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Décisions | Chambre civile

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C/12402/2021

ACJC/1613/2023 du 05.12.2023 sur ORTPI/301/2023 ( OS ) , JUGE

En fait
En droit

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12402/2021 ACJC/1613/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 5 DÉCEMBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ (VD), recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 10 mars 2023, représentée par
Me Bernard CRON, avocat, LEXPRO, rue Rodolphe-Töpffer 8, 1206 Genève,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Alain DE MITRI, avocat, rue Rothschild 50, case postale 1444, 1211 Genève 1.

 

 

 

 

 

 

 


EN FAIT

A.           a. Le 22 juin 2021, B______ SA a déposé au Tribunal de première instance, en vue de conciliation, une demande dirigée contre A______ SA, en paiement de 15'021 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er juin 2021, avec suite de frais et dépens.

Elle a notamment allégué, en se référant à un extrait du Registre du commerce vaudois, que A______ SA était une société anonyme dont le siège était à C______ (VD), qui avait pour administrateur unique D______.

A l'audience de conciliation du 30 septembre 2021, A______ SA a été représentée par D______ ainsi que par le directeur de l'entreprise, E______.

b. Après avoir obtenu une autorisation de procéder, B______ SA a, le 1er juillet 2022, déposé sa demande au Tribunal.

A______ SA a conclu au déboutement de B______ SA des fins de ses conclusions. A titre préalable, elle a requis l'audition de D______ en qualité de partie, ainsi que de plusieurs témoins (dont son directeur). Elle a formé une demande reconventionnelle, concluant à la condamnation de A______ SA à lui verser 30'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er juillet 2022, avec suite de frais et dépens.

Elle a notamment allégué que D______ n'était plus administrateur depuis le 24 janvier 2022, F______ ayant succédé au précité à ce poste. Elle s'est référée à un extrait du Registre du commerce vaudois, ainsi qu'à une publication dans la Feuille officielle suisse du commerce.

B______ SA a conclu au déboutement de A______ SA des fins de ses conclusions reconventionnelles, avec suite de frais et dépens.

A______ SA a encore formé des allégués complémentaires (n. 167 à 186), offrant en preuve de ceux-ci des pièces, l'audition des parties et celle de diverses personnes, dont D______.

A l'audience de débats d'instruction du Tribunal du 9 novembre 2022, à teneur du procès-verbal, A______ SA était représentée par D______, "mandataire commercial".

Les parties ont déposé leurs listes de témoins; le nom de D______ ne figure sur aucune d'entre elles.

Par ordonnance du 6 février 2023, le Tribunal a ordonné l'audition de divers témoins, dont D______ (sur les allégués complémentaires n° 167, 185 et 186), celle de B______ SA par son directeur, et celle de A______ SA également par son directeur (E______).

Par lettre du 2 mars 2023, A______ SA a requis que D______ soit entendu pour elle en qualité de son représentant et non de témoin et que E______ soit entendu en qualité de témoin. Elle a annexé à son courrier copie d'une procuration, datée du 8 novembre 2022, autorisant D______ à la représenter dans la cadre de la présente procédure.

A l'audience de débats principaux du Tribunal du 8 mars 2023, étaient présents pour A______ SA D______ et E______. Seul ce dernier a été entendu, en qualité de représentant de la société. Une déclaration du conseil de A______ SA a été portée au procès-verbal d'audience en ces termes : "D______ va renoncer à sa qualité de témoin".

B.            Par ordonnance du 10 mars 2023, expédiée pour notification aux parties le 14 mars 2023, le Tribunal a modifié sa précédente ordonnance du 6 février 2023 en ce sens que D______ ne serait pas entendu comme témoin (ch. 1 du dispositif), a déclaré tardive la requête de A______ SA du 2 mars 2023 tendant à son audition en la personne de D______ (ch. 2), rejeté la requête de A______ SA du 2 mars 2023 tendant à l'audition de E______ en qualité de témoin (ch. 3), et renvoyé la décision sur les frais à la décision finale (ch. 4).

C.           Par acte du 27 mars 2023, A______ SA a formé recours contre le chiffre 2 du dispositif de la décision précitée. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à ce que son audition par D______ soit admise, avec suite de frais et dépens.

B______ SA a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 23 octobre 2023, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/ Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a statué sur des moyens de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction portant sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

1.3 Le recours, écrit et motivé, doit être déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

En l'occurrence, les conditions précitées sont réalisées.

2. Reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2021 du 8 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_248/2014 du 27 juin 2014; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 Une société dispose du droit de désigner le membre du conseil d'administration, le directeur, le fondé de procuration ou le mandataire commercial, ce dernier avec pouvoir exprès pour plaider, qui ont personnellement connaissance des faits de la cause pour la représenter en justice. Une décision qui prive une partie de ce droit est susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, dès lors que la question de savoir si une autre personne ou d'autres personnes auraient pu également représenter la société ne pourra pratiquement pas être soulevée avec la décision finale (ATF 141 III 80 consid. 1.4).

2.3 En l'espèce, la décision attaquée a un effet sur le droit de la recourante de désigner qui elle l'entend pour la représenter dans la procédure. Il s'ensuit, selon les principes rappelés ci-avant, que la condition du préjudice difficilement réparable, posée par l'art. 319 al. 2 let. b CPC, est réalisée.

Le recours est donc recevable.

3. La recourante reproche au Tribunal d'avoir retenu que sa requête tendant à ce qu'elle puisse être représentée par D______, partant à ce que celui-ci soit entendu dans le cadre de l'interrogatoire des parties, était tardive.

3.1 Toute personne capable d'ester en justice peut se faire représenter au procès (art. 68 al. 1 CPC). Le représentant doit justifier de ses pouvoirs par une procuration (art. 68 al. 3 CPC).

Les organes exécutifs, mais aussi toutes les personnes qui peuvent valablement représenter la société anonyme dans les actes juridiques avec des tiers en vertu des règles du droit civil, peuvent accomplir des actes judiciaires en son nom, comme signer des écritures, donner procuration à un avocat et comparaître aux audiences. Sont en premier lieu légitimés à représenter la société en justice les membres du conseil d'administration et, à moins que les statuts ou le règlement d'organisation ne l'exclue, un seul des membres de celui-ci (art. 718 al. 1 CO). En deuxième lieu, la société peut être représentée en justice par un ou plusieurs des membres du conseil d'administration (délégués) ou par des tiers (directeurs), auxquels le conseil d'administration a délégué son pouvoir de représentation (art. 718 al. 2 CO). Toutes ces personnes sont organes, expriment directement la volonté de la société et sont inscrites au registre du commerce (art. 720 CO). En troisième lieu, sans avoir la qualité d'organes, en vertu de leurs pouvoirs de représentation, peuvent représenter la société en justice les fondés de procuration (art. 458 CO), qui sont inscrits au registre du commerce et n'ont pas besoin de pouvoir spécial pour plaider, à moins que leur procuration n'ait été restreinte (art. 460 al. 3 CO), ainsi que les mandataires commerciaux (art. 462 CO), qui ne sont pas inscrits au registre du commerce, à condition qu'ils aient reçu le pouvoir exprès de plaider (art. 462 al. 2 CO; dans ce sens déjà, pour la comparution à l'audience de conciliation : ATF 140 III 70 consid. 4.3). Chacune des personnes habilitée à représenter la société en justice doit justifier de sa qualité et de son pouvoir en produisant soit un extrait du registre du commerce, soit l'autorisation qui lui a été délivrée pour plaider et transiger dans l'affaire concrète dont le tribunal est saisi (cf. art. 68 al. 3 CPC) (ATF 141 III 80 consid. 1.3).

Savoir quelle(s) personne(s) est (sont) habilitée(s) à représenter la société anonyme en procédure ressortit ainsi à la capacité d'ester en justice de celle-ci. Il s'agit d'une condition de recevabilité de la demande (art. 59 al. 2 let. c CPC). Le fait que cette ou ces personnes ne doivent ensuite être interrogées que comme partie (art. 159 CPC en relation avec les art. 163-164 et 191-192 CPC), et non comme témoin (art. 169 ss en relation avec les art. 165-167 CC), qu'elles peuvent donc avoir des contacts avec l'avocat de la société anonyme, peuvent assister aux audiences au cours desquelles sont notamment interrogés les témoins, n'en est qu'une conséquence (ATF 141 III 80 consid. 1.3).

3.2 Si la procuration (exigée par l'art. 68 al. 3 CPC) fait défaut ou n'apparaît pas suffisante, le tribunal fixe un délai pour la régularisation de ce vice (art. 132 al. 1 CPC). L'omission doit toutefois être imputable à une inadvertance (arrêt du Tribunal fédéral 5D_124/2016 du 26 septembre 2016 consid. 2.2).

3.3 Il est constant que D______, alors administrateur de la société, a comparu pour la recourante à l'audience de conciliation du 30 septembre 2021 et qu'il a été présent à l'audience du Tribunal du 9 novembre 2022 (en qualité, selon le procès-verbal, de mandataire commercial, sans, apparemment, qu'une procuration n'ait été produite).

Cette procuration était pourtant déjà établie à en croire la copie déposée le 2 mars 2023, mentionnant la date du 8 novembre 2022, veille de l'audience susmentionnée. Le fait qu'elle n'ait pas été déposée relève ainsi de l'inadvertance, de sorte qu'il appartenait au premier juge de fixer un délai, au sens de l'art. 132 al. 1 CPC, pour qu'il soit remédié au défaut de production des pouvoirs conférés à D______.

Il est par ailleurs établi que, dans sa réponse et demande reconventionnelle du 1er juillet 2022, la recourante a expressément conclu à ce que le précité soit entendu en tant que son représentant; les offres de preuves admises, mentionnant son nom, se devaient ainsi d'être administrées par sa déclaration en qualité de partie.

Il s'ensuit que la tardiveté de la requête, retenue par le premier juge dans l'ordonnance attaquée, n'est pas conforme au dossier.

Le grief de la recourante est dès lors fondé, de sorte que le chiffre 2 du dispositif de la décision entreprise sera annulé, et qu'il sera statué à nouveau sur ce point (art. 327 al. 3 let. b CPC) dans le sens que la requête tendant à l'audition de D______ en qualité de représentant de la recourante sera admise.

4. Vu l'issue du recours, les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr. (art. 41 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève, seront mis à la charge de l'intimée (art. 106 al. 1 CPC).

Celle-ci versera donc 800 fr. à la recourante, ainsi que 800 fr., TVA et débours compris, (art. 84, 85, 90 RTFMC) de dépens de recours.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 27 mars 2023 par A______ SA contre le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance ORTPI/301/2023 rendue le 10 mars 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12402/2021.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif de cette ordonnance et, statuant à nouveau sur ce point :

Admet l'audition de D______ en qualité de représentant de A______ SA.

Déboute les parties de toute autre conclusion de recours.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 800 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de B______ SA.

Condamne B______ SA à verser à A______ SA 800 fr. à titre de restitution des frais judiciaires de recours et 800 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN et Madame
Nathalie RAPP, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.