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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4749/2022

ACPR/788/2022 du 10.11.2022 sur ONMMP/1990/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;ACCIDENT DE LA CIRCULATION;PRIORITÉ(CIRCULATION)
Normes : CP.125; LCR.26; LCR.36.al4; CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4749/2022 ACPR/788/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 10 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me B______, avocat, C______, ______, Genève,

recourant,

contre les deux ordonnances de non-entrée en matière rendues le 14 juin 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. Par acte expédié le 27 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte du 19 janvier 2022, pour lésions corporelles par négligence (art. 125 CP).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de l’ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l’ouverture d’une instruction.

a.b. Il a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

b. Par un second acte, du même jour, A______ recourt contre la deuxième ordonnance du 14 juin 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public, après avoir décidé de ne pas entrer en matière sur l’infraction de perte de maîtrise (art. 90 al. 1 LCR cum 31 LCR) qui lui était reprochée (ch. 1 du dispositif), l’a condamné aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 510.- (ch.2).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation du ch. 2 du dispositif de l’ordonnance querellée et à ce que les frais de la procédure soient mis à la charge de l’État.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 décembre 2021, un accident de la circulation s’est produit à Genève, à la rue des Glacis-de-Rive, en direction de la rue Ferdinand-Hodler, impliquant le motocycle conduit par A______, né en 1959, et le véhicule conduit par D______, né en 1965.

b. La rue des Glacis-de-Rive, à sens unique, est composée de deux voies de circulation : celle de droite est réservée aux bus et celle de gauche aux autres usagers de la route. Des cases de stationnement bordent les deux côtés de la chaussée.

Venant des Eaux-Vives au guidon de son motocycle, A______ circulait sur la voie de gauche. Parvenu à la hauteur du n. 6, il a vu le véhicule de D______ quitter une place de stationnement, sur sa droite. Il a, dans un premier temps, usé de son avertisseur sonore pour signaler sa présence, puis a effectué un freinage d'urgence et couché son engin. Après avoir glissé quelques mètres, il a heurté, avec le casque, des deux-roues stationnés sur la gauche de la chaussée. Il a été sérieusement blessé.

c. La Brigade routière et accidents, dépêchée sur les lieux, a procédé à l’audition des personnes suivantes :

c.a. A______ (ci-après, aussi, le motocycliste) a déclaré avoir vu la voiture sortir de la place de stationnement sans marquer un temps d’arrêt. Comme l’automobiliste s’était engagé – en une seule fois et très en diagonale – dans la voie réservée aux bus, il avait pensé que celui-ci allait lui couper la route. Il avait klaxonné à deux reprises, mais l’automobiliste, qui ne regardait pas dans sa direction, ne s’était pas arrêté, avait franchi la voie du bus et engagé l’avant de sa voiture dans la voie de circulation. Comme il ne pouvait pas éviter la collision, il avait décidé de freiner, puis de coucher volontairement son scooter. L’automobiliste, au lieu de s’arrêter, s’était stationné une quinzaine de mètres plus loin, comme pour cacher ses responsabilités dans l’accident en modifiant ainsi la position de la voiture.

A______ a déposé plainte contre D______, pour lésions corporelles par négligence.

c.b. D______ (ci-après, l’automobiliste) a déclaré que lorsqu’il avait commencé à sortir de sa place de stationnement – réservée aux personnes à mobilité réduite – et engagé les deux roues avant de son véhicule sur la voie de circulation réservée aux bus, il avait vu, dans son rétroviseur, un scooter qui arrivait depuis les Eaux-Vives. Ce dernier avait anticipé le fait qu'il allait s'engager sur la route et avait fortement freiné avec son frein avant, ce qui avait bloqué la roue de son engin. Il l'avait vu tomber dans son rétroviseur. À aucun moment le scooter n'avait heurté sa voiture. Lors de l'accident, son véhicule se trouvait en diagonale sur la voie de bus, l’arrière étant encore dans la place de stationnement. Il n'était pas engagé sur la voie de circulation empruntée par le motocycliste. Au moment où celui-ci était tombé, il était « en train de [s]’arrêter et de freiner ».

Il n’avait pas le souvenir que le motocycliste eût klaxonné. Si ce dernier avait ralenti normalement, il ne serait jamais tombé. Celui-ci avait cru, à tort, qu’il allait lui couper la route mais il l’avait vu arriver. Il avait déplacé son véhicule après le heurt car il pouvait entraver les véhicules des TPG.

À la question de savoir s'il possédait une attestation lui permettant de stationner sur une case réservée aux personnes à mobilité réduite, il a répondu qu'il était au bénéfice d'une autorisation pour personnes handicapées. Ce document ne figure pas au dossier.

c.c. E______ (ci-après, le témoin), piéton, a déclaré avoir entendu un scooteriste klaxonner, puis un choc qu’il pensait être celui entre le motocycle et la voiture. Il n’avait en réalité pas vu de heurt, mais entendu « un gros choc ». Il n’avait pas vu l’entier de la scène de l’accident. L'automobiliste était sorti de sa place de parc normalement. Selon ses souvenirs, au moment de l'accident, l’automobile était dans la voie du bus – avec sa roue arrière encore dans sa case de parc – et n’entravait pas l’autre voie de circulation. Pour lui, les versions de deux parties sur les circonstances de l’accident « se tenaient » et il pouvait difficilement privilégier l’une ou l’autre. Il avait par ailleurs trouvé l’automobiliste particulièrement « culotté », car la première chose que ce dernier avait demandé au motocycliste, qui se trouvait au sol, était : « Mais vous [ne m’]avez pas vu ? ».

d. Le rapport de renseignements établi par la Brigade routière et accidents le 16 février 2022, expose, sous la rubrique « situation à l’arrivée », qu’une trace de freinage de 6,35 mètres de long, ainsi que des traces de griffures de 5,25 mètres de long, toutes laissées par le motocycle de A______, avaient été relevées sur la chaussée.

En outre, sous la rubrique « point(s) de choc », le rapport contient le passage suivant : « La zone de chute et le point de choc ont été situés approximativement d’après les indications fournies par les parties en cause et le témoin, et compte tenu des éléments recueillis sur place. Des photographies ont été prises et seront tirées sur demande. Les mesures et la configuration des lieux ont été relevées. Une copie du croquis sera délivrée sur demande. ».

C. a. Dans l’ordonnance ayant refusé d’entrer en matière sur la plainte de A______, le Ministère public a retenu que les versions des parties sur les circonstances de l’accident étaient divergentes. Or, la version de D______ tendait à être étayée par les déclarations du témoin, qui affirmait que le véhicule du précité était encore partiellement sur la place de stationnement lorsque le motocycliste était tombé. Au regard de la configuration des lieux – la voie de droite étant réservée aux bus et celle de gauche aux autres usages de la route –, l'automobile, stationnée sur le côté droit de la chaussée, ne pouvait empiéter sur la voie de circulation empruntée par le motocycliste, contrairement aux déclarations de ce dernier. Les éléments constitutifs d’une infraction, en particulier de lésions corporelles par négligence commises par D______, n’étaient ainsi pas réunis.

b. Dans l’ordonnance ayant mis un terme à la procédure ouverte contre A______, le Ministère public a retenu que bien que ce dernier semblât avoir perdu la maîtrise de son motocycle à la suite d’un freinage non justifié par les circonstances –puisqu’il avait volontairement couché son motocycle pensant ne pas pouvoir éviter le heurt avec l’automobiliste –, la non-entrée en matière devait être prononcée au motif que le précité avait été directement atteint par les conséquences de son acte au point qu’une peine aurait été inappropriée (art. 54 CP). La mise en œuvre des art. 52ss CP justifiait néanmoins que les frais de la procédure, arrêtés à CHF 510.-, soient mis à sa charge.

D. a. Dans son recours contre la première ordonnance querellée, A______ reproche au Ministère public d’avoir retenu, à tort, qu’aucune négligence ne pouvait être imputée à D______. Il existait, au contraire, des indices sérieux de la violation des règles de la circulation routière.

D______, immédiatement après l’accident, avait déplacé son véhicule pour le stationner plus loin, ce qui avait rendu impossible la constatation de la position exacte du véhicule au moment de son freinage. Si la manœuvre de sortie de l’automobiliste avait été seulement engagée, il aurait pu retourner dans sa place de stationnement au lieu de parquer son véhicule sur la voie de circulation située sur le côté gauche de la rue. L’automobiliste avait engagé son véhicule dans le trafic « suffisamment» pour rendre nécessaire sa manœuvre d’évitement (à lui). Le fait que l’automobiliste lui ait dit « Mais vous ne m'avez pas vu? » et ait déclaré à la police que s'il avait ralenti normalement il ne serait pas tombé, confirmait que l’intéressé était parti du principe que la priorité lui revenait, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas interrompu sa manœuvre pour le laisser passer. Ce raisonnement - erroné - avait à lui seul pu causer l’accident. Il était d’ailleurs particulièrement surprenant que l’automobiliste, qui affirmait l’avoir vu arriver, n’ait pas entendu ses deux coups d’avertisseur.

Les auditions des parties et du témoin n’ayant pas permis de faire la lumière sur le déroulement exact des faits, il appartenait au Ministère public d’effectuer d’autres actes d’instruction, telles que la confrontation des parties et la collecte d’autres témoignages (l’accident s’étant produit à proximité d’un arrêt de bus).

À l’appui de son recours, A______ a produit des attestations médicales faisant état de ses diverses lésions, notamment au poignet, au genou et à l’épaule.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Selon le rapport de renseignements, la police avait contacté le collègue du témoin, qui se trouvait non loin de lui, mais il n’avait pas pu donner plus de détails sur le déroulement de l’accident, n’y ayant pas assisté. Aucune image de vidéosurveillance n’avait pu être collectée, car les lieux de l’accident étaient dépourvus de caméra. Les gendarmes intervenus sur place n’avaient identifié aucun autre témoin, de sorte qu’aucune audition supplémentaire ne pourrait être diligentée. De plus, les déclarations du témoin permettaient de privilégier le déroulement de l’accident tel que décrit par l’automobiliste, sans qu’il fût nécessaire de procéder à de plus amples mesures d’investigation, lesquelles n’étaient au demeurant pas susceptibles d’apporter d’autres éléments de nature à influencer le sort de la procédure.

c. Le recourant a répliqué.

E. a. Dans son recours contre la seconde ordonnance querellée, A______ soutient qu’il n’était aucunement établi qu’il eût commis un acte illicite, l’infraction à la LCR étant uniquement « tenue pour possible ». Les frais de la procédure devaient ainsi être laissés à la charge de l’État, ce d’autant qu’il se trouvait dans une situation financière obérée, en raison de problèmes de santé chronique, ce qui n’avait pas été instruit.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève qu'en freinant fortement et en couchant volontairement son motocycle sur la chaussée, A______ avait perdu la maîtrise de son véhicule et commis une infraction, ce qui justifiait de mettre les frais de la procédure à sa charge. Sa situation financière n’était pas déterminante à cet égard.

c. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner deux ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant, respectivement prévenu, qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La connexité des recours, qui émanent de la même personne – une fois en qualité de plaignant, l'autre comme prévenu – et reposent sur des faits identiques, commande leur jonction. Il sera ainsi statué par un seul arrêt.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir retenu l’infraction de lésions corporelles par négligence.

3.1. Aux termes de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police notamment que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe « in dubio pro duriore », tel qu'il découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91). Ce principe signifie qu'en règle générale, une non-entrée en matière ne peut être prononcée que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

3.2. L'art. 125 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Elle suppose la réalisation de trois conditions : une négligence, une atteinte à l'intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments.

3.3. L'art. 12 al. 3 CP définit la négligence comme une imprévoyance coupable dont fait preuve celui qui, ne se rendant pas compte des conséquences de son acte ou n'en tenant pas compte, agit sans user des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle.

Deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait négligence. En premier lieu, il faut que l'auteur ait violé les règles de la prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui (ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79). En second lieu, pour qu'il y ait négligence, il faut que la violation du devoir de prudence soit fautive, c'est-à-dire que l'on puisse reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1063/2013 du 2 septembre 2014 consid. 3.2).

S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière puis d'examiner si la négligence est en relation de causalité avec les lésions subies par la victime (ATF 122 IV 133 consid. 2a p. 135). Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit (ATF 133 IV 158 consid. 6.1 p. 167; 125 IV 195 consid. 2b p. 197). Il faut encore rechercher si le comportement incriminé est la cause adéquate du résultat. Tel est le cas lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168; 131 IV 145 consid. 5.1 p. 147).

3.4. Selon l'art. 26 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (ci-après, LCR ; RS 741.01), chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies.

La jurisprudence a déduit de cette règle le principe de la confiance, selon lequel l'usager de la route qui se comporte réglementairement est en droit d'attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 118 IV 277; 104 IV 30).

3.5. Le conducteur qui veut engager son véhicule dans la circulation ne doit pas entraver les autres usagers de la route qui bénéficient de la priorité (art. 36 al. 4 LCR); ainsi, celui qui, sortant d'une fabrique, d'une cour, d'un garage, d'un chemin rural, d'une piste cyclable, d'une place de stationnement, d'une station d'essence, etc., ou traversant un trottoir, débouche sur une route principale ou secondaire, est tenu d'accorder la priorité aux usagers de cette route (art. 15 al. 3 OCR). En outre, selon l'art. 14 al. 1 OCR, applicable pour toutes les priorités, celui qui est tenu d'accorder la priorité ne doit pas gêner dans sa marche le conducteur bénéficiaire de la priorité (A. BUSSY / B. RUSCONI / Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / Ch. MÜLLER, éd., Code suisse de la circulation routière commenté, 4è éd. 2015, n.1 ad art. 14 al. 1 OCR). Ce dernier est gêné dans sa marche lorsqu’il doit modifier brusquement sa manière de conduire, par exemple parce qu’il est brusquement contraint de freiner, d’accélérer ou de faire une manœuvre d’évitement sur l’intersection, voire peu avant ou peu après celle-ci, sans qu’il importe de savoir si une collision survient ou non (ATF 114 IV 146).

3.6. En l'espèce, l'accident a eu lieu dans une rue à sens unique. Le recourant circulait au guidon de son motocycle et le mis en cause manœuvrait son véhicule pour sortir d'une place de stationnement. Il est établi que le recourant a subi diverses lésions à la suite de l'accident. Reste à déterminer si les faits sont suffisamment clairs pour retenir que l'automobiliste n'a pas violé de manière fautive les règles de la prudence.

Le Ministère public a retenu que la version de l'automobiliste était corroborée par les déclarations du témoin. Or, ce dernier a expliqué ne pas avoir vu l'entier de la scène et que les deux versions – celles de l'automobiliste et du motocycliste – « se tenaient ». Le témoin a entendu le motocycliste klaxonner, puis un choc, qu'il croyait être celui de la moto contre la voiture, situation qui ne s'est pas produite, le motocycliste ayant couché son engin et heurté d'autres deux-roues stationnés. On peut ainsi légitimement se demander où le choc – imaginé par le témoin – était censé se produire si, selon son souvenir, le véhicule n'avait pas franchi la voie de circulation. Le témoin ne mentionne pas non plus que le motocycliste avait volontairement couché son engin – ce qui est pourtant établi –, de sorte qu'on peut s'interroger sur la vue qu'il avait de la scène. Il s'ensuit que, en l'état, les déclarations du témoin ne privilégient, de manière claire, pas une version plutôt que l'autre.

Par ailleurs, la version de l'automobiliste n'est, en l'état, corroborée par aucun élément objectif, la police étant arrivée sur les lieux après qu'il eut déplacé son véhicule. Par ailleurs, l'automobiliste, qui dit avoir vu arriver le motocycliste dans son rétroviseur, allègue ne pas avoir entendu le klaxon actionné par celui-ci, que le témoin a pourtant entendu. Il ne semble d'ailleurs pas avoir arrêté sa manœuvre à l'approche du motocycliste, se contentant de déclarer que lorsque le précité est tombé il était "en train de [s']arrêter et de freiner". Or, l'automobiliste devait, conformément aux art. 26 al. 1 et 36 al. 4 LCR, céder la priorité au motocycle, qui empruntait normalement sur la voie de circulation. La possibilité que la manœuvre de l'automobiliste ait pu gêner le motocycliste et ainsi le contraindre à effectuer une manœuvre d'évitement au cours de laquelle il a été blessé, ne peut donc être exclue en l'état (cf. ACPR/455/2015 du 28 août 2015 consid. 2.3).

Divers actes d'enquêtes permettraient d'apporter des éclaircissements sur l'emplacement des véhicules au moment de l'accident, tels que l'audition des parties, respectivement du témoin, à l'aide des photographies et du croquis établis par la police, pièces qu'il y a lieu de verser à la procédure. Ces documents sont de nature à éclairer le litige, notamment pour évaluer, grâce aux traces de freinage, à quelle distance de la place de stationnement le motocycliste a couché son engin, ainsi que de déterminer l'emplacement du témoin. En outre, il y a lieu de déterminer si le handicap dont le mis en cause dit souffrir pourrait, d'une façon ou d'une autre, avoir joué un rôle dans l'accident.

En conséquence, le Ministère public ne pouvait prononcer une ordonnance de non-entrée en matière, les conditions de l'art. 310 al. 1 let. a CPP n'étant pas réunies.

Le recours sera donc admis

4.             Dans son deuxième recours, le recourant reproche au Ministère public d’avoir mis à sa charge les frais de procédure.

4.1. Aux termes de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de la cause peuvent être imputés au prévenu s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure.

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1268/2018 du 15 février 2019 consid. 4.1). Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (ATF 119 la 332 consid. 1b; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1).

4.2. En l’espèce, le Ministère public a renoncé à poursuivre le recourant pour la perte de maîtrise de son motocycle, au motif qu’il avait été directement atteint par les conséquences de son acte au point qu’une peine aurait été inappropriée (art. 54 CP). Le Procureur a toutefois décidé de lui faire supporter les frais de procédure, car il avait volontairement couché son véhicule de sorte à en perdre la maîtrise, en violation des règles de la LCR.

Or, il résulte du consid. 3.6. supra que le fait pour le recourant d'avoir volontairement couché son engin pourrait résulter d'une manœuvre d'évitement non fautive. Partant, les frais de la procédure ne sauraient, en l'état, lui être imputés.

5.             Fondés, les recours doivent être admis. Partant, l’ordonnance de non-entrée en matière rendue en faveur de D______ sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l’ouverture d’une instruction afin de déterminer les circonstances de l’accident. Le ch. 2 du dispostif de l’ordonnance de non-entrée en matière rendue à l’endroit de A______ sera également annulé et les frais de la procédure devant le Ministère public mis à la charge de l'État.

6.             L’admission des recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.             Le recourant obtient gain de cause dans les deux recours.

Toutefois, dans celui où il agit en qualité de partie plaignante, il n’a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité au sens de l’art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte qu’il ne lui en sera point alloué.

En revanche, pour le recours où il agit en qualité de prévenu, il lui sera alloué un montant de CHF 969.30.- (TVA à 7.7 % comprise) correspondant à 2h00 d’activité au tarif horaire de 450.-, ce qui paraît en adéquation avec le travail fourni, soit un recours de 9 pages (dont 2 pages de garde et de conclusions et 2 pages de développement en droit), ainsi que 2 pages de réplique, la cause ne présentant aucune complexité particulière.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les deux recours.

Les admet.

Annule l’ordonnance de non-entrée en matière du 14 juin 2022 rendue à l’endroit de D______ et renvoie la cause au Ministère public pour l’ouverture d’une instruction.

Annule le ch. 2 de l’ordonnance de non entrée en matière rendue le 14 juin 2022 à l’endroit de A______ et laisse les frais de la procédure devant le Ministère public à la charge de l’État.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ la somme de CHF 900.- versée à titre de sûretés.

Alloue à A______, à la charge de l’État, une indemnité de CHF 969.30 TTC pour l’instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Daniela CHIABUDINI, juges ; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).