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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1089/2023

DCSO/292/2023 du 29.06.2023 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : lp.17.al3; lp.88
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1089/2023-CS DCSO/292/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 29 JUIN 2023

 

Plainte 17 LP (A/1089/2023-CS) formée en date du 24 mars 2023 par A______ SA, comparant en personne.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______ SA

______

______

______ [BE].

- B______

______

______ [GE].

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. Le 25 août 2021, A______ AG a engagé à l'encontre de B______ une poursuite ordinaire en vue du recouvrement des montants de 13'158 fr. plus intérêts au taux de 5% à compter du 23 février 2021 et de 1'162 fr. 90.

b. Le commandement de payer, poursuite n° 1______, établi le
21 octobre 2021 par l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) a été notifié le 23 octobre 2021 à la poursuivie. Aucune opposition n'a été enregistrée dans le délai de dix jours prévu par l'art. 74 al. 1 LP.

c. A______ AG ayant requis la continuation de la poursuite, l'Office a adressé à B______, le 26 novembre 2021, un avis de saisie pour le 18 janvier 2022.

d. Le 3 janvier 2022, l'Office a reçu un document portant la date du
27 décembre 2021, émanant apparemment de A______ AG et comportant une signature attribuée à C______, inscrite au Registre du commerce en qualité de membre du conseil d'administration de A______ AG avec signature collective à deux, dont la teneur était la suivante :

"Contrordre de poursuite n° 1______

Chère Madame, Cher Monsieur,

Suite au plein paiement de Madame B______, née à Genève le ______ 1991, nous vous transmettons le contrordre de réquisition de la poursuite 1______ dans le canton de Genève.

Meilleurs messages,

C______"

e. Il a été établi par la suite, dans le cadre d'une procédure pénale engagée sur plainte de A______ AG, que ce document était un faux, confectionné par B______ "afin de retarder l'échéance de paiement de sa dette au vu de la situation financière difficile dans laquelle elle se trouvait" (ordonnance pénale rendue le 12 juin 2023 dans la procédure pénale P/2______/2022).

f. Donnant suite le 6 janvier 2022 au document reçu le 3 janvier 2022, l'Office a clôturé la poursuite n° 1______.

g. Le 29 juin 2022, A______ AG a adressé à l'Office une demande e-LP relative à l'état d'avancement de la poursuite n° 1______ et a reçu, le même jour et sous la même forme, l'information que ladite poursuite aurait été retirée.

Le 28 novembre 2022, A______ AG a adressé à l'Office, par courriel, une nouvelle demande de renseignements dans laquelle elle attirait l'attention de l'Office sur le fait qu'elle n'avait jamais retiré la poursuite. L'Office lui a répondu le même jour, par courriel également, lui communiquant une copie du document reçu le 3 janvier 2022 et lui indiquant que "rien ne lui permet[ttait] de rouvrir la poursuite".

Par un nouveau courriel adressé le 29 novembre 2022 à l'Office, A______ AG lui a indiqué que le document reçu le 3 janvier 2022 était un faux et qu'elle entendait déposer une plainte pénale. Elle a par ailleurs invité l'Office à réactiver la poursuite n° 1______ et à procéder à la saisie ou, s'il s'y refusait, à rendre une décision susceptible de plainte. Par courriel du 30 novembre 2022, l'Office a confirmé qu'il n'entendait ni réactiver la poursuite litigieuse ni rendre une décision formelle.

Les positions de l'Office et de A______ AG n'ont plus évolué malgré plusieurs échanges de courriels postérieurs.

h. Dans l'intervalle, soit le 7 novembre 2022, A______ AG avait engagé à l'encontre de B______ une nouvelle poursuite, n° 3______, en vue du recouvrement des mêmes montants de de 13'158 fr. plus intérêts au taux de 5% à compter du 23 février 2021 et de 1'162 fr. 90 déjà réclamés dans la poursuite n° 1______.

A______ AG a expliqué à cet égard que cette démarche visait à éviter que la procédure de recouvrement ne soit retardée par le règlement de la situation de la poursuite n° 1______, et ainsi à obtenir plus rapidement le paiement des montants réclamés.

Donnant suite à cette nouvelle réquisition de poursuite, l'Office a notifié le
21 décembre 2022 à B______ un commandement de payer, poursuite, n° 3______, auquel celle-ci n'a pas formé opposition. Après que la continuation de la poursuite eut été requise par A______ AG et qu'un avis de saisie pour le 24 mars 2023 lui eut été adressé, B______ a soldé la poursuite en capital, intérêts et frais, le 29 mars 2023.

B. a. Par acte adressé le 24 mars 2023 à la Chambre de surveillance, A______ AG a formé à l'encontre de l'Office une plainte pour déni de justice dans la poursuite n° 1______, lui reprochant de refuser de continuer ladite poursuite ou, à tout le moins, de rendre sur l'admission du document reçu le 3 janvier 2022 une décision pouvant être contestée par la voie de la plainte.

b. Dans ses observations du 6 avril 2023, l'Office a conclu principalement à l'irrecevabilité de la plainte au motif que, les montants réclamés dans la poursuite n° 1______ l'ayant également été dans la poursuite, n° 3______, laquelle avait été soldée par un paiement de la poursuivie, la plainte ne poursuivait plus aucun but concret. Sur le fond, l'Office a considéré qu'il ne lui appartenait pas de vérifier si une déclaration de retrait d'une poursuite émanait effectivement du créancier poursuivant.

c. Par réplique spontanée du 14 avril 2023, A______ AG a relevé que, si elle avait effectivement pu recouvrer dans la poursuite n° 3______ les montants en capital et intérêts déjà réclamés dans la poursuite n° 1______, les frais prélevés par l'Office dans cette dernière poursuite, soit en l'état 165 fr. 60, demeuraient pour l'instant à sa charge, ce qui justifiait que ladite poursuite soit continuée.

d. Une audience a été tenue le 20 juin 2023, lors de laquelle A______ AG a remis à la Chambre de céans copie d'une ordonnance pénale rendue le 12 juin 2023 par le Ministère public dans la procédure pénale n° P/2______/2022. Il ressort de cette décision que B______ a été reconnue coupable de faux dans les titres au sens de l'art. 251 ch. 1 CP pour avoir confectionné et transmis à l'Office le document décrit sous lettre A.d ci-dessus.

e. La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience du 20 juin 2023.

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3).

La plainte doit en principe être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut toutefois être déposée en tout temps lorsque la partie plaignante invoque un retard injustifié ou un déni de justice de la part de l'office (art. 17 al. 3 LP).

1.2 La plainte, qui respecte les exigences de forme prévues par la loi, émane en l'espèce d'une personne directement touchée dans ses intérêts juridiquement protégés par le comportement qu'il reproche à l'Office, lequel le prive de la possibilité d'obtenir le remboursement des frais de poursuite qu'il a dû avancer. Ce comportement constituant à son sens un déni de justice, la plainte pouvait par ailleurs être déposée en tout temps.

Elle est donc recevable.

2. 2.1 Il y a retard non justifié, au sens de l'art. 17 al. 3 LP, lorsqu'un organe de l'exécution forcée n'accomplit pas un acte qui lui incombe – d'office ou à la suite d'une requête régulière – dans le délai prévu par la loi ou dans un délai raisonnable compte tenu de l'ensemble des circonstances (Cometta/Möckli, in BAK SchKG I, 2ème édition, 2010, n° 31-32 ad art. 17 LP; Dieth/Wohl, in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, n° 32 ad art. 17 LP; Erard, in CR LP, 2005, n° 55 ad art. 17 LP).

Il y a déni de justice au sens de l'art. 17 al. 3 LP lorsque l'Office (ou un autre organe de l'exécution forcée) refuse de procéder à une opération alors qu'il en a été régulièrement requis ou qu'il y est tenu de par la loi. Cette disposition vise ainsi le déni de justice formel – soit la situation dans laquelle aucune mesure n'est prise ou aucune décision rendue alors que cela devrait être le cas – et non le déni de justice matériel – soit la situation dans laquelle une décision est effectivement rendue, mais qu'elle est arbitraire (Erard, op. cit., 2005, n° 52 à 54 ad art. 17 LP; Dieth/Wohl, op. cit., n° 32 ad art. 17 LP). Il en découle qu'il ne peut en principe y avoir déni de justice au sens de l'art. 17 al. 3 LP lorsqu'une mesure ou une décision susceptible d'être attaquée dans le délai de dix jours prévu par l'art. 17 al. 2 LP a été prise par l'Office, quand bien même elle serait illégale ou irrégulière (ATF 97 III 28 consid. 3a; Erard, op. cit., n° 53 ad art. 17 LP).

2.2 A réception d'une réquisition de continuer la poursuite, l'Office des poursuites vérifie sa compétence à raison du lieu, la validité formelle de la réquisition, l'existence d'un commandement de payer entré en force et le respect des délais prévus par l'art. 88 al. 1 et 2 LP. Si ces vérifications ne le conduisent pas à refuser de donner suite à la réquisition, il détermine le mode de continuation de la poursuite et, si le débiteur est sujet à la poursuite par voie de saisie, est tenu de procéder "sans retard" à la saisie. Il s'agit là d'une prescription d'ordre, qui impose à l'Office d'agir sans désemparer mais en tenant compte de l'ensemble des circonstances, tout en respectant les délais fixés par la loi (art. 90 LP) ainsi que les temps prohibés, féries et suspensions prévus par les art. 56 et suivants LP (art. 89 LP; Winkler, in KUKO SchKG, n° 4 ad art. 89 LP; Foëx, in CR LP, 2005, n° 15 ad art. 89 LP).

2.3 Il résulte en l'espèce du dossier que l'Office a été valablement saisi par la plaignante d'une réquisition de continuer la poursuite n° 1______, fondée sur un commandement de payer valablement notifié, non frappé d'opposition et non périmé. Il lui appartenait dès lors de procéder "sans retard" à la saisie. Or l'Office, après avoir communiqué à la poursuivie un avis de saisie pour le 18 janvier 2022, a renoncé le 6 janvier 2023 à poursuivre la procédure de saisie au motif que la plaignante aurait retiré la poursuite. Il a par la suite indiqué à celle-ci, qui contestait être l'auteur de la déclaration de retrait reçue par l'Office, qu'il n'entendait pas reprendre la procédure de saisie.

Dans la mesure où il a été établi dans le cours de la procédure de plainte que le document reçu le 3 janvier 2022 par l'Office n'émanait effectivement ni de la plaignante ni d'un éventuel représentant de celle-ci, l'argumentation de l'Office fondée sur une apparente déclaration de retrait tombe : la plainte doit donc être admise et il sera ordonné à l'Office de reprendre la procédure de saisie dans la poursuite n° 1______ en tenant compte du fait que la poursuivie s'est acquittée dans l'intervalle, en capital et intérêts, des montants réclamés dans le cadre de cette poursuite.

Il n'y a pour le surplus pas lieu, au vu du résultat de l'instruction, d'examiner si la conception de l'Office selon laquelle "il ne lui appartient pas de contrôler si le document de contrordre est réellement déposé par le créancier" devrait être approuvée. Tout au plus convient-il de relever qu'en l'espèce le contrordre invoqué – même supposé authentique – n'engageait pas la plaignante puisqu'il ne comportait qu'une seule signature, attribuée à une personne ne disposant pas du pouvoir de représenter seule la poursuivante.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte pour déni de justice formée le 24 mars 2023 par A______ AG dans la poursuite n° 1______.

Au fond :

L'admet.

Ordonne à l'Office cantonal des poursuites de reprendre la poursuite n° 1______ dirigée contre B______.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.