Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/2082/2021

ACJC/1384/2023 du 17.10.2023 sur ORTPI/153/2023 ( OS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2082/2021 ACJC/1384/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 17 OCTOBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 2 février 2022, représentée par Me Luc RECORDON, avocat, rue du Grand-Chêne 4 et 8, case postale 7283, 1002 Lausanne,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Pays-Bas, intimé, représenté par Me François MICHELI, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance de preuve ORTPI/153/2023 du 2 février 2023, expédiée pour notification aux parties le même jour, le Tribunal de première instance a notamment refusé les autres moyens de preuve [que l'interrogatoire, voire la déposition, des parties] requis par A______ SA (ch. 3), écarté les pièces nouvelles 34 et 35 de la précitée (ch. 4), convoqué une audience de débats principaux consacrée à l'interrogatoire des parties et aux plaidoiries finales, dont la date a été fixée (ch. 5 et 6), et annoncé que la cause serait gardée à juger à l'issue de l'audience (ch. 7).

Le Tribunal a retenu que l'identité des témoins requis n'avait été communiquée qu'avec les déterminations sur la duplique, et que les pièces 34 et 35 avaient été déposées au même moment, soit tardivement dans la procédure, au caractère simplifiée, et gouvernée par la maxime des débats.

B.            Par acte du 13 février 2023, A______ SA a formé recours contre les chiffres 3 à 7 du dispositif de l'ordonnance précitée. Elle a conclu à l'annulation de ceux-ci, sous suite de frais et dépens.

A titre préalable, elle a requis la suspension du caractère exécutoire de la décision, ce qui a été rejeté par arrêt de la Cour du 2 mars 2023.

B______ a conclu au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, avec suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 4 juillet 2023, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:

Le 24 juin 2021, A______ SA a saisi le Tribunal de première instance d'une demande "en la forme d'une action partielle" en paiement de 30'000 fr. avec suite d'intérêts moratoires et de frais et dépens, dirigée contre B______. Elle a allégué détenir contre le précité une créance de 30'560'000 fr. représentant des commissions sur opérations financières, qu'elle n'a fait valoir dans la présente procédure qu'à concurrence du montant susmentionné.

Elle a formé des allégués, offrant en preuves de ceux-ci diverses pièces, qu'elle a déposées, ainsi que des déclarations de témoins, dont elle n'a pas fourni l'identité dans son acte, et "subsidiairement" une expertise; elle a joint à sa demande une liste de témoins, qui porte uniquement le nom de C______, sans indication des coordonnées de celui-ci non plus que des allégués de la demande concernés par l'offre de preuve sous forme de témoignage. Plusieurs de ces allégués comportent la mention du nom de C______.

B______ a conclu au déboutement de A______ SA, avec suite de frais et dépens.

Il a offert en preuve de ses allégués des pièces, qu'il a déposées, ainsi que son propre interrogatoire.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

A______ SA a déposé des déterminations sur duplique, avec une liste de témoins, comportant uniquement le nom de C______, suivi d'une adresse et d'une liste d'allégués de la demande et de la réplique. Elle a versé deux pièces (n. 34 et 35).

A l'audience de débats d'instruction tenue par le Tribunal le 5 décembre 2022, A______ SA a persisté dans ses conclusions, et déposé une nouvelle liste de témoins, comportant, outre le nom de C______, celui de deux témoins supplémentaires, avec indication de leurs coordonnées et d'allégués relatifs, ainsi que des noms d'experts. B______ s'est opposé à l'audition des témoins nouvellement annoncés, à celle de C______ sur des allégués de la réponse et de la duplique, ainsi qu'à l'expertise requise à titre subsidiaire.

Sur quoi, les débats d'instruction ont été clos. Les parties, dans le cadre des premières plaidoiries, ont persisté dans leurs conclusions respectives, puis le Tribunal a annoncé qu'il rendrait une ordonnance de preuve.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a notamment écarté des moyens de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

1.3.1 Le recours, écrit et motivé, doit être déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

Les conclusions doivent être formulées de telle sorte qu'en cas d'admission de la demande, elles puissent être reprises dans le dispositif de la décision (ATF 137 III 617 précité consid. 4.3). En cas d'incertitude, le tribunal procède à l'interprétation objective des conclusions, à savoir selon les règles de la bonne foi, en particulier à la lumière de la motivation qui leur est donnée (ATF 137 III 617 précité consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_112/2018 du 20 juin 2018 consid. 2.2).

1.3.2 En l'espèce, le recours a été introduit dans le délai prévu par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. a, 146 al. 1 et 321 CPC).

La recourante s'est limitée à conclure à l'annulation de certains chiffres du dispositif, sans autres conclusions. On comprend toutefois de ses arguments qu'elle entend obtenir que soit ordonnée l'audition de trois témoins et l'admission de deux pièces.

Il sera dès lors admis que le recours est recevable à la forme.

A noter encore que les éléments développés par la recourante dans sa réplique ne sauraient être pris en compte, la réplique ne pouvant pas servir à apporter au recours des éléments qui auraient pu l'être pendant le délai légal, en particulier à compléter une motivation inexistante ou insuffisante (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêts du Tribunal fédéral 4A_318/2023 du 14 juillet 2023 consid. 2.4; 4A_412/2021 du 21 avril 2022 consid. 3.2; 5A_737/2012 du 23 janvier 2013 consid. 4.2.3; 1B_183/2012 du 20 novembre 2012).

2. Reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2021 du 8 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_248/2014 du 27 juin 2014; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, la recourante ne consacre pas de développement à la condition du préjudice difficilement réparable, sinon en évoquant, à l'appui de la requête d'effet suspensif qu'elle avait formée eu égard aux chiffres 5 et 6 du dispositif de l'ordonnance attaquée (fixation d'une audience d'interrogatoire des parties et de plaidoiries finales), le caractère "essentiel" de l'audition du témoin C______.

S'agissant de ce dernier, il est exact, comme le souligne la recourante, que le Tribunal a retenu que son identité n'avait été communiquée que postérieurement à la duplique de l'intimé. Or, cette identité figurait, sinon dans la demande, dans l'annexe à celle-ci. Ne pas prendre en considération cette annexe relèverait du formalisme excessif, de sorte qu'il peut être admis que l'identité du témoin requis a été communiquée d'entrée de cause.

Cette circonstance n'emporte toutefois pas de conséquence; en effet, en tout état, aucun élément ne permet de retenir que la recourante subirait un préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance attaquée, puisqu'elle pourra remettre en cause cette décision dans le cadre d'un appel contre le jugement au fond, si celui-ci lui était défavorable.

Le recours sera par conséquent déclaré irrecevable.

3. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires du recours (y compris la décision sur effet suspensif), fixés à 1'200 fr. (art. 104 al. 1, 105 et 106 al. 1 CPC; art. 41 RTFMC), compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève.

Elle versera à l'intimée 1'500 fr. (art. 105 al. 2 CPC; 84, 85, 87 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC) à titre de dépens de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé le 13 février 2023 par A______ SA contre l'ordonnance ORTPI/153/2023 rendue le 2 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2082/2021.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'200 fr. compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SA.

Condamne A______ SA à verser à B______ 1'500 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.