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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/1781/2023

AARP/209/2024 du 21.06.2024 sur JTDP/51/2024 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : MENDICITÉ;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;CEDH;PROPORTIONNALITÉ;LIBERTÉ PERSONNELLE
Normes : LPG.11A
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1781/2023 AARP/209/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 21 juin 2024

 

Entre

A______, domicilié c/o B______, ______, ROUMANIE, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, Leuenberger Lahlou & Bazarbachi, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/51/2024 rendu le 16 janvier 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

intimés.


EN FAIT :

A. Saisine de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) :

a.a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 16 janvier 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d'infraction à l'art. 11A de la loi pénale genevoise (LPG), condamné à une amende de CHF 50.- et a prononcé une peine privative de liberté de substitution d'un jour, frais de procédure à sa charge.

a.b. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant, principalement, à son acquittement et, subsidiairement, à être exempté de peine.

b. Selon l'ordonnance pénale du 19 octobre 2022 rendue par le SDC, valant acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, le mercredi 17 août 2022, à 11h30, mendié en un lieu proscrit, soit aux abords immédiats des entrées et sorties d'un marché, faits qualifiés d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

B. Faits ressortant du dossier de première instance :

a. Les faits de la cause ne sont pas contestés et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du Code de procédure pénale [CPP]).

b. Le mercredi 17 août 2022 (ndlr: jour de marché), à 11h30, A______ a été interpellé au boulevard 1______ no. ______, [code postal] Genève, alors qu'il mendiait en un lieu proscrit. Il se rapprochait "avec insistance" des clients du marché en tendant un petit gobelet en carton dans le but d'obtenir de l'argent. Le prévenu a expliqué oralement aux agents qu'il demandait des légumes aux passants. Il a été prié de cesser ses agissements et déclaré en contravention sur-le-champ. Les contrôles d'usage se sont révélés négatifs (cf. rapport de contravention du 18 août 2022).

b. A______ a contesté l'ordonnance pénale susvisée (cf. A.b), laquelle a été maintenue par le SDC.

c. Par-devant le TP, le conseil de A______ a expliqué que son mandant avait demandé un concombre gratuitement parce qu'il avait faim en s'approchant du marché. Il avait un gobelet à la main car il mendiait un peu plus loin dans des endroits autorisés. Il a renoncé à une indemnisation au sens de l'art. 429 CPP
(cf. procès-verbal des débats de première instance p. 2).

d. Le casier judiciaire suisse de A______ est vierge.

C. Procédure d'appel :

a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite (art. 406 al. 1 let. c CPP).

b. Par lettre du 4 avril 2024, la direction de la procédure a enjoint l'appelant de déposer dans un délai de 20 jours d'éventuelles conclusions chiffrées en indemnisation au sens des art. 429 et 436 CPP, justificatifs à l'appui.

b. Par son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

c. Par son mémoire de réponse, le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais.

d. Par lettre à la Chambre de céans, le SDC conclut au rejet de l'appel, s'en rapportant intégralement au jugement de première instance.

e. Les arguments des parties seront examinés ci-après, dans la mesure de leur pertinence (cf. infra consid. 2.).

EN DROIT :

1. 1.1. Selon l'art. 8 de la Loi d'application du Code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale (LaCP), les infractions prévues par la législation genevoise sont poursuivies et jugées conformément au CPP, appliqué à titre de droit cantonal supplétif, ainsi qu'à ses dispositions cantonales d'application.

1.2. Selon l'art. 398 al. 4 CPP, lorsque seules des contraventions ont fait l'objet de la procédure de première instance, les seuls griefs invocables sont ceux d'une contrariété au droit ou de l'établissement manifestement inexact ou en violation du droit de l'état de fait. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite.

1.3. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

1.4. Lorsque des contraventions font seules l'objet du prononcé attaqué et que l'appel ne vise pas une déclaration de culpabilité pour un crime ou un délit, le magistrat exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétent pour statuer (art. 129 al. 4 de la Loi sur l'organisation judiciaire genevoise [LOJ]).

2. 2.1. Selon l'art. 11A al. 1 let. c ch. 7 LPG, est puni d'une amende quiconque aura mendié à l'intérieur et aux abords immédiats des entrées et sorties des marchés.

2.2.1. Il ne fait pas de doute que l'appelant a réalisé les éléments constitutifs de cette infraction, celui-ci ne le contestant au demeurant plus.

Seule est ainsi déterminante la question de la conformité de l'art. 11A al. 1 let. c ch. 7 LPG au droit conventionnel et constitutionnel dans les circonstances du cas d'espèce.

2.2.2. À cet égard, il convient d'emblée de relever que l'interdiction partielle de la mendicité a fait l'objet d'un contrôle abstrait de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle qui a conclu que la disposition incriminée était conforme au droit supérieur (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022). Dès lors, seuls les arguments de l'appelant en lien avec l'état de fait reproché seront examinés (contrôle concret).

2.3. Le fait de mendier doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. ou du droit au respect de la vie privée au sens de l'art. 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) (ATF 149 I 248 consid. 4.3 ; CourEDH Lacatus c. Suisse du 19 janvier 2021 §59).

2.4.1. À l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'est pas absolue et sa restriction est admissible si elle repose sur une base légale, si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.).

Ces conditions sont similaires à celles figurant à l'art. 8 § 2 CEDH, qui admet l'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit pour autant qu'elle soit prévue par la loi et constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

2.4.2. Le Tribunal fédéral a confirmé l'existence d'un intérêt public à la protection de l'ordre, de la tranquillité et de la sécurité publics en cas de réglementation de la mendicité à proximité immédiate des points de paiement et des distributeurs automatiques de billets, à l'entrée des magasins, dans les gares ou dans d'autres bâtiments publics (ATF 149 I 248 consid. 4.6.2).

2.4.3. Sous l'angle des principes de nécessité et de proportionnalité au sens strict, la répression de la mendicité doit être appréciée strictement (ATF 149 I 248 consid. 4.6.3). Une sanction pécuniaire convertible en une privation de liberté en absence de paiement est justifiée en cas de mendicité organisée dans un cadre criminel (ATF 149 I 248 consid. 5.2.4 et 5.4.4) ou de mendicité active agressive (ATF 149 I 248 consid. 5.4.5). En revanche, le fait de réprimer la mendicité passive pratiquée dans certaines zones, et notamment devant les offices postaux, d'une peine susceptible de mener à un enfermement doit rester une mesure de dernier recours et être impérativement précédé de mesures administratives, comme par exemple un avertissement avec inscription dans un registre (ATF 149 I 248 consid. 5.4.7 ; voir également : AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 consid. 2.4.4.6.). Le fait de prononcer une amende convertible en une peine de prison à la première violation de l'interdiction de mendier dans une zone prohibée ne respecte en tout cas pas le principe de proportionnalité au sens strict (ATF 149 I 248 consid. 5.4.7).

2.5.1. L'interdiction de mendier figure dans une loi au sens formel et le texte de
l'art. 11A al. 1 let. c ch. 7 LPG est suffisamment clair et précis, de sorte que le principe de la légalité est respecté (art. 1 du Code pénal [CP] et art. 7 CEDH).

2.5.2. L'appelant a été interpellé alors qu'il mendiait à proximité immédiate d'un marché. Les marchands doivent pouvoir exercer sereinement leur activité, sans redouter, d'une part, une baisse d'attractivité de leur stand ou, d'autre part, devoir constamment surveiller leur marchandise (cf. rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi du 23 novembre 2021 pp. 10 à 12). De même, les acheteurs doivent pouvoir circuler librement et faire leurs courses sans être sollicités. Il existe donc plusieurs intérêts publics justifiant une prohibition de la mendicité aux abords et au sein des marchés, d'autant plus qu'in casu l'appelant s'approchait instamment des clients (cf. rapport de contravention du 18 août 2022).

2.5.3.1. La sanction prononcée à l'encontre de l'appelant était apte à lutter contre la mendicité dans la zone prohibée du marché ou de ses abords immédiats. Cela étant, aucun élément figurant au dossier ne laisse penser que l'appelant a fait l'objet d'une quelconque mesure administrative ou d'un avertissement formel avant la notification de la présente contravention, étant observé qu'il n'a réalisé dans la présente affaire qu'une seule occurrence. On ne saurait en inférer l'inverse de ce qu'il aurait dit aux policiers lors de son interpellation ni des propos de son avocate lors des débats de première instance. Son casier judiciaire est de surcroît vierge. Ainsi, la situation de la présente cause se distingue de celles ayant fait l'objet des arrêts AARP/46/2024 du 30 janvier 2024, AARP/88/2024 du 6 mars 2024, AARP/133/2024 du 29 avril 2024, AARP/183/2024 du 24 mai 2024 et AARP/194/2024 du 10 juin 2024 qui concernaient des personnes (multi)récidivistes ou jugées pour plus d'une occurrence.

2.5.3.2. Or, comme l'a précisé le Tribunal fédéral, une sanction comme celle infligée à l'appelant pour avoir mendié dans un lieu visé par l'art. 11A al. 1 let. c LPG doit être précédée de mesures administratives ou, à tout le moins, d'un avertissement formel. Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, l'application de cette norme est intervenue de manière contraire au droit supérieur et à la jurisprudence fédérale.

2.6. Pour ce seul motif, la condamnation de l'appelant doit être annulée, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués par l'appelant.

2.7. L'attention de l'appelant est en revanche expressément attirée sur le fait que l'existence de la présente procédure vaut avertissement formel d'avoir à respecter l'art. 11A al. 1 let. c LPG (sous réserve de l'interdiction de mendier dans les parcs et jardins publics qui est contraire au droit supérieur selon le Tribunal fédéral
cf. ATF 149 I 248 consid. 5.3.3), de sorte que s'il devait y contrevenir à nouveau il serait passible d'une amende, celle-ci pouvant être convertie en une peine privative de liberté en cas de non-paiement (art. 106 al. 2 CP).

3. L'appel ayant été admis, les frais de la procédure préliminaire et de première instance seront laissés à charge de l'État et il ne sera pas perçu de frais pour la procédure d'appel (art. 428 al. 1 et 3 CPP).

4. 4.1. À teneur de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit, s'il est acquitté totalement ou en partie, à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'autorité pénale examine d'office les prétentions du prévenu et peut enjoindre l'intéressé de les chiffrer et de les justifier (art. 429 al. 2 CPP)

4.2. Aucune indemnité ne sera allouée à l'appelant pour la procédure préliminaire et de première instance, dans la mesure où il y a, par la voix de son avocate, expressément renoncé. Il en va de même pour la procédure d'appel puisque, bien qu'enjoint par la CPAR de le faire, l'appelant n'a pas pris de conclusion en indemnisation, ce qui équivaut, selon la jurisprudence fédérale, à une renonciation tacite, faute d'avoir rempli son devoir de collaboration (ATF 146 IV 332 consid. 1.3).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/51/2024 rendu le
16 janvier 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/1781/2023.

L'admet

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

Avertit A______ de ce que s'il devait à nouveau enfreindre l'art. 11A al. 1 let. c LPG une amende serait prononcée, laquelle pourrait être convertie en une peine privative de liberté en cas de non-paiement (art. 106 al. 2 CP).

Laisse l'ensemble des frais de procédure à charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal pénal.

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.