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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1123/2024

JTAPI/308/2024 du 09.04.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1123/2024 LVD

JTAPI/308/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 avril 2024

 

dans la cause

 

 

Madame A______, représentée par Me Andreia RIBEIRO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             La police est intervenue au ______[GE] le 31 mars 2024 au domicile de Madame A______ et de Monsieur B______.

2.             Mme A______ a été entendue par la police le même jour.

Elle a expliqué que son mari et elle étaient rentrés vers 1h00 ou 2h00 du matin de chez des amis et que son mari s’est énervé parce que son fils, né d’une précédente union, avait oublié de laisser une clé dans la boite à lettres. Son mari s’était ensuite rendu dans la chambre de son fils pour y trouver du cannabis : il avait toutefois arrêté d’en fumer depuis 5 jours.

Une discussion avait alors débuté et son mari l’avait traitée de « pute » et de « cochonne », et lui avait dit « va te faire foutre ». Il lui avait dit qu’elle était une manipulatrice par rapport à sa famille au Brésil et qu’il allait lui « péter les dents ». Il lui avait également serré le cou pendant environ cinq à dix secondes et dit qu’il pouvait la tuer mais qu’il n’allait pas le faire pour ne pas gâcher sa propre vie. Il n’avait pas mis beaucoup de force et elle pouvait respirer. Elle avait enregistré un message vocal de la dispute. Après avoir quitté le salon, il était revenu et l’avait agressée verbalement : cette fois-ci, il avait appuyé avec son poing droit sur sa pommette gauche, il avait mis un peu de force, ce qui lui avait occasionné un gonflement et une tuméfaction. Elle avait alors appelé son fils pour qu’il appelle la police.

Ce n’était pas la première fois que son mari la tapait mais elle ne se souvenait pas des dates : il lui avait déjà serré le cou et fait la même chose avec son poing, la dernière fois ses enfants avaient dû intervenir afin qu’il la lâche, c’était en 2020. Son mari l’insultait régulièrement notamment de « pute » et de « cochonne ».

Quand ils vivaient au Portugal entre 2016 et 2018, elle s’était déjà une fois rendue à la police pour déposer plainte mais il n’y avait pas eu de suite.

Elle était d’accord de divorcer mais n’avait pas les moyens de payer les frais de procédure.

3.             M. B______ a également été entendu par la police le 31 mars 2024.

Le couple s’était connu en 2014 et pendant les trois premières années tout avait bien fonctionné. Après quatre ans, ils avaient envisagé de partir vivre au Portugal et avaient ainsi vécu en alternance entre ces deux pays pendant un an et demi. En 2023, un mois avant leur mariage, le fils ainé de sa femme lui avait dit que sa mère avait eu une relation extraconjugale ; il n’avait toutefois pas pu vérifier l’information et avait fait confiance à sa femme.

Le 31 mars 2024, ils discutaient de se rendre tous ensemble au Brésil et au fur et à mesure de la discussion, le discours de tromperie était revenu dans la conversation. Il avait souhaité mettre un terme à la conversation et lui avait demandé de quitter l’appartement. Elle avait répondu qu’elle avait deux enfants et que c’était à lui de partir. Il était parti s’allonger sur le canapé et était ensuite revenu pour poursuivre la conversation. Sa femme lui avait alors d’emblée crié dessus de manière hystérique en répétant « frappe-moi ». A ce moment-là, il avait perdu le contrôle et appuyé la paume de sa main droite - et non le poing - au niveau de son œil gauche. Il ne l’avait pas frappée mais l’avait repoussée très fort et cela lui avait laissé une marque. Ce n’était pas un coup de poing, si cela avait été le cas il y aurait plus de dégâts.

Deux ans auparavant, il avait insulté sa femme mais pas ce jour, lui ayant juste dit qu’elle mériterait « d’en prendre une » mais pas qu’il allait lui casser les dents. Il lui avait peut-être dit cela quand il avait appris qu’il était « cocu ».

Il avait une fois frappé sa femme quand ils étaient au Portugal. En ce moment, ils se disputaient quasiment chaque semaine.

Il voyait difficilement la suite de sa relation avec sa femme, il l’aimait et ses enfants étaient comme les siens mais pour pouvoir continuer avec elle, il fallait qu’elle le lui montre, il demandait juste du respect.

S’il était éloigné, il n’aurait pas d’endroit où aller mais respecterait la procédure. Il devait toutefois aller récupérer des affaires chez lui.

Il était allé dans la chambre de son fils pour prouver à sa femme que ce dernier fumait du cannabis mais lui avait arrêté depuis une semaine.

Il avait déjà occupé les services de police en septembre 2023 pour des faits similaires.

4.             Par décision du 31 mars 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement du 31 mars 2024 à 14h30 au 11 avril 2024 à 17h00 à l'encontre de M. B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir, le 31 mars 2024, donné un coup de poing au visage et serré le cou de Mme A______, et l’avoir injuriée de « pute », « cochonne » et « va te faire foutre ». Il aurait également menacé Mme A______ en lui disant « je vais te péter les dents ».

Précédemment, il aurait serré le cou et donné des coups de poing à Mme A______ à plusieurs reprises depuis 2020, et l'aurait également injuriée à plusieurs reprises.

5.             M. B______ ne s’est pas opposé à cette mesure.

6.             Par acte du 4 avril 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 5 avril 2024, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant qu’elle avait peur de M. B______ et craignait qu’il ne se rendit au domicile.

7.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 5 avril 2024, de l'audience qui se tiendrait le 8 avril 2024 à 14h00.

8.             Lors de l'audience du 8 avril 2024, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours. Son mari avait respecté la mesure. Les violences qu'elle avait subies le 31 mars étaient d'un degré supérieur aux précédentes : elle craignait que son mari ne devienne de plus en plus violent et souhaitait qu'il suive un traitement et s’y tienne avant de revenir à la maison – afin qu’il apprenne à contrôler sa colère et sa nervosité. Elle était partante pour participer à ce suivi. Elle se sentait blessée et ni ses enfants ni elle ne souhaitaient qu'il revienne à la maison au terme de la mesure. Elle avait une fois discuté avec son mari d'aller voir une fois un thérapeute familial et pour sa part elle était disposée à le faire. Ce serait pour elle le début de la thérapie qu'elle souhaitait pour son mari.

M. B______ a indiqué qu'il ne s'était pas opposé à la mesure d'éloignement d'une durée de dix jours mais pensait qu'une prolongation de 30 jours était disproportionnée. Il avait pris contact avec l'association C______ et avait un rendez-vous le lendemain à 15h. Il n'avait pas tenté d'entrer en contact avec Mme A______. Il entendait les craintes de sa femme. Il reconnaissait qu'il avait perdu le contrôle lors de l’altercation du 31 mars : ils se chamaillaient régulièrement mais cette fois-ci il avait dépassé les bornes. Il était conscient de ce qu'il avait fait et ne minimisait pas l'impact de son geste. Il tenait beaucoup à sa femme et souhaitait pouvoir discuter avec elle des mesures à prendre pour continuer sa vie de couple. Il avait trouvé une solution de logement. Il était disposé à entreprendre un suivi. Il était ici pour faire en sorte qu'ils puissent de nouveau s'entendre. Il était exact qu'une fois, en 2020, alors qu'ils se trouvaient en France, ils s'étaient mutuellement poussés. Il y avait déjà eu un peu de violence lorsqu'ils vivaient au Portugal.

Les parties étaient toutes les deux disposées à accepter la prolongation de la mesure d'éloignement jusqu'au lundi 22 avril 2024 à 17h00, ce qui leur permettrait de se revoir une fois que le rendez-vous chez C______ et le rendez-vous auprès de la D______ eussent eu lieu.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, M. B______ ne minimise pas les faits qui se sont déroulés le 31 mars 2024 et l’impact de son geste sur sa femme. Il se dit conscient d’avoir dépassé les bornes. Il avait pris rendez-vous avec C______ et était disposé à débuter un suivi. Il souhaitait par ailleurs pouvoir discuter avec femme des mesures à prendre pour continuer leur vie de couple.

Mme A______ a pour sa part fait valoir que les violences du 31 mars 2024 étaient d’un degré supérieur aux précédentes et qu’elle craignait que son mari devienne de plus en plus violent ; elle voulait qu’il suive un traitement, étant elle-même disposée à participer à ce suivi et consulter un thérapeute familial, démarche qui avait déjà été discutée au sein de couple. Elle avait elle-même un rendez-vous à la D______.

Il ressort de ce qui précède que les époux sont conscients de la situation et que celle-ci ne peut pas durer. Ils s’accordent sur le fait que M. B______ doit entamer un suivi thérapeutique pour canaliser et contrôler sa colère et sa nervosité. Ils s’accordent aussi sur le fait qu’une prolongation de la mesure d’éloignement jusqu’au 22 avril 2024 à 17h00 serait adéquate, permettant à M. B______ de se rendre à son rendez-vous auprès de C______ et à Mme A______ à celui pris auprès de la D______.

Au vu des circonstances du cas d’espèce et de l’accord des parties, le tribunal estime opportun de prolonger la mesure d’éloignement pour une durée de onze jours, soit jusqu’au 22 avril 2024 à 17h00.

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 4 avril 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 31 mars 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de onze jours, soit jusqu'au 22 avril 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu’il n’est pas perçu d’émoluments ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière