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Décisions | Chambre civile

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C/17039/2020

ACJC/17/2023 du 10.01.2023 sur JTPI/5081/2022 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17039/2020 ACJC/17/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 10 JANVIER 2023

Entre

A______ SA, sise ______ (GE), appelante d'un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 avril 2022, comparant par Mes Pascal MARTI et Laure HERITIER, avocats, SJA AVOCATS SA, place des Philosophes 8, 1205 Genève, en l'Étude desquels elle fait élection de domicile,

et

B______ (SUISSE) SA, sise ______ (ZH), intimée, comparant par
Me Louis BURRUS, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/5081/2022 du 29 avril 2022, reçu le 2 mai 2022 par les parties, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, s'est déclaré incompétent ratione loci pour connaître de la demande en paiement déposée par A______ SA à l'encontre de B______ (SUISSE) SA (chiffre 1 du dispositif), a en conséquence déclaré cette demande irrecevable (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 5'000 fr., les a compensés avec les avances effectuées par A______ SA, mis à la charge de celle-ci, ordonné la restitution du montant de 35'200 fr. à A______ SA par les Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 3), condamné A______ SA à verser à B______ (SUISSE) SA 4'500 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B.            a. Par acte déposé le 30 mai 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ SA appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut à ce que la Cour constate que le Tribunal est compétent ratione loci dans la cause C/17039/2020 et renvoie la cause au Tribunal pour la reprise des débats, avec suite de frais et dépens de première instance et d'appel.

b. B______ (SUISSE) SA conclut à ce que la Cour déclare irrecevables les faits nouveaux invoqués par A______ SA et confirme le jugement entrepris, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Par avis du 25 octobre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SA et B______ (SUISSE) SA sont liées par divers contrats, initialement conclus avec B______ SA avant le transfert de ses obligations à B______ (SUISSE) SA en 2015.

A______ SA allègue que leur relation contractuelle est gérée par C______, actif dans la succursale de Genève.

b. Le 10 février 2011, B______ SA et A______ SA ont signé un contrat cadre suisse pour produits dérivés "OVER THE COUNTER" (OTC).

L'article 13 de ce contrat prévoit une élection de for en faveur des tribunaux du canton de Zurich, chaque partie conservant toutefois la faculté de faire valoir ses droits devant les tribunaux compétents au domicile de l'autre partie ou devant tout autre tribunal ou office des poursuites compétent.

c. Ce contrat cadre a d'emblée été complété par un appendice dûment signé par les parties, indiquant que "[c]et appendice et ses annexes spécifiques aux différents produits [faisaient] partie intégrante du contrat cadre suisse pour produits dérivés OVER-THE-COUNTER (OTC) avec les modifications et compléments suivants".

Cet appendice stipule notamment que le chiffre 13 du contrat cadre est remplacé comme suit : "[l]e lieu d'exécution et le domicile spécial pour l'exécution de toutes les obligations résultant du présent Contrat Cadre et des Transactions conclues à ce titre est Zurich. Le présent Contrat ainsi que toutes les transactions conclues sur la base de ce dernier sont soumis aux dispositions du droit suisse et tout litige sera tranché par les tribunaux ordinaires du canton de Zurich. La partie A [B______ SA] conserve toutefois la faculté de faire valoir ses droits devant les tribunaux compétents au domicile de l'autre partie ou devant tout autre tribunal ou office des poursuites compétent."

d. Le 24 février 2011, B______ SA et A______ SA ont signé cinq conventions de crédit-cadre pour le financement de biens immobiliers, pour lesquels A______ SA a obtenu :

- une limite de crédit de 4'020'000 fr. maximum pour le bien sis boulevard 2______ no. ______ et rue 3______ no. ______ à Genève;

- une limite de crédit de 2'200'000 fr. maximum pour le bien sis rue 4______ no. ______, [code postal] Genève;

- une limite de crédit de 7'290'000 fr. maximum pour le bien sis rue 5______ no. ______, [code postal] Genève;

- une limite de crédit de 2'960'000 fr. maximum pour le bien sis avenue 6______ no. ______, [code postal] Genève;

- une limite de crédit de 5'105'000 fr. maximum pour le bien sis avenue 7______ no. ______, [code postal] Genève.

e. Le présent litige porte uniquement sur le financement du bien sis avenue 7______ no. ______, [code postal] Genève.

f. La convention de crédit-cadre y relative prévoit en son article 19 que le lieu d'exécution et le for judiciaire exclusif pour tout litige en découlant est à Genève.

Selon l'article 17 de cette convention, la mise à disposition des fonds ne devait notamment avoir lieu qu'après la signature d'une "convention Swap [ ] conformément aux modalités convenues le 11 février 2011 avec B______ SA".

g. Le 16 mars 2011, A______ SA a ainsi souscrit un produit dérivé, à savoir un "swap" de taux d'intérêts, avec droit de prolongation, portant la référence "B______ SA-Réf. 1______".

Cette transaction prenait la forme d'une "confirmation" selon la section 1, paragraphe 3 du contrat cadre suisse pour produits dérivés "OVER THE COUNTER" (OTC).

Il y était précisé que le contrat cadre, signé préalablement par A______ SA en date du 10 février 2011, y compris ses annexes, était incorporé à la "confirmation" et en faisait partie intégrante.

A teneur de la "confirmation du swap de taux", A______ SA devait payer à B______ SA un taux fixe de 2.61% par an et B______ SA devait payer à A______ SA un taux variable "LIBOR à 3 mois sur le CHF".

h. A______ SA allègue que le taux d'intérêt qu'elle devait à B______ SA en vertu du contrat hypothécaire était quant à lui fixé sur la base du taux "LIBOR à 3 mois" augmenté d'une marge commerciale de 0.8%.

Elle soutient que la combinaison du contrat de crédit hypothécaire et de la convention swap devait lui assurer un taux hypothécaire fixe de 3.41% (prix du swap de 2.61% + marge commerciale de 0.8%) sur une période minimale de vingt ans, par le biais du mécanisme de compensation du taux LIBOR dû de part et d'autre. B______ SA lui avait conseillé cette combinaison de contrats afin de lui garantir un taux d'intérêt "fixe" sur le long terme.

A teneur de l'offre de taux indicatifs de B______ SA, signée pour accord par A______ SA le 11 février 2011, le taux d'intérêt indiqué pour le bien sis avenue 7______ no. ______ était de 3.41% (2.61% + 0.8%).

i. A______ SA allègue que le mécanisme précité avait fonctionné pendant plusieurs années, celle-ci payant un taux stable de 3.41% grâce à la combinaison du contrat hypothécaire et de la convention swap. En revanche, lorsque le taux LIBOR était devenu négatif, B______ (SUISSE) SA avait unilatéralement décidé que le taux LIBOR des contrats hypothécaires serait non pas effectif mais au minimum de 0%, tout en appliquant le taux LIBOR effectif dans le cadre du contrat Swap, ce qui avait eu pour conséquence de déséquilibrer le mécanisme de compensation convenu et d'augmenter sensiblement le taux d'intérêt facturé par B______ (SUISSE) SA. Afin de limiter son dommage relatif à l'évolution des taux négatifs, elle avait ainsi choisi de se départir de l'opération financière litigieuse, ce qui avait engendré des pénalités de résiliation anticipée.

j. En automne 2019, A______ SA a ainsi résilié la convention swap et a dû payer à B______ (SUISSE) SA une indemnité pour résiliation anticipée.

D.           a. Par acte déposé en conciliation le 3 septembre 2020, déclaré non concilié le 14 janvier 2021 et introduit le 30 mars 2021 auprès du Tribunal, A______ SA a assigné B______ (SUISSE) SA en paiement de la somme de 1'098'351 fr. 70, composée de trois postes de dommage, soit :

-          943'662 fr. 70 relatifs aux coûts de résiliation anticipée de la transaction;

-          134'689 fr. relatifs aux intérêts que A______ SA estime avoir payés en trop;

-          20'000 fr. correspondant au coût d'une expertise privée mise en œuvre afin de démontrer son dommage.

En substance, elle a expliqué que B______ (SUISSE) SA avait violé ses obligations contractuelles résultant du contrat de financement - combinant le prêt hypothécaire et la convention swap - en prélevant des intérêts supérieurs à ceux qui auraient dû s'appliquer et en l'obligeant à payer une indemnité de résiliation anticipée conséquente pour se sortir de cette opération financière qui l'exposait à une augmentation continue de son dommage. Si B______ (SUISSE) SA n'avait pas préconisé la mise en place d'un tel contrat de financement, respectivement si ce contrat n'avait pas généré des hausses de taux au moment où le taux LIBOR était devenu négatif, elle n'aurait pas dû payer un surplus d'intérêts et n'aurait eu aucune raison de payer une pénalité de sortie. B______ (SUISSE) SA devait ainsi répondre de ce dommage.

b. Par courriers des 21 mai et 11 juin 2021, B______ (SUISSE) SA a soulevé une exception d'incompétence ratione loci du Tribunal et a sollicité de celui-ci qu'il limite la procédure à cette question.

c. Par ordonnance du 18 juin 2021, le Tribunal a limité la procédure à la question de sa compétence ratione loci et imparti un délai au 17 août 2021 aux parties pour se déterminer à cet égard.

d. Le 17 août 2021, les parties se sont déterminées.

B______ (SUISSE) SA a exposé que dans la mesure où chaque relation contractuelle était clairement soumise à une prorogation de for différente, le cumul d'actions auprès de la même juridiction était exclu. Tous les aspects des prétentions de A______ SA qui avaient trait aux transactions swap devaient impérativement être soumis aux tribunaux du canton de Zurich, conformément à la formulation claire du contrat cadre, étant relevé que la quasi-totalité du dommage allégué découlait de la résiliation anticipée de la transaction swap, dont le contrat y relatif était précisément soumis au for zurichois.

A______ SA a quant à elle expliqué qu'à aucun moment elle ne soutenait que la transaction swap aurait été inexécutée ou mal exécutée par B______ (SUISSE) SA. Au contraire, c'était l'interprétation qu'il y aurait lieu de donner au contrat de crédit hypothécaire qui serait déterminante pour savoir si B______ (SUISSE) SA avait violé ses engagements en refusant d'appliquer le taux LIBOR effectif au contrat hypothécaire, et pour déterminer les conséquences de cette violation. Le paiement d'intérêts supérieurs ainsi que la résiliation du contrat swap et ses conséquences financières n'étaient que la conséquence directe du non-respect par B______ (SUISSE) SA du contrat de crédit hypothécaire et/ou de la violation du devoir d'informations et de mise en garde inhérent au contrat hypothécaire, respectivement de la violation du contrat tacite de conseil, pour lesquels le Tribunal genevois était compétent.

Dans ses déterminations, A______ SA a allégué des faits complémentaires à ceux déjà allégués dans sa demande, lesquels étaient censés être intégralement repris dans son écriture.

e. Le 30 août 2021, B______ (SUISSE) SA s'est déterminée sur l'écriture de A______ SA, sans se prononcer sur les faits de la demande.

f. Les parties ont plaidé et persisté dans les termes de leurs déterminations respectives lors de l'audience du 13 décembre 2021, à l'issue de laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger sur la compétence ratione loci.

E.            Dans le jugement querellé, le Tribunal a retenu que le cumul d'actions auprès de la même juridiction était exclu, dès lors que chaque relation contractuelle était soumise à une prorogation de for différente. Tous les litiges en lien avec les transactions swap devaient impérativement être soumis aux tribunaux du canton de Zurich, conformément à l'accord clair des parties et la formulation claire de la clause qui faisait expressément référence à toutes les transactions conclues et qui stipulait: "le Présent Contrat ainsi que toutes les Transaction conclues sur la base de ce dernier sont soumis aux dispositions du droit suisse et tout litige sera tranché par les tribunaux ordinaires du canton de Zurich". Le Tribunal de première instance était donc incompétent à raison du lieu, de sorte que la demande déposée par A______ SA était irrecevable.

EN DROIT

1.             1.1 En tant qu'il constate l'incompétence ratione loci du Tribunal, le jugement entrepris constitue une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC; Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 9 ad art. 308 CPC). La valeur litigieuse étant supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours (art. 142 al. 1, 143 al. 1 et 311 al. 1 CPC), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 et 2 CPC) et auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2.             Selon l'intimée, les faits dont se prévaut l'appelante en appel seraient nouveaux et donc irrecevables, dès lors qu'ils n'ont été allégués que dans la demande et non dans les écritures relatives à la compétence ratione loci, question qui constituerait un procès dans le procès.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

2.2 En l'espèce, les faits qualifiés de "nouveaux" par l'intimée ont été allégués par l'appelante dans sa demande en paiement. Bien que le litige ait été circonscrit à la question de la compétence ratione loci et que l'appelante n'ait pas à nouveau allégué ces faits dans ses écritures relatives à cette question, il n'en demeure pas moins qu'ils ont été allégués en première instance en temps utile et ne constituent dès lors pas des faits nouveaux qui seraient allégués pour la première fois en appel. Ils sont par conséquent recevables. Retenir le contraire reviendrait à faire preuve de formalisme excessif, ce d'autant plus que l'appelante s'est expressément référée aux faits de la demande dans ses déterminations du 17 août 2021, indiquant qu'ils étaient réputés intégralement repris dans celles-ci, et s'est fondée sur ceux-ci pour motiver ses déterminations. L'intimée avait ainsi l'occasion de se déterminer sur ceux-ci non seulement dans le cadre de ses déterminations du 17 août 2021, mais également dans celles du 30 août 2021, celle-ci ayant elle-même fait le choix de ne se déterminer que sur les faits complémentaires allégués par l'appelante.

3.             L'appelante reproche au Tribunal d'avoir retenu les faits de manière lacunaire, et partant inexacte, en omettant de prendre en considération le mécanisme d'interaction des contrats hypothécaires et swap, en occultant l'existence d'un contrat tacite de conseil et en retenant que ses prétentions découlaient de la violation du contras swap alors qu'elles découlaient en réalité de la violation du contrat hypothécaire et/ou du contrat tacite de conseil.

Son grief est fondé. En effet, afin de déterminer quel tribunal est compétent ratione loci, il est nécessaire de comprendre sur la base de quel rapport de droit se fondent les prétentions de l'appelante, ce qui ne ressort pas de manière suffisamment précise du jugement entrepris. L'état de fait retenu ci-dessus a ainsi été complété en conséquence.

4.             L'appelante reproche au Tribunal d'avoir nié sa compétence ratione loci. Elle soutient que le dommage qu'elle a subi est dû soit à une mauvaise exécution du contrat-cadre du crédit hypothécaire, dont le for est à Genève, soit à la violation du contrat tacite de conseils qui a conduit à la conclusion de l'opération de financement litigieuses, dont le for est également à Genève. Elle fait grief au Tribunal de ne pas avoir discuté de ce qui précède dans sa motivation, alors qu'elle s'en était prévalue dans ses écritures, violant ainsi son droit d'être entendu et commettant un déni de justice, et de ne pas avoir respecté le for élu en violation de l'art. 17 CPC, ni le for légal en violation des art. 12 et 31 CPC.

4.1.1 En droit suisse, le droit d'être entendu est un droit garanti par la Constitution, soit l'art. 29 al. 2 Cst. Il a été repris en procédure civile, notamment à l'art. 53 al. 1 CPC, qui le garantit aux parties.

La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_734/2018 et 5A_736/2018 du 4 décembre 2018 consid. 3.1; 5A_943/2016 du 1er juin 2017 consid. 4.1.2).

Une violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Une telle réparation doit cependant rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 5A_644/2022 du 31 octobre 2022 consid. 3.1).

4.1.2 A teneur de l'art. 59 al. 1 CPC, le tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action, soit notamment la compétence à raison du lieu (art. 59 al. 2 let. b in fine CPC).

Selon l'art. 17 al. 1 CPC, sauf disposition contraire de la loi, les parties peuvent convenir d'un for pour le règlement d'un différend présent ou à venir résultant d'un rapport de droit déterminé. Sauf disposition conventionnelle contraire, l'action ne peut être intentée que devant le for élu.

A teneur de l'art. 15 al. 2 CPC, lorsque plusieurs prétentions présentant un lien de connexité sont élevées contre un même défendeur, chaque tribunal compétent pour statuer sur l'une d'elles l'est pour l'ensemble.

L'on peut tirer a contrario de l'art.15 al.1 CPC que, si un tribunal est saisi pour une prétention en vertu d'une clause de prorogation de for, l'attraction de l'art. 15 al. 2 CPC est opérante pour les autres prétentions connexes (Haldy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 10 ad art. 15 CPC). En revanche, une prétention qui fait l'objet d'une clause de prorogation de for ne pourra pas être attraite à un autre for en vertu de l'art.15 al.2 CPC, cela afin de respecter la volonté commune des parties (Haldy, op. cit., n. 10 ad art. 15 CPC; Grobéty, Le cumul objectif d'actions en procédure civile suisse, 2018, n. 308 p. 193-194 et n. 545 p. 335). Si les prétentions cumulées font l'objet de prorogations de for différentes, celles-ci doivent en principe être respectées (Grobéty, in Petit commentaire, Code de procédure civile, 2020, n. 11 ad art. 15 CPC et les références citées).

En cas de pluralité de fondements d'une même prétention, il s'agit d'exclure la possibilité que le tribunal saisi ne puisse connaître que de l'élément de la demande reposant sur le fondement pour lequel sa compétence ratione loci est donnée, le demandeur étant renvoyé à agir devant un autre tribunal pour faire examiner la même prétention sous son autre fondement; le tribunal saisi doit se voir reconnaître le droit de considérer la prétention litigieuse sous tous les fondements susceptibles de l'étayer (ATF 137 III 311 consid. 5.2.1).

4.1.3 Selon l'art. 12 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou du lieu où il a son établissement ou sa succursale est compétent pour statuer sur les actions découlant des activités commerciales ou professionnelles d'un établissement ou d'une succursale.

L'art. 31 CPC prévoit que le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où la prestation caractéristique doit être exécutée est compétent pour statuer sur les actions découlant d'un contrat.

Les devoirs d'information et de conseil de la banque sont des notions à géométrie variable dont le Tribunal fédéral a été appelé à préciser les contours à diverses reprises. L'objet exact et l'étendue du devoir d'information dépendent de la nature des prestations fournies par la banque et des circonstances du cas, notamment de l'expérience et des connaissances de son client. L'on devrait ainsi plutôt parler des devoirs d'information de la banque. Ces devoirs découlent des obligations de diligence et de fidélité ancrés dans les règles du mandat (art. 398 al. 2 CO), du principe de la confiance (art. 2 CC), ou encore de l'art. 11 de la Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM; RS 954.1). Ils tendent de manière uniforme à la sauvegarde loyale des intérêts d'autrui. Ils existent tant dans les rapports précontractuels que contractuels. Dans le premier cas, leur violation fonde la responsabilité de la banque pour culpa in contrahendo. Toutefois, lorsque la violation du devoir d'information a lieu avant la conclusion d'un contrat litigieux mais que finalement ce contrat a été conclu, la responsabilité contractuelle absorbe la responsabilité précontractuelle (arrêt du Tribunal fédéral 4C_205/2006 du 21 février 2007 consid. 3.2).

4.1.4 Lorsque le Tribunal examine sa compétence, il doit d'abord examiner si les faits pertinents de la disposition légale applicable sont des faits simples ou des faits doublement pertinents, conformément aux principes jurisprudentiels développés sous le nom de "théorie de la double pertinence" (ATF 147 III 159 consid. 2).

Les faits sont simples lorsqu'ils ne sont déterminants que pour la compétence. Ils doivent être prouvés au stade de l'examen de la compétence, lorsque la partie défenderesse soulève l'exception de déclinatoire en contestant les allégués du demandeur. Les faits sont doublement pertinents ou de double pertinence lorsque les faits déterminants pour la compétence du tribunal sont également ceux qui sont déterminants pour le bien-fondé de l'action. Tel est notamment le cas lorsque la compétence dépend de la nature de la prétention alléguée, par exemple lorsque le for a pour condition l'existence d'un acte illicite ou d'un contrat. C'est à ces faits que s'applique la théorie de la double pertinence (ATF 147 III 159 consid. 2.1.1 et 2.1.2; 141 III 294 consid. 5.1 et 5.2).

Selon cette théorie, le juge saisi examine sa compétence sur la base des allégués, moyens et conclusions de la demande, sans tenir compte des objections de la partie défenderesse. L'administration des preuves sur les faits doublement pertinents est renvoyée à la phase du procès au cours de laquelle est examiné le bien-fondé de la prétention au fond. (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 141 III 294 consid. 5.2 et les références citées).

4.2 En l'espèce, le Tribunal a considéré que les prétentions de l'appelante se fondaient sur la convention swap plutôt que sur le contrat hypothécaire ou le contrat tacite de conseil allégué, sans en exposer les motifs. Il ne s'est par ailleurs pas prononcé sur les griefs de l'appelante en lien avec le fondement juridique de ses prétentions, lesquels présentent pourtant une certaine pertinence dès lors qu'ils déterminent le for applicable. Ces violations du droit d'être entendu de l'appelante peuvent toutefois être réparées par la Cour de céans, qui dispose du même pouvoir de cognition que le Tribunal, étant précisé qu'un renvoi à l'autorité précédente constituerait une vaine formalité qui aboutirait à un allongement inutile de la procédure.

En l'occurrence, le for applicable dépend du rapport de droit sur lequel reposent les prétentions litigieuses, soit le contrat de crédit hypothécaire, la convention swap ou le contrat tacite de conseil. L'appelante réclame en effet la réparation de trois postes de dommage issus de la prétendue violation, par l'intimée, d'un des trois contrats précités, qui aurait conduit l'appelante à payer un surplus d'intérêts hypothécaires en raison de l'application d'un taux LIBOR à 0% au contrat hypothécaire et, dans le même temps, d'un taux LIBOR effectif négatif à la convention swap, à se départir du contrat de financement afin de limiter ce dommage moyennant le payement d'une indemnité pour résiliation anticipée, et à mettre en œuvre une expertise privée à ses frais afin de démontrer son dommage. La violation d'un des trois contrats susmentionnés constitue un fait doublement pertinent dès lors qu'elle permet de déterminer à la fois le for applicable et le bien-fondé de l'action, qui résultera de la procédure probatoire menée au fond et de l'interprétation des contrats litigieux. Dès lors que l'appelante se prévaut principalement d'une violation du contrat de prêt hypothécaire pour fonder ses prétentions, lequel prévoit un for à Genève, respectivement d'un contrat tacite de conseils, lequel fonderait également une compétence à Genève - que ce soit sous l'angle de la responsabilité précontractuelle ayant abouti à la conclusion du contrat de prêt hypothécaire, ou d'un éventuel contrat de conseil ad hoc dont le for légal serait également à Genève -, le premier juge n'était pas fondé à écarter d'emblée sa compétence ratione loci, l'examen des prétentions sous ces angles à tout le moins étant de la compétence du juge genevois.

Le jugement entrepris sera par conséquent annulé et il sera dit que le Tribunal est compétent à raison du lieu pour connaître de la demande de l'appelante déposée à l'encontre de l'intimée. La cause lui sera retournée pour reprise de la procédure et décision sur le fond.

5.             5.1 Le Tribunal statue sur les frais en règle générale dans la décision finale (art. 104 al. 1 CPC). En cas de décision incidente (art. 237 CPC), les frais encourus jusqu'à ce moment peuvent être répartis (al. 2).

Lorsque l'autorité d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Les frais judiciaires relatif à l'incident d'incompétence seront réduits à 2'500 fr. pour la première instance, puisqu'il s'agit in fine d'une décision incidente et non pas finale (art. 23 RTFMC), et compensés avec l'avance de frais effectuée par l'appelante. Ces frais seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe entièrement sur incident d'incompétence (art. 106 al. 1 CPC).

L'intimée sera ainsi condamnée à verser 2'500 fr. à l'appelante à titre de remboursement de l'avance de frais. Les frais de conciliation, fixés et répartis dans le jugement entrepris, ne seront en revanche pas repris dans le présent arrêt et suivront le sort de la décision au fond.

L'intimée sera également condamnée à verser des dépens de première instance à l'appelante, dont le montant de 4'500 fr. TTC ne fait l'objet d'aucune critique en appel, est conforme aux dispositions légales applicables (art. 84 et 85 RTFMC; art. 23 LaCC) et sera ainsi confirmé.

5.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 23 et 36 RTFMC), mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés à hauteur de ce montant avec l'avance de frais versée par l'appelante (art. 111 al. 1 CPC), laquelle reste acquise à l'Etat de Genève. L'intimée sera par conséquent condamnée à verser 2'500 fr. à l'appelante à titre de remboursement de l'avance de frais (art. 111 al. 2 CPC) et le solde en 2'500 fr. lui sera restitué.

Les dépens d'appel, arrêtés à 5'000 fr. débours et TVA compris (art. 84, 85 et 90 RTFMC; art. 20, 23, 25 et 26 LaCC), seront également mis à la charge de l'intimée (art. 106 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 30 mai 2022 par A______ SA contre le jugement JTPI/5081/2022 rendu le 29 avril 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/17039/2020.

Au fond :

Annule ce jugement.

Dit que le Tribunal de première instance de Genève est compétent à raison du lieu pour connaître de la demande formée par A______ SA à l'encontre de B______ (SUISSE) SA.

Renvoie la cause au Tribunal pour la reprise de la procédure et décision sur le fond.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance à 2'500 fr., les met à la charge de B______ (SUISSE) SA et dit qu'ils sont compensés à hauteur de ce montant avec l'avance de frais versée par A______ SA, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence B______ (SUISSE) SA à verser 2'500 fr. à A______ SA à titre de remboursement de l'avance des frais de première instance.

Condamne B______ (SUISSE) SA à verser 4'500 fr. à A______ SA à titre de dépens de première instance.

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., les met à la charge de B______ (SUISSE) SA et dit qu'ils sont compensés à hauteur de ce montant avec l'avance de frais versée par A______ SA, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence B______ (SUISSE) SA à verser 2'500 fr. à A______ SA à titre de remboursement de l'avance des frais d'appel.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA le solde de son avance de frais en 2'500 fr.

Condamne B______ (SUISSE) SA à verser à A______ SA 5'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.