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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16214/2020

ACPR/592/2022 du 25.08.2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);RÉALISATION ANTICIPÉE;COMPÉTENCE;OFFICE DES FAILLITES
Normes : CPP.266.al5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16214/2020 ACPR/592/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 25 août 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me G______, avocat, ______,

recourant,

 

contre la décision rendue le 10 mai 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 mai 2022, A______ recourt contre le courrier du 10 mai 2022, communiqué par pli simple, par lequel le Ministère public l'a informé qu'il ne s'opposait pas à la vente de gré à gré de son véhicule aux conditions prévues dans l'offre d'achat du 4 mai 2022 "dans la mesure où toutes les parties plaignantes y auraient préalablement acquiescé".

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite décision, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'autoriser la vente de gré à gré du véhicule B______ immatriculé GE 1______ à C______ SA selon les modalités décrites dans le courrier de son conseil du 5 mai 2022 et au séquestre du produit de ladite vente. Subsidiairement, il conclut à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'impartir un délai de dix jours aux parties plaignantes pour s'opposer "de manière motivée" à ladite vente, à défaut de quoi celle-ci devrait être autorisée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À la suite de plusieurs plaintes pénales, le Ministère public instruit, depuis le 10 novembre 2021, une enquête sous la P/16214/2020 contre A______ pour gestion déloyale (art. 158 CP) et corruption privée passive (art. 322novies CP) (PP 300'002). La procédure a depuis lors été étendue à dix autres prévenus.

En substance, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, dès 2016, en sa qualité d'administrateur de D______ SA, dans le cadre de plusieurs promotions immobilières organisées sous la structure "quote-part terrain", obtenu le paiement d'honoraires de mise en valeur versés par les clients, s'être fait promettre et verser, en sus des honoraires officiels et à l'insu des clients, des rétrocessions considérables, notamment de la part des sociétés d'entreprise générale E______ SA et F______ SA, en échange de l'adjudication de chantiers et, enfin, d'avoir adjugé les travaux de construction aux deux sociétés précitées à des prix insuffisants pour leur permettre de rémunérer l'intégralité des sous-traitants, engendrant l'arrêt du chantier.

b. Par ordonnance du 18 novembre 2021 (PP 316'000), le Ministère public a ordonné le séquestre du véhicule de marque B______ immatriculé GE 1______ au nom de A______, saisi lors de la perquisition effectuée au domicile du prénommé, et la vente dudit véhicule au sens de l'art. 266 al. 5 CPP. Vu la nature de l'objet, la vente du véhicule avant l'issue de la procédure apparaissait nécessaire afin d'en préserver sa valeur résiduelle et de limiter les frais de fourrières. Le Ministère public a confié ladite vente à l'Office des faillites et ordonné le séquestre du produit de la vente, sous déduction des frais y relatifs.

A______ n'a pas contesté cette décision.

c. Par pli du 22 décembre 2021 (PP 600'126), A______ a demandé au Ministère public de reconsidérer la décision de vente de son véhicule, respectivement de la reporter de quelques mois. En effet, ladite vente entrainerait une importante décote alors que les frais de garde du véhicule n'étaient que de CHF 500.- à
CHF 750.- par trimestre.

d. Dans sa réponse du 10 janvier 2022 (PP 600'128), le Ministère public a attiré l'attention de A______ sur le fait que l'ordonnance du 18 novembre 2021 était exécutoire et que l'Office des faillites avait été saisi d'une demande de vente le 14 décembre 2021, conformément aux dispositions légales applicables.

e. Par courrier du 23 février 2022 (PP 303'067 ss.), A______ a informé le Ministère public qu'un acheteur était prêt à acquérir son véhicule de gré à gré. En cas d'accord du Ministère public, le prix définitif serait fixé et le prix de vente versé sur un compte séquestré.

f. Par pli du 25 mars 2022 (PP 600'290), le Ministère public lui a répondu avoir déjà donné suite à sa demande le 10 janvier 2022, sa requête du 23 février 2022 étant "similaire" à celle du 22 décembre 2021.

g. Par courrier du 5 mai 2022 (PP 600'304), A______ a sollicité la levée du séquestre sur son véhicule et l'annulation de l'ordonnance de vente du 18 novembre 2021.

Citant la doctrine et la jurisprudence, il exposait que "le but de réaliser le meilleur profit possible est mieux atteint par une vente de gré à gré que par une vente aux enchères ( ) En revanche, une vente à laquelle toutes les parties ont donné leur accord doit en principe avoir lieu; le produit de la réalisation étant frappé de séquestre, la protection que confère le séquestre au lésé ou à l'État ne s'en trouve en effet pas amoindri". Une vente de gré à gré permettait d'éviter la décote résultant tant d'une vente aux enchères que de l'immobilisation du véhicule, et de supprimer les frais de vente et de fourrières. Ainsi, le Ministère public devait autoriser la vente de gré à gré en faveur de C______ SA et ordonner le séquestre du produit de la vente.

À l'appui, il a transmis au Ministère public une offre du 4 mai 2022 émise par la société précitée, proposant de racheter son véhicule pour CHF 130'000.-. Il a aussi produit le contrat de vente du 16 avril 2021 dont il ressort que le prix d'achat dudit véhicule était de CHF 130'365.25.

C. Dans la décision attaquée, le Ministère public lui a répondu en ces termes: "[d]ans la mesure où toutes les parties plaignantes y auraient préalablement acquiescé, le Ministère public ne s'oppose pas à la vente de gré à gré du véhicule de votre mandant aux conditions prévues dans l'offre de rachat du 4 mai 2022.

Au vu de ce qui précède, le Ministère public vous invite à interpeller toutes les parties plaignantes et à lui faire part de leur détermination pour qu'il puisse se déterminer en conséquence".

D. a. A______ considère son recours recevable. Dans la décision entreprise, le Ministère public avait accepté de retirer le mandat de vente à l'Office des faillites et autorisé la vente de gré à gré, mais soumis celle-ci à l'accord préalable de toutes les parties plaignantes. Il avait donc un intérêt juridique actuel à l'annulation de la décision querellée, qui conditionnait "une solution que le bon sens impos[ait] et qui entrav[ait] la réalisation d'un actif à un prix bien supérieur à la solution qu'entend[ait] imposer" le Ministère public.

Sur le fond, et bien qu'il estime le séquestre disproportionné, il ne conteste pas la vente du véhicule ni le séquestre du produit issu de celle-ci, mais seulement la forme que doit revêtir "la vente et le mandat confié à l'Office des faillites". La condition posée par le Ministère public était "inaccessible", la procédure comptant vingt-huit parties plaignantes, dont la majorité n'avaient pas de lien avec les faits qui lui étaient reprochés. De plus, il avait l'interdiction de les contacter, à teneur de l'ordonnance rendue le 28 janvier 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte. En outre, la vente aux enchères aurait certainement lieu avant qu'il obtienne les accords requis. Or, il était tant dans l'intérêt du Ministère public que dans son propre intérêt d'autoriser la vente de gré à gré, aux conditions de l'offre du 4 mai 2022, le prix d'achat proposé était seulement CHF 300.- en deçà du prix auquel il avait acquis le véhicule. Enfin, l'Office des faillites lui avait dit qu'il n'autoriserait pas la vente de gré à gré sans l'accord préalable du Ministère public.

En tout état, il appartenait au Ministère public, non pas d'obtenir l'accord expresse des parties plaignantes sur la vente proposée, ladite condition n'étant pas prévue par la loi, mais de leur impartir un délai pour s'y opposer, à défaut de quoi la vente, aux conditions prévues par l'offre du 4 mai 2022 devait être ordonnée.

b. Le Ministère public conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiaire à son rejet, sous suite de frais.

Le mandat de vente n'avait nullement été retiré à l'Office des faillites. Il avait seulement annoncé qu'une application de la doctrine citée par le recourant serait faite dans l'hypothèse où il lui aurait été démontré que les conditions d'une vente de gré à gré étaient réalisées. Le courrier du 10 mai 2022 ne constituait donc pas une décision, ce d'autant plus qu'il ne contenait pas de refus de lever le séquestre.

Au fond, l'interpellation des parties plaignantes n'avait rien d'inaccessible pour le recourant et ne nécessitait pas de moyens dont seul le Ministère public disposait, puisqu'il s'agissait, pour son conseil, d'adresser sept courriers, soit aux cinq avocats principaux constitués pour les différentes parties plaignantes et aux deux parties plaignantes agissant en personne. Comme le recourant ne discutait pas la décision de vente de son véhicule, "[i]l s'agi[ssait] donc de revenir sur une décision définitive et entrée en force que le recourant n'a[vait] jamais contestée dans le délai de recours, sur le base de faits nouveaux, à savoir la possibilité d'une vente de gré à gré avec une offre concrète de rachat".

c. A______ réplique. Le Ministère public avait excédé son pouvoir d'appréciation (art. 393 al. 2 let. a CPP) en s'estimant lié par l'accord préalable des parties plaignantes à la vente de gré à gré qu'il avait proposée, condition qui n'était pas prévue par la loi.

EN DROIT :

1.             En tant qu'il est dirigé contre le courrier du 10 mai 2022, l'on peut s'interroger sur la recevabilité du recours, le Ministère public ne s'étant pas prononcé sur la vente de gré à gré ("pour qu[e] [le Ministère public] puisse se déterminer en conséquence"). Cela étant, dès lors que ladite vente semble dépendre de l'obtention de l'accord préalable des parties plaignantes, il convient de considérer ledit courrier comme une décision portant sur l'exécution du séquestre (art. 393 al. 1 let. a CPP, Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 15, 34ème tiret, ad art. 393). Le recours est donc ouvert auprès de la Chambre de céans.

Pour le surplus, le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – faute de notification conforme à
l'art. 85 al. 2 CPP – et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1
let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision en tant que propriétaire du bien séquestré (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant considère que le Ministère public a excédé son pouvoir d'appréciation en subordonnant la vente de gré à gré à la condition de l'obtention préalable de l'accord des parties plaignantes.

2.1.       Selon l'art. 266 al. 5 CPP, les objets sujets à une dépréciation rapide ou à un entretien dispendieux peuvent être réalisés immédiatement selon les dispositions de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite, et leur produit séquestré.

2.2.       L’autorité qui procède au séquestre a pour obligation première de veiller à la conservation des biens saisis jusqu’à droit connu sur leur sort définitif. La maîtrise qu’ont les autorités pénales sur les biens séquestrés a en effet pour corollaire une certaine responsabilité quant au maintien de la substance du patrimoine saisi entre le moment où son blocage est ordonné et le moment où le séquestre est levé. En effet, le séquestre n’étant pas une sanction économique, l’autorité doit éviter des pertes de valeur occasionnées par la mesure de contrainte (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 5a ad art. 266).

2.3.       L’autorité procède ainsi à la levée (partielle) du séquestre afin de permettre la vente, puis ordonne le séquestre sur le solde du produit de la réalisation. La vente peut s’effectuer aux enchères ou de gré à gré, selon les dispositions de la LP (art. 124 al. 2, 125 et ss, 130 et 243 al. 2 LP) (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 23 ad art. 266). La réalisation anticipée tend à obtenir, dans l'intérêt de l'ayant droit comme dans celui de l'autorité, une valeur de remplacement qui pourra, le moment venu, être restituée ou confisquée (ATF 130 I 360 consid. 14.2). Le but est de préserver au mieux les intérêts du propriétaire en réalisant le meilleur profit possible, objectif qui est plutôt rempli par une vente de gré à gré que par une vente aux enchères (arrêts du Tribunal fédéral 1B_461/2017 du 8 janvier 2018 et 1B_95/2011 du 9 juin 2011 consid. 3.1). La réalisation des biens, et en particulier d’immeubles, par vente de gré à gré, nécessitera en règle générale le consentement du propriétaire. En revanche, une vente à laquelle toutes les parties ont donné leur accord doit en principe avoir lieu; le produit de la réalisation étant frappé de séquestre, la protection que confère le séquestre au lésé ou à l’État ne s’en trouve en effet pas amoindrie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 23 ad art. 266).

2.4.       Selon l'art. 130 LP, la vente peut avoir lieu de gré à gré en lieu et place des enchères lorsque tous les intéressés y consentent expressément (ch. 1) ou encore dans les cas prévus par l'art. 124 al. 2 LP (ch. 4). Ainsi, selon cette dernière disposition, le préposé peut procéder en tout temps à la réalisation des objets d'une dépréciation rapide, dispendieux à conserver ou dont le dépôt occasionne des frais disproportionnés.

Lorsque l'office des poursuites ordonne la réalisation anticipée conformément à
l'art. 124 al. 2, il n'est pas tenu d'en informer les intéressés (L. DALLÈVES / B. FOËX / N. JEANDIN (éds), Commentaire romand : Poursuite et faillite, Bâle 2005, n. 11 ad art. 124 et les références citées).

2.5.       En l'espèce, par ordonnance du 18 novembre 2021, le Ministère public a ordonné le séquestre du véhicule de marque B______ au nom de A______ et la vente de ce bien, au sens de l'art. 266 al. 5 CPP, qu'il a confiée à l'Office des faillites. Le recourant ne conteste pas la vente de son véhicule dans son principe ni le séquestre du produit issu de ladite vente mais seulement la condition fixée par le Ministère public pour permettre une vente de gré à gré. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le caractère proportionné du séquestre ni de revenir sur l'examen des conditions prévues par l'art. 266 al. 5 CPP en l'espèce.

Cela étant, dès lors qu'il ne ressort pas de la décision du 10 mai 2022 que le Ministère public aurait retiré à l'Office des faillites la délégation de vente du véhicule du recourant prévue par ladite ordonnance, il appartient toujours audit office, conformément à cette décision, d'examiner quel mode de réalisation, parmi ceux à sa disposition selon les procédures de la loi sur les poursuites, permettra de préserver au mieux les intérêts tant du recourant que ceux des parties plaignantes ou de l'État, et de procéder à l'exécution de la mesure, et ce sans nécessité d'obtentir un accord préalable du Ministère public. En effet, bien que le Ministère public soutienne avoir suivi la doctrine citée par le recourant, il appartenait à l'Office des faillites de fixer les modalités de vente. La question de savoir si, conformément à l'avis de doctrine, l'accord des "parties" était nécessaire pour pouvoir procéder à la vente de gré à gré peut donc demeurer indécise en l'espèce.

Au vu de ce qui précède, il n'appartenait pas au Ministère public de se prononcer sur les conditions permettant de procéder à une vente de gré à gré, cette compétence revenant à l'Office des faillites.

Le recours sera, dès lors, admis.

3.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

4.             Le recourant, prévenu, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens (art. 436 al. 2 CPP).

Dans la mesure où il n'a pas chiffré ses prétentions, mais où l'autorité pénale examine d'office ce poste (art. 429 al. 2 CPP), un montant de CHF 1'938.60 lui sera alloué, correspondant à 4h00 d'activité au tarif horaire de CHF 450.-, auquel s'ajoute la TVA en 7.7%, ce qui parait en adéquation avec le travail fourni.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule la décision entreprise.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'938.60 (TVA 7.7% incluse) pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).