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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9361/2022

ACPR/538/2022 du 09.08.2022 sur OMP/8121/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE;PEINE;MENACE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.132

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9361/2022 ACPR/538/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 9 août 2022

 

Entre

 

A______, sans domicile connu, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 12 mai 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 23 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 mai 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner sa défense d'office.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la nomination de Me B______ en qualité de défenseur d'office à compter du 11 mai 2022.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Dans le cadre d'une opération visant à lutter contre le trafic de stupéfiants, la police a observé, le 27 avril 2022, une transaction entre A______ et un tiers, lequel a été arrêté peu de temps après, en possession d'un gramme de cocaïne et trois pilules d'ecstasy. A______ a, quant à lui, été interpellé le lendemain, du fait de sa présence dans la même rue que la veille. Des vérifications dans le téléphone de A______ ont mis en exergue des appels avec un numéro dont le détenteur a été convoqué et entendu, reconnaissant que le précité lui avait vendu, le 17 avril 2022, un gramme de cocaïne.

b. Par ordonnance pénale du 29 avril 2022, rendue dans la présente procédure et traduite en anglais, le Ministère public a condamné A______ à une peine privative de liberté de nonante jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, pour infractions à la LStup et à la LEI, pour avoir pénétré et séjourné sur le territoire helvétique sans les autorisations nécessaires et vendu, à deux occasions, des produits stupéfiants.

c. Le 2 mai 2022, sous la plume de Me B______, A______ a formé opposition.

d.a. Le 5 mai 2022, A______ a été interpellé par la police en compagnie d'un second individu, lequel a déclaré que le précité lui avait vendu des pilules d'ecstasy.

Ces faits ont donné lieu à l'ouverture de la procédure P/10017/2022.

d.b. Dans le cadre de celle-ci, le Ministère public a prononcé, le 6 mai 2022, une nouvelle ordonnance pénale contre A______, traduite en anglais, le condamnant à une peine privative de liberté de soixante jours, sous déduction de deux jours de détention avant jugement, pour infraction à la LStup.

e. Dans la présente procédure, le Ministère public a, le 5 mai 2022, convoqué A______ à une audience, prévue pour le 7 juin suivant, à la suite de son opposition à l'ordonnance pénale du 29 avril 2022. La convocation a été envoyée à Me B______ et également publiée dans la Feuille d'avis officielle.

f. Par lettre du 11 mai 2022, l'intéressé a formé opposition à l'ordonnance pénale rendue dans la P/10017/2022, sollicité la jonction des procédures et la nomination de Me B______ en qualité de défenseur d'office.

g. Le lendemain, le Ministère public a joint la procédure P/10017/2022 à la présente, sous ce dernier numéro, et refusé, par ordonnance parallèle, la défense d'office de A______.

h. Le 7 juin 2022, A______ ne s'est pas présenté à l'audience. Me B______ a expliqué être sans nouvelles de son client et sollicité un délai pour apporter les justificatifs utiles pour expliquer l'absence de celui-ci, ce qui lui a été accordé.

D'entente avec Me B______, l'audience a finalement été annulée.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que la cause ne présentait pas de difficultés particulières, en droit ou en fait, de sorte que A______ était en mesure de se défendre seul, son implication se limitant à renseigner sur sa situation administrative et son rôle dans la vente de stupéfiants. La cause était de peu de gravité dès lors que A______ n'encourait qu'une privative de liberté de "quatre mois au maximum". Si une nouvelle ordonnance pénale devait être rendue par suite de la jonction des procédures, "les peines ne seraient pas additionnées".

D. a. Dans son recours, A______ affirme être indigent et soutient que la cause justifiait l'assistance d'un conseil, ne disposant pas des aptitudes pour se défendre seul. En particulier, en raison de ses faibles connaissances en français. Des réquisitions de preuve allaient vraisemblablement devoir être formulées, pour le confronter aux personnes le mettant en cause dans le trafic de stupéfiants. Les peines prononcées par les deux ordonnances pénales cumulaient à "cent-cinquante jours-amende", ce qui dépassait la limite de cent-vingt jours-amende fixée à l'art. 132 al. 3 CPP.

b. Par ses observations, le Ministère public explique qu'une nouvelle ordonnance pénale sur opposition avait été rendue le 15 juin 2022, englobant les deux précédentes, et condamnant A______ à une peine privative de liberté de cent jours, sous déduction de la détention subie avant jugement. La limite de l'art. 132 al. 3 CPP n'était ainsi pas atteinte. En outre, les dispositions légales étaient circonscrites et ne présentaient aucune difficulté de compréhension ou d'application, même pour une personne inexpérimentée dans le domaine juridique. Tous les actes d'instruction avaient été traduits en une langue connue de A______, et il en irait de même pour la suite. Sa méconnaissance du français n'était ainsi pas un obstacle à sa défense seule.

c. A______ n'a pas répliqué.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) — les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées — concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé une défense d'office.

2.1. En dehors des cas de défense obligatoire visés à l'art. 130 CPP, l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur à deux conditions : le prévenu doit être indigent et la sauvegarde de ses intérêts doit justifier une telle assistance, cette seconde condition devant s'interpréter à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP.

Les intérêts du prévenu justifient une défense d'office lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP), ces deux conditions étant cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_477/2011 du 4 janvier 2012 consid. 2.2.).

Une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de 4 mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP), ces critères reprenant largement la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'assistance judiciaire rendue sur la base des art. 29 al. 3 Cst. et 6 par. 3 let. c CEDH (ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 p. 233).

Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu seul ne pourrait surmonter, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêt 1B_194/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.1 et les arrêts cités

2.2. En l'espèce, le Ministère public ne semblant pas contester l'impécuniosité du recourant, il lui en sera donné acte.

Lorsque la seconde requête en défense d'office a été déposée, et également lorsque la défense d'office a été refusée, le recourant était sous la menace de deux ordonnances pénales – auxquelles il s'est opposé – dont l'une le condamnait à une peine privative de liberté de soixante jours et l'autre de nonante jours. La simple application des règles sur le concours d'infractions (art. 49 CP) laissait objectivement augurer une peine supérieure à celle prononcée dans chacune des ordonnances précitées et dépassant le seuil légal caractérisant les cas de peu de gravité.

En outre, le recourant, migrant, sans instruction et ne pratiquant pas le français, mis en cause par deux tiers sans confrontation, ne présentait pas l'assurance de pouvoir se défendre correctement seul, au regard de la peine concrètement encourue.

D'ailleurs, après le dépôt de la seconde requête, le conseil du recourant a entrepris de s'opposer à l'ordonnance pénale du 6 mai 2022, de solliciter la jonction des procédures, de se présenter à l'audience et enfin de justifier l'absence de son client. Toute cette activité – déployée antérieurement à l'ordonnance pénale sur opposition – confirme que l'intervention d'un conseil s'avérait nécessaire pour la défense du recourant.

Ainsi, les conditions légales pour une défense d'office apparaissaient réalisées tant au moment du dépôt de la seconde requête que lorsque la défense d'office a été refusée, parallèlement à la jonction des causes.

L'ordonnance pénale rendue ultérieurement, englobant les deux précédentes pour condamner le recourant à une peine privative de liberté de cent jours, ne saurait servir pour plaider rétroactivement que la cause relevait d'un cas bagatelle. Cela aurait sinon pour conséquence d'imputer au recourant des démarches de son conseil alors que – comme mentionné ci-avant – la défense d'office s'imposait au moment où elles ont été entreprises.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée.

La défense d'office de A______ sera admise à compter du 11 mai 2022 – date du dépôt de la seconde requête – et Me B______ désigné à cet effet.

4.             La procédure est gratuite (art. 20 RAJ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_215/2018 du 14 juin 2018 consid. 1.2).

5.             Les honoraires du défenseur d'office seront fixés à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP)

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Désigne Me B______ à la défense d'office de A______ avec effet au 11 mai 2022.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).