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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19582/2018

ACPR/831/2022 du 24.11.2022 sur OCL/873/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;COMPÉTENCE
Normes : CPP.319; CP.4; CP.5; CP.6; CP.7

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19582/2018 ACPR/831/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 24 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié Résidence I______, ______ [GE], agissant par sa curatrice,
Me J______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 29 juin 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 14 juillet 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 29 juin 2022, notifiée le 4 juillet 2022, par laquelle le Ministère public a classé la procédure P/19582/2018.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance, à ce qu'il soit enjoint au Ministère public de reprendre la procédure en procédant à l'audition et la mise en prévention du dénommé "B______" [petit nom], dont l'identité était connue de l'association C______ [aide aux jeunes en difficulté], pour les infractions aux art. 191, 189 et 180 CP, et à l'audition de la Dresse D______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 5 juin 2018, E______, mère de A______, né le ______ 2004, de nationalité suisse – présentant le syndrome d'Asperger (trouble de l'autisme sans déficience intellectuelle), selon expertise du 19 septembre 2018 – a été entendue par la police.

Elle a expliqué que la situation avec son fils était difficile et que, sur proposition du Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi), il avait suivi un "séjour de rupture" au Maroc, du 1er au 15 mai 2018, organisé par l'association C______. Le lendemain de son retour, il avait commencé à lui raconter son inquiétude car il avait dit une insulte: "il va m'enculer". Par bribes, il lui avait raconté ce qui s'était passé durant son voyage. L'un des deux éducateurs l'accompagnant, "B______", avait dormi dans le même lit que lui et il avait senti le genou de "B______" au niveau de son postérieur. Le lendemain, il était "vraiment bizarre", en désignant son fessier et un liquide avait coulé de son pénis. Dans la chambre d'hôtel, il ne pouvait pas verrouiller la porte de la salle de bain et "B______" était entré alors qu'il était nu. Durant le séjour, il avait été ausculté pour des douleurs à l'anus, sans qu'aucune lésion ne soit constatée. À la sortie de la consultation, les deux accompagnants, "F______" [petit nom] et "B______", lui avaient dit qu'il irait en prison, s'il parlait de cela.

Avant le séjour, A______ connaissait déjà ses accompagnateurs. Il avait séjourné chez "F______" le Noël précédent, ainsi qu'à Pâques. À cette dernière occasion, il y avait rencontré "B______".

À l'issue de son audition, E______ a déposé plainte en raison de ces faits.

b. Auditionné, le même jour, selon le protocole EVIG, A______ a expliqué qu'il connaissait "F______" et "B______" lors d'une précédente prise en charge par l'association C______. "B______" vivait dans une villa à quelques kilomètres de G______ [France] ou de H______, en France, et avait de la famille au Maroc. On lui avait dit qu'il était gardien de prison.

Il a, en substance, confirmé les faits dénoncés par sa mère. Il a précisé qu'au Maroc, il avait partagé un grand lit avec "B______" et lorsqu'il s'était levé, il avait senti un "truc bizarre" et "un peu mou" entre ses fesses. Durant la nuit, il n'avait rien vu, ni senti, ayant un sommeil très profond. "B______" lui avait alors demandé d'aller prendre une douche et l'avait rejoint dans la salle de bain alors qu'il était nu. Il n'était jamais arrivé qu'il éjacule sans qu'il ne fasse quoique ce soit. Lorsqu'il avait dit "il m'a enculé" à "F______", parlant de "B______", on lui avait dit qu'il pourrait aller en prison au Maroc pour ces paroles et que plusieurs personnes avaient déposé plainte contre lui.

À son retour du Maroc, il avait tout raconté à sa mère et à sa psychiatre, la Dresse D______.

c. Par ordonnance du 18 septembre 2019, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre inconnu pour violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 CP) et menaces (180 CP).

d. Par décision du 21 décembre 2020, Me J______ a été nommée en qualité de curatrice de représentation de A______ dans le cadre de la présente procédure.

e. Au cours de la procédure, divers actes d'enquête ont été menés, en particulier, une expertise de crédibilité des allégations de A______. Selon le rapport du 20 mai 2021, confirmé par les experts lors de l'audience du Ministère public le 13 octobre 2021, les déclarations du concerné étaient jugées plutôt crédibles "mais ne décrivent aucun abus en tant que tel".

f. "F______", identifié comme étant F______, éducateur pour l'association C______, domicilié en France, à H______, a été entendu par le Ministère public le 31 janvier 2022. Il a expliqué que le dénommé "B______" était un ami se prénommant B______ qui était gardien de prison et avait 40 ou 45 ans. Il a contesté les accusations portées à l'encontre de celui-ci. B______ n'avait jamais dormi avec A______, ni même partagé le même lit; il n'avait pas été laissé seul avec le mineur; et il n'avait pas pu regarder la région péri-anale de celui-ci. En outre, durant le séjour, A______ n'était pas allé consulter de médecin et ne lui avait jamais dit "B______ va m'enculer".

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère qu'aucun élément au dossier ne permettait d'établir à suffisance de droit la survenance des faits dénoncés. Aucun élément matériel objectif ne venait accréditer les déclarations des parties plaignantes. Il ne pouvait dès lors objectivement se baser sur la seule version de celles-ci pour fonder une prévention pénale à l'endroit d'un ou plusieurs prévenus (art. 319 al. 1 let. a CPP).

D. a. Dans son recours, A______ reproche, en substance, au Ministère public
de ne pas avoir procédé aux auditions sollicitées – l'auteur présumé et la Dresse D______ –.

Dans le cadre de son audition EVIG, dont les déclarations avaient été jugées "plutôt crédibles" par les experts, il avait donné suffisamment d'éléments permettant de comprendre qu'il avait potentiellement été victime d'un abus sexuel. Les charges contre le dénommé "B______" étaient alors suffisantes et le Ministère public aurait dû le mettre en prévention pour infraction à l'art. 191 CP (actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance), subsidiairement à l'art. 189 CP (contrainte sexuelle), ainsi que pour infraction à l'art. 180 CP.

b. Le Ministère public conclut à la confirmation de son ordonnance.

c. A______ persiste dans son recours.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui, agissant par son représentant légal (art. 106 al. 2 CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche, en substance, au Ministère public de ne pas avoir ouvert une instruction contre "B______" pour les chefs d'infractions aux art. 180, 189 et 191 CP.

Le recours étant limité aux faits dénoncés à l'égard de "B______", seule la situation vis-à-vis de celui-ci sera analysée.

Toutefois, dans la mesure où les faits reprochés au dénommé "B______" se seraient produits au Maroc, la question du for doit être examinée d'emblée et d'office par l'autorité de recours.

2.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 let. d CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'il est établi que certaines conditions à l'ouverture de l'action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus.

L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder au sens de cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1).

2.2. Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

2.3. La compétence en raison du lieu de la Suisse pour des infractions commises à l'étranger est régie par les art. 4 à 7 CP.

Plus particulièrement, l'art. 4 CP traite de la compétence du juge suisse pour tout crime ou délit commis par un Suisse ou un étranger contre l'État Suisse; l'art. 5 CP pour toute infraction commise par un Suisse ou un étranger sur des mineurs; l'art. 6 CP pour tout crime ou délit, commis par un Suisse ou un étranger que la Suisse s'est engagée à poursuivre en vertu d'un accord international; et l'art. 7 CP pour tout crime ou délit commis par un Suisse ou un étranger qui ne répond pas aux conditions des art. 4 à 6 CP.

2.4. Pour que les art. 5 à 7 CP trouvent application, il faut que l'auteur se trouve en Suisse. Il suffit qu'il soit présent, sur le territoire helvétique, au moment de l'ouverture de la poursuite et ne soit pas extradé. Sa présence peut aussi intervenir à n'importe quel autre stade de la procédure (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2011.140 du 25 juillet 2012 consid. 3.1.).

2.4.1. La poursuite complètement in absentia n'est pas prévue par les articles précités, qui ne permettent pas que des procédures soient menées à terme en l'absence complète d'un auteur en Suisse (ATF 108 IV 145 consid. 3 JdT 1984 IV 2).

Si des plaignants rendent vraisemblable que l’auteur d’un crime ou d’un délit de la compétence des autorités suisses se trouve sur le territoire suisse, ou est susceptible de se rendre en Suisse dans un futur plus ou moins proche, les autorités doivent procéder aux investigations d’usage en vue d’une éventuelle arrestation et elles ne peuvent se prévaloir de l’absence de l’auteur présumé en Suisse pour décliner toute compétence, et donc toute investigation, ce qui constituerait un véritable déni de justice.

À l’inverse, lorsque l’auteur n’a que peu de chance de venir prochainement en Suisse, les autorités peuvent se contenter d’enregistrer la plainte et suspendre la poursuite pénale ou y renoncer, sous réserve de la conservation des preuves, les poursuites pouvant être réactivées si l’auteur vient ultérieurement en Suisse (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 29b et 30 ad art. 6).

2.4.2. S'agissant des mots "et qui n'est pas extradé", dans une affaire portant sur l'art. 19 al. 4 LStup, mais sur des termes identiques, le Tribunal fédéral a retenu qu'ils doivent être compris comme énonçant le simple fait que l'auteur n'est pas extradé. Ce fait doit être considéré indépendamment de ses motifs ; il peut résulter, par exemple, du silence de l'État étranger, qui ignore peut-être que des infractions ont été commises sur son territoire (ATF 116 IV 244 c. 4a, in SJ 1991 137).

2.5. L'art. 7 al. 1 CP, dont la compétence est subsidiaire, prévoit alternativement la compétence des autorités judiciaires suisses, si l'auteur est remis à la Suisse en raison de cet acte (let. b).

2.6. En l'espèce, il ressort des éléments au dossier que le véritable nom du dénommé "B______" est B______ [prénom et nom], qu'il vit en France et y travaillerait comme gardien de prison. Rien ne laisse ainsi supposer qu'il se trouverait en Suisse ou qu'il s'y rendrait dans un futur proche, ni même qu'il serait remis à la Suisse en raison des actes dénoncés, ce qui, au demeurant, n'est nullement allégué. À cet égard, la France n'extrade pas ses ressortissants et dans la mesure où une des conditions à la fonction de surveillant pénitentiaire est la nationalité française (cf. https://www.police-nationale.net/surveillant-penitentiaire/#concours-surveillant-penitentiaire), l'intéressé ne paraît pas pouvoir être remis à la Suisse.

Dans ces circonstances et compte tenu que les faits dénoncés se sont produits au Maroc, la compétence ratione loci des autorités judiciaires pénales suisses fait manifestement défaut.

3.             Partant, le recours doit être rejeté et la décision de classement, confirmée par substitution de motifs.

4.             Les frais seront laissés à la charge de l'État (art. 136 al. 2 let.b CPP).

5.             Me J______, curatrice du recourant, ne revêt pas le statut de défenseur d'office, si bien qu'elle ne saurait se voir allouer de dépens en application du CPP.

Il lui appartiendra de soumettre ses honoraires au TPAE, seule autorité compétente pour statuer à leur sujet (cf. art. 404 al. 2 CC et art. 6 et 10 du Règlement genevois fixant la rémunération des curateurs [RCC; E1.05.15]), à l'exclusion de la Chambre de céans (ACPR/457/2020 du 30 juin 2020 consid. 7; ACPR/456/2018 du 20 août 2018 consid. 5).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui sa curatrice, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).