allègue.

Le témoin H______ a confirmé que les montants qui lui étaient remis par l'appelant l'étaient contre signature d'une quittance. Or aucune quittance n'a été produite par l'appelant pour confirmer ses dires.

Le fait que le témoin ait déclaré au Tribunal que l'appelant ne lui devait plus rien ne démontre quant à lui pas que celui-ci lui a remis les sommes versées par l'intimé le 27 novembre 2018.

L'appelant n'a ainsi pas établi qu'il n'était plus enrichi au moment où l'intimé lui a réclamé la restitution des montants versés à tort. En tout état de cause, même à supposer que l'appelant se soit effectivement dessaisi des montants concernés, cela ne ferait pas obstacle aux prétentions de l'intimé. En effet, au regard du nombre, de la fréquence et de l'importance des débits opérés sur les cartes bancaires de l'intimé, ce en l'espace d'un très court laps de temps, l'appelant ne pouvait, à la lecture de son relevé de compte, que se douter de leur caractère éminemment suspect et devait ainsi s'attendre à devoir restituer les montants crédités sur son compte.

Les déclarations toutes générales du témoin H______ sur le fait qu'il est possible pour certains clients de dépenser 11'000 fr., voire plus, en une nuit, voir une heure, ne sont pas déterminantes dans ce cadre, compte tenu de l'état de fait particulier de la présente cause.

De plus, les tarifs du témoin ne sont pas les mêmes que ceux de ses collègues présentes le 27 novembre 2018, puisque la seule prestation sexuelle reçue par l'intimé a coûté 115 fr., alors que le témoin a déclaré que son tarif minimum se situait entre 300 fr. et 400 fr.

Les quittances datées de 2023 produites par l'appelant devant la Cour concernent quant à elles un autre client et n'ont aucune pertinence pour trancher le cas d'espèce.

Enfin, la poursuite a été requise à l'encontre de l'appelant avant l'expiration du délai de prescription d'un an applicable à l'époque (art. 67 aCO). L'appelant ne soutient d'ailleurs pas que les prétentions de l'intimé se heurteraient à la prescription. Le fait que celui-ci ait attendu quelques mois pour interpeller l'appelant par écrit est dès lors dénué de pertinence.

L'appelant ne forme par ailleurs aucun grief à l'encontre du calcul du montant qu'il a été condamné à payer ou des intérêts alloués par le Tribunal.

Le jugement querellé sera par conséquent confirmé.

4. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'100 fr. (art. 95 al. 1 let. a et al. 2, 104 al. 1 et 105 al. 1 CPC; art. 5, 17 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'appelant qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par ses soins, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les dépens d'appel dus à l'intimé seront arrêtés à 2'000 fr., débours et TVA inclus (art. 95 al. 1 let. b et al. 3, 96 et 105 al. 2 CPC; art. 84, 85 et 90 RTFMC, 25 et 26 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/5837/2023 rendu le 17 mai 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23894/2020.

Au fond :

Confirme le jugement querellé.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de A______ les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 2'100 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ 2'000 fr. de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.