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Décisions | Chambre civile

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C/20981/2018

ACJC/1468/2023 du 31.10.2023 sur JTPI/1822/2023 ( OO ) , JUGE

Recours TF déposé le 07.12.2023, 4A_595/2023
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20981/2018 ACJC/1468/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 31 OCTOBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 7 février 2023, représenté par Me Fabien RUTZ, avocat, rue de Hesse 16, case postale 1970, 1211 Genève 1,

et

B______ SA, EN LIQUIDATION, sise ______, intimée, représenté par
Me C______, avocat,


EN FAIT

A.           Par jugement du 7 février 2023, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal de première instance a débouté A______ des fins de sa demande (ch. 1), a arrêté les frais judiciaires à 10'400 fr., compensés avec l'avance opérée et mis à la charge du précité (ch. 2), condamné en outre à verser à B______ SA en liquidation 200 fr. et 17'000 fr. à titre de dépens (ch. 3 et 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

S'agissant des conclusions encore litigieuses en appel, il a retenu que la recevabilité des conclusions constatatoires de A______ pouvait rester ouverte, dans la mesure où les pièces produites ne permettaient pas de déterminer si l'activité déployée par les avocats mandatés était nécessaire et dans l'intérêt de B______-B______ SA, et dans la mesure où les conditions permettant l'octroi d'un forfait n'étaient pas réalisées.

B.            Par acte du 10 mars 2023, A______ a formé appel contre ce jugement. Il a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait a conclu à la constatation que les différents mandats confiés à des tiers (Mes D______, E______, F______, G______ et H______ AG) pour un montant de 159'090 fr. 05 étaient justifiés, dans l'intérêt de B______ SA en liquidation, et respectaient le cadre de son mandat, et à la constatation que le montant de 25'370 fr. qu'il avait perçu pendant toute la durée de son mandat au titre du "forfait d'usage" était dû, sous suite de frais judiciaires et dépens.

B______ SA en liquidation a conclu à la confirmation de la décision attaquée, avec suite de frais judiciaires et dépens. Dans le corps de sa réponse, elle a répété qu'elle avait reconnu que Mes D______ et G______, ainsi que l'étude H______, avaient agi dans son intérêt.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 7 août 2023, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a. B______ SA en liquidation (ci-après : B______) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, au capital de 100 actions de 1'000 fr., chacune, dont la dissolution a été prononcée par jugement du Tribunal du ______ 2014.

I______ et J______ en ont été, à diverses époques, administrateurs; le premier détient la moitié des actions du capital social, l'autre moitié étant propriété de K______ SA, société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, dont l'administrateur unique est J______.

De mars 2015 à novembre, respectivement décembre, 2019, A______ a été nommé liquidateur de B______.

Par jugement du 29 octobre 2019, le Tribunal a révoqué le précité de sa fonction et nommé L______ en qualité de liquidateur de B______.

b. Dans le cadre de son mandat de liquidateur, A______ a mandaté divers avocats, soit Mes D______, E______, F______, G______ et l'étude H______ AG.

b.a Les services de Me D______ ont été facturés 20'060 fr. à B______, qui s'en est acquittée. Les services de Me G______ et de H______ AG ont été facturés 7'234 fr. 10 et 7'674 fr. 15 à B______, qui s'en est acquittée.

B______ admet que les recours à ces conseils ont été opérés dans son intérêt.

b.b Les services de Me E______ ont été facturés 1'215 fr. à B______, qui s'en est acquittée. Les services de Me F______ ont été facturés 122'366 fr. 80 à B______, qui s'en est acquittée.

Me E______ a été chargé d'étudier une scission éventuelle de B______ en lieu et place d'une liquidation, et de fournir des informations quant à la responsabilité du liquidateur pour les impôts dus par B______.

Me F______ a été chargé de dispenser des conseils s'agissant de la manière de liquider des actifs, de traiter les actionnaires, d'intervenir auprès de tiers.

Selon A______, le recours aux avocats était rendu nécessaire par les blocages et ralentissements que lui opposaient I______ et J______, dans le contexte de litiges survenus notamment avec des locataires, et en lien avec la vente d'immeubles. Il lui appartenait de s'assurer qu'il remplissait son mandat conformément à la loi, respectivement de confier à des avocats des tâches trop complexes pour qu'il les effectue lui-même.

B______ fait valoir que les consultations des deux avocats précités ont été faites dans l'intérêt de A______, dont les compétences professionnelles devaient lui permettre de résoudre lui-même les questions examinées.

c. Une assemblée générale extraordinaire de B______ s'est tenue le
18 septembre 2018. Le procès-verbal de cette assemblée comporte notamment le passage suivant : "Les actionnaires dénoncent à l'unanimité la gestion catastrophique de la liquidation par le liquidateur (vente de biens sans consulter les actionnaires, sans l'établissement préalable d'un bilan de liquidation; envoi des déclarations fiscales sans que les comptes ne soient révisés; mise en œuvre systématique des tiers aux frais de la société) et constatent que ses honoraires sont totalement injustifiés et injustifiables. […] L'assemblée par une résolution prise à l'unanimité des voix (cent pour cent des actions) […] décide d'entreprendre toute démarche utile aux fins d'obtenir le changement du liquidateur".

Le 12 novembre 2018, I______ et K______ SA ont conclu une convention portant sur de multiples points, dont l'un libellé en ces termes : "Accord sur la mise en cause de la responsabilité du liquidateur par B______ SA et ses actionnaires à raison de la gestion calamiteuse et déloyale de la liquidation. Les parties s'entendront sur un mandataire commun qui s'en chargera".

d. Le 18 novembre 2019, K______ SA et J______ ont adressé au Ministère public une "dénonciation" contre A______ pour abus de confiance et gestion déloyale, enregistrée sous n° P/1______/2019. La procédure s'est achevée par une ordonnance de classement.

e. A______ a facturé à B______ des "honoraires forfaitaires supplémentaires" (dont il allègue que l'usage genevois permet la perception par le liquidateur d'une société, à raison de 5'074 fr. par année), correspondant selon lui à un usage à Genève, pour un montant total de 25'370 fr. Ce montant lui a été versé par B______.

En janvier et février 2020, une négociation au sujet des frais et honoraires de A______ a été entreprise entre ce dernier, J______ et le liquidateur L______. Il est admis que l'accord global discuté à l'issue des négociations portait sur un abattement de 70'000 fr. sur le montant total de 763'271 fr. 05 (comprenant le montant précité de 25'370 fr.) facturé à B______ et réglé à concurrence de 714'768 fr. 50.

B______ soutient qu'au vu de l'abattement consenti, rien n'exclurait que A______ n'ait pas renoncé aux honoraires forfaitaires. Par ailleurs,
l'art. 718b CO faisait obstacle à une rémunération forfaitaire non convenue par écrit.

Le Tribunal a entendu en qualité de témoins M______, ______ [fonction] de l'ordre genevois d'experts suisses, qui regroupe les experts comptables, fiscaux et fiduciaires, et N______, agent fiduciaire. Le premier a déclaré qu'un liquidateur calculait ses honoraires selon un tarif horaire et facturait en outre des honoraires forfaitaires, calculés par année ou mandat, variant entre 3'000 et
10'000 fr. par an, justifiés par les primes exceptionnelles versés aux assurances pour couvrir le "certain risque" assumé dans le mandat. Le second a déclaré qu'il ne connaissait pas de cas dans lequel des honoraires avaient été facturés au tarif horaire et forfaitairement dans le même dossier.

f. Le 8 janvier 2021, A______ a saisi le Tribunal d'une demande dirigée contre B______, à la suite d'une autorisation de procéder délivrée après qu'une partie des prétentions articulées dans la requête du 14 septembre 2018 n'avait pas fait l'objet d'une conciliation.

Cette demande tendait au paiement de 25'370 fr. et 38'185 fr. 35 avec suite d'intérêts moratoires, ainsi qu'à la constatation de ce que les différents mandats qu'il avait confiés à des tiers pour un montant total de 159'090 fr. 05 étaient justifiés, dans l'intérêt de B______ et respectaient le cadre de son mandat, et à la constatation qu'il n'avait causé aucun dommage à B______ ensuite desdits mandats.

B______ a conclu à ce qu'il soit constaté que les mandats confiés à Me D______, à Me G______ et à l'étude H______ l'avaient été dans son intérêt, et au déboutement de A______ de ses autres conclusions, sous suite de frais et dépens.

Au terme de sa réplique, A______ a modifié l'une de ses conclusions tendant au paiement d'une somme d'argent en une conclusion en constatation que le montant de 25'370 fr. qu'il avait perçu pendant son mandat était dû; il a persisté dans ses autres conclusions.

B______ a dupliqué, et persisté dans ses conclusions antérieures.

A la demande des parties, un délai leur a été imparti pour le dépôt de plaidoiries finales écrites.

Dans celles-ci, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives, sur quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Le jugement attaqué constitue une décision finale de première instance (art. 308
al. 1 let. a CPC). La voie de l'appel est ouverte, dès lors que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance est de 10'000 fr. au moins
(art. 308 al. 2 CPC).

Interjeté dans le délai prescrit par la loi (art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

2. L'appelant et l'intimé se plaignent de ce que le Tribunal aurait retenu des faits de manière inexacte.

En tant que ces faits étaient pertinents et que les critiques des parties portaient, il a en a été tenu compte dans l'état de fait dressé ci-dessus.

3. L'appelant reproche au Tribunal, qui aurait admis qu'il disposait d'un intérêt digne de protection à une constatation de droit, d'avoir rejeté ses conclusions.

3.1 L'art. 88 CPC prévoit que le demandeur intente une action en constatation de droit pour faire constater par un tribunal l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'un rapport de droit.

Selon une jurisprudence constante, une conclusion en constatation de droit
(art. 88 CPC) est recevable si le demandeur dispose d'un intérêt de fait ou de droit digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. L'action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à l'action condamnatoire ou à l'action formatrice. Seules des circonstances exceptionnelles conduisent à admettre l'existence d'un intérêt digne de protection à la constatation de droit lorsqu'une action en exécution est ouverte. Un litige doit en principe être soumis au juge dans son ensemble par la voie de droit prévue à cet effet. Le créancier qui dispose d'une action condamnatoire ne peut en tout cas pas choisir d'isoler des questions juridiques pour les soumettre séparément au juge par la voie d'une action en constatation de droit (ATF
135 III 378 consid. 2.2). Il appartient au demandeur d'établir qu'il dispose d'un intérêt digne de protection à la constatation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_618/2017 du 11 janvier 2018, consid. 5.2).

L'action en constatation de droit suppose qu'il y ait une incertitude concernant les droits du demandeur, que la suppression de cette incertitude soit justifiée, en ce sens que l'on ne peut exiger du demandeur qu'il tolère plus longtemps la persistance de cette incertitude parce qu'elle l'entrave dans sa liberté de décision, que cette incertitude puisse être levée par la constatation judiciaire et qu'une action condamnatoire (ou en exécution) ou une action formatrice (ou en modification de droit), qui lui permettrait d'obtenir directement le respect de son droit ou l'exécution de son obligation, ne soit pas ouverte (ATF 141 III 68
consid. 2.2 et 2.3; 135 III 378 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_408/2016 du 21 juillet 2017 consid. 5.1; 4A_688/2016 du 5 avril 2017 consid. 3.1).

Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies
(art. 60 CPC), parmi lesquelles celle de l'intérêt digne de protection (art. 59 al. 2
let. a CPC).

3.2 En l'espèce, il est constant que les conclusions articulées par l'appelant tendent à une constatation.

L'intimée a acquiescé à une partie de ces conclusions, soit celles relatives au caractère conforme à son intérêt des mandats conférés aux avocats D______, G______ et H______ AG. Le Tribunal n'en a, à tort, pas tenu compte (cf. art. 241 CPC). Il s'ensuit que, sur ce point, l'appel est fondé.

L'appelant, qui a la charge de la preuve de son intérêt digne de protection à la constatation requise, partant de la recevabilité de celle-ci, relève que le Tribunal aurait tenu ses conclusions pour recevables, de sorte que le point serait acquis aux débats.

Cette opinion ne convainc pas puisque le premier juge a retenu qu'il n'était pas manifeste que l'appelant disposait d'un intérêt suffisant, mais que la condition de la recevabilité pouvait rester ouverte; il a ainsi, dans le corps de son acte, considéré qu'il y avait lieu de débouter l'appelant de sa conclusion relative aux mandats d'avocat, ainsi que de sa conclusion relative à des honoraires supplémentaires, dans la mesure de la recevabilité de celles-ci. Au demeurant, la Cour examine d'office les conditions auxquelles la demande est recevable.

L'appelant soutient qu'il aurait un intérêt digne de protection à faire constater le caractère non excessif de la rémunération déjà perçue et la mise en œuvre non inutile de mandataires, soit des éléments dont on ne discerne pas à ce stade quel droit il pourrait en déduire ni quel rapport de droit en découlerait. Il n'est pas contesté que les coûts liés aux mandats conférés ont été réglés par l'intimée, laquelle a, en outre, versé les honoraires supplémentaires facturés par l'appelant, qui n'a ainsi pas de prétentions à faire valoir.

Certes, l'appelant se réfère à une éventuelle action en responsabilité à son encontre (évoquée par les actionnaires il y a plus de cinq ans, dans le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 12 septembre 2018), à la plainte pénale déposée par K______ SA (qui a fait l'objet d'un classement) et aux discussions intervenues entre lui-même, le liquidateur et les actionnaires "ayant abouti à un accord de principe qui n'a toutefois pas été mis par écrit". Aucun élément ne matérialise un intérêt actuel et concret s'agissant de ces circonstances; l'appelant ne soutient au demeurant pas qu'il serait entravé, de façon insupportable, dans sa liberté en raison d'une incertitude au sujet de supposés droits en lien avec les circonstances susévoquées.

Il s'ensuit que l'action en constatation, en tant qu'elle était contestée par l'intimée, n'est pas recevable.

En définitive, au vu de ce qui précède, le chiffre 1 du jugement attaqué sera annulé. Il sera statué à nouveau (art. 318 al. 1 let. b CPC) dans le sens qu'il sera pris acte de ce que l'intimée a acquiescé aux conclusions de l'appelant tendant à la constatation que les mandats confiés à Me D______, à Me G______ et à H______ AG étaient justifiés, de sorte que la demande est devenue sans objet sur ce point, et que la demande sera déclarée irrecevable pour le surplus.

Compte tenu des conclusions que l'appelant a soumises au Tribunal, la réforme du jugement sur le point de l'acquiescement susmentionné ne justifie pas de revoir la répartition des frais, pas plus que leur quotité, conforme aux dispositions légales.

4. L'appelant succombe dans l'essentiel de son appel; il supportera dès lors les frais de celui-ci (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 9'000 fr. (art. 17, 35 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Il versera à l'intimé, à titre de dépens d'appel, 8'000 fr. (art. 84, 85, 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/1822/2023 rendu le 7 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2______/2018.

Annule le chiffre 1 du dispositif de ce jugement. Statuant à nouveau sur ce point :

Prend acte de l'acquiescement de B______ SA en liquidation s'agissant des conclusions de la demande en constatation de ce que les mandats confiés à Me D______, à Me G______ et à H______ AG étaient justifiés.

Déclare la demande irrecevable pour le surplus.

Arrête les frais judiciaires d'appel à 9'000 fr. compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à B______ SA en liquidation 8'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

La présidente :

Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.