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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/826/2022

ACPR/828/2022 du 23.11.2022 sur OCL/657/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;TORT MORAL;AVOCAT;HONORAIRES
Normes : CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/826/2022 ACPR/828/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 23 novembre 2022

 

Entre

A______, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 23 mai 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 7 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 mai 2022, notifiée le 25 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement de la procédure (ch. 1 du dispositif), a refusé de lui allouer une indemnité pour ses frais de défense et un montant à titre de réparation du tort moral (art. 430 al. 1 let. a CPP; ch. 3) et l'a condamné aux frais de la procédure arrêtés à CHF 530.- (art. 426 al. 2 et art. 430 al. 1 let. a CPP; ch. 4).

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que l'État soit condamné à lui verser CHF 200.- à titre de réparation du tort moral avec intérêts à 5% dès le 12 janvier 2022, CHF 2'261.70 pour ses frais de défense de première instance et CHF 969.70 pour ceux devant la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À teneur du rapport d'arrestation du 12 janvier 2022, la police a, à 15h. 19, interpellé A______, qui cheminait à la rue de Zürich, lequel s'est légitimé au moyen de son passeport sénégalais. La fouille effectuée sur lui a permis la découverte de la somme de CHF 650.-. Il était inconnu du système SYMIC (système d'information central sur la migration) et l'examen AFIS (système automatique d’identification des empreintes digitales) était négatif; il ne faisait pas l'objet "d'une procédure Dublin".

Le prévenu a déclaré être venu en Suisse pour la première fois au mois de décembre 2020 pour travailler; il était reparti plusieurs fois en Italie ou en France. L'argent trouvé sur lui provenait de son travail au noir à C______ [France] et il l'avait changé en francs suisses.

Le formulaire de situation personnelle et financière précise sous statut de l'étranger: "touriste/ présence légale sans permis d'établissement ou de séjour". Dans le formulaire d'éloignement, A______ a communiqué son adresse en Italie. Dans son dépôt, du 12 janvier 2022, se trouvaient une carte d'identité italienne et un passeport sénégalais à son nom.

b. Par ordonnance pénale du 13 janvier 2022, le prévenu a été condamné pour infraction à l’art. 115 al. 1 let. a et b LEI, pour avoir, depuis une date indéterminée et indéterminable au mois de décembre 2020 et jusqu'au 12 janvier 2022, jour de son interpellation, pénétré à plusieurs reprises sur le territoire suisse, en particulier à Genève, et d'y avoir séjourné en étant démuni des autorisations nécessaires.

Il a été remis en liberté le même jour à 14h59.

Le 19 janvier 2022, le prévenu, par son conseil, a formé opposition.

c. Par ordonnance du 14 avril 2022, le Procureur a refusé de lui accorder une défense d'office.

d. À l'audience sur opposition du 26 avril 2022, le prévenu a contesté les faits reprochés. Il était au bénéfice d’un passeport sénégalais et d’une carte d’identité italienne valables qu'il avait sur lui lors de son arrestation. Par ailleurs, il travaillait à C______ et disposait de moyens de subsistance suffisants. Il avait été victime d'un délit de faciès de la part des policiers.

Il a remis une copie de son permis de séjour italien.

e. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 9 mai 2022, le Ministère public a informé le prévenu qu'une ordonnance de classement serait prochainement rendue à son égard et lui a imparti un délai pour présenter ses éventuelles réquisitions de preuves ou demande d'indemnité.

f. Dans le délai imparti, le prévenu a sollicité la somme de CHF 2'261.70 à titre de frais de défense ainsi que la somme de CHF 200.- pour tort moral, en lien avec sa détention.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a classé la procédure, constatant que A______ était en droit de pénétrer sur le territoire suisse et d'y séjourner pendant trois mois, dès lors qu'il disposait d’un passeport sénégalais, de sa carte d’identité italienne et de son permis de séjour italien valables ainsi que des moyens de subsistance nécessaires. Ainsi, les éléments constitutifs d'infractions à l'art. 115 al. 1 let. a et b LEI n'étaient pas réunis (art. 319 al. 1 let. b CPP).

Il a refusé de lui allouer une indemnité ou la réparation de son tort moral au sens de l'art. 429 CPP, dans la mesure où il n'avait pas l’entier de ses documents d'identité sur lui au moment de son interpellation et qu'il avait dès lors provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure pénale (art. 430 al. 1 let. a CPP). Il a mis les frais de procédure à la charge du prévenu car il avait, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ allègue le refus des policiers de vérifier s'il vivait et travaillait en France, sa privation inutile de liberté et sa non-audition par le Ministère public avant la notification de l'ordonnance pénale. Il disposait d'autorisations pour entrer et séjourner en Suisse. C'étaient les policiers et le Ministère public qui avaient inutilement provoqué l'ouverture de la procédure et rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

b. Le Ministère public persiste dans les termes de son ordonnance.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des points du dispositif d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2;
137 IV 352 consid. 2.4.2).

Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue. En revanche, si l'État supporte les frais de la procédure pénale, le prévenu a en principe droit à une indemnité selon l'art. 429 CPP (ATF 137 IV 352 précité, consid. 2.4.2).

2.2. En vertu de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1; cf. art. 426 al. 3 let. a CPP). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées).

2.3. Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires de ce conseil, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1).

Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif local, à condition qu'ils restent proportionnés (N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung: Praxiskommentar, 2e éd., Zurich 2013, n. 7 ad art. 429).

2.4. L'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité, notamment lorsque les dépenses du prévenu sont insignifiantes (art. 430 al. 1 let. c CPP). Cette exclusion repose implicitement sur la certitude que l'ouverture d'une enquête pénale fait partie des aléas ordinaires de la vie, dont la réalisation n'entraîne pas automatiquement l'indemnisation pour des raisons de solidarité collective (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 430).

Toutefois, la réduction, voire la suppression, de l'indemnisation du fait de la modicité du dommage subi doit être appréhendée restrictivement, car le fait d'être soupçonné d'avoir commis quelque infraction reste encore un évènement exceptionnel (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 9 ad art. 430).

2.5. Selon l'art. 429 al. 1 let. c CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéfice d'une ordonnance de classement, il a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

L'art. 429 CPP fonde un droit à des dommages et intérêts et à une réparation du tort moral résultant d'une responsabilité causale de l'État. La responsabilité est encourue même si aucune faute n'est imputable aux autorités. L'État doit réparer la totalité du dommage qui présente un lien de causalité avec la procédure pénale, au sens du droit de la responsabilité civile (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1). Le lien de causalité s'apprécie selon les principes de la causalité naturelle et adéquate et selon le degré de la haute vraisemblance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 2, non publié in ATF 142 IV 163 et la référence citée).

L'indemnité pour tort moral sera régulièrement allouée si le prévenu s'est trouvé en détention provisoire ou en détention pour des motifs de sûreté (ATF 143 IV 339 consid. 3.1).

Selon la jurisprudence, un montant de CHF 200.- par jour en cas de détention injustifiée de courte durée constitue une indemnité appropriée, dans la mesure où il n'existe pas de circonstances particulières qui pourraient fonder le versement d'un montant inférieur ou supérieur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_909/2015 du 22 juin 2016 consid. 2.2.1).

2.6. En l'occurrence, le motif de la mise à sa charge des frais et le refus d'indemnité est que le recourant n'avait pas "l’entier" de ses documents d'identité sur lui au moment de son interpellation, ce que le Procureur retenait comme étant illicite et fautif. Cet état de fait est contredit par les éléments du dossier en main du Ministère public. Lors de son arrestation, l'intéressé s'est annoncé comme étant un touriste et déclaré travailler en France; il a présenté son passeport sénégalais et était en possession de sa carte d'identité italienne lesquels ont tous deux été placés dans son dépôt. C'est d'ailleurs en constatant la validité de ses documents que le Procureur a ordonné le classement.

Il en résulte que les frais de première instance, résultant d'une mauvaise analyse du dossier, seront laissés à la charge de l'État (art. 423 CPP). Partant, le chiffre 4 du dispositif de l'ordonnance querellée sera annulé.

Si le respect du double degré de juridiction doit conduire à renvoyer la cause à l'autorité précédente pour qu'elle se détermine en premier ressort sur l'indemnité (art. 429 CPP), ce détour paraît inutile en l'espèce (art. 397 al. 2 CPP).

En effet, les frais d'avocat (art. 429 al. 1 let. a CPP) que le prévenu a dû débourser pour sa défense ne sauraient être qualifiés d'insignifiants au sens de l'art. 430 al. 1 let. c CPP et doivent dès lors faire l'objet d'une indemnisation. Le classement est en effet intervenu après une audience devant le Ministère public à laquelle le prévenu a comparu assisté de son conseil.

L'indemnité réclamée pour 4h 40 d'activité de son conseil correspond à deux entretiens avec le client, la participation à une audience, et divers courriers justifiés, au tarif horaire de CHF 450.-. Cette indemnité sera accordée, soit CHF 2'100.- sans la TVA, le recourant n'étant pas domicilié en Suisse.

En outre, le recourant a droit à une indemnité de CHF 200.-, comme il la réclame, pour la journée de détention qu'il a subie (art. 429 al. 1 let. c CPP).

Partant, le chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée sera annulé et le recourant se verra allouer une indemnité de CHF 2'100.-, sans TVA, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits dans la procédure préliminaire et une autre de CHF 200.-, avec intérêts à 5% dès le 12 janvier 2022, pour tort moral.

3.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

4.             Le recourant, qui obtient gain de cause, a également demandé l'octroi de dépens en CHF 900.-, justifiés par un état de frais, et qui lui seront alloués hors TVA.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule les chiffres 3 et 4 du dispositif de l'ordonnance querellée.

Alloue à A______ à la charge de l'État, une indemnité de CHF 200.-, avec intérêts à 5% dès le 12 janvier 2022, pour tort moral.

Alloue à A______ à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'100.-, hors TVA, pour la procédure préliminaire.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 900.-, hors TVA, pour la procédure de recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).