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Décisions | Chambre civile

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C/26421/2020

ACJC/188/2023 du 09.02.2023 ( IUO )

Recours TF déposé le 21.03.2023, rendu le 29.01.2024, CASSE, 4A_171/2023
Descripteurs : PROTECTION DES MARQUES;PÉREMPTION;CONCURRENCE DÉLOYALE
Normes : CC.2.al2; LPM.13; LCD.2; LCD.3
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26421/2020 ACJC/188/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 9 FÉVRIER 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______, demanderesse, comparant par Me Theda KÖNIG HOROWICZ, avocate, rue Beauregard 9, 1204 Genève, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise c/o C______ SA, ______, défenderesse, comparant par
Me Guillaume FOURNIER, avocat, MEYERLUSTENBERGER LACHENAL SA, Schiffbaustrasse 2, case postale 1765, 8031 Zürich, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA est inscrite au Registre du commerce du canton de Genève et a pour but, notamment, la fabrique et la commercialisation des montres A______.

b. D______ a cofondé la société E______ SA le 9 septembre 2005 à F______ (France), exploitée sous le nom commercial "G______", qui avait pour but, en France et à l'étranger, la conception, la personnalisation et la commercialisation de tous produits vintage spécifiques à l'horlogerie et à la joaillerie et toute activité connexe et complémentaire s'y rattachant.

Il en était gérant avec les pouvoirs les plus étendus.

c. Le ______ 2009, D______ a fondé la société G______ SA inscrite au Registre du commerce de Genève et radiée en 2017, dont le but social était : "______, ______, ______ et commercialisation de montres de prestige et ______, ______, ______, ______, ______ et ______ ainsi que de tous accessoires de luxe".

L'activité de D______ consistait alors dans la vente de montres, notamment une ligne de montres pour enfant sous la marque G______.

d. Le ______ 2013, D______ a fondé la société B______ SA, inscrite au Registre du commerce de Genève, poursuivant le but suivant : "transformation de montres et toutes activités, services et conseils dans ces domaines".

Elle exploite le site internet "www.B______.com" enregistré le 2 octobre 2017.

La société est détenue majoritairement par D______, lequel en est également directeur avec signature individuelle depuis 2015.

e. A______ SA détient la marque A______ pour des produits horlogers dans le monde entier, y compris en Suisse, ainsi que la couronne distinctive qui l'accompagne.

Elle détient, ainsi, notamment, les marques suisses suivantes, toutes dans le domaine horloger et/ou la joaillerie et la bijouterie : n° 1______ "A______
+ Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)", n° 3______ "A______
+ Couronne (fig.) + H______ [modèle]", n° 4______ "H______",
n° 5______ "I______ [modèle]", n° 6______ "J______ [modèle]",
n° 7______ "K______ [modèle]", n° 8______ "K______, L______ [modèle]" et n° 9______ "M______ [modèle]".

La marque A______ jouit d'une grande notoriété tant en Suisse que dans le monde et est largement connue du public.

Quant aux montres fabriquées par A______ SA, elles sont de grande qualité et facilement reconnaissables.

f. B______ SA est active dans la personnalisation de montres de luxe. Cette activité consiste à modifier des montres produites en série, essentiellement par A______ SA, pour les faire correspondre aux souhaits de certains clients et donc les rendre plus exclusives.

B______ SA personnalise les montres en changeant des pièces, en leur donnant une nouvelle apparence et/ou en modifiant certaines caractéristiques techniques (parfois sur le mouvement). En audience, B______ SA, par la bouche de A______, a déclaré que la personnalisation pouvait porter tant sur le mouvement que sur le boitier, les cadrans ou les bracelets et que des pièces du mouvement pouvaient être changées pour en modifier l'aspect esthétique. Certaines modifications consistent à transformer la montre en modèle-squelette et à rendre le mouvement visible par transparence, ce que n'a jamais fait A______ SA. L'activité de customisation de B______ SA nécessite, notamment, mais pas systématiquement, de déposer et réapposer les marques de la montre d'origine sur le cadran, après le remplacement ou la modification de celui-ci, voire d'apposer des marques sous forme de décalques sous la glace dans le cas des modèles-squelette. Sur les modèles modifiés, les signes "Image : logo de l'entreprise B______" et/ou "Image : logo de l'entreprise B______" sont associés aux signes de la marque A______ (co-marquage ou "co-branding").

Entre autres, B______ SA recrée, en modifiant des modèles récents, certains traits de l'apparence de modèles vintage de A______ SA, qui ne sont plus commercialisés par celle-ci, mais ont une valeur marchande importante parmi les collectionneurs (tels que les modèles 13______, 14______, 16______, 17______, 11______ et 18______).

La société procède à la modification de montres apportées par le client. Elle peut également être mandatée par le client pour acheter une montre originale ou sur le marché secondaire, qu'elle modifie ensuite à la demande du client. Elle allègue que tel n'est plus le cas depuis 2020, le client devant désormais obligatoirement être propriétaire d'une montre authentique de marque pour pouvoir passer une commande de personnalisation (cette condition étant prévue dans la clause 2 de ses conditions générales en vigueur le 21 mars 2021).

Les noms de certains modèles personnalisés de montres de la marque A______ comportent le nom de célébrités ou entités (telles que N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______ et/ou V______), qui n'ont jamais été ambassadrices officielles de la marque.

B______ SA ne dispose pas d'une boutique, mais seulement d'un atelier. Son activité s'exerce en ligne par le biais de son site internet. Elle y offre des services de modifications spécifiques à la demande du client, mais également un catalogue d'exemples de modèles modifiés (tels que, par exemple, les modèles W______ - 11______ ou Q______), dont certains font partie de séries limitées.

Elle a produit une capture d'écran de son site internet à la date du 21 mars 2021, dont il ressort qu'il ne serait accessible qu'après avoir accepté un avertissement indiquant, en substance, être un atelier indépendant offrant des services de personnalisation de montres à la demande de clients pour un usage privé, ne pas fabriquer ni vendre de montres et n'être ni affiliée ni autorisée par les fabricants de montres sur lesquelles elle intervient. Elle allègue que tel était déjà le cas en 2019.

Après personnalisation d'une montre, B______ SA offre une nouvelle garantie propre. Ses conditions générales en vigueur au 21 mars 2021 indiquent que la garantie originale est automatiquement annulée par son intervention (clause 9 2ème paragraphe).

g. A______ SA n'a pas accordé d'autorisation à B______ SA concernant l'utilisation de ses marques.

Le groupe A______ refuse, d'une manière générale, le co-marquage avec une autre marque.

B______ SA admet n'avoir jamais obtenu d'autorisation quelconque de A______ SA, mais soutient être au bénéfice d'une tolérance de longue date de sa part.

h. Les premiers contacts entre D______ et A______ SA remontent à 2005.

Par courrier adressé spontanément le 14 février 2006 à A______ SA, D______, au nom de E______ SA, a indiqué faire de la restauration et de la personnalisation de montres anciennes et ne s'être jamais présenté ou référencé comme faisant partie de A______ SA; il s'est engagé à indiquer, dans les conditions de vente, que les montres personnalisées à la demande ne faisaient pas partie de la collection ou des créations de A______, et a pris note qu'aucun nom, logo ou marque ne devait être supprimé, changé ou ajouté (ce qui n'avait jamais été fait à ce jour), seul le cadran étant personnalisé (notamment au moyen de peintures) sans modifier le mouvement ou une pièce d'origine.

Dans le cadre de son activité, E______ SA a fait réparer par A______ FRANCE (société de droit français ayant son siège à F______ et faisant partie du groupe A______) des montres A______ non modifiées et a acheté des bracelets.

B______ SA allègue que D______ aurait rencontré X______ et Y______, alors respectivement directeur et directeur adjoint de A______ SA, sur un stand de cette dernière à une exposition Z______ à Bâle au printemps 2006, qu'il leur aurait présenté, à cette occasion, toutes les personnalisations de montres effectuées pour ses clients et que X______ aurait demandé certaines modifications de ses services, sans mentionner d'interdiction de personnalisation. Le témoin Y______, employé chez A______ SA entre 2005 et 2020, a déclaré être arrivé à la fin de cette conversation et ne pas se souvenir de sa teneur; il ne lui avait pas été présenté d'esquisses relatives à cette activité; aucun cadre de relation n'avait été fixé; aucun autre contact n'avait été prévu à la fin de cette rencontre; X______ était assez neutre par rapport à l'activité de D______ et il ne lui avait pas indiqué quelle suite il souhaitait y donner; pour sa part, il n'avait plus jamais entendu parler de D______ jusqu'à son départ de A______ SA.

Dans un courrier adressé le 12 juin 2006 à la société E______ SA, A______ FRANCE a signifié son opposition catégorique à la commercialisation de ses produits tels que modifiés.

Dans un courrier adressé le 3 octobre 2006 à E______ SA - lequel fait référence à un précédent courrier du 9 novembre 2005 -, les conseils de A______ SA ont "confirmé" que leur mandante n'approuvait en aucun cas l'activité de personnalisation de montres de sa marque et qu'aucun accord ne pouvait être donné pour la poursuite de cette pratique, mettant en demeure E______ SA de cesser toute communication dans les médias, de quelque manière que ce soit, susceptible de laisser croire à l'existence d'une autorisation ou d'un lien entre les sociétés, se réservant le droit d'agir, notamment, contre la commercialisation de ces montres.

E______ SA allègue avoir adressé un courrier le 26 juin 2007 à A______ SA, dans lequel elle aurait évoqué un projet de peinture sur cadre et aurait proposé une collaboration avec cette dernière. A______ SA allègue ne pas avoir reçu ce courrier, ce qui a été confirmé en audience par sa représentante AA______.

B______ SA allègue que D______ a continué l'activité de personnalisation de montres jusqu'à sa constitution en 2013. A______ SA le conteste, alléguant n'avoir plus constaté d'activité à la suite de la correspondance précitée, précisant qu'en tout état, l'activité de D______ - confinée au demeurant à quelques pièces - différait de celle de B______ SA par l'ampleur des modifications tant sur le plan technique qu'esthétique et concernait la France.

i. B______ SA allègue également que A______ SA ne pouvait ignorer son activité depuis sa constitution, laquelle avait été relayée dans les médias. Elle se réfère, à cet égard, à un article paru le ______ octobre 2013 sur le site internet du journal AB______, un article paru le ______ octobre 2013 sur le site internet www.AC______.fr, un article paru le ______ octobre 2013 sur le site internet www.AD______.com, lesquels portent sur l'aspect esthétique de personnalisation de B______ SA, un article paru le 17 octobre 2013 dans le magazine AE______, un article paru dans le AF______ le ______ novembre 2017, lesquels ne donnent pas d'indication sur ses prestations exactes, un article paru le ______ novembre 2016 dans [le magazine] AG______ (US) portant sur S______ et traitant, notamment, de sa collaboration avec B______ SA pour le design de "a new limited edition (at only 55 pieces total, very limited) A______ H______" et un article paru le ______ novembre 2018 dans le magazine en ligne AH______ concernant un modèle-squelette "Q______" et décrivant les modifications effectuées.

En audience, A______ SA, par la bouche de sa représentante AA______, a déclaré avoir eu connaissance de l'activité de B______ SA à l'occasion d'une vente aux enchères aux USA en 2019. Le lien avec D______ ne lui était pas apparu immédiatement. A______ SA disposait d'un dossier relatif à ce dernier, comportant les courriers échangés dans les années 2005 environ et quelques esquisses et dessins portant sur des cadrans notamment; il ne ressortait pas de ce dossier une activité commerciale exercée par D______ en Suisse entre 2005-2006 et 2019. Ces contacts n'avaient donné lieu à aucun accord de la part de A______ SA. S'agissant de l'attitude de cette dernière concernant les clients privés qui faisaient retoucher leur montre acquise chez elle, elle ne s'y intéressait en principe pas. Elle n'intervenait que lorsque des artisans procédaient de manière commerciale à de telles modifications.

j. A______ SA a fait établir des constats d'huissiers, dont le premier date du 12 juillet 2019.

k. Sous un prête-nom, A______ SA a pris contact en octobre 2019 avec B______ SA en vue d'un achat test effectué en février 2020. Elle a acquis une montre modifiée (correspondant au modèle W______ - 11______ proposé sur le site internet) d'une montre A______ H______ (initialement vendue par A______ SA à AI______ AG en 2013 et dont le prix de vente recommandé était de 11'300 fr. à cette époque) pour un montant de 32'580 fr., ce prix comprenant la fourniture de la montre d'origine, ainsi que la réalisation de la modification. Cette modification a, notamment, nécessité une réapposition des marques A______, K______ et I______, aux côtés du logo "Image : logo de l'entreprise B______". Le signe "Image : logo de l'entreprise B______" apparaît sur la masse oscillante et le fond de la montre. Les initiales d'un tiers y ont été inscrites. La montre personnalisée lui a été remise en septembre 2020. Selon A______ SA, seule demeure originale sur cette montre la couronne de remontoir, toutes les autres pièces ayant été remplacées (et non remises à l'acheteur) ou modifiées.

Le témoin AJ______, employé chez A______ SA depuis 18 ans et responsable du support technique et atelier, a confirmé les termes du rapport qu'il a établi sur cette montre modifiée; il a constaté qu'il s'agissait d'une imitation vintage, que le cadran était une contrefaçon et avait été changé avec apposition de décalques de marques appartenant à A______ non réalisées par cette dernière, que la boîte avait été modifiée (remplacement des protections de la couronne, des poussoirs, de la lunette, du fond et de la glace), que le mouvement avait subi des modifications structurelles et de finitions et que le bracelet montrait des modifications de finitions.

l. Par courrier du 10 juin 2020, A______ SA a mis B______ SA en demeure de cesser toutes ses activités en lien avec des montres de sa marque.

B______ SA, sous la plume de D______, y a répondu le 29 juin suivant. Elle s'est déclarée abasourdie par ce courrier, lequel marquait, selon elle, une rupture totale avec les rapports entretenus depuis 2005, a rejeté les griefs formulés par A______ SA et a sollicité une rencontre.

Le 10 août 2020, A______ SA a rejeté les explications de B______ SA, relevé que les activités passées en France n'avaient aucun lien avec la présente affaire, auxquelles elle s'était toujours catégoriquement opposée et qui, à sa connaissance, ne s'étaient pas poursuivies, déclarant n'avoir aucun intérêt pour une collaboration officielle et réitérant les termes de son précédent courrier.

Un échange de correspondance s'en est suivi, dans lequel les parties ont persisté dans leur position. En particulier, le 1er octobre 2020, B______ SA a spontanément présenté à A______ SA un document intitulé "Déclaration d'engagements", dans lequel elle prenait un certain nombre d'engagements visant, pour l'essentiel, à garantir une clientèle privée devant s'engager à ne pas revendre la montre customisée et à ne pas disposer de stock de montres personnalisées ou à personnaliser.

m. B______ SA allègue que certaines personnalisations de montres sont réalisées pour le compte de célébrités et que des contrats de collaboration peuvent être amenés à être conclu.

A été produit dans la procédure le contrat de collaboration signé le 17 février 2021 entre cette dernière et T______, célèbre pilote automobile, qui prévoit, notamment, une clause d'exclusivité, une rémunération (financière et au moyen de deux personnalisations gratuites de ses montres) de l'ambassadeur, le "souhait" de ce dernier que la personnalisation réalisée pour lui et qui porte son nom soit proposée à ses fans, à leur demande, sur des montres leur appartenant et en quantité limitée, ainsi que de la publicité et de la promotion par l'ambassadeur, notamment sur les réseaux sociaux.

A______ SA considère que ce contrat confirme la nature commerciale de l'offre de services de modification de montres de B______ SA.

n. A______ SA allègue que les modifications effectuées par B______ SA ont un impact sur les performances, la résistance et l'étanchéité de ses montres, ce que cette dernière conteste.

Mandaté par B______ SA dans le but de comparer les performances techniques de deux montres H______ non modifiées et de quatre montres H______ modifiées par elle, AL______ SA à AM______ [NE] a établi un rapport technique daté du 22 mars 2021 et concluant, notamment, ce qui suit : "toutes les pièces testées ont des comportements et performances très proches les unes des autres. On ne descelle pas de différence significative et systématique entre elles ( )".

Selon le témoin AJ______, ce laboratoire a essentiellement procédé à des tests chronométriques, alors que A______ SA effectue, de son côté, également des tests de résistance et de précision sur une durée plus longue.

B. a. Par acte déposé le 22 décembre 2020 au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ SA a formé une action à l'encontre de B______ SA.

Principalement, elle a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens, à ce que :

- il soit ordonné à B______ SA de cesser immédiatement de fabriquer, de faire fabriquer, d'importer, d'exporter, de commercialiser, d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des montres, parties de montres ou accessoires qui ne sont pas d'origine et/ou comportent des modifications au niveau du design et/ou au niveau technique, mais arborent néanmoins une ou plusieurs marques appartement à A______ SA, en particulier les marques n° 12______ "A______", n° 1______ "A______ + Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)", n° 3______ "A______ + Couronne (fig.)
+ H______", n° 4______ "H______", n° 5______ "I______",
n° 6______ "J______", n° 27______ "K______", n° 8______ "K______ - L______" et n° 9______ "M______", ceci valant, notamment :

a) pour les montres modifiées correspondant aux modèles vintage (tels qu'illustrés dans l'annexe 2),

b) aux modèles associés à des "ambassadeurs" (tels qu'illustrés dans l'annexe 3), et

c) aux modèles présentés sous d'autres dénominations (tels qu'illustrés dans l'annexe 1),

- il soit ordonné à B______ SA de cesser immédiatement tout usage dans le commerce de marques appartenant à A______ SA en vue d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des services de modification aboutissant à des montres, parties de montres ou accessoires selon ce qui précède,

- il soit ordonné à B______ SA de cesser immédiatement tout usage dans le commerce de marques appartenant à A______ SA en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que "B______", "Image : logo de l'entreprise B______", "Image : logo de l'entreprise B______" et/ou "AN______", "N______", "O______", "P______", "Q______", "R______" et/ou "S______",

- il soit ordonné à B______ SA de cesser immédiatement de reprendre ou de faire référence à d'anciens designs ou modèles de montres A______, en particulier aux modèles 13______, 14______, 15______, 16______, 17______, 11______ et 18______ de A______ SA, seuls ou en combinaison avec une ou plusieurs des marques selon ce qui précède, pour ou en relation avec tout produit ou services horloger, notamment :

a) toute reprise de ou référence à ces designs ou modèles en vue d'offrir et/ou promouvoir, de quelque manière que ce soit, des montres, parties de montres ou accessoires modifiés sans autorisation de A______ SA, et

b) toute reprise de ou référence à ces designs ou modèles en vue d'offrir et/ou promouvoir, de quelque manière que ce soit, des services de modification de montres, de parties de montres ou d'accessoires,

- tous les produits comportant les caractéristiques décrites précédemment soient confisqués et leur destruction ordonnée,

- il soit ordonné à B______ SA d'indiquer à A______ le nom et l'adresse de ses sous-traitants et/ou fournisseurs et/ou distributeurs et/ou acheteurs commerciaux pour tous les produits ou services décrits précédemment, et

- les condamnations et interdictions requises soient assorties de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, ainsi que d'une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution.

Elle a, préalablement, sollicité la production par cette dernière de toute information et pièces permettant de déterminer le gain obtenu, se réservant le droit de chiffrer ultérieurement ses conclusions, et l'apport de la procédure pénale P/19______/2020.

b. Dans sa réponse, B______ SA a conclu au rejet de toutes les conclusions de A______ SA, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Préalablement, elle a sollicité que sa partie adverse produise une copie entièrement lisible de sa pièce 73 et que la procédure soit limitée à la question de l'existence ou non d'une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de A______ SA par son comportement.

c. Dans sa réplique du 3 septembre 2021, A______ SA a conclu au rejet des conclusions préalables de la partie adverse et a acquiescé à la requête de limitation de la procédure à la question de l'atteinte de ses droits. Elle a également complété ses conclusions en ce sens qu'il soit ordonné à B______ SA de cesser immédiatement tout usage dans le commerce de marques appartenant à A______ SA en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que "B______", "Image : logo de l'entreprise B______", "Image : logo de l'entreprise B______" et/ou "AN______", "N______", "O______", "P______", "Q______", "R______", "S______", "AK______", "AO______" et/ou "V______". Elle a, pour le surplus, persisté dans ses conclusions.

d. Dans sa duplique du 7 janvier 2022, B______ SA a amplifié ses conclusions préalables et sollicité à être autorisée à produire une version caviardée de ses pièces 90 et 91, persistant, pour le surplus, dans ses conclusions.

A cette occasion, elle a, notamment, produit un avis de droit établi à sa demande le 13 mai 2021 par le Prof. AP______ et un avis de droit établi le 25 novembre 2021 par le Prof. AQ______ se prononçant, sur la base des éléments de faits transmis, en faveur de la licéité de ses prestations et de son absence de responsabilité en cas de revente/remise sur le marché par des clients de montres modifiées au vu de ses conditions de vente prévoyant exclusivement un usage privé.

e. A______ SA a répliqué spontanément par courrier du 21 janvier 2022, conclu au rejet de cette dernière requête et persisté, pour le surplus, dans ses conclusions. Elle a complété ses allégués et produit de nouvelles pièces concernant une montre modifiée pour T______ (allégués 699 à 708).

S'agissant des avis de droit, elle considère que les questions ont été mal posées aux rédacteurs et reposent sur un état de fait incomplet et biaisé.

f. Par nouvelle écriture du 4 février 2022, B______ SA a amplifié ses conclusions préalables, sollicitant la production par A______ SA du questionnaire pré-rédigé par celle-ci à l'attention de T______, mentionné dans un courrier électronique du 17 janvier 2021 de AR______ à AS______, et a, à la forme, conclu à l'irrecevabilité des allégués 699 à 708 et des moyens de preuve y afférents contenus dans l'écriture du 21 janvier 2022 de sa partie adverse. Elle a, pour le surplus, persisté dans ses conclusions.

g. Dans l'intervalle, A______ SA a, par nouvelle écriture du 3 février 2022, complété ses allégués en raison d'un fait nouveau et a produit de nouvelles pièces, notamment, le contrat d'ambassadeur signé le 17 février 2021 entre T______ et B______ SA (pièce 208), qui lui a été transmis par sa partie adverse le 24 janvier 2021 et dont la recevabilité n'est pas contestée. Elle a, pour le surplus, persisté dans ses conclusions.

h. Par écriture du 16 février 2022, B______ SA a complété ses conclusions préalables et sollicité la production par A______ SA d'un courrier adressé à Y______ au début du mois de février 2022 et signé par AT______ et AU______, ainsi que l'audition de X______ sur ses propres allégués 258 à 286 et 784, persistant, pour le surplus, dans ses conclusions.

i. Par nouvelles observations du 18 février 2022, A______ SA a complété ses allégués, produit de nouvelles pièces concernant la montre modifiée pour T______ précitée (allégués 730 à 732) et persisté dans ses conclusions.

j. Par réplique sur lesdites observations du 4 mars 2022, B______ SA a conclu, à la forme, à l'irrecevabilité des allégués 730 à 732 et des moyens de preuve y afférents contenus dans l'écriture du 18 février 2022 de sa partie adverse.

k. Par écriture du 4 mars 2022, A______ SA a persisté dans ses conclusions.

l. Lors de l'audience de débats d'instruction, de débats principaux et premières plaidoiries tenue le 6 avril 2022 par le Cour, les parties ont été entendues et ont persisté dans leurs conclusions.

Leurs déclarations ont été résumées ci-dessus dans la mesure utile.

m. Par ordonnance ACJC/494/2022 rendue le 8 avril 2022, la Cour a limité la procédure à la question de l'existence ou non d'une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de A______ SA du fait du comportement de sa partie adverse, rejeté, pour le surplus, les conclusions préalables des parties et admis l'audition de témoins.

n. Le 31 mai 2022, la Cour a procédé à l'audition de AJ______, de AV______ et de Y______ en qualité de témoins.

Leurs déclarations ont été résumées ci-dessus dans la mesure utile.

o. Lors de l'audience de plaidoiries finales tenue le 29 septembre 2022, les parties ont persisté dans leurs explications et conclusions respectives.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 Aux termes de l'art. 5 al. 1 CPC, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité et de violation de tels droits (art. 5 al. 1 let. a CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ). Il s'agit des litiges résultant notamment de l'application de la loi sur la protection des marques (LPM). Elle connaît également des litiges relevant de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD) lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. d CPC).

En l'occurrence, la demanderesse se fonde sur les droits découlant de la LPM, de sorte que la Cour est compétente ratione materiae. Elle l'est également concernant l'application de la LCD, la valeur litigieuse alléguée étant supérieure à 30'000 fr.

1.2 Le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou du défendeur ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite (art. 36 CPC). La notion d'acte illicite doit être interprétée de manière large, ce qui signifie que le for de l'art. 36 CPC est notamment ouvert en ce qui concerne les actions fondées sur la LPM et la LCD (Haldy, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 2 ad art. 36 CPC).

En matière d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle par le biais d'un site internet, la compétence des tribunaux suisses, au titre de lieu de résultat de la violation, peut être invoquée dès que l'accès au site litigieux est possible depuis la Suisse, ce qui sera en principe toujours le cas (arrêt du Tribunal fédéral 4C_341/2005 du 6 mars 2007 consid. 4.1 et 4.2).

Tant le siège à Genève de la société défenderesse que l'accessibilité de son site Internet depuis la Suisse fondent la compétence de la Cour de céans à raison du lieu.

1.3 Etant titulaire des marques dont la protection s'étend à la Suisse et invoquant une concurrence déloyale commise à son encontre, la demanderesse dispose de la qualité pour agir (art. 55 LPM et 9 LCD).

1.4 Déposée selon la forme requise (art. 130 et 252 CPC), la demande est recevable.

1.5 La procédure ordinaire s'applique aux litiges pour lesquels est compétente une instance unique au sens des art. 5 et 8 CPC (art. 243 al. 3 CPC).

La maxime des débats et la maxime de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

1.6 La défenderesse a conclu à l'irrecevabilité pour cause de tardiveté des allégués 699 à 708 et 730 à 732 de la demanderesse, ainsi que des moyens de preuve y afférents, concernant la montre modifiée pour T______.

1.6.1 A teneur de l'art. 229 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont admis aux débats principaux que s'ils sont invoqués sans retard et qu'ils remplissent l'une des conditions suivantes : ils sont postérieurs à l'échange d'écritures ou à la dernière audience d'instruction (novas proprement dits; let. a) ou s'ils existaient avant la clôture de l'échange d'écritures ou la dernière audience d'instruction mais ne pouvaient être invoqués antérieurement bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (novas improprement dits; let. b).

Dans un procès régi par la maxime des débats, les parties ont chacune deux chances de s'exprimer - c'est-à-dire d'introduire des allégués, des offres de preuves, des moyens d'attaque ou de défense - sans limites (ATF 140 III 312 consid. 6.3.2.3, in JT 2016 II 257, p. 259; arrêt du Tribunal fédéral 4A_70/2019 du 6 août 2019 consid. 2.4.1-2.4.2 publiés aux ATF 146 III 55; Bastons Bulletti, in CPC Online, newsletter du 11 septembre 2019) : une première fois dans le cadre du premier échange d'écritures; une seconde fois soit dans le cadre d'un second échange d'écritures, soit - s'il n'en est pas ordonné - à une audience d'instruction (art. 226 al. 2 CPC) ou à l'ouverture des débats principaux avant les premières plaidoiries (art. 229 al. 2 CPC; ATF 144 III 67 consid. 2.1; Heinzmann, in CPC Online, newsletter du 7 février 2018).

1.6.2 En l'espèce, la question de la recevabilité des allégués précités et des moyens de droit y afférents peut rester ouverte dès lors qu'ils ne sont pas de nature à influencer l'issue du litige.

2. La défenderesse se prévaut de la péremption des droits de la demanderesse. Elle soutient que la demanderesse avait connaissance de l'activité de personnalisation de montres de D______, fondateur, actionnaire majoritaire et directeur de la défenderesse et des liens de cette activité avec la Suisse depuis 2005, soit depuis plus de quinze ans. Au vu des contacts directs et la collaboration entre la demanderesse et D______, au vu des ambassadeurs renommés de la défenderesse et au vu des articles de presse parus sur cette dernière, la demanderesse ne pouvait raisonnablement ignorer son activité. Elle a acquis, en agissant de bonne foi et avec une volonté de transparence, une position digne de protection du fait du long et paisible usage encouragé par la bienveillance des dirigeants de la demanderesse.

Cette dernière considère, quant à elle, que la défenderesse tente vainement de se prévaloir d'un ancien projet d'un tiers concernant une activité tout autre (peinture sur cadre) en France et pour lequel elle avait clairement refusé toute autorisation. Elle n'a eu connaissance de l'activité litigieuse de la défenderesse qu'en 2019 (vente aux enchères) et a immédiatement entrepris des mesures nécessaires (constats d'huissier et achat test). Elle relève que la défenderesse - dont l'activité avant 2019 semble avoir été très limitée et qui a pris le risque d'agir en violant sciemment les droits de ses marques - pourrait créer ses propres montres et que sa volonté de parasitage ne saurait être protégée, de sorte que l'on ne saurait considérer qu'elle ait acquis une position concurrentielle digne de protection.

2.1
2.1.1
Conformément à la jurisprudence constante, les actions défensives en matière de droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale peuvent s'éteindre lorsqu'elles sont mises en œuvre trop tard (arrêt du Tribunal fédéral 4A_630/2018 du 17 juin 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités).

La péremption pour avoir tardé à agir doit toutefois être admise avec retenue car, selon l'art. 2 al. 2 CC, la protection d'un droit sera exclue seulement si son exercice est manifestement abusif (arrêts du Tribunal fédéral 4A_630/2018 déjà cité consid. 3.1; 4A_257/2014 du 29 septembre 2014 consid. 6.1 publié in sic! 2015 p. 37; ATF 117 II 575 consid. 4a p. 577 et l'arrêt cité). Plus exactement, l'abus de droit réside dans le fait que l'ayant droit adopte un comportement contradictoire (venire contra factum proprium) : l'inaction prolongée suscite l'apparence d'une tolérance, que contredit l'action en justice intentée des années plus tard (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2014 déjà cité consid. 6.1 et l'auteur cité).

La péremption suppose que l'ayant droit ait eu connaissance (ou aurait dû avoir connaissance) de la violation de ses droits, qu'il ait toléré celle-ci pendant une longue période sans s'y opposer et que l'auteur de la violation, de bonne foi, ait entretemps acquis lui-même une position digne de protection (arrêt du Tribunal fédéral 4A_91/2020 du 17 juillet 2020 consid. 4.1).

2.1.2 Le moment à partir duquel la passivité du titulaire est à prendre en considération est celui où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de l'utilisation du signe litigieux (arrêts du Tribunal fédéral 4A_630/2018 déjà cité consid. 3.2; 4A_257/2014 déjà cité consid. 6.2).

2.1.3 L'ayant droit doit avoir toléré la violation pendant une longue période. Savoir après combien de temps d'inactivité du lésé la péremption doit être admise dépend des circonstances de l'espèce. Le législateur a renoncé à fixer un délai déterminé. Ce choix correspond au mécanisme de l'art. 2 al. 2 CC, qui suppose une certaine élasticité (arrêts du Tribunal fédéral 4A_91/2020 déjà cité consid. 4.3; 4A_257/2014 déjà cité consid. 6.3 et les auteurs cités). La jurisprudence récente en matière de signes distinctifs fait état d'une période oscillant en règle générale entre quatre et huit ans (sur l'ensemble de la question, cf. arrêt 4A_257/2014 déjà cité consid. 6.3).

2.2 En l'espèce, comme le relève à raison la demanderesse, une tolérance de sa part ne saurait être admise depuis ses premiers contacts avec D______ en 2005, les échanges sporadiques et de très faible intensité alors intervenus ayant concerné une activité de personnalisation de montres à caractère esthétique (peinture sur cadre) en France par une société tierce (E______ SA), à laquelle elle n'avait, de surcroît, jamais consenti. Si D______ a certes constitué la société G______ SA à Genève en 2009, son activité consistait alors dans la fabrication et la vente et non dans la personnalisation de montres. Quoiqu'il en soit, aucun lien n'existait entre elle et la défenderesse et son activité.

La défenderesse a été constituée en 2013. Son but prévoit expressément la transformation de montres et D______ en est le directeur depuis 2015. Ces éléments ne sont cependant pas déterminants pour en déduire que la demanderesse en aurait eu connaissance, celle-ci n'étant quoiqu'il en soit pas tenue de s'adonner à une surveillance générale des créations de sociétés et des tiers opérant plus ou moins dans son secteur industriel d'activité.

S'agissant de la notoriété - alléguée par elle - de l'activité de la défenderesse, il ressort des pièces qu'elle a produites que les premières publications dont elle se prévaut (articles parus en 2013) ne font au mieux état que de modifications esthétiques apportées par elle sur des garde-temps, sans mention de la demanderesse ou de l'une de ses marques. Ce n'est qu'en novembre 2016 qu'un article mentionne, dans un journal de mode américain, la personnalisation substantielle d'une montre de la demanderesse en collaboration avec une célébrité. Le second article produit relatif à une personnalisation en faveur d'une seconde célébrité est paru en novembre 2018 sur un site internet spécialisé. La défenderesse n'a ainsi déposé que deux articles entre 2016 et 2018, dont l'on ignore s'ils ont été portés à la connaissance de la demanderesse. De même, la simple existence d'un site Internet propre avant 2019 ne permet pas d'inférer que l'activité de la défenderesse était connue de la demanderesse ou aurait dû l'être. Le fait que cette dernière investisse des montants substantiels dans la recherche de contrefacteurs n'y change rien.

La défenderesse a échoué à démontrer que la demanderesse aurait eu connaissance de son activité avant 2019 et l'aurait tolérée, de sorte que l'invocation à son encontre des moyens de défense du droit de la propriété intellectuelle pourrait être prescrite.

Au demeurant, la solution ne serait pas différente au sens de la jurisprudence dans l'hypothèse où il était retenu que la demanderesse en aurait eu connaissance en novembre 2016 déjà, dès lors qu'elle a procédé à la mise en demeure visant la cessation de l'atteinte à ses droits en juin 2020, ce qui, au vu du complexe de faits, n'apparaîtrait pas tardif.

Par conséquent, la demanderesse n'a pas laissé périmer ses droits à l'encontre de la défenderesse.

3. La demanderesse reproche à la défenderesse de violer le droit des marques et d'adopter un comportement déloyal du point de vue de la concurrence.

L'objet de la cause ayant été limité, en l'état, à la question de la licéité du comportement de la défenderesse, la question du dommage éventuel et de son étendue étant renvoyée à une décision ultérieure le cas échéant, le présent arrêt se limitera à examiner ce point.


 

3.1
3.1.1
La marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (art. 1 al. 1 LPM). Les mots, les lettres, les chiffres, les représentations graphiques, les formes en trois dimensions, seuls ou combinés entre eux ou avec des couleurs, peuvent en particulier constituer des marques (art. 1 al. 2 LPM).

A teneur de l'art. 13 LPM, le droit à la marque confère au titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d'en disposer (al. 1). Le titulaire peut interdire à des tiers d'apposer le signe concerné sur des produits ou des emballages (al. 2 let. a), de l'utiliser pour offrir des produits, les mettre dans le commerce ou les détenir à cette fin (let. b), de l'utiliser pour offrir ou fournir des services (let. c), de l'utiliser pour importer, exporter ou faire transiter des produits (let. d) et de l'apposer sur des papiers d'affaires, de l'utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelqu'autre manière dans les affaires (let. e).

L'apposition de la marque sur les produits ou sur l'emballage qui les contient constitue l'usage classique de la marque. L'interdiction faite aux tiers d'apposer la marque sur les produits ou des emballages sans le consentement du titulaire n'amène guère de remarque particulière. Ce terme droit s'entendre largement (Gillieron, CR-PI, 2013, n. 20 ad art. 13 LPM).

Bien que la LPM ne le mentionne pas, le droit des marques est soumis au principe de l'épuisement. Selon cette règle, le droit exclusif de commercialisation d'un bien protégé par un droit de propriété intellectuelle s'épuise à la première mise en circulation par laquelle le bien est aliéné de manière licite (ATF 122 III 469 consid. 5e et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4C_357/2001 du 11 avril 2002 consid. 5).

Pour pouvoir invoquer une violation du droit d'usage de la marque, l'usage incriminé doit avoir lieu "sur le marché" ("commercial"; "gewerbsmässig"). Ainsi, l'utilisation de la marque dans le cadre privé ou au sein de l'entreprise ne pose pas de problème : elle est interdite seulement si les prestations sont dirigées vers des tiers externes, peu importe que cela génère un chiffre d'affaires ou non (Gilliéron, op. cit., 2013, n. 11 ad art. 13 LPM; Isler, Basler Kommentar - Markenschutzgesetz Wappenschutzgesetz, 2017, n. 25 et suivant ad art. 13 LPM et les références citées). Cette limitation est justifiée, car aussi longtemps que l'usage demeure interne, il n'y a pas de risque de confusion possible faute d'offres sur le marché des prestations considérées. La fonction d'indication de provenance ne risquant pas d'être mise à mal, rien ne justifie que le titulaire puisse exercer son droit à la marque (Gilliéron, op. cit., n. 12 ad art. 13 LPM).

Ainsi, toute modification des biens ou de l'emballage restant dans le domaine privé ou à l'interne d'une entreprise ne pose pas de problème (Isler, op. cit. n. 57 ad art. 13 LPM; arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2019 du 4 décembre 2019 consid. 8.2). Par contre, le titulaire peut s'opposer à ce que ses marchandises modifiées soient remises sur le marché sous sa marque (Cherpillod, Propriété intellectuelle, 2021, n. 399; Tissot/Reusser, Propriété intellectuelle, 2019, n. 413). Le titulaire de la marque définit la qualité des produits qu'il met en circulation (Marbach, Markenrecht, III/1, 2009, n. 1550).

Ainsi, si des tiers veulent modifier la qualité d'un produit de marque d'une quelconque façon, ils doivent soit obtenir l'accord du titulaire de la marque ou alors enlever la marque du produit modifié, le droit des marques ne prévoyant aucun droit dans ce cas à la persistance de la conservation de la marque (Isler, op. cit., n. 63 ad art. 13 LPM).

Par ailleurs, la marque doit être enlevée de telle manière qu'elle ne puisse plus être réapposée facilement. L'enlèvement de la marque doit par ailleurs être complet sous peine de constituer une violation du droit à la marque (Isler, op. cit., ibidem).

Il convient de se baser sur le rôle dévolu à la marque, qui consiste à permettre au consommateur de reconnaître un produit parmi d'autres. Or, permettre à un tiers de modifier le produit sur lequel la marque est apposée aboutit pour le destinataire à un résultat identique à celui consistant pour ce tiers à apposer sur son produit un signe identique ou similaire prêtant à confusion avec sa marque. Dans les deux cas, le destinataire est trompé, et la fonction d'indication de provenance de la marque n'est plus assurée (Gilliéron, op. cit., n. 12 ad art. 13 LPM).

Dans une affaire valaisanne portant sur l'application de l'art. 154 aCP (aujourd'hui abrogé et qui réprimait la vente ou la mise en circulation de marchandises contrefaites) et 24 aLMF (Loi fédérale du 26 septembre 1890 concernant la protection des marques de fabrique et de commerce, qui réprimait la contrefaçon), des jeans de marque AW______ acquis légitimement avaient été ensuite délavés ou traités sans l'autorisation du détenteur de la marque puis mis en vente. Il a été considéré que ces marchandises étaient "falsifiées" et que leur revente était contraire à la loi (RSPI 1992 p. 242 et suivantes).

3.1.2 Concernant la publicité, si un revendeur utilise la marque tierce pour promouvoir son offre de revente d'articles originaux de la marque ou pour son offre de services ou de réparations des mêmes articles, il ne viole pas le droit des marques, pour autant que sa publicité se réfère clairement à son offre propre. Chacun doit pouvoir donner des indications sur sa propre offre de produits ou de services, même quand la marque d'un tiers est concernée (ATF 128 III 146 consid. 2b/aa; 126 III 322 consid. 3b). Le titulaire de la marque ne peut pas prescrire aux revendeurs ou aux fournisseurs de services comment ils doivent s'y prendre, ni quels procédés de publicité sont autorisés (ATF 128 III 146 consid. 2b/bb). Toutefois, le titulaire de la marque conserve la maîtrise de la publicité générale de la marque auprès du public qui ne se rapporte pas à un produit précis ou à un type de services concrets (ATF 128 III 146 consid. 2b/bb; 126 III 322 consid. 3a). La limite de la publicité utilisant une marque se trouve aussi là où le public pourrait avoir la fausse impression d'une relation particulière entre le revendeur ou le fournisseur de services et le titulaire de la marque (ATF 128 III 146 consid. 2b/bb et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_95/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2.1). En d'autres termes, la publicité faite pour revendre les produits de la marque d'un tiers doit demeurer dans un rapport direct avec les produits de cette marque qu'il vend. La publicité peut donc reproduire la marque du titulaire à condition de ne pas agir de façon parasitaire ou trompeuse et de ne pas utiliser la marque pour d'autres produits que ceux du titulaire (Cherpillod, op. cit., n. 408).

Les mêmes principes valent pour l'application de l'art. 3 al. 1 let. d LCD : la publicité n'est pas limitée à des informations minimales, mais elle peut insister sur le caractère luxueux, utiliser les signes distinctifs et représenter les produits originaux dans la publicité. Il ne faut cependant pas que le marchand donne l'impression d'une relation particulière avec la marque, qui n'existe pas en réalité (Heinemann, UWG Kommentar, Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb, 2018, n. 134 ad art. 3 Abs. 1 lit. d LCD).

3.1.3 Le titulaire d'une marque de haute renommée peut interdire à des tiers l'usage de cette marque pour tous les produits ou les services pour autant qu'un tel usage menace le caractère distinctif de la marque, exploite sa réputation ou lui porte atteinte (art. 15 al. 1 LPM).

L'art. 15 LPM accorde une protection particulière aux marques de haute renommée, puisque le titulaire d'une telle marque peut même s'opposer à ce qu'il en soit fait usage pour des biens ou services de nature différente (ATF 130 III 748 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_689/2012 du 24 avril 2013 consid. 2.4).

La protection de l'art. 15 LPM permet au titulaire de se prémunir contre une menace du caractère distinctif de sa marque (soit, souvent, l'utilisation d'un signe identique ou à tout le moins similaire à la marque du titulaire, mais exploitée pour des produits ou des services différents). Il faut que la marque perde aux yeux du public l'unicité dont elle jouit. Ensuite, l'art. 15 LPM permet au titulaire de s'opposer à l'exploitation de sa réputation, notamment par un comportement "parasitaire" créant un risque de confusion et/ou d'association. Enfin, toute utilisation qui porte atteinte à la marque de haute renommée peut être prohibée (Gilliéron, op. cit., n. 18 et suivantes ad art. 15 LPM; Alberini, L'exploitation de la renommée de la marque d'autrui - Du risque de confusion au risque d'association, 2015, p. 223 ss).

3.2
3.2.1
La LCD ne revêt pas un caractère subsidiaire par rapport aux diverses lois qui protègent la propriété intellectuelle; son but est simplement différent (ATF 129 III 353 consid. 3.3 p. 358; arrêt du Tribunal fédéral 4A_86/2009 du 26 mai 2009 consid. 4.1, non publié in ATF 135 III 446). Chaque disposition en matière de propriété intellectuelle ou de concurrence déloyale a son propre champ d'application. Il est parfaitement possible qu'un même comportement puisse tomber sous le coup de plusieurs dispositions différentes. Dès le moment où les conditions d'application d'une disposition sont réunies et justifient la mesure prise, il n'y a plus d'intérêt à se demander si la même mesure pourrait être prise également sur la base d'une autre disposition (arrêt du Tribunal fédéral 4A_689/2012 du 24 avril 2013 consid. 2.4).

3.2.2 A teneur de l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. L'acte de concurrence déloyale doit être objectivement propre à influencer le marché (ATF 136 III 23 consid. 9.1). Il n'est toutefois pas nécessaire que l'auteur de l'acte soit lui-même dans un rapport de concurrence avec la ou les entreprises qui subissent les effets de la concurrence déloyale (ATF 126 III 198 consid. 2c/aa). La règle générale exprimée à l'art. 2 LCD est concrétisée par les cas particuliers énoncés aux art. 3 à 8 LCD, mais elle reste applicable pour les hypothèses que ces dispositions ne viseraient pas (ATF
132 III 414 consid. 3.1; 131 III 384 consid. 3).

Il a été jugé que faire croire faussement à un lien entre deux entreprises tombe sous le coup de la clause générale de l'art. 2 LCD (arrêt du Tribunal fédéral 4A_128/2012 du 7 août 2012 consid. 4.2.2, in sic! 1/2013 p. 41; cf. également : ATF 131 III 384 consid. 5.1 in fine). 

3.2.3 L'art. 3 let. b LCD définit comme déloyal le fait de fausser le jeu de la concurrence en donnant des indications inexactes ou fallacieuses. Une indication inexacte n'est pas conforme à la réalité, alors qu'une indication fallacieuse n'est pas nécessairement fausse en elle-même, mais peut induire en erreur. Pour tomber sous le coup de l'art. 3 let. b LCD, encore faut-il que les indications en cause soient propres à influencer la décision du client. Déterminer si une publicité est inexacte ou fallacieuse est une question de droit. Est décisif le sens que le lecteur non averti attribue de bonne foi à la publicité; pour ce faire, le juge se fondera sur l'expérience générale de la vie et les circonstances particulières du cas (ATF
132 III 414 consid. 4.1.2). 

3.2.4 L'art. 3 let. d LCD qualifie de déloyal le comportement de celui qui prend des mesures de nature à faire naître une confusion entre ses propres biens ou services et ceux d'autrui. Le risque de confusion peut d'ailleurs n'être qu'indirect, en ce sens qu'il suffit que l'auteur fasse naître l'idée que deux produits, en soi distincts, proviennent de la même entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_467/2007 du 8 février 2008 consid. 4.2, in sic! 6/2008 p. 454).

Le risque de confusion existe lorsque l'ensemble des informations que le consommateur attribue aux produits munis d'une certaine marque depuis qu'il les a éprouvés ou parce qu'il en a entendu parler sont attribuées aux produits d'une autre marque, dans la mesure où le consommateur n'est plus en mesure de distinguer les deux marques (risque de confusion directe) ou qu'il entrevoit un lien entre leurs titulaires (risque de confusion indirecte; Alberini, op. cit., p. 71; ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 146 consid. 2a; 127 III 160 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_167/2019 du 8 août 2019 consid. 3.1.1). Cette notion se retrouve à la fois à l'art. 3 al. 1 LPM et à l'art. 3 al. 1 let. d LCD (Alberini, op. cit., p. 73). On distingue entre deux types de risque de confusion : (i) il y a risque de confusion directe lorsque l'on doit craindre que les milieux concernés soient induits en erreur en raison de la similitude des marques et attribuent les marchandises assorties du signe postérieur au titulaire de la marque antérieure; (ii) il y a risque de confusion indirecte, lorsque le public parvient certes à dissocier les signes, mais qu'il infère de leur similitude des liens n'existant pas en réalité, par exemple lorsqu'il est amené à penser qu'il a affaire à des marques de série assortissant différentes lignes de produits d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées entre elles (Schlosser/Maradan, Commentaire Romand - PI, 2013, n. 9 et suivantes ad art. 13 LPM).

Si la notion de risque de confusion est la même dans tout le droit relatif aux signes distinctifs (ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 401 E. 5; 127 III 160 E. 2a S. 165; 126 III 239 E. 3a), ce risque ne s'apprécie pas forcément selon les mêmes critères dans les différents domaines du droit (cf. ATF 140 III 297 consid. 3.5).

A cet égard, il importe de savoir à quel milieu les produits ou services s'adressent et comment ils sont vendus ou proposés. Pour les articles de masse d'usage quotidien, il faut compter avec une attention et une capacité de distinguer des consommateurs plus réduite que pour les produits ou services spécialisés, dont les acheteurs ou clients se recrutent dans un cercle plus ou moins fermé de professionnels (ATF 126 III 315 consid. 6b/bb; ATF 122 III 382 consid. 2a). En présence de produits pour lesquels on peut s'attendre à une attention accrue de la part de l'acheteur, le risque de confusion doit être admis moins facilement; il en va notamment ainsi des montres (sauf celles très bon marché), des ordinateurs et des logiciels (ACJC/586/2018 du 26.04.2018 consid. 2.2; ACJC/1527/2015 consid. 2.2.1 et références citées).

Le co-branding (ou co-marquage) est la stratégie par laquelle deux entreprises réalisent un produit en partenariat et par laquelle chacune d'elles appose sa propre marque sur ledit produit. Lorsque le signe litigieux suggère une relation de co-branding, qui n'existe pas en réalité, entre les titulaires de marques et, partant, qu'ils sont au bénéfice d'une licence ou de licences croisées, un risque de confusion doit être reconnu (Alberini, op. cit., p. 82). Selon cet auteur, lorsqu'une impression de co-branding est suggérée, il existe un risque de confusion indirecte. Cependant, le droit à la marque du titulaire est épuisé, de sorte qu'il n'est pas en mesure de s'opposer au comportement sur la base de la LPM. Il devrait cependant pouvoir agir contre le revendeur sur la base de l'art. 3 al. 1 let. d LCD (Alberini, op. cit., p. 383).

3.2.5 L'art. 3 let. e LCD traite de déloyal le comportement, propre à influencer le marché, qui consiste à comparer deux concurrents de façon inexacte, fallacieuse, inutilement blessante ou parasitaire. Tombe notamment sous le coup de cette disposition le fait de s'approprier la réputation d'autrui (ATF 135 III 446 consid. 7.1; "parasitisme").

Les comportements par lesquels un concurrent s'inspire inutilement des prestations d'un tiers ou exploite sa réputation sont considérés comme déloyaux, indépendamment du risque de confusion éventuel. L'exploitation de la réputation peut notamment consister à utiliser la marchandise ou la prestation d'autrui dans sa propre publicité de telle sorte que son image soit transférée sur ses propres offres. Agit de manière déloyale celui qui, par sa présentation publicitaire, transfère en fin de compte la bonne réputation de produits connus sous un autre signe sur ses propres produits, en suscitant des associations d'idées avec ceux-ci, sans qu'il y ait besoin d'un risque de confusion au sens décrit plus haut. Dans cette mesure, il n'est notamment pas nécessaire d'utiliser un signe si similaire à celui du concurrent qu'il puisse être confondu avec lui en position exclusive (ATF
135 III 446 consid. 7.1).

3.2.6 Selon l'art. 9 al. 1 let. a LCD, celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente. 

3.3 La demanderesse reproche à la défenderesse d'exploiter indûment ses marques et sa renommée pour s'adonner à une activité de contrefaçon consistant à modifier des montres originales qu'elle a mises sur le marché, à la promouvoir, puis à en tirer un bénéfice économique. Selon elle, cette activité serait contraire au droit des marques et aux règles interdisant la concurrence déloyale, de sorte qu'il conviendrait de l'interdire.

La défenderesse relève que les services proposés s'adressent à un consommateur dont l'attention est particulièrement haute, que le droit à la marque de la demanderesse est épuisé au moment de son intervention, qu'agissant sur mandat et selon les souhaits de ses clients, tout risque de confusion est "a priori exclu", que sa communication – dans le cadre de laquelle elle fait référence de manière neutre aux montres de la demanderesse – ne crée pas, pour le public sophistiqué concerné, l'impression d'une relation spéciale entre les parties, qu'elle ne remet pas les montres sur le marché, mais les restitue à leurs propriétaires, qu'elle prend toutes les mesures pour prévenir des remises ultérieures sur le marché et ne peut être tenue pour complice de telles remises par des clients indélicats. Elle exclut, par ailleurs, tout risque de confusion en signant ses créations et en fournissant des informations transparentes et claires à ses clients, ainsi que tout parasitisme, considérant que les clients s'adressent à elle pour le service intrinsèque qu'elle offre et non en raison de la réputation des produits de la demanderesse.

La Cour examinera successivement si les griefs dirigés contre la défenderesse sont fondés eu égard aux lois invoquées, soit la LPM et la LCD.

3.3.1 Concernant, en premier lieu, l'activité elle-même exercée par la défenderesse, la demanderesse considère que les montres (quasi exclusivement A______) qu'elle personnalise, selon des procédés et pour un résultat qui ne sont pas contestés in casu (modifications esthétiques substantielles de montres arborant une ou plusieurs marques appartenant à A______ SA selon des design non disponibles dans le catalogue A______ SA ou des designs vintage; modifications techniques substantielles par remplacement d'éléments structurels des montres compromettant la qualité et la nature des produits; apposition ou réapposition des marques appartenant à A______ sans son accord) constituent des contrefaçons. Elle souligne que, comme l'a démontré son achat test, le client peut commander un modèle précis figurant sur le catalogue disponible sur le site internet et que la défenderesse effectue des personnalisations en plusieurs exemplaires sous forme de séries limitées. L'usage privé ou non des services de la défenderesse par ses clients ne changerait rien au fait que le modèle d'affaires de celle-ci reposerait sur l'offre d'un service commercial utilisant librement les marques de la demanderesse pour son propre bénéfice.

Se pose, au regard du droit des marques, la question de savoir si la défenderesse est habilitée, dans l'exercice d'une activité commerciale, à retirer, respectivement apposer, les marques de la demanderesse sur les montres qu'elle modifie, voire à les laisser subsister sur les produits modifiés.

Seul le client peut bénéficier du principe d'épuisement de la marque, à l'exclusion du tiers qui exerce une activité commerciale au moyen du produit en question. Le principe de l'épuisement n'autorise pas l'utilisation indue par un tiers d'une marque protégée. Il n'autorise pas un tiers à offrir un service commercial en utilisant librement les marques d'autrui pour son propre bénéfice sur le marché. Si, en l'occurrence, les modifications sont certes effectuées à la demande du client et propriétaire de la montre acquise légitimement, l'on ne saurait retenir que cette activité se déroule dans un cadre privé, puisque la défenderesse offre un service commercial et générateur de profits, pour lequel elle fait de la publicité. Cette situation diffère manifestement de celle où le client modifie lui-même sa montre dans un cadre privé. L'offre commerciale consistant à inciter un particulier à faire modifier sa montre, notamment selon des modèles ou en série limitée, n'est pas couverte par l'usage privé. L'activité litigieuse implique donc une remise sur le marché de produits de marques modifiés, de manière substantielle, à quoi peut s'opposer la titulaire, qui seule est ainsi habilitée à décider quels produits sont commercialisés sous ses marques. La défenderesse ne saurait dès lors se prévaloir de l'épuisement de la marque.

De plus, le principe de l'épuisement ne vaut que pour le produit original qui n'est pas modifié. Toute modification qui affecte les caractéristiques spécifiques du produit engendre la création d'un produit différent pour lequel l'utilisation de la marque originale n'est plus permise.

De même, l'apposition d'une marque d'un tiers sur un nouveau produit constitue une contrefaçon et est contraire à l'art. 13 al. 2 let. a LPM. En procédant à la dépose et à la réapposition de marques dont la demanderesse est titulaire sur des montres qui ne sont plus originales, la défenderesse utilise sans droit ces marques et agit en violation du droit des marques.

Sous cet angle, seule est déterminante la licéité de l'usage de la marque protégée et non l'impression qu'en retire le public concerné, puisqu'il ne s'agit pas d'examiner un éventuel risque de confusion.

Il ressort ainsi de ce qui précède que les comportements susdécrits sont illicites au regard de la LPM. Point n'est donc besoin de les examiner également sous l'angle de la LCD.

Tel ne sera, en revanche, pas le cas de l'activité qui consisterait à personnaliser des montres sur lesquelles auront été retirées les marques appartenant à la demanderesse, une telle activité – au demeurant non visée par la demande – étant licite.

3.3.2 Les autres griefs de la demanderesse reposent sur la haute renommée de la marque A______, qui serait indûment exploitée par la défenderesse, notamment par le biais de "co-branding" non autorisé et par du parasitisme. La publicité faite par la défenderesse serait aussi en cause.

3.3.2.1 Au vu de ce qui précède et de ce qui suit, il n'est pas nécessaire d'examiner la qualité de haute renommée des marques de la demanderesse - laquelle est au demeurant notoire -, dès lors que la protection octroyée au titre de marques "ordinaires" est suffisante.

3.3.2.2 S'agissant du "co-branding", la défenderesse appose ses propres marques aux côtés de celles dont la demanderesse est titulaire sur les montres modifiées. Figurent en outre à de nombreuses reprises sur son site Internet les marques de la demanderesse et les montres fabriquées par celle-ci. Cet ensemble de fait est de nature à donner, pour les clients concernés - quel que soit leur niveau de connaissance du marché en question -, l'impression que les deux parties collaborent dans la production, respectivement la modification de montres, alors que tel n'est pas le cas. Il n'est en effet ni établi, ni notoire, ni connu du public que la demanderesse a pour politique de ne pas autoriser le co-marquage avec une entreprise tierce. Par conséquent, la défenderesse fait apparaître ses produits comme étant issus d'une synergie entre les deux entreprises, alors que celle-ci n'existe pas.

Les avertissements donnés par la défenderesse aux utilisateurs de sa page Internet ou encore le fait qu'elle propose sa propre garantie ne sont pas suffisants, eu égard à l'impression générale qui émane de l'apparence du site Internet dans son ensemble et de l'apposition des marques des deux parties sur certaines montres. En effet, les références aux marques de la demanderesse sont tellement nombreuses qu'il est implicitement suggéré que les parties ont tissé des liens. Le fait que la défenderesse n'utilise pas de termes s'apparentant à la notion de partenariat est sans importance, puisque seule est déterminante l'impression d'ensemble.

La défenderesse relève que ses clients sont intéressés précisément par la personnalisation de montres de grandes marques de luxe. Toutefois, l'intérêt des clients de la défenderesse pour l'apposition de marques - tout comme la modification de montres - de manière non autorisée n'est pas susceptible de rendre licite une activité qui ne l'est pas. Retenir que le maintien des marques de la demanderesse au côté des siennes répond à un besoin intrinsèque de son activité, confirme l'illégalité de celle-ci, puisque cela revient à considérer que cette activité n'est possible qu'en violation des droits d'autrui.

Il s'ensuit que cette apparence de "co-branding" est une forme de parasitisme prohibé au sens de la LCD.

3.3.2.3 En ce qui concerne la référence à d'anciens designs ou à des modèles de montres de la demanderesse par la défenderesse, il convient également de retenir que, ce faisant, cette dernière profite de la renommée de la demanderesse et de la qualité de ses produits d'une manière parasite et contraire à la LCD.

3.3.2.4 Reste enfin à examiner si l'utilisation par la défenderesse des produits et des marques de la demanderesse sur son site Internet est admissible ou excessive.

L'activité d'entretien ou de réparation de produits de certaines marques précises implique dans certains cas (par exemple en matière automobile) que référence soit faite à la marque ou aux marques que le réparateur est en mesure de prendre en charge. Cette référence à une ou des marques est nécessaire à l'information du client.

Il serait admissible que la défenderesse fasse figurer les marques et produits de la demanderesse dans le but de les réparer ou de les entretenir, notamment en lien avec les termes "réparation" ou "entretien". Cependant, ainsi qu'il a été vu, son activité principale est toute autre, puisqu'elle se situe dans le domaine de la customisation et de la modification de produits, et que sa publicité est axée en ce sens.

Comme retenu précédemment, cette activité étant illicite, la publicité ne saurait être considérée comme légitime en ce que la défenderesse fait largement référence à des marques de la demanderesse pour faire connaître son activité de modification.

3.3.3 Au vu de ce qui précède, il sera ainsi fait interdiction à la défenderesse de tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à la demanderesse, soit en particulier les marques 12______ "A______", n° 1______ "A______ + Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)", n° 3______ "A______ + Couronne (fig.) + H______", n° 4______ "H______ ", n° 5______ "I______", n° 6______ "J______", n° 27______ "K______", n° 8______ "K______ - L______" et n° 9______ "M______", par apposition ou par réapposition.

De même, il sera fait interdiction à la défenderesse de tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à la demanderesse, soit en particulier les marques 12______ "A______", n° 1______ "A______ + Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)", n° 3______ "A______ + Couronne (fig.) + H______", n° 4______ "H______ ", n° 5______ "I______",
n° 6______ "J______", n° 27______ "K______", n° 8______ "K______ - L______" et n° 9______ "M______", en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que "B______", "Image : logo de l'entreprise B______", "Image : logo de l'entreprise B______" et/ou "AN______", "N______", "O______", "P______", "Q______", "R______", "S______", "AK______", "AO______" et/ou "V______".

Il sera également fait interdiction à la défenderesse de tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à la demanderesse en vue d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des services de modification de montres, parties de montres ou accessoires.

Il ne sera, en revanche, pas fait droit aux autres conclusions de la demanderesse, dès lors qu'il ne saurait être interdit à la défenderesse de poursuive son activité de personnalisation sur des garde-temps sur lesquels les marques appartenant à la demanderesse auraient été retirées et non réapposées.

4. La demanderesse sollicite que les interdictions faites à la défenderesse soient assorties de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP et d'une amende pour chaque jour d'inexécution.

4.1 Lorsque la décision prescrit une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer, le tribunal de l'exécution peut prendre diverses mesures prévues à l'art. 343 al. 1 CPC. Il peut notamment assortir la décision de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP (art. 343 al. 1 let. a CPC) ou prévoir une amende d'ordre de 1'000 francs au plus pour chaque jour d'inexécution (let. c).

Cette mesure relève de la contrainte indirecte, dont la finalité vise à briser la résistance du débiteur récalcitrant et à obtenir qu'il s'exécute. Elle n'a pas un caractère pénal, mais vise à faire pression sur la partie succombante (Jeandin, Commentaire romand - CPC, 2ème éd., 2019, n. 11 ad art. 343 CPC).

Le juge doit prendre les mesures d'exécution adéquates et proportionnées aux circonstances; entre plusieurs solutions, l'autorité d'exécution choisira la moins dommageable et la moins onéreuse (Staehlin, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2ème éd., 2013, n. 14 ad art. 343 CPC; Bommer, ZPO Handkommentar, 2010, n. 3 ad art. 343 CPC).

4.2 En l'espèce, aucun développement particulier n'étant fourni par la demanderesse concernant ce point, il apparaît excessif de prononcer ces deux mesures de contrainte simultanément, la seule menace de la peine prévue à l'art. 292 CPC paraissant en l'état suffisante pour assurer l'exécution des mesures ordonnées.

5. S'agissant des conclusions des parties demeurées litigieuses, la Cour fixera la suite de la procédure par une ordonnance ultérieure.

6. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la partie succombante (art. 95 et 106 1ère phrase CPC). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC).

Les frais judiciaires de la présente procédure seront arrêtés à 15'000 fr. (art. 95 al. 1 let. a, art. 95 al. 2, art. 96 CPC; art. 19 al. 3 et 6 LaCC; art. 17 RTFMC), couverts par l'avance de frais de 40'000 fr. fournie par la demanderesse, avance qui demeure acquise à l'Etat de Genève à due concurrence (art. 111 al. 1 CPC). Le solde de l'avance ne lui sera pas restitué compte tenu de la poursuite de la procédure.

Au vu de l'issue du litige, la demanderesse ayant obtenu partiellement gain de cause, ces frais judiciaires seront mis par moitié à la charge de chacune des parties (art. 106 al. 1 CPC).

Par conséquent, la défenderesse sera condamnée à payer à la demanderesse la somme de 7'500 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires.

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 106 al. 1 CPC).

7. En matière de droits de propriété intellectuelle, notamment en matière de nullité ou de violation de tels droits, le recours en matière civile au Tribunal fédéral est ouvert indépendamment de la valeur litigieuse (art. 72 al. 1, 74 al. 2 lit. b LTF, art. 5 al. 1 let. a CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Statuant en instance unique, par voie de procédure ordinaire
:

Interdit à B______ SA tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à A______ SA, soit en particulier les marques n° 12______ "A______",
n° 1______ "A______ + Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)",
n° 3______ "A______ + Couronne (fig.) + H______", n° 4______ "H______ ", n° 5______ "I______", n° 6______ "J______", n° 27______ "K______",
n° 8______ "K______ - L______" et n° 9______ "M______", par apposition ou par réapposition.

Interdit à B______ SA tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à A______ SA, soit en particulier les marques n° 12______ "A______",
n° 1______ "A______ + Couronne (fig.)", n° 2______ "Couronne (fig.)",
n° 3______ "A______ + Couronne (fig.) + H______ ", n° 4______ "H______", n° 5______ "I______ ", n° 6______ "J______ ", n° 27______ "K______ ",
n° 8______ "K______ L______ " et n° 9______ "M______ ", en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que "B______", "Image : logo de l'entreprise B______", "Image : logo de l'entreprise B______" et/ou "AN______", "N______", "O______", "P______", "Q______", "R______", "S______", "AK______", "AO______" et/ou "V______".

Interdit à B______ SA tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à A______ SA en vue d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des services de modification de montres, parties de montres ou accessoires.

Dit que ces mesures sont prononcées sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, lequel est ainsi libellé : "Celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents, sera puni de l'amende".

Réserve la suite de la procédure.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 15'000 fr., les met par moitié à la charge des parties, soit à hauteur de 7'500 fr. pour B______ SA et de 7'500 fr. pour A______ SA, et dit qu'ils


sont compensés par l'avance effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève à due concurrence.

Condamne B______ SA à payer à A______ SA la somme de 7'500 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.