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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17608/2021

AARP/234/2022 du 05.08.2022 sur JTCO/11/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : EXPULSION(DROIT PÉNAL);RÉFUGIÉ
Normes : CP.66a.al1; OASA.31; LAsi.5; CP.66d; Cst.25.al3
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17608/2021 AARP/234/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 5 août 2022

 

Entre

A______, actuellement en exécution anticipée de peine à l'établissement de B______, comparant par Me C______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTCO/11/2022 rendu le 24 janvier 2022 par le Tribunal correctionnel,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 24 janvier 2022, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l'a reconnu coupable d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. b et d et al. 2 let. a de la loi fédérale sur les stupéfiants [LStup]) et d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. d LStup, a révoqué le sursis partiel octroyé le 1er décembre 2017 par le Tribunal de police (TP) à la peine privative de liberté de 24 mois, dont douze mois avec sursis, l'a condamné à une peine privative de liberté d'ensemble de trois ans et demi, sous déduction des jours de détention subis avant jugement, a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de 20 ans (art. 66a al. 1 let. o du code pénal [CP] et 66b al. 1 CP), l'inscription de la mesure dans le système d'information Schengen (SIS) et diverses confiscations, destructions et restitution d'objets séquestrés. Le TCO l'a condamné au paiement des frais de la procédure.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à l'abandon de son expulsion et de son signalement dans le SIS.

b.a. Par acte d'accusation du 23 novembre 2021, il était reproché à A______ d'avoir, le 4 février 2021, transporté dans le canton de Genève, en particulier à D______, puis manipulé, conditionné et détenu dans l'immeuble sis 1______ à D______, 568.3 grammes nets de cocaïne, d'un taux de pureté variant entre 36.1% et 65%, destinés à la vente, ainsi que du cellophane pour l'emballer et 145.5 grammes nets de produit de coupage.

b.b. Il lui était aussi reproché d'avoir détenu le 28 octobre 2021, 0.8 grammes de cocaïne destinés à la vente.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Il est établi et non contesté que A______ a transporté de la cocaïne de E______ [GE] à D______ pour la cacher. Il a détenu, à tout le moins le 4 février 2021, date de la découverte de la drogue par la police, 568.3 grammes de cocaïne, dont le taux de pureté variait entre 36.1% et 65%. Il n'était cependant pas certain que A______ eut manipulé ou conditionné de la drogue.

A______ a détenu 0.8 grammes de cocaïne destinés à la vente.

a.b. Dans ses considérants relatifs à la fixation de la peine, le TCO a retenu que la faute de A______ pour les faits commis, décrits supra, était grave.

b. A______ a déclaré au TCO et à la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) être né le ______ 1980 au Nigéria, pays dont il était originaire. Il était célibataire et sans enfant. Sa mère, ses sœurs et ses frères vivaient au Nigéria, où ils ne rencontraient pas de problèmes avec les autorités. Aucun parent n'habitait en Suisse. Il entretenait cependant des contacts avec les membres de sa communauté.

Au Nigéria, il était membre d'un mouvement indépendantiste biafrais, soit le F______, depuis 2009, au sein duquel il avait occupé, dans son district, trois positions, à savoir responsable du renseignement, de la sécurité et du recrutement.

En 2012, il s'était rendu, avec d'autres militants, dans un marché de la ville de G______, en marge d'une manifestation, pour distribuer des flyers et parler à l'aide de micros. La police et l'armée étaient arrivées sur place, avait commencé à harceler les gens et à tirer en l'air, puis sur les personnes. Il était parvenu à s'échapper et quelqu'un l'avait caché dans une maison. Le lendemain, la police s'était présentée chez lui et avait, en son absence, arrêté son père à sa place et annoncé qu'elle le libérerait uniquement si A______ se rendait. Sa mère lui avait conseillé de fuir, sachant qu'il serait tué s'il se remettait aux autorités. La police avait refusé de libérer son père et l'avait torturé. Un mois plus tard, ce dernier était décédé en détention. Selon sa mère, lui-même était à ce jour toujours recherché par la police.

Il avait ainsi quitté son pays en 2012 et était arrivé en Suisse en 2014. Sa demande d'asile avait été dans un premier temps refusée. Il avait vécu deux ans (TCO) ou six mois (CPAR) en Allemagne avant de revenir en Suisse en 2016. Il avait obtenu l'asile en avril 2017 à la suite d'une demande en reconsidération, parce qu'il faisait de la politique en Suisse, en faisant partie de l'organisation indépendantiste H______. Il y travaillait pour le recrutement ainsi qu'aux fins d'informer de la situation dans son pays.

Il avait été mis au bénéfice d'un permis B en juillet 2017, non renouvelé depuis lors. Il avait été assisté par l'Hospice général du 1er avril au 30 juin 2017, puis de nouveau à compter d'août 2018.

En Suisse, il était à son arrivée immédiatement devenu membre de l'organisation biafraise H______, que le gouvernement nigérian considérait comme une organisation terroriste. Beaucoup de personnes membres d'un des mouvements indépendantistes biafrais, originaires de sa région, avaient disparu, certainement enlevées et tuées par les autorités. L'ambassade nigériane à Genève avait noté son nom, lorsqu'il avait dû s'y rendre et indiquer être originaire du Biafra, et allait le transmettre aux autorités nigérianes en cas d'expulsion. Il risquait d'être arrêté à l'aéroport s'il rentrait dans son pays et sa famille ne le reverrait plus jamais. Il était très dangereux et risqué pour lui de retourner au Nigéria.

Il avait commis les faits qu'on lui avait reprochés dans la présente procédure de manière non intentionnelle. Il ne ferait plus jamais "ça", ayant tout perdu et rien gagné.

À sa sortie de prison, il souhaitait continuer à travailler pour des organisations bénévoles et pour l'Église, mais avant, il comptait évaluer ses possibilités d'avenir. Il suivait en détention des cours de français. Il avait été scolarisé dans son pays puis avait terminé une formation dans une université polytechnique vers 20 ans, dans le domaine de la construction et du métal. Il bénéficiait d'une expérience professionnelle dans le domaine de la coiffure.

c. J______, entendu comme témoin devant la CPAR, avait été le coordinateur officiel au sein de H______ à Genève, avant sa démission en 2021. Il a précisé qu'au sein de H______, il n'y avait pas de postes spécialisés. A______, qui était un membre actif, était présent à chaque manifestation organisée par le mouvement.

Une personne faisant partie du mouvement H______ n'était pas en sécurité au Nigéria. S'il y était renvoyé, A______ serait arrêté à l'aéroport puis tué. Les autorités du Nigéria connaissaient le nom des membres du mouvement I______

Les relations et les questions des droits humains entre le Nigéria et les membres du mouvement H______ ne semblaient pas s'améliorer à court terme.

d. Les éléments suivants ressortent également du dossier.

d.a. Par décision du 12 avril 2017, le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) a constaté la qualité de réfugié de A______ au sens de l'art. 3 al. 1 et 2 de la loi sur l'asile (LAsi) et a déclaré que la Suisse lui accordait l'asile.

Son audition détaillée par le SEM a été déposée en appel. Les informations données dans la présente procédure avaient été en grande partie livrées à l'autorité fédérale le 28 février 2017, y compris ses explications quant au fait qu'il ne pouvait pas retourner au Nigéria, avec en complément des déclarations sur le mouvement indépendantiste biafrais et l'implication de A______ dans celui-ci.

d.b. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné :

- le 15 novembre 2016 à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 10.- avec sursis et délai d'épreuve de trois ans et à une amende de CHF 200.-, pour délit et contravention à la LStup, entrée illégale et séjour illégal ;

- le 1er décembre 2017 à une peine privative de liberté de 24 mois, dont douze mois avec sursis et un délai d'épreuve de 4 ans, une amende de CHF 100.- et une mesure d'expulsion d'une durée de 5 ans pour crime et contravention à la LStup.

Le jugement du 1er décembre 2017 a été versé à la procédure. Il en ressort que A______ avait participé en juillet / août 2017 à un trafic de cocaïne portant sur deux livraisons pour une quantité totale d'environ 250 grammes, d'un taux de pureté de 50% à 70%. Il avait acquis la drogue, l'avait coupée, conditionnée et pour partie vendue. Il détenait CHF 3'900.- sur lui lors de son interpellation, somme destinée à payer la drogue acquise.

d.c. L'expulsion de A______, ordonnée par jugement du 1er décembre 2017, a été reportée par décision de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du 1er février 2020, pour une durée de douze mois, soit jusqu'au 31 janvier 2021.

C. a. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions.

Les conditions de la clause de rigueur étaient données, dans la mesure où une expulsion le mettrait dans une situation personnelle grave au regard de son statut de réfugié. L'intérêt public à une expulsion ne l'emportait pas sur son propre intérêt à rester en Suisse, raison pour laquelle il devait y être renoncé.

b. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

Il planait un doute quant à l'engagement politique de l'appelant. Rien n'indiquait qu'il était en danger au Nigéria. Il avait porté atteinte aux intérêts de la Suisse, où il était pourtant soutenu financièrement. L'expulsion devait ainsi être prononcée, la situation étant d'ailleurs susceptible d'évoluer dans son pays d'origine d'ici la fin de l'exécution de sa peine.

D. Me C______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 1h40 d'activité de chef d'étude, dont 25 minutes dédiées à la rédaction de la déclaration d'appel, et 8h15 d'activité de stagiaire hors débats d'appel, lesquels ont duré 3h.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le juge expulse un étranger reconnu coupable d'infraction à l'art. 19 al. 2 LStup du territoire suisse pour une durée de cinq à quinze ans (art. 66a al. 1 let. o CP). S'il avait déjà fait l'objet d'une expulsion, la nouvelle mesure pouvait être prononcée pour une durée de 20 ans (art. 66b CP).

Le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l'étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (art. 66a al. 2 CP).

2.2.1. Afin de pouvoir renoncer à une expulsion prévue par l'art. 66a al. 1 CP, il faut que cette mesure mette l'étranger dans une situation personnelle grave et que l'intérêt public soit de peu d'importance, c'est-à-dire que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. Le juge doit renoncer à l'expulsion lorsque les conditions de l'art. 66a al. 2 CP sont réunies, conformément au principe de proportionnalité (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.2 p. 108; 144 IV 332 consid. 3.3).

2.2.2. Pour définir la première condition cumulative, à savoir la "situation personnelle grave", il convient de s'inspirer, de manière générale, des critères prévus par l'art. 31 al. 1 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA) et de la jurisprudence y relative. L'art. 31 al. 1 OASA prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité. Elle commande de tenir compte notamment de l'intégration du requérant, du respect de l'ordre juridique suisse par le requérant, de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants, de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation, de la durée de la présence en Suisse, de l'état de santé ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance. Comme la liste de l'art. 31 al. 1 OASA n'est pas exhaustive et que l'expulsion relève du droit pénal, le juge devra également, dans l'examen du cas de rigueur, tenir compte des perspectives de réinsertion sociale du condamné, tout comme le risque de récidive ou une délinquance récurrente (ATF 146 IV 105 consid. 3.4.1 ; 144 IV 332 consid. 3.3.1 et 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_45/2020 du 14 mars 2022 consid. 3.3.2).

La question de savoir si le retour dans le pays d'origine peut être considéré comme une contrainte acceptable doit également pleinement être prise en compte dans la pesée des intérêts à effectuer. L'autorité de jugement appelée à prononcer une expulsion doit examiner si la mesure s'avère disproportionnée et ne pas renvoyer la question à l'autorité d'exécution, compétente pour reporter l'expulsion, lorsque le principe de non-refoulement ou d'autres règles impératives du droit international s'opposent à l'expulsion (cf. infra art. 66d al. 1 CP ; ATF 145 IV 455 consid. 9.4).

2.3. L'exécution de l'expulsion obligatoire peut être reportée selon l'art. 66d al. 1 let. a CP lorsque la vie ou la liberté de la personne concernée dont le statut de réfugié a été reconnu par la Suisse serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Cette disposition ne s'applique pas au réfugié qui ne peut invoquer l'interdiction de refoulement prévue à l'art. 5 al. 2 de la loi sur l'asile (LAsi ; 66d al. 1 let. a CP in fine). Au sens de l'art. 66d al. 1 let. b CP, l'exécution peut également être reportée lorsque d'autres règles impératives du droit international s'opposent à l’expulsion.

Il existe ainsi deux types de conditions au report de l'exécution de l'expulsion : l'une absolue, qui s'applique à toute personne quel que soit son statut (art. 66d al. 1 let. b CP), et l'autre relative, qui suppose que le statut de réfugié ait été d'abord reconnu par la Suisse à l'étranger expulsé (art. 66d al. 1 let. a CP). Ces éventuels obstacles à l'exécution de l'expulsion doivent déjà être pris en compte au moment du prononcé initial de l'expulsion, pour autant que les circonstances soient stables et puissent être déterminées de manière définitive (arrêt du Tribunal fédéral 6B_711/2021 du 30 mars 2022 consid. 2.1.1).

2.3.1. A teneur de l'art. 5 LAsi, nul ne peut être contraint, de quelque manière que ce soit, à se rendre dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour l'un des motifs mentionnés à l'art. 3 al. 1 LAsi, ou encore d'où il risquerait d'être astreint à se rendre dans un tel pays (al. 1). L'interdiction du refoulement ne peut être invoquée lorsqu'il y a de sérieuses raisons d'admettre que la personne qui l'invoque compromet la sûreté de la Suisse ou que, ayant été condamnée par un jugement passé en force à la suite d'un crime ou d'un délit particulièrement grave, elle doit être considérée comme dangereuse pour la communauté (al. 2).

Pour la notion de crime ou de délit particulièrement grave, évoquée à l'art. 5 al. 2 LAsi, il convient de se référer à l'art. 65 LAsi, qui renvoie notamment à l'art. 63 al. 1 let. b LEI (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_551/2021 du 17 septembre 2021 consid. 3.3.2).

Selon cette dernière disposition, l'autorisation d'établissement ne peut être révoquée que lorsque l'étranger attente de manière très grave à la sécurité et l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse. En règle générale, une personne attente "de manière très grave" à la sécurité et à l'ordre publics lorsque ses actes lèsent ou compromettent des biens juridiques particulièrement importants comme l'intégrité corporelle, physique ou sexuelle. Par analogie, des violations de moindre gravité peuvent, considérées dans leur ensemble, être qualifiées de "très graves" (cf. ATF 137 II 297 consid. 3.3 p. 303 s.; arrêt 2C_107/2018 du 19 septembre 2018 consid. 4.5.1). Seul un crime particulièrement grave autorise à passer outre le principe de non-refoulement. Une exception à ce principe ne se justifie en effet que lorsque l'auteur constitue un danger pour le public de l'État de refuge. Ce danger ne peut pas être admis sur la seule base de la condamnation pour des crimes particulièrement graves ; l'étranger doit encore présenter un risque de récidive concret, un risque uniquement abstrait ne suffisant pas (ATF 139 II 65 consid. 5.4 p. 74 et 6.4 p. 76 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_38/2021 du 14 février 2022 consid. 5.5.4).

2.3.2. L'art. 25 al. 3 Cst. dispose que nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains. L'art. 3 par. 1 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture ; RS 0.105) prévoit qu'aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. L'art. 3 CEDH dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), pour apprécier l'existence d'un risque réel de mauvais traitements au sens de l'art. 3 CEDH, il convient d'appliquer des critères rigoureux. Il s'agit de rechercher si, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le renvoie dans son pays, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'art. 3 CEDH (arrêts de la CourEDH F.G. contre Suède du 23 mars 2016 [requête n° 43611/11] § 113; Saadi contre Italie du 28 février 2008 [requête n° 37201/06] § 125 et 128; Chahal contre Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [requête n° 22414/93] § 74 et 96).

2.4. En l'espèce, l'appelant tombe sous le coup de l'expulsion obligatoire. Il estime toutefois que son expulsion ne devrait pas être prononcée, les conditions de la clause de rigueur étant selon lui réalisées. Il convient de procéder à l'examen de ladite clause de rigueur et de réaliser une pesée des intérêts au sens de l'art. 66a al. 2 CP.

L'intérêt public à son expulsion paraît évident, tant au regard de l'infraction commise que de sa gravité. L'appelant ne présente en revanche pas un fort intérêt à rester en Suisse en tant que tel, comme il ne le conteste pas lui-même. Il n'y a en effet développé aucune attache et ne parle pas de langue nationale, même s'il a commencé à suivre en détention des cours de français. Il n'y a pas exercé de métier et ne semble pour l'instant pas y avoir une quelconque perspective d'avenir particulière. Il a deux antécédents spécifiques, dont l'un date de quelques mois après la reconnaissance de son statut de réfugié. Sa condamnation dans la présente procédure est ainsi la troisième, alors que les faits se sont déroulés après la suspension de son expulsion. L'appelant n'a pas semblé vouloir saisir les chances que son pays d'accueil lui a offertes et a montré un défaut de prise de conscience.

L'appelant revêt la qualité de réfugié, laquelle ne s'oppose pas en soi au prononcé d'une expulsion (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_368/2020 du 24 novembre 2021 consid. 3.4.1; 6B_747/2019 du 24 juin 2020 consid. 2.2.2; 6B_423/2019 du 17 mars 2020 consid. 2.2.2). L'expulsion d'un réfugié suppose toutefois que celui-ci représente un danger pour la sécurité de la Suisse (cf. art. 5 al. 2 LAsi et 33 al. 2 de la Convention relative au statut des réfugiés).

In casu, la faute de l'appelant a été qualifiée de grave par les premiers juges. La révocation du sursis, non contestée en appel, montre un pronostic défavorable, portant cependant sur des actes ne lésant pas de manière directe l'intégrité corporelle, physique ou sexuelle. La présente procédure voit l'appelant réprimé pour la troisième reprise à une infraction contre la LStup. En détenant 568.3 grammes de cocaïne, dont le taux de pureté variait entre 36.1% et 65%, destinés à la vente, le recourant a pris le risque de mettre en danger la santé de plusieurs personnes, portant ainsi atteinte à un bien juridique important (arrêt du tribunal fédéral 2C_89/2018 du 16 août 2018 consid. 4.2.3). La succession de ses actes répréhensibles semblerait démontrer qu'il refuse d'être disposé ou apte à se conformer à l'ordre juridique suisse. Néanmoins, il a acquis l'asile en Suisse et a affirmé se trouver en danger de mort dans son pays d'origine. Il a relaté comment des personnes membres d'un des mouvements indépendantistes biafrais, originaires de sa région, disparaissaient, enlevées et tuées par les autorités. Le témoin entendu en appel a confirmé les traitements inhumains ou dégradants au sens de l'art. 3 CEDH auxquels pouvaient s'exposer au Nigéria les militants en faveur de l'indépendance du Biafra. L'OCPM a déjà reporté une première fois son expulsion du territoire Suisse, indice des dangers auquel l'appelant est exposé. Au regard de l'art. 3 CEDH, les risques pour la vie de l'appelant paraissent disproportionnés au regard de l'ensemble des circonstances particulières du cas, à savoir la commission d'infractions relativement isolées dans le temps, sans atteintes directes à l'intégrité corporelle, physique ou sexuelle d'autrui, sa volonté de ne plus récidiver et ses perspectives d'avenir laissant un espoir de respect des personnes et de l'ordre juridique suisse dans le futur. La peine privative de liberté prononcée n'est pas si longue qu'il serait à ce stade prématuré de renoncer au prononcé de l'expulsion, la situation au Nigéria étant peu susceptible d'évoluer d'ici à ce que l'appelant ait exécuté sa peine.

Il ressort de ce qui précède que l'intérêt public à l'expulsion de l'appelant ne l'emporte pas sur son intérêt privé à demeurer en Suisse. Il sera dès lors renoncé au prononcé de cette mesure et à l'inscription de celle-ci au registre SIS.

Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.

3. L'appel ayant été admis, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (art. 428 CPP a contrario).

4. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me C______, défenseur d'office de l'appelant, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale. Il convient cependant de retrancher les 25 minutes dédiées à la rédaction de la déclaration d'appel, comprise dans la majoration forfaitaire, et d'ajouter 3 heures pour la durée des débats d'appel et une vacation aller/retour au et du Palais de justice au tarif d'avocat stagiaire. La majoration forfaitaire sera fixée à 10 % vu que l'état de frais porte sur plus de 30 heures, décomptées depuis l'ouverture de la procédure.

La rémunération de Me C______ sera partant arrêtée à CHF 1'821.50 correspondant à 1h15 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure (CHF 250.-), 11h15 d'activité au tarif de CHF 110.-/heure (CHF 1'237.50) plus la majoration forfaitaire de 10 % (CHF 148.80), une vacation à CHF 55.- et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 130.20).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTCO/11/2022 rendu le 24 janvier 2022 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/17608/2021.

L'admet.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. b et d et al. 2 let. a LStup) et d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. d LStup).

Révoque le sursis partiel octroyé le 1er décembre 2017 par le Tribunal de police à la peine privative de liberté de 24 mois, dont 12 mois avec sursis (art. 46 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine privative de liberté d'ensemble de 3 ans et demi, sous déduction de 243 jours de détention avant jugement (dont 208 jours en exécution anticipée de peine) (art. 40 CP).

Renonce à ordonner l'expulsion de Suisse de A______ (art. 66a al. 2 et 66d al. 1 let. a CP ).

Ordonne la confiscation et la destruction de la drogue et des objets figurant sous chiffre 3 de l'inventaire n° 2______ et sous chiffres 1 à 7 de l'inventaire n° 3______ (art. 69 CP).

Ordonne la confiscation du faux billet figurant sous chiffre 2 de l'inventaire n° 2______ (art. 69 CP).

Ordonne la restitution à A______ des téléphones portables figurant sous chiffres 4 et 5 de l'inventaire n° 2______ (art. 267 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 4'733.40, y compris un émolument de jugement de CHF 800.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne le séquestre des valeurs patrimoniales figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 2______ et compense à due concurrence la créance de l'Etat portant sur les frais de la procédure avec ces valeurs patrimoniales (art. 442 al. 4 CPP).

Prend acte de ce que l'indemnité de procédure due à Me C______, défenseur d'office de A______ a été arrêtée à CHF 3'661.80 pour la procédure préliminaire et de première instance (art. 135 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'335.-, comprenant un émolument de CHF 1'000.-, et les laisse à la charge de l'État.

Arrête à CHF 1'821.50, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______ pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal pénal, au Secrétariat d'État aux migrations, à l'Office fédéral de la police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Julia BARRY

 

Le président :

Gregory ORCI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal pénal :

CHF

4'733.40

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

160.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

100.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'335.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

6'068.40