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Décisions | Chambre civile

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C/12926/2021

ACJC/1256/2021 du 04.10.2021 sur DTPI/7073/2021 ( OO ) , CONFIRME

Descripteurs : AVAFRA
Normes : CPC.98
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12926/2021 ACJC/1256/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 28 SEPTEMBRE 2021

 

Pour

1) A______ LTD, sise ______, République de Maurice,

et

2) Monsieur B______, domicilié ______, Monaco,

recourants contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 7 juillet 2021, comparant tous deux par Me Bernard HAISSLY et Me Urs SAAL, avocats, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12, en l'Étude desquels ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Le 24 juin 2021, A______ LTD et B______, déclarant agir conjointement en qualité de co-trustees de C______ (trust de droit de la République de Maurice), ont saisi le Tribunal de première instance d'une action en revendication (art. 107 LP) dirigée contre D______ LTD, portant sur neuf tableaux d'une valeur totale estimée à 25'724'702 fr., que le Tribunal a placés sous séquestre sur requête de cette dernière.

B. Par décision DTPI/7073/2021 du 7 juillet 2021, notifiée le lendemain, le Tribunal a fixé l'avance de frais à 240'000 fr., étant précisé qu'il était notamment fait référence aux art. 2, 13 et 17 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC).

C. a. Par acte déposé le 19 juillet 2021 à la Cour de justice, A______ LTD et B______ ont interjeté recours contre cette décision, dont ils sollicitent l'annulation. Ils concluent à ce que l'avance de frais soit fixée à un montant estimé entre 100'000 fr. et 200'000 fr., et à ce que l'Etat de Genève soit condamné aux frais et dépens de la procédure de recours.

Préalablement, les recourants ont requis l'octroi de l'effet suspensif au recours.

b. Par décision du 20 juillet 2021, la Cour a suspendu l'effet exécutoire attaché à la décision entreprise, compte tenu de l'existence d'un préjudice difficilement réparable en cas de non-paiement de l'avance de frais contestée.

c. Invité à se déterminer sur le recours, le Tribunal a confirmé sa décision et les principes appliqués pour fixer le montant de l'avance de frais.

d. Par avis du 23 août 2021, A______ LTD et B______ ont été informés de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC). La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC.

Interjeté dans le délai requis et selon la forme prévue par la loi (art. 321 CPC), le recours est recevable.

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. Les recourants critiquent la quotité de l'avance de frais requise en première instance, invoquant en particulier une application erronée de l'art. 13 RTFMC et la violation de directives internes du Tribunal accessibles au public.

2.1
2.1.1
Aux termes de l'art. 98 CPC, le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés.

L'avance a un double but: éviter que le demandeur puisse s'avérer insolvable ou doive être poursuivi si c'est finalement lui qui doit supporter les frais judiciaires en tout ou en partie dans le cadre de leur répartition finale, d'une part, et assurer que l'Etat n'aura pas de peine à recouvrer les montants mis à la charge du défendeur dans cette même répartition finale, l'avance en question servant au fond dans ce cas de garantie de paiement, d'autre part (Tappy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 3 ad. art. 98 CPC).

Pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévu par le droit cantonal (art. 96 CPC).

Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure et sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le RTFMC (RS GE E 1 05. 10).

La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC).

L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 100'000 fr. à 200'000 fr. pour une demande en paiement dont la valeur litigieuse porte sur un montant supérieur à 10'000'000 fr. Selon l'art. 13 RTFMC, les émoluments sont majorés de 20% en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs. Par ailleurs, si des circonstances particulières le justifient, l'émolument peut être majoré jusqu'à concurrence du double du montant maximal (art. 6 RTFMC).

D'après le Tarif interne des demandes d'avances de frais pour le TPI, adopté par la présidence du Tribunal le 28 janvier 2011 et modifié en dernier lieu le 12 octobre 2018, disponible sur le site Internet du Pouvoir judiciaire, la majoration de 20% prévue à l'art. 13 RTFMC ne peut pas conduire à la fixation d'une avance de frais supérieure à 200'000 fr. (cf. chiffre 1.2 du Tarif).

Une note à l'intention des utilisateurs du Tarif précise que celui-ci constitue un outil d'aide à la décision pour la fixation par le juge, dans le cadre des dispositions du CPC, de la LaCC et du RTFMC, du montant des avances de frais judiciaires, et qu'il ne constitue ni une source juridique ni des directives et n'a aucune force obligatoire, le juge conservant dans l'application des dispositions légales et réglementaires une large marge d'appréciation.

2.1.2 Les émoluments de justice obéissent au principe de l'équivalence (ATF 133 V 402 consid. 3.1). Ainsi, leur montant doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et rester dans des limites raisonnables. Pour que le principe de l'équivalence soit respecté, il faut que l'émolument soit raisonnablement proportionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut cependant pas un certain schématisme (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4).

Les émoluments doivent toutefois être établis selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Le taux de l'émolument ne doit pas, en particulier, empêcher ou rendre difficile à l'excès l'accès à la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_513/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1).

2.1.3 L'art. 98 CPC est une "Kann-Vorschrift", le Tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2).

L’avance de frais ne préjuge pas de la décision à rendre plus tard quant au montant des frais judiciaires (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2014 du 6 août 2014 consid. 2.1).

Par conséquent, la Cour examine la cause avec une certaine réserve. Ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du juge constitue une violation de la loi (ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014; Tappy, op. cit., n. 8 ad. art. 98 CPC).

2.2
2.2.1 Selon l'art. 70 CPC, les parties à un rapport de droit qui n’est susceptible que d’une décision unique doivent agir ou être actionnées conjointement.

C'est le droit matériel, et non le droit de procédure, qui détermine les cas dans lesquels plusieurs personnes doivent mener ensemble une procédure (ATF
138 III 737 (consid. 4.1).

Forment des consorités matérielles nécessaires actives les différentes communautés du droit civil : communauté de biens (art. 221 ss CC), indivision de famille (art. 336 s. CC), communauté héréditaire (art. 602 CC), propriété en main commune (art. 652 CC), société simple (art. 530 ss CO). 

2.2.2 Institution inconnue du droit suisse, le trust, constitué à l'étranger, est néanmoins reconnu en Suisse depuis le 1er juillet 2007 (cf. Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance; CLaH-Trust; RS 0.221.371; arrêt du Tribunal fédéral 5A_30/2020 du 6 mai 2020 consid. 3.1 et les références citées).

Le mécanisme de base du trust consiste en ce qu’une personne (le constituant; settlor) extrait des biens de son patrimoine personnel et en transfère la propriété à une autre personne (le trustee), laquelle doit les administrer dans l’intérêt d’une troisième personne, le bénéficiaire (beneficiary; Guillaume, Commentaire romand, Loi sur le droit international privé - Convention de Lugano, n. 1 ad intro. aux art. 149a-149e LDIP).

Le trustee a pour obligation de gérer le patrimoine confié et de l'utiliser dans un but établi à l'avance par le constituant. Le trust n'est pas une personne morale, de sorte qu'il n'est le propriétaire ni des biens constituant le trust, ni des revenus qui en découlent. Le propriétaire légal (legal ownership) des biens est le trustee, mais le patrimoine du trust ne se mélange toutefois pas à la fortune propre du trustee et en constitue une masse distincte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_30/2020 précité consid. 3.1). Dans un système juridique tel que la Suisse ne connaissant pas le dédoublement du droit de propriété (contrairement au système anglo-saxon, qui reconnaît au bénéficiaire une sorte de propriété économique sur les biens en trust), le trustee doit être considéré comme le seul propriétaire desdits biens. Peu importe qu’il n’en ait pas la jouissance (Guillaume, op. cit., n. 12 ad intro. aux
art. 149a-149e LDIP).

Conformément à l’art. 11 al. 2 CLaH-Trust, la reconnaissance d’un trust étranger implique notamment que le trustee puisse agir comme demandeur ou défendeur, ou comparaître en qualité de trustee devant un notaire ou toute personne exerçant une autorité publique. Il représente le trust en sa qualité de trustee. Ce dernier a ainsi qualité pour agir et pour défendre dans les affaires relevant du droit des trusts (Guillaume, op. cit., n. 44 ad art. 149a-e LDIP et n. 6 ad art. 149b LDIP; cf. également Domej, in Kurzkommentar, ZPO, 2021, n. 9 ad art. 66 ZPO; Tenchio, Basler Kommentar Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), 2017, n. 48 ad art. 66 ZPO).

L’on peut généralement assimiler la propriété des trustees sur le fonds du trust à une forme de propriété commune dont les trustees disposent en principe conjointement et à l’unanimité (Thévenoz, Trusts en Suisse, Adhésion à la Convention de La Haye sur les trusts et codification de la fiducie, 2001, p. 75).

Les co-trustees d’une Treuhänderschaft liechtensteinoise forment une consorité nécessaire en ce qui concerne les actions relatives au patrimoine fiduciaire (Thévenoz/Zobl, Le droit bancaire privé suisse 2006-2007, SZW/RSDA 4/2007, p. 312 et les références citées).

2.3
2.3.1 En l'occurrence, les recourants ne contestent pas qu'au regard de la valeur litigieuse en cause (25'724'702 fr.), l'avance de frais relative à leur action en revendication pouvait être fixée à 200'000 fr., conformément à l'art. 17 RTFMC. Ils reprochent en revanche au Tribunal d'avoir majoré de 20% l'émolument de 200'000 fr. sur la base de l'art. 13 RTFMC, alors qu'ils ne devraient, selon eux, pas être considérés comme deux demandeurs, mais plutôt comme deux représentants du trust, devant agir conjointement en justice.

Leur argumentation ne peut être suivie. Dans la mesure où le droit d'un trustee sur les biens en trust doit être qualifié de pleine propriété, il faut admettre que les recourants sont assimilables à des propriétaires en mains communes, formant une consorité nécessaire dans le cadre de leur action en justice. Conformément aux règles rappelées ci-dessus, tous deux agissent comme demandeurs, de sorte que l'art. 13 RTFMC concernant la situation d'une pluralité de demandeurs (ou de défendeurs) trouve bien application pour la fixation de l'avance de frais requise.

Par ailleurs, la circonstance que le Tarif interne du Tribunal soit accessible au public en vertu du principe de transparence consacré par la loi genevoise sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD; RS/GE A 2 08) ne lui confère aucune force contraignante (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_604/2015, 1C_606/2015 du 13 juin 2016; cf. également ACJC/298/2015 du 10 mars 2015 consid. 3.1), ce que le document en question rappelle d'ailleurs expressément à ses utilisateurs. Dès lors que le Tarif précité constitue un simple outil d'aide à la décision, qui ne lie pas les juges, et que ces derniers disposent d'un important pouvoir d'appréciation dans la fixation des frais présumables d'un procès, les critiques des recourants au sujet du non-respect du chiffre 1.2 dudit Tarif sont infondées.

La décision d'avance de frais querellée se réfère à la valeur litigieuse ainsi qu'aux art. 91ss, 98 et 101 al. 1 CPC et aux art. 2, 13 et 17 du RTFMC. Bien que cette décision soit ainsi succinctement motivée, on comprend que la Présidente du Tribunal s'est fondée sur la valeur litigieuse et le tarif qui lui est applicable. Ainsi, même brève, cette motivation est suffisante, puisqu'elle permet de comprendre les motifs sur lesquels la décision est fondée, sans qu'il soit nécessaire qu'elle expose pour quels motifs elle s'écartait des directives internes du Tribunal.

Le montant réclamé de 240'000 fr. se situe dans la fourchette prévue pour une valeur litigieuse supérieure à 10'000'000 fr., et les recourants ne soutiennent pas que l'avance requise rendrait excessivement difficile leur accès à la justice ou qu'elle violerait le principe d'équivalence.

Par conséquent, le premier juge n'a pas excédé son pouvoir d'appréciation en requérant une avance de frais de 240'000 fr., de sorte que le recours sera rejeté.

Pour le surplus, il sera rappelé qu'une éventuelle réduction ultérieure de l'avance de frais est possible, lorsqu'au cours du procès, celle-ci s'avère trop élevée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2014 du 6 août 2014 consid. 2.1 et 3.3). Au demeurant, l'avance de frais, au sens de l'art. 98 CPC, n'arrête pas ceux-ci au sens de l'art. 104 al. 1 CPC. Comme l'a rappelé à juste titre le Tribunal, c'est seulement dans la décision finale que le montant définitif de l'émolument de décision sera fixé. Le cas échéant, le montant des frais pourra être contesté à ce moment-là.

2.3.2 Le délai initialement imparti aux recourants pour s'acquitter de l'avance de frais étant échu et l'effet suspensif ayant été accordé, un délai de 30 jours dès la notification du présent arrêt leur sera imparti pour la verser.

3. Les recourants, qui succombent, seront condamnés au paiement des frais judiciaires du recours, arrêtés à 600 fr., y compris les frais pour la décision incidente de la Cour sur demande d'effet suspensif (art. 106 al. 1 CPC; art. 41, 13, 23 RTFMC), partiellement compensés par l'avance de frais, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Ils seront condamnés à verser 200 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde de frais judiciaires.

Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ LTD et B______ contre la décision DTPI/7073/2021 rendue le 7 juillet 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12926/2021.

Au fond :

Le rejette.

Impartit à A______ LTD et B______ un délai de 30 jours dès la notification du présent arrêt pour fournir l'avance de frais de 240'000 fr.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 600 fr., les met à la charge de A______ LTD et B______, pris solidairement, et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ LTD et B______ à verser 200 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde de frais judiciaires.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.