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Décisions | Sommaires

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C/19767/2022

ACJC/611/2023 du 09.05.2023 sur OTPI/865/2022 ( SP ) , JUGE

Normes : CPC.261; CC.641
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19767/2022 ACJC/611/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 9 MAI 2023

 

Entre

A______, sise ______, France, recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 23 décembre 2022, comparant par Me Pierre GABUS et Me Lucile BONAZ, avocats, Gabus Avocats, Boulevard des Tranchées 46, 1206 Genève, en l'Étude desquels elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______ (GE), intimée, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 23 décembre 2022, reçue le 3 janvier 2023 par A______ à teneur du suivi des envois de la Poste, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête formée par la précitée (ch. 1 du dispositif), révoqué l'ordonnance rendue le 13 octobre 2022 dans la présente cause (ch. 2), mis les frais judicaires, arrêtés à 1'000 fr., à la charge de A______ (ch. 3 à 5) et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6).

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 13 janvier 2023, A______ a formé appel contre cette ordonnance. Elle a conclu, principalement, à son annulation et à la confirmation des mesures superprovisionnelles prononcées le 13 octobre 2022 et, cela fait, à ce qu'il soit fait interdiction à B______ SA de remettre à tout tiers ou de disposer de toute autre manière du tableau intitulé "C______ 1960", œuvre de D______, datée de 1979, de dimensions 60,8 × 50,3 cm, actuellement entreposée dans les locaux de B______ SA à E______ [GE] et d'exécuter toute instruction de transfert, de déplacement ou tout autre acte de disposition, en particulier de modifier le titulaire dudit tableau.

b. B______ SA a conclu, avec suite de frais, préalablement, à ce qu'un délai de trois jours soit imparti à A______ pour fournir des sûretés d'un montant de 15'745 fr. 80 pour couvrir les frais d'assurance et de stockage du tableau pendant deux ans et, au fond, à ce que l'appel soit déclaré irrecevable, subsidiairement rejeté et la décision attaquée confirmée.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

A______ a déposé une pièce nouvelle.

d. Le 17 mars 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

e. Le 23 mars 2023, A______ a allégué des faits nouveaux et produit une pièce nouvelle.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. le 4 février 2020, sur instructions du 21 janvier 2020 de la société F______ SA, agissant comme intermédiaire, et sur la base d'une facture du 13 janvier 2020, A______ a procédé à un paiement de 700'000 EUR sur le compte bancaire d'un dénommé G______ en vue d'acquérir un tableau de D______, intitulé "C______ 1960 (executed circa 1979)", peint à l'acrylique et de dimensions 60,8 × 50,3 cm.

b. Conformément aux échanges de courriels entre A______, soit pour elle H______, et B______ SA, auprès de laquelle le tableau est entreposé, ce dernier devait être mis à disposition de A______, à savoir qu'il devait être entreposé dans les locaux de B______ SA à son nom, après que le propriétaire du tableau aurait reçu le paiement.

Dans le cadre de ces échanges, B______ SA a notamment indiqué à A______ le 22 janvier 2020 qu'à sa connaissance le propriétaire du tableau était une galerie dont les initiales étaient I______ et, le 7 février 2020, que le propriétaire du tableau avait connaissance de la transaction et de "Mr G______" et que l'œuvre serait remise à réception des fonds et des instructions du propriétaire.

c. Invitée à procéder au transfert de l'œuvre après paiement de la facture précitée, B______ SA n'a pas remis le tableau à A______.

Le 31 août 2022, A______ a mis en demeure B______ SA de lui remettre le tableau d'ici au 2 septembre 2022.

B______ SA a refusé de donner suite à cette mise en demeure au motif qu'à sa connaissance A______ n'était pas propriétaire du tableau, lequel était par ailleurs "judiciairement saisi".

d. Un litige oppose en effet les sociétés J______ AG et K______ LTD au sujet de la propriété de l'œuvre, la première invoquant l'avoir acquise de la seconde, qui ne la lui avait pas livrée.

Dans le cadre de ce litige, J______ AG, qui a exposé craindre que K______ LTD ne vende une seconde fois le tableau, a requis et obtenu, le 19 mars 2020, le prononcé de mesures superprovisionnelles aux termes desquelles le Tribunal a, en substance, fait interdiction à K______ LTD de déplacer, de faire déplacer, de disposer, de permettre à un tiers de disposer ou de mettre en gage, de quelque façon que ce soit, le tableau intitulé "C______", daté de 1960, peint à l'acrylique et d'un format de 60,8 × 50,3 cm, ou tout autre acte de disposition, en particulier de modifier le titulaire de l'œuvre (cause C/1______/2020).

Ces mesures superprovionnelles ont été confirmées par ordonnance de mesures provisionnelles du 3 mai 2022.

e. Par courriel du 16 juin 2022, L______ a indiqué à H______ que la situation financière de J______ AG était très obérée, et le coût de la continuation d'un procès trop élevé pour poursuivre la procédure et maintenir le blocage du tableau de D______. Il souhaitait discuter avec elle de la manière dont les fonds nécessaires pourraient être obtenus pour "garder J______ AG vivante".

f. Par acte du 13 octobre 2022, A______ a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de B______ SA.

Elle a conclu en substance à ce que le Tribunal fasse interdiction à B______ SA de remettre à tout tiers ou de disposer du tableau, ainsi que d'exécuter toute instruction de transfert, de déplacement ou tout autre acte de disposition de ce dernier, sous suite de frais.

Elle a invoqué sa qualité de propriétaire du tableau et a notamment fait valoir qu'il existait un risque concret que J______ AG n'introduise pas d'action en validation des mesures provisionnelles avant l'échéance du délai au 24 octobre 2022 qui lui avait été imparti pour ce faire dans la cause C/1______/2020, auquel cas la saisie du tableau serait levée.

g. Par ordonnance de mesures superprovisionnelles du 13 octobre 2022, le Tribunal a fait droit à la requête et, ainsi, fait interdiction à B______ SA de remettre à tout tiers ou de disposer du tableau de toute autre manière, à l'égard du tableau intitulé "C______ 1960", œuvre de D______, datée de 1979, de dimensions 60.8 x 50.3 cm, peint à la peinture acrylique, actuellement entreposé dans les entrepôts de B______ SA à E______ [GE], et fait interdiction à B______ SA d'exécuter toute instruction de transfert, de déplacement ou tout autre acte de disposition, en particulier de modifier le titulaire de l'œuvre déposée auprès d'elle, soit le tableau intitulé "C______ 1960".

h. Dans ses déterminations écrites du 18 novembre 2022, B______ SA a conclu, sous suite de frais, au rejet de la requête, subsidiairement, à ce que A______ soit astreinte à fournir des sûretés de 15'745 fr. 80.

Elle a notamment exposé que l'œuvre litigieuse était entreposée dans ses locaux pour le compte de son propriétaire, M______. Ce dernier s'acquittait des frais d'entreposage. Depuis le prononcé des mesures superprovisionnelles dans le cadre de la procédure opposant J______ AG et K______ LTD, le tableau était bloqué en ses mains, de sorte que l'urgence faisait défaut.

i. Au cours de l'audience qui s'est tenue le 19 décembre 2022, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

A l'issue de cette audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

j. Dans son ordonnance du 23 décembre 2023, le Tribunal a considéré, en premier lieu, qu'en sa qualité de dépositaire, B______ SA ne disposait pas de la légitimation passive, l'action au fond devant le cas échéant être dirigée contre la personne ayant prétendument vendu l'œuvre. D'autre part, A______ n'avait pas rendu vraisemblable que J______ AG n'aurait pas validé les mesures provisionnelles et que, par conséquent, la saisie sur le tableau risquait d'être prochainement levée.

EN DROIT

1. 1.1 L'ordonnance querellée constitue une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) susceptible de faire l'objet d'un appel pour autant que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions prises devant l'autorité de première instance atteigne 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CO).

En l'espèce, la valeur litigieuse correspond à la valeur du tableau visé, estimée à 700'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'appel a été formé dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 1, 248 let. d et 314 al. 1 CPC) et respecte les exigences de forme prescrites par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC). Il est par conséquent recevable.

1.3 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, un moyen de preuve nouveau n'est pris en compte au stade de l'appel que s'il est produit sans retard (let. a) et qu'il ne pouvait l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). A partir du début des délibérations, les parties ne peuvent toutefois plus introduire de nova, même si les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sont réunies. La phase des délibérations débute dès la clôture des débats, s'il y en a eu, respectivement dès que l'autorité d'appel a communiqué aux parties que la cause a été gardée à juger (ATF 142 III 413 consid. 2.2.3-2.2.6; arrêts du Tribunal fédéral 5A_290/2020 du 8 décembre 2020 consid. 3.3.5; 5A_478/2016 du 10 mars 2017 consid. 4.2.2; 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.1.2).

Les pièces nouvelles produites par les parties, établies après que le Tribunal a gardé la cause à juger, sont recevables, à l'exception de la pièce nouvelle déposée par l'appelante le 23 mars 2023, après que la cause a été gardée à juger.

1.4 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

En outre, dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).

2. L'appelante soutient que l'intimée dispose de la légitimation passive. Dans le cadre d'une action en revendication, la qualité pour défendre appartient à toute personne qui détient la chose litigieuse. L'intimée soutient pour sa part que le tableau est stocké pour le compte de son propriétaire, M______, et qu'elle ne peut rien faire sans l'autorisation préalable de ce dernier. Elle n'a aucune maîtrise, ni pouvoir de fait sur celui-ci.

2.1
2.1.1
La qualité pour agir (communément qualifiée de légitimation active) ou la qualité pour défendre (communément qualifiée de légitimation passive) relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.2; 130 III 417 consid. 3.1 et 3.4; 126 III 59 consid. 1a; 125 III 82 consid. 1a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_397/2018 du 5 septembre 2019 consid. 3.1; 4A_619/2016 du 15 mars 2017 consid. 3). Le défaut de qualité pour agir ou pour défendre entraîne le rejet de la demande (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_560/2015, précité, consid. 4.1).

2.1.2 Le contrat de dépôt se définit comme le contrat par lequel une personne s’engage à recevoir, à garder en lieu sûr et à restituer une chose mobilière que lui confie l’autre partie (art. 472 al. 1 CO). Le contrat d’entrepôt, qui est une forme de dépôt qualifié, se qualifie de manière générale comme l’accord conclu à titre onéreux, par lequel l’entrepositaire offre publiquement et à titre professionnel de recevoir des marchandises en dépôt et s’oblige à assurer la conservation desdites choses mobilières confiées par le déposant (ou entreposant) dans des bâtiments et au moyen d’installations destinés à cette activité (art. 482 CO; Braidi/Barbey, Commentaire romand, CO I, 3ème éd., 2021, n. 3 ad art. 482 CO). Tant le dépositaire que l’entrepositaire acquièrent la possession immédiate et dérivée des marchandises, tandis que le déposant et l’entreposant conservent la possession médiate et originaire de celles-ci (Braidi/Barbey, op. cit., n. 19 ad art. 472 et n. 5 ad art. 482 CO).

2.1.3 Selon l'art. 641 CC, le propriétaire d’une chose a le droit d’en disposer librement, dans les limites de la loi (al. 1); il peut la revendiquer contre quiconque la détient sans droit et repousser toute usurpation (al. 2).

Dans le cadre de l'action en revendication, la qualité pour agir appartient au propriétairede l’objet revendiqué, ou, plus précisément, à celui qui allègue être propriétaire, alors que la qualité pour défendre compète à celui qui possède le bien revendiqué lors de l’ouverture de l’action (Foëx, in Commentaire romand, CC II, 2016, n. 30 ad art. 641 CC). Il s’agira en principe du possesseur immédiat, mais l’action peut également être intentée contre le possesseur médiat (Foëx, op. cit., n. 30 ad art. 641 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_583/2012 du 6 décembre 2012, consid. 3.1.1). Le défendeur doit détenir la chose sans droit, à savoir que lui, ou celui pour lequel il possède à titre dérivé au sens de l'art. 922 CC, ne doit pas être titulaire d’un droit opposable au demandeur lui permettant de refuser la restitution de la chose (Foëx, op. cit., n. 32 ad art. 641 CC).

2.2 En l'espèce, l'intimée prétend dans le cadre de la présente procédure que le propriétaire du tableau, M______, en conserve la maîtrise exclusive et qu'elle ne fait que mettre à sa disposition un lieu de stockage. Dans la mesure toutefois où le tableau litigieux est entreposé dans ses locaux, elle en a la possession immédiate et ainsi la maîtrise de fait lui donnant la possibilité matérielle de s'en dessaisir, le cas échéant, que ce soit par une décision de sa part ou sur instruction de M______ ou d'un tiers. Il ressort en outre des propres explications de l'intimée dans son courriel du 22 janvier 2020 que le propriétaire du tableau ne serait pas M______, comme elle l'allègue dans le cadre de la présente procédure, mais une galerie.

Il doit dès lors être considéré que l'intimée possède le tableau litigieux et qu'elle dispose dès lors vraisemblablement de la légitimation passive, contrairement à ce que le Tribunal a considéré.

3. L'appelante conteste le fait que la saisie antérieure du tableau par un tiers suffise à protéger ses intérêts.

3.1
3.1.1 Le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice et notamment prononcer une interdiction (art. 262 let. a CPC).

Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 23 ad art. 261 CPC)

Ainsi, le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 7 ad art. 261). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Le risque de préjudice difficilement réparable implique l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC). L'urgence est une notion relative qui comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances. Elle est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 = JdT 1992 I p. 122; Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).

3.1.2 Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté, mais qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le fait en cause soit rendu probable, sans qu'il doive pour autant exclure la possibilité que les faits aient aussi pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618, SJ 2005 I 514; ATF 120 II 393 consid. 4c; ATF 104 Ia 408).

La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).

3.1.3 L’action en revendication permet au propriétaire de réclamer la restitution du bien qui fait l’objet de son droit (Foëx, op. cit., n. 28 ad art. 641 CC). L’action est subordonnée à la réalisation de deux conditions matérielles, à savoir que le demandeur est propriétaire de la chose et le défendeur la détient sans droit (Foëx, op. cit., n. 31 ad art. 641 CC).

Lorsque ces conditions sont réunies, le demandeur peut obtenir que le défendeur soit condamné à lui restituer la chose (Foëx, op. cit., n. 35 ad art. 641 CC).

3.2 En l'espèce, le paiement de la facture relative au tableau litigieux rend suffisamment vraisemblable, à ce stade, la qualité de propriétaire de l'appelante, quand bien même une autre procédure oppose deux parties dont l'une se prétend également propriétaire du même tableau. En retenant ce tableau contre la volonté de l'appelante, l'intimée le détient vraisemblablement sans droit. Le droit matériel de l'appelante est dès lors rendu vraisemblable.

L'appelante est par ailleurs susceptible de subir un préjudice difficilement réparable si l'intimée remettait le tableau à un tiers, auprès duquel, il pourrait être difficile de le récupérer, même si son identité était connue, ce qui ne serait, par ailleurs, pas nécessairement le cas.

L'intimée relève en outre dans sa réponse à l'appel qu'elle ne maîtrise pas les objets stockés par ses clients et qu'elle ne peut pas donner de garantie à l'appelante quant au maintien du tableau dans son lieu de stockage actuel. Il doit donc en être déduit que le tableau pourrait quitter ses locaux et ce, à n'importe quel moment, de sorte que la condition de l'urgence est remplie.

L'intimée a certes déjà l'interdiction de donner suite à des instructions tendant à ce que le tableau soit déplacé selon la décision du Tribunal rendue dans la cause C/1______/2020. L'appelante n'est cependant pas partie à cette procédure et ne serait pas informée d'une éventuelle levée de cette interdiction. La protection des droits de l'appelante ne peut pas dépendre du sort d'une autre procédure dont elle ne sera pas informée de l'issue et sur laquelle elle n'a aucune maîtrise. Le fait que le tableau soit déjà saisi ne fait pas obstacle à une seconde saisie dans la mesure où un objet peut faire l'objet de plusieurs mesures de blocage, pour des motifs distincts. Il convient par ailleurs de relever que le tableau de la série "C______" visé par la présente procédure – qui comprend certes le chiffre 1960 dans son titre – est daté de 1979, alors que celui visé par l'autre procédure est daté de 1960 à teneur du dispositif de l'ordonnance du Tribunal du 3 mai 2022 dans la cause C/1______/2020.

Au vu de ce qui précède, les conditions pour le prononcé des mesures provisionnelles requises, qui apparaissent proportionnées, sont remplies, de sorte qu'il sera fait droit à l'appel.

4. L'intimée réclame le versement de sûretés d'un montant de 15'745 fr. 80 destiné à couvrir les frais d'assurance et de stockage du tableau pendant deux ans.

4.1 En vertu de l'art. 264 al. 2 CPC, le requérant répond du dommage causé par des mesures provisionnelles injustifiées. Compte tenu de cette responsabilité, la loi permet au tribunal de l'astreindre à fournir des sûretés, en garantie du dommage que les mesures provisionnelles risquent de causer à la partie adverse (art. 264 al. 1 CPC). L'astreinte à la fourniture de sûretés est une faculté conférée au juge, lequel dispose d'une certaine marge d'appréciation. L'exigence de sûretés dépend des circonstances de l'espèce. Elles supposent une pesée des intérêts en présence et se fondent sur la vraisemblance du dommage. Leur montant doit être fonction du préjudice que risque de subir la partie contre laquelle les mesures sont ordonnées. Les sûretés s'imposent assez naturellement en cas d'exécution anticipée, alors qu'il se justifie d'y renoncer lorsque les mesures provisionnelles requises n'ont pas d'autre but que le maintien d'une situation conforme au droit. Le rapport de causalité – à rendre aussi vraisemblable – doit être direct entre les mesures provisionnelles et le dommage potentiel (arrêt du Tribunal 5A_244/2020 du 27 août 2020, consid. 3.1).

4.2 En l'espèce, l'intimée fonde sa requête de sûretés sur sa crainte que celui qu'elle désigne comme le propriétaire du tableau cesse de payer divers frais. Le tableau fait toutefois déjà l'objet d'une mesure judiciaire depuis le 19 mars 2020 sans que ledit propriétaire n'ait renoncé à s'acquitter des frais engendrés par le stockage du tableau. L'intimée fait état d'un risque qu'elle envisage, sans que ledit risque ne se fonde sur aucun élément concret. L'intimée n'a dès lors pas rendu vraisemblable que les mesures prononcées à la requête de l'appelante sont susceptibles de lui causer un dommage.

L'intimée sera dès lors déboutée de ses conclusions en fourniture de sûretés.

5. Les frais judicaires seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Le montant de 1'000 fr. fixé par le Tribunal n'a pas été contesté et les frais d'appel seront fixés au même montant (art. 26 et 40 RTFMC). L'intimée sera condamnée à verser 2'000 fr. à l'appelante, les avances versées par cette dernière restant acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 et 2 CPC).

L'intimée sera également condamnée à verser des dépens à l'appelante, arrêtés à 3'000 fr. pour la première instance et 1'500 fr. pour la seconde, eu égard à la valeur litigieuse ainsi qu'à l'ampleur et à la difficulté du travail nécessaire, débours compris, mais sans TVA eu égard au siège à l'étranger de l'appelante (art. 20, 23, 25 et 26 LaCC; art. 85, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre l'ordonnance OTPI/865/2022 rendu le 23 décembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19767/2022-SP.

Au fond :

Annule cette ordonnance et cela fait, statuant à nouveau :

Fait interdiction à B______ SA de remettre à tout tiers ou de disposer de toute autre manière du tableau intitulé "C______ 1960", œuvre de D______, daté de 1979, de dimensions 60,8 × 50,3 cm., peint à la peinture acrylique, actuellement entreposée dans les locaux de B______ SA à E______.

Fait interdiction à B______ SA d'exécuter toute instruction de transfert, de déplacement ou tout autre acte de disposition, en particulier de modifier le titulaire, de l'œuvre précitée.

Impartit à A______ un délai de 90 jours à compter de la notification du présent arrêt pour faire valoir son droit en justice, sous peine de caducité des mesures ordonnées.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance et d'appel à 1'000 fr. pour chaque instance, les met à la charge de B______ SA et dit qu'ils sont compensés avec les avances fournies par A______, qui restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne B______ SA à payer à A______ la somme de 2'000 fr. à titre de frais judiciaires de première instance et d'appel.

Condamne B______ SA à payer à A______ la somme de 4'500 fr. à titre de dépens de première instance et d'appel.

Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.