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Décisions | Chambre civile

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C/19221/2022

ACJC/76/2024 du 18.01.2024 sur OTPI/584/2023 ( OO ) , RENVOYE

Normes : CPC.99
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19221/2022 ACJC/76/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 18 JANVIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ (Switzerland) AG, ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 septembre 2023, représentée par Me Sébastien FRIES, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève,

et

C______ LTD, sise ______, Libéria, intimée, représentée par
Me Carlo LOMBARDINI, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale,
1211 Genève 4.

 


EN FAIT

A. a. Par ordonnance OTPI/584/2023 du 28 septembre 2023, notifiée le 3 octobre 2023 aux parties, le Tribunal de première instance a notamment débouté A______ SA de toutes ses conclusions tendant aux versement de sûretés de la part de C______ LTD (ch. 2 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., les a mis à la charge de A______ SA, les a compensé avec l'avance fournie (ch. 3), a condamné A______ SA à payer à C______ LTD 1'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et imparti un délai au 31 octobre 2023 à A______ SA pour déposer sa réponse à la demande (ch. 5).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 13 octobre 2023, A______ SA a recouru contre cette ordonnance. Elle a conclu à ce que la Cour l'annule, condamne C______ LTD à fournir des sûretés en garantie des dépens en sa faveur d'un montant minimum de 102'092 fr. soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, lui fixe un délai pour déposer lesdites sûretés et dise qu'à défaut de versement dans le délai fixé, la demande de C______ LTD serait déclarée irrecevable, avec suite de frais et dépens.

Elle a préalablement conclu, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, principalement à ce que la Cour octroie l'effet suspensif au recours, subsidiairement à ce qu'elle annule, respectivement suspende, le délai qui lui a été imparti au 31 octobre 2023 pour répondre à la demande déposée par C______ LTD.

b. Par arrêt ACJC/1379/2023 du 16 octobre 2023, rendu sur mesures superprovisionnelles, et arrêt ACJC/1420/2023 du 20 octobre 2023, rendu sur effet suspensif après déterminations du même jour de C______ LTD, la Cour a suspendu le caractère exécutoire attaché au chiffre 5 de l'ordonnance querellée et dit qu'il serait statué sur les frais liés à chaque décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Par réponse du 27 octobre 2023, C______ LTD a conclu à ce que la Cour rejette le recours, subsidiairement à ce qu'elle la condamne à verser des sûretés d'un montant n'excédant pas 91'882 fr. 90 dans un délai raisonnable, le tout avec suite de frais judiciaires et dépens.

d. Par pli du greffe de la Cour du 17 novembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause avait été gardée à juger.


 

C. Il résulte du dossier les éléments pertinents suivants :

a. Par requête du 9 décembre 2022, formée devant le Tribunal à l'encontre de A______ SA, C______ LTD a conclu au paiement par cette dernière de la somme de 8'084'280 fr. 77 avec intérêts à 5% l'an dès le 3 octobre 2022.

b. Par acte du 20 juin 2023, A______ SA a conclu à ce que le Tribunal condamne C______ LTD à verser des sûretés en garantie des dépens d'un montant minimum de 102'092 fr. soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse.

Elle a fait valoir que le siège sa partie adverse se trouvait à D______ (Libéria) et qu'il n'existait aucun traité entre la Suisse et la République du Libéria qui exclurait l'obligation de verser une cautio judicatum solvi.

c. Le 4 septembre 2023, C______ LTD a conclu, principalement, à ce que le Tribunal rejette la requête en fourniture de sûretés, subsidiairement, à ce qu'il la condamne à fournir des suretés n'excédant pas le montant de 91'882 fr. 90.

Elle a soutenu qu'il existait un traité entre la Suisse et la République du Libéria qui la dispensait de fournir des sûretés dès lors que, selon l'art. 2 de ce traité, elle devait bénéficier du même traitement qu'un ressortissant suisse agissant comme demandeur devant les tribunaux suisses.

d. Par ordonnance du 15 septembre 2023, le Tribunal a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger sur mesures de sûretés.

e. Par réplique spontanée du 22 septembre 2023, A______ SA a fait valoir que l'art. 2 du traité entre la Suisse et la République du Libéria ne prévoyait pas de clause explicite excluant l'obligation pour les parties de fournir des sûretés, ni de garantie réciproque d'exécution des jugements en ce qui concernait les frais et dépens, alors que ces deux conditions étaient nécessaires à la renonciation de l'exigence de la cautio judicatum solvi selon la jurisprudence.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

Selon la jurisprudence de la Cour, ces décisions ayant nature d'ordonnance d'instruction, le délai de recours est de 10 jours en application de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, in CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Suter/Von Holzen, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm/ Hasenböhler/ Leuenberger [éd.], éd. 2016, n. 14 ad art. 99 CPC et n. 8 ad art. 103 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été formé dans les délai et forme prescrits (art. 321 al. 1 CPC).

1.3 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., Berne 2010, n. 2307).

2. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal a retenu que le siège de l'intimée se trouvait au Libéria, que la Confédération suisse et la République du Libéria avait conclu un Traité d'amitié et de commerce le 23 juillet 1963 (RS 0.142.114.941) (ci-après : le Traité), dont l'art. 2 stipulait que les ressortissants suisses et libériens "jouiront en matière de procédure judiciaire, administrative ou autre du même traitement que celui accordé aux ressortissants de l'autre Partie en ce qui concerne la protection et la sécurité de leur personne et de leurs biens", que selon le message du Conseil fédéral du 29 novembre 1963, il résultait de cet art. 2 que le principe de l'assimilation au national avait été adopté dans les procédures précitées. Il était ainsi établi que les ressortissants libériens jouissaient en matière de procédure judiciaire du même traitement que celui accordé aux ressortissants suisses, de sorte que des sûretés ne pouvaient être exigées de l'intimée.

La recourante soutient que le Traité ne contient aucune clause libérant expressément les citoyens suisses et libériens de fournir des sûretés s'ils introduisent action dans le pays dans lequel ils ne sont pas domiciliés, de sorte que le Tribunal aurait dû condamner l'intimée à verser des sûretés.

2.1.1 Aux termes de l'art. 99 al. 1 let. a CPC, le demandeur qui n'a pas de domicile ou de siège en Suisse doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens.

Certaines conventions internationales ou accords bilatéraux peuvent toutefois exclure le paiement de telles sûretés (art. 2 CPC), notamment lorsque cette obligation est liée exclusivement au domicile du demandeur dans un Etat signataire notamment de la Convention de la Haye relative à la procédure civile du 1er mars 1954 (RS 0.274.12; art. 17 à 19), ou de celle du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l'accès à la justice (RS 0.274.133; art. 14), à condition qu'ils résident dans l'un de ces pays. La dispense de fournir une sûreté peut également être prévue par un traité bilatéral, généralement dans un traité d'établissement, conclu entre la Suisse et un Etat dont le demandeur étranger serait ressortissant (cf. conventions bilatérales avec l'Estonie (RS 0.274.187.721), la Grèce (art. 5; RS 0.142.113.721), la Turquie (art. 1; RS 0.274.187.631), et l'Iran (art. 8; RS 0.142.114.362); Convention entre la Suisse et la Grande-Bretagne en matière de procédure civile conclue le 3 décembre 1937 (art. 3; RS 0.274.183.671), applicable à certaines anciennes colonies (Ruegg, BSK Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 9 ad art. 99).

2.1.2 Le Tribunal fédéral a jugé que la garantie du libre accès aux tribunaux instituée par l'art. 1 al. 1er du Traité conclu entre la Confédération suisse et les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, des 17 décembre 1850/21 juillet 1855 (RS 0.142.113.361) (ci-après: le Traité entre la Suisse et les Etats-Unis) – qui prévoit notamment que les citoyens suisses et américains "auront libre accès devant les tribunaux et pourront faire valoir leurs droits en justice à l'instar des nationaux" et qu'"on ne pourra leur imposer (...) pour l'exercice des droits mentionnés plus haut, aucune condition pécuniaire ou autre plus onéreuse qu'aux citoyens du pays dans lequel ils résident, ni aucune condition à laquelle ceux-ci ne seraient pas tenus" – n'avait pas pour effet de supprimer l'obligation, pour un demandeur américain domicilié aux Etats-Unis, de fournir des sûretés dans un procès intenté en Suisse (ATF 60 I 220 consid. 5; 76 I 111 consid. 3; 121 I 108 consid. 2 et les auteurs cités, JdT 1996 I 86, SJ 1996, p. 129; arrêt du Tribunal fédéral 4P_153/2003 du 7 octobre 2003 consid. 2.3.1).

L'obligation de verser des sûretés pour garantir le paiement des dépens repose sur l'idée suivante: la décision d'ouvrir action est prise par le demandeur, qui a pu auparavant apprécier les risques de la procédure, en particulier celui de ne pouvoir recouvrer ses dépens au cas où il obtiendrait gain de cause; en revanche, le défendeur ne peut pas en général se déterminer librement sur le risque de devoir assumer des frais. C'est pourquoi il doit être protégé du danger de ne pouvoir obtenir le paiement des dépens qui, le cas échéant, lui auraient été alloués. Ce risque existe en particulier lorsque le demandeur est domicilié à l'étranger, car le prononcé des tribunaux suisses sur les frais et dépens ne peut alors pas être exécuté sans autre. En conséquence, l'obligation de verser des sûretés résulte uniquement du domicile du demandeur à l'étranger indépendamment de sa nationalité. Un citoyen suisse domicilié à l'étranger pourrait aussi être tenu de fournir une caution en Suisse (ATF 121 I 108 consid. 2, JdT 1996 I 86, SJ 1996, p. 129). A cet égard, la clause du traité entre la Suisse et les Etats-Unis assurant aux ressortissants des Etats contractants le libre accès aux tribunaux des deux pays ne change rien au problème du recouvrement. Cette difficulté n'est supprimée que si une convention internationale prévoit l'exécution forcée réciproque des décisions sur les frais rendues dans chaque Etat, garantie qui constitue le pendant nécessaire à la renonciation à l'exigence de la cautio judicatum solvi (ATF
94 I 358 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4P.153/2003 du 7 octobre 2003 consid. 2.3.1). Or tel n'est précisément pas le cas du traité avec les Etats-Unis (ATF 121 I 108 consid. 3d, JdT 1996 I 86, SJ 1996, p. 129).

2.1.3 Dans deux arrêts des 31 mars 1995 (ACJC/1200/1995) et 28 septembre 1995 (ACJC/381/1995), la Cour a considéré que le Traité, soit en particulier son art. 2, ne permettait pas de dispenser les ressortissants libériens domiciliés au Libéria de verser des sûretés s'ils plaidaient en Suisse.

2.2.1 En l'espèce, il n'est pas contesté que le siège de l'intimée se trouve au Libéria, ni que cet Etat n'est partie à aucune des conventions multilatérales de la Haye précitées.

Le Traité ne contient aucune clause dispensant les plaideurs de fournir des sûretés. En particulier, l'art. 2 dudit traité, dont le contenu n'est pas ambigu, ne vise que l'égalité de protection et de sécurité des ressortissants et des biens en matière procédurale, et non la question de la cautio judicatum solvi, contrairement à ce que soutient l'intimée.

A cet égard, les termes de l'art. 2 précité se rapprochent de ceux de l'art. 1 al. 1er du Traité entre la Suisse et les Etats-Unis dès lors que les deux articles traitent de l'égalité de traitement des citoyens des deux Etats parties en matière judiciaire. Or, à teneur de la jurisprudence précitée, ledit art. 1 al. 1er ne permet pas d'exempter les citoyens américains domiciliés aux Etats-Unis de l'obligation de fournir des sûretés s'ils plaident en Suisse selon le Tribunal fédéral, étant encore relevé que le contenu de cette dernière disposition est plus détaillé que celui de l'art. 2 du Traité, dès lors qu'elle prévoit qu'on ne pourra pas exiger des ressortissants de l'autre Etat partie "aucune condition pécuniaire ou autre plus onéreuse qu'aux citoyens de pays dans lequel ils résident".

Le Traité ne garantit pas non plus l'exécution réciproque des jugements en ce qui concerne les frais et dépens, alors qu'il s'agit du pendant nécessaire de la renonciation à la cautio judicatum solvi.

Enfin, contrairement à ce que soutient l'intimée, ce n'est pas la nationalité du demandeur qui est pertinente en ce qui concerne l'exemption de sûretés en garantie de dépens mais bien le domicile à l'étranger de ce dernier, de sorte qu'admettre l'exemption de la cautio judicatum solvi à tout ressortissant de la République du Libéria plaidant en Suisse, indépendamment de son domicile, viderait de son sens le mécanisme de la cautio judicatum solvi.

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'exiger de l'intimée qu'elle verse des sûretés en garantie des dépens dans le cadre de la procédure l'opposant à la recourante.

Afin de respecter le principe du double degré de juridiction, il se justifie de renvoyer la cause au Tribunal pour qu'il statue notamment sur le montant des sûretés en garantie des dépens à fournir par l'intimée, sur les frais de première instance et fixe la suite de la procédure.

2.2.2 Les chiffres 2 à 5 de l'ordonnance entreprise seront dès lors annulés et la cause renvoyée au Tribunal.

3. Les frais judiciaires du présent recours ainsi que ceux des deux décisions sur effet suspensif, seront arrêtés à 2'700 fr. au total (art. 23 et 41 RTFMC) et mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ces frais seront compensés avec l'avance de frais du même montant effectuée par la recourante, qui reste acquise à l'Etat de Genève. L'intimée devra par conséquent rembourser le montant de 2'700 fr. à la recourante (art. 111 al. 2 CPC).

L'intimée sera également condamnée à verser à la recourante un montant de 2'000 fr., débours et TVA compris, au titre des dépens de recours (art. 84 al. 1, 87 et 90 RTFMC; art. 23, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 13 octobre 2023 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/584/2023 rendue le 28 septembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19221/2022.

Au fond :

Annule les chiffres 2 à 5 du dispositif de l'ordonnance attaquée et, cela fait :

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Sur les frais :

Met à la charge de C______ LTD les frais judicaires de recours, arrêtés à 2'700 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne C______ LTD à verser à A______ SA 2'700 fr. au titre des frais judiciaires.

Condamne C______ LTD à verser à A______ SA 2'000 fr. au titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF : RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.