Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/311/2022 du 03.05.2022 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/20359/2021 ACPR/311/2022 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 3 mai 2022 |
Entre
A______, domiciliée ______[GE], comparant par Me Cyril ABECASSIS, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,
recourante,
contre la décision rendue le 3 mars 2022 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 8 mars 2022, A______ recourt contre la décision du 3 précédent, par laquelle le Ministère public a refusé sa demande de visite à son fils, B______, actuellement détenu à la prison de E______.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à l'octroi d'une autorisation de visite permanente, subsidiairement sous surveillance; encore plus subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de l'entendre avant de lui octroyer ladite autorisation.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. B______ est prévenu, dans la présente procédure, notamment d'avoir tué par balles son épouse, C______, à leur domicile de F______, le ______ 2021.
b. Alors que dans la matinée en question, la police était occupée aux premières investigations sur place, la mère de B______, A______, née le ______ 1932, est arrivée sur les lieux, indiquant n'être pas parvenue à joindre son fils à son cabinet.
c. Interpellé le même jour, B______ a été placé en détention provisoire à la prison de E______ par ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 24 octobre 2021.
d. A______ a été entendue par la police en qualité de témoin, le 16 novembre 2021. Elle a expliqué que son fils l'avait appelée quelques jours avant les faits et qu'il tenait des propos bizarres, ce qu'elle avait également constaté par la suite en se rendant à son cabinet. La veille du drame, dans la soirée, il l'avait appelée en lui disant que lui et ses frères étaient en réalité les enfants de son oncle et que son épouse devait lui avouer ce qu'elle lui avait raconté sur son père. Selon elle, il faisait une crise de paranoïa. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état. Elle avait ensuite téléphoné à la victime qui lui avait dit que son mari était "cinglé" et qu'il fallait le laisser.
e. La précitée a sollicité auprès du Ministère public de pouvoir rendre visite à son fils à plusieurs reprises à la prison de E______, les 26 octobre, 18 novembre, 19 novembre, 10 décembre 2021, 28 janvier et 22 février 2022. Elle s'est chaque fois vu opposer un refus, vu le risque de collusion.
f. Par courrier du 1er mars 2022, son nouveau conseil a réitéré cette demande de visite. Sa mandante était âgée et elle craignait de ne plus revoir son fils. Il n'existait plus de risque de collusion avec elle dès lors qu'elle avait déjà été entendue. L'écoulement du temps justifiait qu'il soit dorénavant fait droit à sa demande. Elle ne s'opposait pas à ce que sa visite soit enregistrée ni qu'elle se tienne en présence d'un tiers.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public maintient son refus de visite, du fait de la persistance d'un risque de collusion. Certaines auditions considérées comme principales n'avaient pas encore été menées. De plus, A______ n'avait pas encore été confrontée à son fils. Il rappelait que leurs relations pouvaient se poursuivre par échanges épistolaires et par téléphones.
D. a. À l'appui de son recours, A______ allègue que cette dernière remarque du Ministère public prouvait que les contacts entre elle et son fils ne posaient aucun problème concret pour la procédure. Un contact visuel et physique était toutefois très différent et absolument essentiel dans une relation filiale. Son droit aux relations personnelles était protégé par la Constitution et la CEDH. Elle ajoute être âgée de "92 ans" et risquer concrètement de ne plus pouvoir voir son fils; elle avait déjà été longuement entendue de manière contradictoire par la police; elle ne voyait en outre pas ce qu'une nouvelle audition pourrait apporter.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère à la motivation de sa décision. A______ serait entendue par lui le 3 juin prochain, en particulier sur les résultats de l'analyse des données contenues dans les téléphones de son fils et de la victime, éléments non encore versés à la procédure (art. 101 al. 1 CPP). Dans l'intervalle, il était essentiel pour la manifestation de la vérité que la recourante ne puisse échanger avec le prévenu avant leurs auditions respectives, afin d'éviter toute concertation, influence, pression ou disparition de preuve. Les échanges épistolaires entre eux, soumis à la censure, étaient autorisés. Depuis plusieurs mois, les téléphones entre eux étaient également autorisés mais enregistrés. Ces enregistrements confirmaient que mère et fils abordaient plus ou moins à chaque reprise les faits, quand bien même ils se savaient censurés. Le risque de collusion était ainsi d'autant plus grand en cas de visite au parloir. Il rappelait également que les enfants du couple n'avaient pas encore pu être auditionnés, vu leur domicile à l'étranger, l'audition de D______ étant toutefois prévue à la police dans le courant mai 2022. Il convenait aussi d'éviter que B______ ne cherche à communiquer avec ses enfants par le biais de sa mère, l'écoute des enregistrements téléphoniques et la lecture des échanges épistolaires montrant qu'elle cherchait à entrer en contact avec ses petits-enfants.
c. A______ réplique et persiste dans son recours, tout en relevant que, s'il existait un risque de collusion, aucun contact ne devait être autorisé, et que si ce risque n'existait pas, alors une visite enregistrée aboutirait au même résultat qu'un téléphone enregistré. Tout ce qu'elle souhaitait était serrer son fils dans ses bras.
EN DROIT :
1. Les décisions relatives à l’exécution de la détention avant jugement et qui ne portent pas directement sur les relations avec le défenseur, au sens de l’art. 235 al. 4 CPP – tel le refus d’une autorisation de visite à un tiers – sont sujettes à recours selon les modalités prévues par le droit cantonal (art. 235 al. 5 CPP), soit en l’occurrence auprès de la Chambre de céans (art. 30 al. 1 de la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale, du 27 août 2009 – LaCP; RS E 4 10), qui appliquera les art. 379 à 397 CPP par analogie (art. 30 al. 2 LaCP).![endif]>![if>
Le recours ayant été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émanant du tiers touché par la décision de refus (art. 105 al. 1 let. f CPP), qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de celle-ci (art.382 al. 1 CPP), il est recevable.
2. La recourante considère que le refus de visite querellé viole le principe de la proportionnalité.
2.1. La garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et 13 Cst.) permettent aux personnes détenues d'entretenir des contacts avec les membres de leur famille, dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l'Etat (arrêt 1B_202/2016 du 14 juillet 2016 consid. 2.2).
Conformément aux exigences de l'art. 36 Cst., les restrictions à ces droits doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération et au fonctionnement de l'établissement de détention (ATF 145 I 318 consid. 2.1 et 143 I 241 consid. 3.4). Ce principe est rappelé en matière d'exécution de la détention avant jugement à l'art. 235 al. 1 CPP qui prévoit que la liberté des prévenus en détention ne peut être restreinte que dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement. Cette disposition exige en effet que chaque atteinte à ces droits fasse l'objet d'une pesée d'intérêts dans le cadre de laquelle l'autorité doit tenir compte de l'ensemble des circonstances, soit en particulier des buts de la détention (prévention des risques de fuite, de collusion ou de réitération), des impératifs de sécurité de l'établissement pénitentiaire, de la durée de l'incarcération et de la situation personnelle du prévenu, notamment le lieu de résidence des proches et les besoins et possibilités réelles de correspondre et de recevoir des visites (ATF 145 I 318 consid. 2.1; arrêt 1B_202/2016 du 14 juillet 2016 consid. 2.2). Les garanties de la CEDH relatives aux conditions de détention n'offrent pas une protection plus étendue que celles garanties par la Constitution fédérale (ATF 145 I 318 consid. 2.1 et 143 I 241 consid. 3.4).
Selon les règles pénitentiaires européennes, les détenus sont autorisés à communiquer aussi souvent que possible avec leur famille par lettre, par téléphone ou par d'autres formes de communication et à recevoir des visites de leur part. Dans le cas des détenus soumis à une procédure pénale, les visites et autres contacts peuvent être limités et surveillés si cela est nécessaire pour les enquêtes pénales en cours, pour le maintien de l'ordre et de la sécurité, pour la prévention des infractions pénales et pour la protection des victimes d'infractions (ATF 145 I 318 consid. 2.2 et 143 I 241 consid. 4.3).
Le risque de collusion peut être justifié par l'intérêt public lié aux besoins de l'instruction en cours, par exemple lorsqu'il est à craindre que le prévenu ne mette sa liberté à profit pour faire disparaître ou altérer les preuves, ou qu'il prenne contact avec des témoins ou d'autres prévenus pour tenter d'influencer leurs déclarations (art. 221 al. 1 let. b CPP). Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).
2.2. En l'espèce, l'existence d'un risque de collusion – non démenti par la recourante – étant avérée et suffisante à restreindre le droit aux relations personnelles entre la recourante et le prévenu, reste à examiner si le refus du droit de visite respecte le principe de la proportionnalité.
Il est admis que la recourante et son fils peuvent entretenir des contacts épistolaires et téléphoniques surveillés.
La recourante se prévaut de l'ACPR/324/2012 pour revendiquer, en sus, une autorisation de visite.
Dans cet arrêt, la Chambre de céans avait considéré que dès lors que des contacts téléphoniques étaient autorisés entre le détenu et son frère, elle ne voyait pas en quoi le risque de collusion serait aggravé si les interlocuteurs se parlaient de visu et leur rencontre enregistrée. Dans cet arrêt cependant, le refus de visite avait été notifié après une année d'enquête et le motif lié au risque de collusion clairement circonscrit à la recherche de l'arme du crime; le frère du détenu n'était non plus concerné par l'enquête ni même n'avait été interrogé.
Rien de tel ici. Avant les faits, la recourante avait des contacts téléphoniques fréquents avec son fils et lui avait encore parlé la veille du drame. Elle était également arrivée sur la scène de crime alors investie par les forces de police, ne parvenant pas à joindre son fils. Ses liens avec lui sont manifestement étroits. Le risque de concertation, influence, pression ou autre reste très concret à ce stade, étant relevé que l'enquête ne dure que depuis six mois et qu'elle concerne des faits extrêmement graves.
Une visite, même enregistrée, pourrait par ailleurs ne pas appréhender certains propos s'ils étaient chuchotés, sauf à interdire tout contact physique entre les intéressés, ce qui n'était pas le souhait de la recourante, qui revendique le droit de pouvoir serrer son fils dans ses bras.
La recourante est certes âgée de 89 ans. Rien n'indique cependant qu'elle soit gravement atteinte dans sa santé et risquerait de ne plus revoir son fils avant que le risque de collusion ne puisse être écarté.
Il résulte de ce qui précède que la décision querellée ne contrevient pas au principe de la proportionnalité.
La recourante devant être entendue par le Ministère public le 3 juin prochain, on peut admettre, en l'état, que le risque de collusion reste entier jusqu'à cette date. Sauf éléments nouveaux déterminants, on ne voit cependant pas qu'il puisse être invoqué au-delà pour continuer à refuser à l'intéressée de rendre visite à son fils.
Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.
3. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.
Le greffier : Xavier VALDES |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/20359/2021 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 900.00 |
- | CHF | |
Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9) | CHF | 985.00 |