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Décisions | Chambre civile

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C/9558/2022

ACJC/1294/2023 du 28.09.2023 sur JTPI/6262/2023 ( SDF ) , RENVOYE

Descripteurs : PROTECTION DE L'UNION CONJUGALE;ACTION EN MODIFICATION;CONDITION DE RECEVABILITÉ;DÉCISION DE RENVOI
Normes : CPC.276.al2; CC.126
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9558/2022 ACJC/1294/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 28 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 1er juin 2023, représenté par Me Anik PIZZI, avocate, AVOCATS ASSOCIES, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Franco SACCONE, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12, case postale 3647, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1973, et B______, né le ______ 1974, tous deux de nationalité italienne, se sont mariés le ______ 2005 en Italie.

De cette union sont issues :

- C______, née le ______ 2007,

- D______, née le ______ 2009,

- E______, née le ______ 2011, et

- F______, née le ______ 2013.

b. Les modalités de leur vie séparée ont été réglées par des mesures protectrices de l'union conjugale prononcées par jugement JTPI/17780/2019 rendu le 6 décembre 2019 par le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) - sur accord des parties -, dans lequel le premier juge a, notamment, donné acte à B______ de son engagement de verser une contribution mensuelle de 750 fr. pour l'entretien de chacune des enfants, ainsi que de 1'000 fr. pour l'entretien de son épouse.

B. a. Par acte déposé le 17 mai 2022 au Tribunal, A______ a requis le prononcé de nouvelles mesures protectrices de l'union conjugale, concluant à ce que B______ soit condamné à verser, avec effet rétroactif au 1er juin 2021, les montants de 2'200 fr. à titre de contribution mensuelle à l'entretien de chacune des enfants, de 1'200 fr. à titre de contribution mensuelle à son propre entretien, ainsi que de 10'000 fr. à titre de rétroactif sur les contributions des mois de janvier, février, mars, avril et mai 2021.

Elle a fondé sa requête sur le fait que la situation financière de son époux s'était significativement améliorée depuis le 1er janvier 2021, qu'il avait de lui-même augmenté les contributions d'entretien d'un montant global de 4'000 fr. à 6'000 fr. à partir du mois de juin 2021 et que, selon elle, tel aurait dû être le cas dès le 1er janvier 2021 déjà, raison pour laquelle elle avait conclu au paiement de la différence à hauteur de 10'000 fr.

b. Par acte déposé le 1er juin 2022 au Tribunal, B______ a déposé une demande unilatérale en divorce - non motivée - à l'encontre de A______, concluant, notamment, à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de verser une contribution mensuelle à l'entretien de chacune de ses filles de 1'125 fr. jusqu'à l'âge de 10 ans, de 1'325 fr. jusqu'à l'âge de 12 ans, puis de 1'425 fr. jusqu'à la majorité, voire jusqu'à 25 ans en cas d'études sérieuses et régulières, ainsi qu'une contribution mensuelle à l'entretien de A______ de 675 fr. jusqu'aux 10 ans de F______, soit jusqu'au 30 novembre 2023, puis de 375 fr. jusqu'aux 12 ans de F______, soit jusqu'au 30 novembre 2025.

Cette demande n'a pas été assortie d'une requête de mesures provisionnelles.

c. Lors de l'audience tenue le 14 novembre 2022 par le Tribunal, A______ a persisté dans ses conclusions en modification des mesures protectrices de l'union conjugale.

B______ s'est, pour sa part, déclaré surpris de la poursuite de la présente procédure vu le dépôt de sa demande en divorce le 1er juin 2022. Sur le fond, il a confirmé avoir augmenté la contribution globale de 4'000 fr. à 6'000 fr. dès le 1er juin 2021, a estimé cette augmentation suffisante et s'est opposé à la requête.

d. Lors de l'audience tenue le 16 janvier 2023 par le Tribunal, A______ a persisté dans ses conclusions.

B______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête de A______, subsidiairement à son rejet, au vu du dépôt de sa demande en divorce le 1er juin 2022.

La cause a été gardée à juger à l'issue de cette audience.

e. Par jugement JTPI/6262/2023 rendu le 1er juin 2023, notifié aux parties le 5 juin suivant, le Tribunal a déclaré irrecevable la requête de mesures protectrices de l'union conjugale déposée par A______ (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 200 fr. (ch. 2), mis à la charge de l'épouse mais laissés provisoirement à la charge de l'Etat, sous réserve d'une décision de l'assistance juridique (ch. 3), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

Le premier juge a considéré - en se fondant sur l'ATF 138 III 646 et l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_139/2010 du 13 juillet 2010, lequel se référait à
l'ATF 129 III 60 - que, dès lors que de nouvelles mesures protectrices ne pouvaient être ordonnées après l'ouverture d'une action en divorce que pour la période antérieure à la litispendance, les nouvelles mesures sollicitées par A______ n'auraient pu, au vu de la demande en divorce déposée le 1er juin 2022, être prononcées que jusqu'au 31 mai 2022 au plus tard. De plus, comme il ne pouvait être donné suite à la demande de rétroactivité de la modification des obligations d'entretien formulée par celle-ci que jusqu'à la date du dépôt de sa requête - et non pour l'année qui la précédait - les nouvelles mesures n'auraient pu être prononcées qu'à partir du 17 mai 2022. La période visée par ces éventuelles nouvelles mesures s'étendait donc du 17 au 31 mai 2022. Aussi, par souci d'économie de procédure, au vu de la très courte période sur laquelle portait la procédure, inférieure à un mois, base de calcul pour le versement d'une pension, le Tribunal a déclaré irrecevable la requête de l'épouse, relevant que cette dernière pourrait faire valoir ses conclusions en modification des contributions d'entretien dans le cadre de la demande en divorce.

C. a. Par acte expédié le 15 juin 2023 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a appelé de ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation des chiffres 1 à 4 de son dispositif.

Cela fait, elle a conclu, avec suite de frais judiciaires et dépens, à ce que sa requête en modification des mesures protectrices de l'union conjugale du 17 mai 2022 soit déclarée recevable et à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal. Subsidiairement, elle a repris ses conclusions condamnatoires au fond et les a amplifiées.

Elle a produit des pièces nouvelles relatives à la situation financière des parties et de leurs enfants.

b. Dans sa réponse, B______ a conclu à l'irrecevabilité des pièces nouvelles déposées par son épouse, ainsi que des conclusions subsidiaires prises par celle-ci. Sur le fond, il a sollicité la confirmation du jugement entrepris et, subsidiairement, le renvoi de la cause au premier juge, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Par réplique du 24 juillet et duplique du 4 août 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger par courriers du 28 août 2023.

D. Il ressort, en outre, de la procédure d'appel que B______ habite, depuis le 13 mars 2023, à G______ (Emirats arabes unis) pour des raisons professionnelles. Il est toutefois demeuré officiellement domicilié à Genève (base de données Calvin).

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les jugements de mesures protectrices de l'union conjugale, qui doivent être considérés comme des décisions provisionnelles au sens de l'art. 308 al. 1 let. b CPC, dans les causes dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Dès lors que le litige porte sur l'entretien des enfants des parties et de l'épouse, il est de nature pécuniaire (ATF 133 III 393 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_42/2013 du 27 juin 2013 consid. 1.1; 5A_906/2012 du 18 avril 2013 consid. 1; 5A_236/2011 du 18 octobre 2011 consid. 1; 5A_511/2010 du 4 février 2011 consid. 1.1).

En l'espèce, en vertu de l'art. 92 al. 2 CPC, la capitalisation du montant de la contribution d'entretien restée litigieuse au vu des dernières conclusions des parties devant le premier juge excède 10'000 fr.

Les jugements de mesures protectrices étant régis par la procédure sommaire selon l'art. 271 CPC, le délai d'introduction de l'appel est de 10 jours à compter de la notification de la décision motivée ou de la notification postérieure de la motivation (art. 239, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC).

L'appel ayant été formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi et devant l'autorité compétente (art. 130 al. 1 et 314 al. 1 CPC), il est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.3 L'intimé conclut à l'irrecevabilité des pièces nouvelles produites par son épouse, ainsi que des conclusions subsidiaires prises par cette dernière.

En l'occurrence, lesdites pièces - relatives à la situation financière de la famille - et les conclusions subsidiaires concernent le fond de la cause. La question de la recevabilité de ces pièces et conclusions peut donc rester ouverte, dans la mesure où elles sortent du champ d'examen du présent appel, lequel porte sur la recevabilité de la requête déposée le 17 mai 2022 par l'appelante.

2. La cause présente des éléments d'extranéité en raison de la nationalité des parties.

Les parties ne contestent, à juste titre, pas la compétence des autorités judiciaires genevoises (art. 46 et 79 LDIP) ni l'application du droit suisse (art. 48 al. 1, 49 et 83 LDIP; art. 4 et 8 de la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires) au présent litige.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir déclaré irrecevable sa requête en modification des mesures protectrices de l'union conjugale du 17 mai 2022.

Elle conteste que le dépôt de la demande en divorce ait mis un terme à "la période de compétence du Tribunal", dès lors que le juge du divorce n'a pas été saisi d'une requête de mesures provisionnelles. Elle relève, de plus, qu'il est choquant que le premier juge ait attendu plus d'une année depuis le dépôt de sa requête pour rendre le jugement entrepris et qu'à suivre son raisonnement, elle devrait désormais formuler une requête de mesures provisionnelles devant le juge du divorce, alors que le prononcé de telles mesures n'aurait pas d'effet rétroactif et que cela lui ferait perdre quatorze mois d'augmentation des contributions d'entretien.

L'intimé considère, pour sa part, que l'irrecevabilité de la requête de l'appelante est justifiée - en sus des considérations du Tribunal - par le fait que les contributions à l'entretien de ses filles et de son épouse qu'il s'est engagé à verser dès le dépôt de sa demande en divorce couvrent amplement leurs besoins respectifs et que, depuis juin 2021, il verse spontanément 6'000 fr. pour l'entretien de sa famille au lieu des 4'000 fr. auxquels il a été condamné sur mesures protectrices. Il soutient, en outre, que l'appelante commet un abus de droit à persister dans son appel.

3.1 Devant la Cour, l’appelante a repris, dans ses conclusions subsidiaires, les conclusions condamnatoires au fond prises devant le Tribunal, en les amplifiant. Dans le jugement attaqué, le premier juge a retenu, à juste titre, que le dies a quo des nouvelles mesures protectrices sollicitées ne saurait précéder le jour du dépôt de la requête, soit le 17 mai 2022 (arrêt du Tribunal fédéral 5A_539/2019 du 14 novembre 2019 consid. 3.3 et les réf. cit.), étant relevé que l’appelante n’a formulé aucun grief à cet égard.

3.2 Est litigieuse la question de savoir si de nouvelles mesures protectrices peuvent être ordonnées après l'ouverture de l'action en divorce uniquement pour la période antérieure à la litispendance de l'action en divorce (soit, en l'occurrence, du 17 au 31 mai 2022) ou également pour la période postérieure et ce, à tout le moins, jusqu'au dépôt d'une éventuelle requête de mesures provisionnelles.

3.2.1 Dans la procédure de divorce, les mesures ordonnées par le tribunal des mesures protectrices de l'union conjugale sont maintenues. Le tribunal du divorce est compétent pour prononcer leur modification ou leur révocation (art. 276 al. 2 CPC).

3.2.2 Dans l'ATF 129 III 60, le Tribunal fédéral a délimité les compétences respectives du juge des mesures protectrices et de celui des mesures provisionnelles lorsque l'action en divorce est introduite. Il a tout d'abord rappelé les principes déjà dégagés par la jurisprudence et toujours applicables, à savoir que le juge des mesures protectrices est compétent pour la période antérieure à la litispendance de l'action en divorce, tandis que le juge des mesures provisionnelles l'est dès ce moment précis; les mesures protectrices ordonnées avant la litispendance continuent toutefois de déployer leurs effets tant que le juge des mesures provisionnelles ne les a pas modifiées. La procédure de mesures protectrices ne devient pas sans objet, le juge des mesures protectrices demeurant en effet compétent pour la période antérieure à la litispendance, et ce, même s'il ne rend sa décision que postérieurement. Ainsi, la décision de mesures protectrices déploie ses effets au-delà de la litispendance, jusqu'à ce que le juge des mesures provisionnelles l'ait modifiée. S'il n'y a pas de conflit de compétences, il importe en effet peu que, en raison du temps nécessaire au traitement du dossier par le tribunal, la décision de mesures protectrices ait été rendue avant ou après la litispendance de l'action en divorce (ATF 138 III 646 consid. 3.3.2 et les réf. cit.).

Dans un commentaire de l'arrêt publié aux ATF 138 III 646, Bohnet a soutenu que dans la mesure où le juge des mesures protectrices n'était, à teneur de la jurisprudence, compétent que pendant le temps qui précède la litispendance du procès en divorce, il ne pouvait prendre en compte que les faits survenus jusqu'à l'introduction de la demande en divorce. Si les parties entendaient faire état de faits intervenus depuis le dépôt de la demande en divorce mais avant la clôture des débats de la procédure de mesures protectrices, elles devaient saisir parallèlement le juge de l'action en divorce d'une requête en mesures provisionnelles en faisant valoir les éléments nouveaux justifiant une modification de régime des mesures protectrices, au demeurant non encore décidé dans l'hypothèse où le juge des mesures protectrices n'avait pas encore statué (Bohnet, Mesures protectrices et mesures provisionnelles, arrêt du Tribunal fédéral 5A_324/2012, in Newsletter DroitMatrimonial.ch, novembre 2012).

Bien qu'elle ne semble pas avoir suscité de critiques, cette prise de position n'a pas été reprise par d'autres auteurs. Elle ne figure en outre ni dans le Commentaire pratique du droit matrimonial publié en 2016 (voir notamment le commentaire de l'art. 276 CPC rédigé par Bohnet), ni dans la 2ème édition du Commentaire romand du Code de procédure civile. Tappy indique au contraire, dans ce dernier ouvrage, que la règle jurisprudentielle issue de l'ATF 129 III 60, selon laquelle à partir de l'introduction de l'action en divorce, le juge des mesures protectrices ne peut statuer que pour la période allant jusqu'à ladite litispendance, a été nuancée par l'ATF 138 III 646. Il résulterait selon lui de cet arrêt que si des mesures provisionnelles ne sont pas demandées au for du divorce, le juge des mesures protectrices saisi avant la litispendance de l'action en divorce "peut statuer pleinement même après cette ouverture", sa décision déployant des effets jusqu'à une éventuelle modification par le juge des mesures provisionnelles (Tappy, Code de procédure civile, Commentaire romand, 2ème éd. 2019, n. 41 ad art. 276 CPC; favorable à cette solution : Duss, FamPra 2013, p. 203).

Dans des arrêts du 2 juillet 2019, le Tribunal fédéral a par ailleurs annulé un arrêt de la Cour civile du Tribunal cantonal du Jura constatant que les conclusions prises par les époux sur mesures protectrices de l'union conjugale, qui concernaient notamment l'entretien des enfants, étaient sans objet en tant qu'elles portaient sur la période postérieure à l'introduction de l'action en divorce. Rappelant sa jurisprudence publiée aux ATF 138 III 646, le Tribunal fédéral a indiqué que, pour autant que le juge des mesures provisionnelles n'ait pas statué autrement, la situation des époux demeurait régie par les mesures protectrices de l'union conjugale, ces dernières n'étant pas devenues sans objet du seul fait de l'ouverture de l'action en divorce. Il incombait dès lors à l'autorité cantonale de statuer sur les mesures protectrices demandées, le dossier devant lui être renvoyé à cette fin. Le Tribunal fédéral n'a pas indiqué dans cet arrêt que l'autorité cantonale devrait, dans le cadre du renvoi de la cause, limiter sa cognition aux faits survenus avant l'introduction de la demande en divorce (arrêts du Tribunal fédéral 5A_13/2019 et 5A_20/2019 du 2 juillet 2019 consid. 3.2).

3.2.3 Comme la Cour a déjà eu l'occasion de le relever, lorsque le juge des mesures provisionnelles est saisi dans le cadre de l'instance en divorce et que les mesures provisionnelles sollicitées concernent les mêmes points que les mesures protectrices de l'union conjugale précédemment demandées, le juge des mesures protectrices ne peut plus prendre en considération les faits survenus postérieurement à la litispendance du procès en divorce, quand bien même ceux-ci seraient recevables en vertu des art. 229 ou 317 CPC; il doit statuer sur la base d'un état de fait "figé" à la date de la litispendance de l'action en divorce (ACJC/1905/2019 du 19 décembre 2019 consid. 6.3; ACJC/721/2014 du 20 juin 2014 consid. 3 ss).

Il ne saurait, en revanche, en aller de même lorsque les parties n'ont pas sollicité de mesures provisionnelles dans le cadre de la procédure en divorce ou que les mesures provisionnelles demandées concernent d'autres questions que les mesures protectrices. Dans un tel cas de figure, il n'y a en effet pas de conflit de compétences entre le juge des mesures protectrices et celui des mesures provisionnelles. Rien ne justifie dès lors d'interdire au juge des mesures protectrices de prendre en compte des faits survenus postérieurement à la litispendance de l'action en divorce (ACJC/1905/2019 du 19 décembre 2019 consid. 6.3; ACJC/1067/2015 du 11 septembre 2015; ACJC/1316/2013 du 8 novembre 2013).

Une telle interdiction ne serait d'ailleurs pas compatible avec la jurisprudence rendue en application de l'art. 179 CC, laquelle prévoit que le juge des mesures provisionnelles ne peut modifier les mesures protectrices qu'à condition que les circonstances se soient modifiées de manière notable postérieurement au prononcé desdites mesures (cf. ATF 141 III 376 consid. 3.3.1; 129 III 60 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_403/2016 du 24 février 2017 consid. 3.1 et 5A_486/2016 du 10 janvier 2017 consid. 3.1). Les changements de circonstances intervenus après l'introduction de l'action en divorce mais avant le prononcé du jugement sur mesures protectrices ne pourraient en effet être prises en considération ni par le juge des mesures protectrices, ni par celui des mesures provisionnelles (ACJC/1905/2019 du 19 décembre 2019 consid. 6.3).

3.2.4 Selon l'art. 126 CC, le juge du divorce fixe le moment à partir duquel la contribution d'entretien en faveur du conjoint est due. Celle-ci prend en principe effet à l'entrée en force du jugement de divorce, sauf si le juge en fixe, selon son appréciation, le dies a quo à un autre moment. Il peut, par exemple, décider de fixer le dies a quo au moment où le jugement de divorce est entré en force de chose jugée partielle, à savoir lorsque le principe du divorce n'est plus remis en cause (ATF 142 III 193 consid. 5.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_679/2019 et 5A_681/2019 du 5 juillet 2021 consid. 19.3).

Si le juge du divorce ne modifie pas les mesures protectrices de l'union conjugale en prononçant des mesures provisionnelles, il ne peut revenir rétroactivement sur ces mesures dans le jugement au fond. Il ne peut, notamment, fixer le dies a quo des contributions d'entretien post-divorce à une date antérieure à l'entrée en force partielle du jugement de divorce (ATF 145 III 36 consid. 2.4; 142 III 193 consid. 5.3; 141 III 376 consid. 3.3.4 ss; arrêts du Tribunal fédéral 5A_19/2019 du 18 février 2020 consid. 1; 5A_807/2018 du 28 février 2019 consid. 2.2.3, FamPra.ch 2019).

3.2.5 En l'espèce, il ressort ainsi des considérants qui précèdent que, dès lors que la demande en divorce n'était pas assortie d'une requête de mesures provisionnelles, de nouvelles mesures protectrices pouvaient être ordonnées après l'ouverture de l'action en divorce pour la période antérieure et postérieure à la litispendance de l'action en divorce.

Retenir le contraire reviendrait à priver l'appelante d'une éventuelle modification des obligations d'entretien jusqu'au dépôt d'une requête de mesures provisionnelles ou, à défaut, jusqu'au prononcé du jugement de divorce, le juge du divorce ne pouvant, dans une telle situation, revenir rétroactivement sur les mesures protectrices dans le jugement au fond.

Partant, c'est à tort que le Tribunal a déclaré irrecevable la requête en modification des mesures protectrices de l'union conjugale déposée par l'appelante.

Le jugement entrepris sera par conséquent annulé et la cause renvoyée au Tribunal afin qu'il ordonne, le cas échéant et s'il l'estime opportun, des actes d'instruction, puis rende une décision sur le fond.

4. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie succombante (art. 95 et 106 1ère phrase CPC). Le Tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation, notamment lorsque le litige relève du droit de la famille (art. 107 al. 1 let. c CPC). Les frais judiciaires qui ne sont pas imputables aux parties ni aux tiers peuvent être mis à la charge du canton si l’équité l’exige (art. 107 al. 2 CPC).

4.1 Aucune des parties n'obtient, en l'état, gain de cause sur le fond. L'issue du litige ne pouvant être déterminée, les frais et dépens de première instance seront réservés, leur sort devant être tranché dans le jugement à prononcer après le présent arrêt de renvoi (art. 318 al. 3 CPC).

4.2 Les frais judiciaires de la procédure d’appel sont fixés à 800 fr. (art. 31 et 37 RTFMC).

Compte tenu de l'issue du litige, ils seront laissés à la charge de l’Etat (art. 107 al. 2 CPC).

Au vu de la nature du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d’appel (art. 107 al. 1 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 15 juin 2022 par A______ contre le jugement JTPI/6262/2023 rendu le 1er juin 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/9558/2022-3.

Au fond :

Annule le jugement entrepris et, cela fait, statuant à nouveau :

Déclare recevable la requête en modification des mesures protectrices de l'union conjugale déposée par A______ le 17 mai 2022.

Renvoie la cause au Tribunal pour suite de la procédure et décision sur le fond.

Réserve les frais de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr. et les laisse à la charge de l’Etat.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités selon l'art. 98 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.

* * * * *