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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6282/2022

ACPR/568/2022 du 16.08.2022 sur ONMMP/1120/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);VOL(DROIT PÉNAL);FLAGRANT DÉLIT
Normes : CPP.310; CP.181

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6282/2022 ACPR/568/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 août 2022

 

Entre

 

A______, domicilié c/o M. B______, ______ [GE],

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 11 avril 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 22 avril 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 avril 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale du 7 décembre 2021.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à la "condamnation du prévenu pour le chef d'infraction de contrainte".

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 700.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ exploite, avec son frère C______, le restaurant D______ sis 1______, à Genève.

b. Le 7 décembre 2021, A______ s'est rendu au poste de police de H______ [GE] pour y déposer plainte pénale contre inconnu pour escroquerie.

En substance, il a expliqué qu'il avait, le 22 [recte: 20] septembre 2021, commis une tentative de vol dans le magasin E______ en dissimulant de la viande d'une valeur de CHF 100.- à 200.- sous des salades à son passage en caisse. Après avoir effectué le paiement de ses achats, il avait été emmené dans un sous-sol accessible uniquement au moyen d'un badge par quatre hommes, qui avaient fouillé sa marchandise et découvert la viande dissimulée. Ceux-ci lui auraient alors dit qu'il devait payer pour ce vol "sinon tout le monde allait être au courant" tandis que s'il payait, "personne n'allait être au courant, pas même [son] frère". Pris d'une crise de panique, il avait déclaré qu'il assumait sa bêtise et paierait la marchandise volée. Lors de la discussion, aucun montant n'avait été indiqué hormis l'évocation d'une somme de CHF 3'000.-. Il avait alors signé divers documents puis effectué au moyen de sa carte un virement d'un montant de CHF 3'000.- qui était apparu par la suite, sur son relevé bancaire, comme crédité au bénéfice de "I______" et non de E______, le plongeant dans l'incompréhension. La semaine suivante, il s'était rendu à plusieurs reprises dans le magasin précité et l'un des quatre hommes l'avait pressé de payer le solde de sa dette, évoquant un montant de l'ordre de CHF 11'000.- à 12'000.-.

c. Auditionné par la police le 1er mars 2022, G______, responsable clientèle chez E______, a déclaré que le magasin, qui avait plusieurs inventaires négatifs de viande évalués à un montant de l'ordre de CHF 7'800.-, avait diligenté une enquête interne. Il en était ressorti des soupçons sur A______, qui était l'un des plus grands acheteurs du type de marchandise manquante et avait déjà commis des vols dans le magasin, notamment en dissimulant de la marchandise au moment du passage en caisse ou en y apposant lui-même des autocollants "50%" en vue d'obtenir des rabais indus. Lors de sa venue dans le magasin le 20 septembre 2021, la sécurité avait, par vidéosurveillance, suivi l'intéressé et constaté qu'il avait volé de la marchandise lors de son passage en caisse. Il avait interpellé A______ et l'avait conduit dans le sous-sol du magasin pour fouiller ses achats et le confronter aux faits constatés par vidéosurveillance. Il lui avait indiqué ne pas être en mesure de déterminer avec exactitude le montant de la marchandise volée par le passé au moyen des rabais litigieux. Au montant des inventaires négatifs s'ajoutaient lesdits rabais et des frais administratifs pour la surveillance, de sorte que le montant total dû par A______ avait été arrondi au cours de la discussion à CHF 11'000.-. Il avait été convenu que s'il s'acquittait de sa dette, il ne serait pas interdit de magasin. Ce montant avait été échelonné en quatre versements dont le premier correspondait aux CHF 3'000.- virés le 20 septembre 2021. Par la suite, il avait confronté A______, après la première échéance impayée, lorsque celui-ci était revenu dans le magasin.

G______ a notamment produit des extraits de vidéosurveillance, divers tickets de caisse au nom du restaurant D______ indiquant des rabais sur plusieurs marchandises ainsi que trois reconnaissances de dettes signées le 20 septembre 2021 par A______ pour un montant total de CHF 8'000.-, sur lesquelles figurent le numéro du permis de conduire, l'adresse et le numéro de téléphone portable de l'intéressé.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que les éléments constitutifs d'une infraction pénale, en particulier celle de l'escroquerie, n'étaient manifestement pas réunis ; aucun élément au dossier ne permettait de retenir que l'intéressé avait été trompé pour signer les reconnaissances de dette et celui-ci avait en particulier fourni le numéro de son permis de conduire, de sorte qu'il ne s'était pas contenté de signer des documents qui lui étaient présentés. Par ailleurs, les faits dénoncés s'inscrivaient dans un contexte de nature purement civile.

D. a. À l'appui de son recours, A______ expose que le personnel de la sécurité avait menacé, lorsqu'il avait été emmené dans le sous-sol du magasin, de dévoiler publiquement le fait qu'il serait allé en prison, sous-entendant qu'une telle information aurait des conséquences négatives pour le restaurant. Il reproche au Ministère public de ne pas avoir examiné les conditions de la contrainte, qu'il considère comme réalisées.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Les déclarations de la partie plaignante fluctuaient au gré de la procédure pénale, le plaignant n'ayant jamais évoqué, lors de son dépôt de plainte du 7 décembre 2021, que les responsables du magasin E______ l'auraient menacé de dévoiler au public le fait qu'il serait allé en prison, le contraignant à signer les reconnaissances de dettes. Par ailleurs, les nouvelles déclarations du plaignant ne trouvaient "aucune assise factuelle" et étaient diamétralement opposées aux déclarations de G______, sans qu'aucun élément au dossier ne permette de retenir une version plutôt que l'autre. Enfin, les "menaces" ne revêtaient pas un caractère grave, de sorte que les éléments constitutifs de l'infraction de contrainte faisaient défaut.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que le recourant ne remet pas en cause l'ordonnance de non-entrée en matière querellée en tant qu'elle concerne l'infraction d'escroquerie. Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.             Le recourant fait valoir que le Ministère public aurait dû examiner d'office si les conditions d'une éventuelle contrainte étaient réalisées.

Si, dans sa plainte pénale du 7 décembre 2021, le recourant évoque uniquement l'infraction d'escroquerie, les faits décrits dans celle-ci pouvaient également tomber sous le coup de la contrainte. La Chambre de céans appliquant le droit d'office (art. 391 al. 1 CPP), il y a ainsi lieu d'examiner cette infraction, quand bien même elle est formulée pour la première fois dans le cadre du recours.

4.             4.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

4.2. Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte. Le bien juridiquement protégé par l'art. 181 CP est la liberté d'action et de décision, plus particulièrement la libre formation et le libre exercice de la volonté (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1).

La menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b; 106 IV 125 consid. 2a) ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a). La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action. La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (ATF 122 IV 322 consid. 1a; 120 IV 17 consid. 2a/aa). On vise ici une forme de pression psychologique qui peut, par exemple, consister en la perspective de porter atteinte à un bien particulier, comme la santé, mais aussi à des acquis immatériels, tels l'avenir économique, les chances de carrières, l'honneur, la considération et l'intégrité d'une personne ou encore la réputation auprès de la clientèle d'une entreprise (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, Commentaire romand du Code pénal II, 2e éd., Bâle 2017, n. 13 ad art. 181 et références citées).

L'infraction de contrainte suppose encore le caractère illicite de la contrainte. La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but utilisé est contraire au droit, lorsque le moyen est disproportionné par rapport au but poursuivi ou lorsqu'un moyen de contrainte conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs (ATF
141 IV 437 consid. 3.2.1 ; 137 IV 326 consid. 3.3.1 ; 134 IV 216 consid. 4.1).

4.3. En l'espèce, le recourant a admis avoir commis une tentative de vol au préjudice de E______, ce qui avait été révélé lors d'une vérification de ses marchandises après son passage en caisse le 20 septembre 2021. Il a par la suite été emmené par quatre individus dans un sous-sol à l'accès contrôlé par badge et y aurait été assailli de questions. À cette occasion, les individus lui auraient dit qu'il devait "payer pour ce vol, sinon tout le monde serait au courant". Quelques jours plus tard, lors de ses visites au magasin, un dénommé G______ [prénom], l'un des responsables du magasin, aurait fait des allusions à la bonne marche des affaires de son restaurant. Au vu de la jurisprudence ci-avant, l'existence d'une menace d'un dommage sérieux ne peut pas, à ce stade, être exclue. En effet, à suivre la version du recourant, l'un des responsables du magasin aurait évoqué la perspective de nuire à la réputation du recourant, respectivement de son restaurant, en informant le public de la tentative de vol commise.

Par ailleurs, la méthode consistant à emmener le recourant dans un sous-sol dont il ne pouvait apparemment pas librement sortir pourrait constituer, selon les circonstances qui restent à établir, un moyen de pression abusif sur lui susceptible de constituer une éventuelle contrainte illicite. En l'état du dossier, il n'existe en effet pas de motif qui aurait justifié, de la part des responsables du magasin, de ne pas prendre contact avec la police aussitôt la tentative de vol découverte en vertu de l'art. 218 al. 3 CPP.

En outre, G______, responsable clientèle de E______, a lui-même déclaré, lors de son audition du 1er mars 2022, que les inventaires négatifs constatés par E______ s'élevaient à un montant total de CHF 7'800.-, de sorte que le versement immédiat d'un montant de CHF 3'000.- et la signature de reconnaissances de dettes pour un montant supplémentaire de CHF 8'000.- ne paraissent pas, en l'état, être expliqués objectivement par la réparation d'un préjudice reconnu par le recourant. À cela s'ajoute le fait qu'il n'existe pas, à ce stade, suffisamment d'éléments permettant d'imputer au seul recourant le montant total des inventaires négatifs constatés par le magasin. Ainsi, sous cet angle également, on ne saurait d'emblée écarter toute contrainte visant à obtenir du recourant une somme plus importante que le préjudice effectivement subi par le magasin.

En définitive, il ne peut pas être considéré, à ce stade, que les éléments constitutifs de l'infraction de contrainte ne sont manifestement pas réalisés. Il appartiendra au Ministère public d'investiguer les circonstances décrites ci-avant, notamment par l'audition des autres responsables du magasin ayant interpellé le recourant après sa tentative de vol.

5.             Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

6.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant lui seront restituées.

7.             Bien qu'obtenant gain de cause, le recourant, qui agit en personne, ne peut prétendre à des dépens.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer au recourant les sûretés versées, en CHF 700.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6282/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

625.00

-

CHF

Total

CHF

700.00