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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/16680/2019

CAPH/9/2024 du 22.01.2024 sur JTPH/146/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CO.322; CO.86; CO.87.al1
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16680/2019 CAPH/9/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 22 JANVIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 10 mai 2023 (JTPH/146/2023), représentée par
Me James BOUZAGLO, avocat, Monfrini Bitton Klein, place du Molard 3,
1204 Genève,

 

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Vincent TATTINI, avocat, Watt law Sàrl, route de Malagnou 6, case postale 441, 1211 Genève 12.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/146/2023 du 10 mai 2023, reçu le lendemain par A______ SA, le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal), à la forme, a déclaré recevable la demande formée le 11 novembre 2019 par B______ contre A______ SA (chiffre 1 du dispositif). Sur le fond, le Tribunal a condamné A______ SA à verser à B______ la somme brute de 60'000 fr., sous déduction de la somme nette de 31'000 fr., avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er février 2018 (ch. 2) et la somme brute de 5'737 fr. 90, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2018 (ch. 3), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 4), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5). Statuant sur les frais, le Tribunal a arrêté les frais de la procédure à 1'047 fr., répartis à hauteur de 697 fr. à charge de B______ et de 350 fr. à charge de A______ SA et compensés avec l’avance de frais de 1'047 fr. effectuée par B______, laquelle restait acquise à l’Etat de Genève, condamné A______ SA à verser à B______ la somme de 350 fr. (ch. 6 à 9), dit qu’il n’était pas alloué de dépens (ch. 10) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 11).

B.            a. Par acte expédié à la Cour de justice le 12 juin 2023, A______ SA a formé appel contre le jugement précité, dont elle a requis l'annulation. Elle a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans sa réponse du 14 août 2023, B______ a conclu à la confirmation du jugement attaqué, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les 15 septembre et 3 octobre 2023, les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, en persistant dans leurs conclusions.

A______ SA a déposé deux pièces nouvelles, soit des "Déclarations des salaires versés par l'employeur à son personnel", datées des 16 février 2018 et 16 mars 2019. B______ a soulevé l'irrecevabilité de ces pièces.

d. Les parties ont été informées le 6 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour:

a. C______ SA (auparavant, soit d'octobre 2017 à juillet 2019, D______ SA) est une société inscrite le ______ 2015 au Registre du commerce de Genève, dont le but est la production, la réalisation, la diffusion, l'exploitation, l'importation et l'exportation de toutes œuvres audiovisuelles, littéraires et musicales quel qu'en soit le support, ainsi que tous produits de divertissement, développement et commercialisation de software en lien avec le but.

B______ en est l'actionnaire et l'administrateur unique.

A______ SA est une société inscrite le ______ 2017 au Registre du commerce de Genève, dont le but est la conception, la production, la réalisation, la diffusion, la distribution, l'exploitation, l'importation et l'exportation d'œuvres audiovisuelles, littéraires et musicales quel qu'en soit le support, de produits de divertissement et multimédia, de produits dérivés, ainsi que le développement et la commercialisation de software en lien avec le but.

E______ en est l'unique administratrice et dispose dès lors de la signature individuelle. B______ en est l'un des fondateurs et un ancien actionnaire.

b. B______ a déployé ses services en tant que directeur artistique pour le compte de A______ SA. Son activité a été successivement régie par un contrat de travail, puis par un contrat de mandat conclu par sa société C______ SA avec A______ SA.

b.a Selon un contrat de travail de durée indéterminée signé le 19 mars 2018 entre B______ et A______ SA, le premier devait percevoir, pour 40 heures par semaine, un salaire brut de 12'000 fr., à verser 12 fois l'an mensuellement par virement postal. Il devait bénéficier de 5 semaines de vacances par année civile; les vacances devaient être fixées proportionnellement à la durée des rapports de travail lorsque l'année de service n'était pas complète et leur date devait être fixée d'entente avec l'entreprise.

Les rapports de travail ont duré du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018.

b.b Par contrat de mandat du 20 mars 2018, C______ SA (à l'époque F______ SA) s'est engagée à mettre B______ (son salarié dès le 1er avril 2018) à la disposition de A______ SA durant 40 heures par semaine, à compter du 1er avril 2018, moyennant des "honoraires bruts" de 13'800 fr., à verser "mensuellement à la mandataire, par virement postal". La mandataire s'engageait à verser "l'intégralité des charges sociales afférentes à l'activité du collaborateur".

Par message électronique du même jour, E______ (E______@A______.com) a envoyé à B______ (B______@A______.com), pour prise de connaissance et signature, "le contrat de mandat pour D______, qui rempla[çait] [s]on contrat de travail dès le 1er avril 2018".

Dès le 1er novembre 2018, le taux de mise à disposition du collaborateur a été réduit à 40 %, soit 16 heures par semaine, et les honoraires ont été réduits à 5'520 fr, par mois, selon un avenant du 29 octobre 2018.

Par courrier du 8 janvier 2019 adressé à D______ SA, A______ SA a résilié le contrat de mandat pour le 8 mars 2019.

c. B______ a reçu de A______ SA sur son compte 1______ auprès de [la banque] G______ les montants suivants:

- 5'000 fr. le 28 novembre 2017 avec la mention "ACOMPTE NOVEMBRE A______ SA EN FORMATION" (versés par E______),

- 5'000 fr. le 22 décembre 2017 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 5'000 fr. le 25 janvier 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 23 février 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 26 mars 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 26 avril 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 28 mai 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 25 juin 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 25 juillet 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 8'000 fr. le 4 septembre 2018 avec la mention "SALAIRE AOUT",

- 8'000 fr. le 8 octobre 2018 avec la mention "ACOMPTE HONORAIRES SEPTEMBRE",

- 2'000 fr. le 23 novembre 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

- 3'000 fr. le 26 novembre 2018 avec la mention "ACOMPTE SALAIRE",

d. A______ SA a établi les deux certificats de salaire suivants, adressés à "B______" [prénom, orthographié différemment]:

- un certificat 2017 pour la période du 1er novembre au 31 décembre, daté du 23 avril 2018, mentionnant un salaire brut de 24'000 fr. et un salaire net de 22'495 fr., après déduction de 1'505 fr. de cotisations AVS/AI/APG/AC/AANP,

- un certificat 2018 pour la période du 1er janvier au 31 mars, daté du 16 mars 2019, mentionnant un salaire brut de 36'000 fr. et un salaire net de 32'193 fr. 15, après déduction de 2'577 fr. 60 de cotisations AVS/AI/APG/AC/AANP et de 1'229 fr. 25 pour le 2ème pilier.

e. Le 11 novembre 2019, après l'échec de la tentative de conciliation, B______ a assigné A______ SA devant le Tribunal, notamment en paiement de la somme brute de 104'767 fr. 94, à titre de solde de salaire et d'indemnité pour les vacances non prises, comprenant en particulier:

- 29'000 fr. bruts, à titre de salaire pour la période de novembre 2017 à mars 2018, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er février 2019,

- 5'737 fr. 93 bruts, à titre d'indemnité pour 10.4 jours de vacances non pris en nature, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er février 2019.

Le solde représentait le salaire et l'indemnité pour les vacances non prises relatifs à la période d'avril 2018 à janvier 2019.

B______ soutenait à l'époque que le contrat intitulé "contrat de mandat" signé le 20 mars 2018 entre A______ SA et C______ SA (anciennement D______ SA) était "la reconduction pure et simple" du contrat de travail. Pour la période de novembre 2017 à fin janvier 2019, il avait droit au versement de la somme brute totale de 173'160 fr. Les montants qui lui avaient été versés pour la période précitée totalisaient 84'000 fr. bruts. A______ SA restait donc lui devoir la différence, soit 89'160 fr. bruts.

f. Dans le cadre d'une action en constatation, en interdiction, en cessation de trouble et en dommages-intérêts portée le 26 novembre 2020 devant le Tribunal de première instance par A______ SA à l'encontre de B______ et C______ SA (cause C/2______/2019, actuellement pendante), cette dernière a conclu reconventionnellement le 14 octobre 2022 au paiement par A______ SA de 60'160 fr. à titre de solde d'honoraires pour la période d'avril 2018 à janvier 2019. C______ SA a tenu compte des huit versements totalisant 53'000 fr. intervenus entre le 26 avril et le 26 novembre 2018 sur le compte bancaire de B______ (cf. ci-dessus, let. C.c).

g. Par ordonnance du 11 juin 2020, le Tribunal a ordonné la suspension de la présente procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure C/2______/2019.

Par jugement rendu le 31 mai 2022 dans la cause C/2______/2019, le Tribunal de première instance s'est déclaré incompétent à raison de la matière pour connaître de la demande formée par A______ SA à l'encontre de B______ et compétent pour connaître de celle formée par A______ SA à l'encontre de C______ SA. Il résulte de ce jugement que A______ SA a allégué qu'elle avait continué à verser les montants dus après le 31 mars 2018 sur le compte bancaire de B______, au motif que les coordonnées bancaires de C______ SA ne lui avaient jamais été communiquées (jugement, p. 17). Il en ressort également que B______ a déclaré lors d'une audience du 16 novembre 2021 que, "durant son travail chez A______", sa seule activité en lien avec un livre dont il était l'auteur avait été de le promouvoir durant ses vacances (jugement, pp. 9-10) et que lorsqu'il souhaitait prendre des vacances, il demandait à E______, ce que celle-ci a contesté (en se référant à une pièce dont les parties ne disent mot dans la présente procédure; jugement, p. 11). B______ a en outre confirmé que lorsqu'il voulait s'absenter du bureau pendant les heures de travail, il ne demandait la permission à personne (jugement, p. 11). Le Tribunal de première instance a nié l'existence d'une relation de travail entre B______ et A______ SA après le 31 mars 2018 et a qualifié de mandat les relations nouées entre C______ SA et A______ SA après le 1er avril 2018.

Par ordonnance du 24 août 2022, le Tribunal a ordonné la reprise de la présente procédure.

h. Dans sa réponse du 13 octobre 2022, A______ SA a conclu au rejet de la demande de B______.

Elle a fait valoir qu'elle s'était acquittée de toutes ses obligations ressortant du contrat de travail et avait remis à son ancien employé les certificats de salaire 2017 et 2018.

i. Lors de l'audience du Tribunal du 30 janvier 2023, B______ a réduit ses conclusions au paiement par A______ SA de 29'000 fr. bruts, à titre de solde de salaire, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er février 2018 et de 5'737 fr. 93 bruts, à titre d'indemnité de vacances, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2018. Il a en outre conclu à la délivrance d'un certificat de salaire 2018 corrigé et d'un certificat de travail, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, questions qui ne sont plus litigieuses en appel.

Il a allégué que, pour la période du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018, il n'avait perçu que la somme nette de 31'000 fr. au total, alors qu'il avait droit à 60'000 fr. et à une indemnité pour 10.4 jours de vacances non pris en nature.

j. Dans un mémoire du 28 février 2023, A______ SA a allégué qu'elle avait versé à B______ la somme totale de 31'000 fr. du 28 novembre 2017 au 26 mars 2018. En 2018, elle lui avait en outre versé un montant total de 29'000 fr., soit 8'000 fr. les 26 avril, 28 mai et 25 juin ainsi que 2'000 fr. le 23 novembre et 3'000 fr. le 26 novembre, ainsi qu'en attestaient les avis de virements bancaires. Elle s'était donc acquittée de toutes ses obligations salariales à l'égard de B______. Quant aux jours de vacances que celui-ci alléguait ne pas avoir pris, il avait déclaré au Tribunal de première instance, d'une part, que lorsqu'il souhaitait prendre des vacances il demandait à E______ et, d'autre part, que sa seule activité en lien avec le livre ______ dont il était l'auteur, durant son travail pour la société, avait été de le promouvoir durant ses vacances. Par conséquent, il avait bien pris des vacances entre le 1er novembre 2017 et le 31 mars 2018.

k. Lors de l’audience du Tribunal du 14 mars 2023, B______ a déclaré qu'il avait pris environ une semaine de vacances pour être présent au Salon du livre. Les versements allégués par sa partie adverse totalisant 29'000 fr. correspondaient à la rémunération de l'activité qu'il avait déployée dans le cadre du mandat.

A______ SA, représentée par E______, a déclaré qu'au début, il était convenu que la société ne paierait que des acomptes aux collaborateurs. C'était ainsi que B______ n'avait reçu que 10'000 fr. pour 2017 au lieu de 22'495 fr. nets. Entre janvier et mars 2018, il n'avait perçu que 21'000 fr., au lieu de 32'193 fr. 15 nets. Pour cette raison, il avait reçu des versements complémentaires après la fin des rapports de travail.

l. Lors de l’audience du Tribunal du 23 mars 2023, les parties ont plaidé, en persistants dans leurs dernières conclusions.

A l’issue de l’audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

D.           Sur les questions demeurées litigieuses en appel, le Tribunal a considéré ce qui suit:

a. B______ réclamait un solde de salaire fondé sur le contrat de travail signé le 19 mars 2018. Il avait allégué n'avoir pas reçu la totalité de la rémunération qui lui était due. Il résultait du dossier que le contrat signé le 19 mars 2018 était un contrat de travail, cette qualification n'ayant pas été remise en cause par les parties. Il n'était en outre pas contesté que les rapports de travail avaient duré du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018 et qu'un contrat de mandat entré en vigueur le 1er avril 2018 avait été conclu entre A______ SA et C______ SA dont B______ était le fondateur et l'actionnaire principal, voire unique.

Restait litigieuse la question du montant de la rémunération effectivement perçue par B______. Selon le contrat de travail de celui-ci, le salaire mensuel avait été fixé à 12'000 fr. bruts, versés douze fois par an. Ainsi, le salaire total brut pour la période du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018 s'élevait à 60'000 fr. (12'000 fr. x 5 mois). Il avait été établi que les salaires versés à B______ pour la durée des rapports de travail totalisaient 31'000 fr. nets. A______ SA n'avait pas apporté la preuve que les paiements effectués à B______ postérieurement au 1er avril 2018 avaient été versés à titre de salaire. Dès lors, ces versements nets postérieurs à la fin des rapports de travail avaient été payés à titre d'honoraires directement au précité, lequel avait continué après le 31 mars 2018 à exercer ses fonctions de directeur artistique auprès de A______ SA par le biais d'un mandat conclu par celle-ci avec la société C______ SA de son ancien employé.

Par conséquent, le Tribunal a considéré que la prétention de B______ était fondée, en ce sens que A______ SA restait lui devoir 60'000 fr. bruts, sous déduction de la somme nette de 31'000 fr. déjà perçue.

Le dies a quo des intérêts moratoires serait fixé au 1er février 2018, échéance moyenne.

b. Les parties avaient convenu cinq semaines de vacances en faveur de l'employé. Celui-ci avait allégué n'avoir pris aucun jour de vacances pendant les cinq mois de son engagement, tandis que l'employeuse prétendait qu'il avait pris une semaine de vacances pendant le Salon du Livre. Le calendrier du Salon du Livre de Genève, information directement accessible sur Internet, était un fait notoire. Or, en 2018, cet évènement culturel s'était déroulé du 25 au 29 avril, soit après la fin des rapports de travail de B______. Ainsi, quand bien même celui-ci avait participé à ce Salon pour la promotion de l'un de ses livres, cette manifestation n'avait pas eu lieu pendant la durée de son engagement. Par conséquent, A______ SA n'avait pas apporté la preuve que l'employé avait bénéficié de tout ou partie des jours de vacances auxquels il avait droit pendant la durée des rapports de travail. Le droit aux vacances de l'employé était de 10.4 jours (25 jours / 12 mois x 5 mois) Partant, sa prétention était fondée à hauteur de 5'737 fr. 93 (12'000 fr. / 21.75 jours x 10.4 jours) arrondie à 5'737 fr. 90 bruts.

EN DROIT

1.             1.1 Interjeté contre une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 142 al. 1 et 3 CPC, art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La valeur litigieuse en première instance étant supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire s'applique et le procès est régi par la maxime des débats, qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC, art. 243 et art. 247 al. 2 CPC a contrario).

1.3 La Cour revoit le fond du litige en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par les juges de première instance et vérifie si ceux-ci pouvaient admettre les faits qu'ils ont retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante - et, partant, recevable -, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

1.4 En l'espèce, l'appelante invoque, à l'appui de son appel, tant une constatation inexacte des faits qu'une violation du droit.

En tant que de besoin, l'état de fait retenu par le Tribunal a été rectifié et complété ci-dessus, de sorte que les griefs de l'appelante en lien avec la constatation inexacte des faits ne seront pas traités plus avant.

2. Avec sa réplique du 15 septembre 2023, l'appelante produit deux pièces nouvelles datées des 16 février 2018 et 16 mars 2019 et allègue des faits nouveaux en résultant.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte qu'aux conditions suivantes : ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a); ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Il faut distinguer les "vrais nova" des "pseudo nova". Les "vrais nova" sont des faits et moyens de preuve qui ne sont survenus qu'après la fin des débats principaux, soit après la clôture des plaidoiries finales (ATF 138 III 788 consid. 4.2; Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 229 CPC). En appel, ils sont en principe toujours admissibles, pourvu qu'ils soient invoqués sans retard dès leur découverte. Les "pseudo nova" sont des faits et moyens de preuve qui étaient déjà survenus lorsque les débats principaux de première instance ont été clôturés. Leur admissibilité est largement limitée en appel, dès lors qu'ils sont irrecevables lorsqu'en faisant preuve de la diligence requise, ils auraient déjà pu être invoqués dans la procédure de première instance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_621/2012 du 20 mars 2013 consid. 5.1 et 4A_643/2011 du 24 février 2012 consid. 3.2.2).

2.2 En l'espèce, l'appelante aurait pu et dû produire les pièces en question en première instance. Elle ne prétend d'ailleurs pas le contraire.

Ces pièces sont donc irrecevables, comme les faits qu'elles visent.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré qu'elle n'a pas versé à l'intimé l'intégralité du salaire pour la période de novembre 2017 à mars 2018. Elle lui reproche également de l'avoir condamnée à verser une somme brute à titre de salaire et invitée à opérer les déductions sociales et légales, alors qu'elle les aurait déjà versées "directement à sa caisse de compensation".

3.1 L'employeur paie au travailleur le salaire convenu, usuel ou fixé par un contrat type de travail ou par une convention collective (art. 322 al. 1 CO). Le salaire doit être payé le dernier jour du mois pendant lequel le travail a été accompli, à moins qu'un terme différent ne soit usuel ou convenu entre les parties (art. 76 al. 1 et 323 al. 1 CO).

3.1.1 La preuve de l'existence de la prétention salariale alléguée incombe à l'employé. Il appartient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve du versement du salaire. Cette preuve peut être apportée par exemple par la production d'une quittance ou d'un décompte de salaire contresigné par le travailleur, voire par des témoins ayant assisté au paiement. Faute de preuves, l'employeur s'expose à devoir payer à nouveau (ATF 125 III 78 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4C.429/2005 du 21 mars 2006 consid. 4.2; DANTHE, in Commentaire du contrat de travail, 2ème éd. 2022, n. 6 ad art. 323b CO).

Le certificat de salaire ne constitue qu'un indice du paiement effectif du salaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2020 du 17 avril 2020 consid. 3). La valeur probante d'un certificat de salaire se limite à une simple attestation de l'employeur à l'intention des autorités fiscales concernant le salaire perçu par l'employé. Dans cette mesure, le certificat de salaire correspond à une quittance ou à une facture, qui n'apporte la preuve que de la déclaration qu'elle matérialise, à savoir qu'une certaine prestation a été reçue ou facturée, mais pas de la véracité de cette déclaration, à savoir que la prestation quittancée ou facturée a effectivement été fournie (cf. ATF 121 IV 131 consid. 2c ; 117 IV 35 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_624/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.3).

3.1.2 Selon l'art. 86 CO, le débiteur qui a plusieurs dettes à payer au même créancier a le droit de déclarer, lors du paiement, laquelle il entend acquitter (al. 1); faute de déclaration de sa part, le paiement est imputé sur la dette que le créancier désigne dans la quittance, si le débiteur ne s'y oppose immédiatement (al. 2). Lorsqu'il n'existe pas de déclaration valable du débiteur, ou que la quittance ne porte aucune imputation, l'art. 87 al. 1 CO dispose que le paiement s'impute sur la dette exigible; si plusieurs dettes sont exigibles, sur celle qui a donné lieu aux premières poursuites contre le débiteur; s'il n'y a pas eu de poursuites, sur la dette échue la première.

Le débiteur exerce son choix par une déclaration, soit un acte juridique unilatéral soumis à réception. Cette déclaration interviendra normalement lors du paiement (LOERTSCHER/TOLOU, Commentaire romand, Code des obligations I, n. 5 ad art. 86 CO).

Pour toute manifestation de volonté unilatérale, la détermination du sens et de la portée de la déclaration s'effectue conformément aux principes généraux en matière d'interprétation des manifestations de volonté (ATF 121 III 6 consid. 3c; arrêts du Tribunal fédéral 4A_429/2022 du 7 mars 2023 consid. 3.1). Il faut tout d'abord rechercher quelle était la volonté réelle du déclarant, et si elle a été bien comprise par le destinataire (interprétation subjective). Si une telle volonté ne peut être établie ou n'a pas été appréhendée comme telle par le cocontractant, le juge déterminera alors quel sens celui-ci pouvait lui donner selon le principe de la confiance (interprétation objective) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_479/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.1). Dans ce dernier cas, il s'agit de rechercher comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3).

3.1.3 Un acompte constitue un paiement anticipé, de sorte que le créancier qui reçoit la somme devra, au moment du décompte, l'imputer en vue de déterminer le solde dû; dans le cas d'un acompte, la somme versée passe dans le patrimoine du créancier qui la reçoit (cf. ATF 136 III 14 consid. 2.2 et les références citées).

3.1.4 Par salaire brut, on entend le montant dû sans déduction de la part due par l'employé aux assurances sociales légales (AVS; AI; APG; AC; LAA; LPP; éventuelles cotisations sociales cantonales) et conventionnelles (p. ex. assurance perte de gain maladie, assurance-accidents complémentaires, prévoyance professionnelle surobligatoire) (ATF 149 III 258 consid. 6.3.1.1 et les références citées).

En matière de cotisations (ou de primes) dues aux assurances sociales légales précitées, l'employeur est le débiteur de la totalité des charges sociales à l'égard de l'institution en cause, soit, lorsque le système est paritaire, de sa propre part et de celle du salarié. Ce n'est en général qu'à lui que l'institution peut s'adresser en vue du paiement. La loi consacre en conséquence une autorisation de l'employeur de déduire la part de cotisations à charge de l'employé du salaire de celui-ci (art. 14 al. 1 LAVS en lien avec l'art. 3 al. 2 LAI; art. 27 LAPG [RS 834.1] et art. 6 LACI [RS 837.0]; art. 91 al. 3 LAA; art. 66 al. 3 LPP et ATF 148 II 73 consid. 5.2; ATF 142 V 118 consid. 5.3 et 5.4). L'employeur ne peut pas objecter n'avoir pas reçu les cotisations du salarié. Il déduit la part de cotisation du salarié et verse celle-ci à l'institution. Par sa nature, l'obligation de l'employeur de percevoir les cotisations est une tâche de droit public prescrite par la loi (ATF 137 V 51 consid. 3.2).

Pour l'AVS/AI/APG/AC, l'employeur procède à la déduction lors de chaque paye (art. 14 al. 1 LAVS; art. 3 al. 2 LAI; art. 5 al. 1 LACI; art. 27 al. 3 LAPG; Directives sur la perception des cotisations dans l'AVS, AI et APG, valables dès le 1er janvier 2021 [état au 1er janvier 2023; ci-après: DP] nos 1007, 2014, 2017, 2029 ss, 3017; pour la LAA, la déduction ne peut être opérée, pour une période de salaire, que sur le salaire de cette période ou de la période qui suit immédiatement, cf. art. 91 al. 3 LAA), puis l'employeur verse la cotisation en même temps que sa propre part à des périodes et dans des délais fixés légalement (art. 34 RAVS; 93 al. 3 LAA). En matière de LPP, la déduction et le versement se font en principe d'après le règlement de la caisse ou un accord particulier (art. 66 al. 2 LPP) (ATF 149 III 258 consid. 6.3.1.2 et les références citées).

3.1.5 A l'instar du demandeur qui doit prendre des conclusions salariales en valeur brute, le juge doit rendre son jugement en valeur brute (DANTHE, op. cit., n. 33 ad art. 322 CO).

Le tribunal des prud'hommes n'est pas autorisé à condamner l'employeur à verser, parallèlement au salaire qui serait déterminé selon la valeur nette, les charges sociales et fiscales aux institutions concernées puisque celles-ci ne sont pas parties à la procédure prudhommale (ATF 149 III 258 consid. 6.2.3 et les références citées).

3.2 En l'espèce, l'appelante a déclaré, lors de chacun des treize paiements effectués sur le compte bancaire de l'intimé (cf. ci-dessus, "En fait" let, C.c), quelle dette elle entendait honorer.

 

Il est acquis que les cinq montants totalisant 31'000 fr. versés entre le 28 novembre 2017 et le 26 mars 2018, soit pendant que le contrat de travail était en vigueur, ont été payés à titre de salaire. Par ailleurs, l'appelante n'a effectué aucun versement sur un compte, bancaire ou postal, appartenant à C______ SA, contrairement à ce qui était prévu par le contrat de mandat. A ce sujet, l'appelante a allégué, dans la procédure pendante devant le Tribunal de première instance, qu'elle avait continué à verser les montants dus après le 31 mars 2018 sur le compte bancaire de l'intimé [actionnaire et administrateur unique de C______ SA], puisque les coordonnées bancaires de sa cocontractante ne lui avaient pas été communiquées. L'appelante reconnaît ainsi que les six versements qu'elle a effectués sur le compte bancaire de l'intimé entre le 25 juillet et le 26 novembre 2018, totalisant 29'000 fr., représentaient des honoraires dus à sa mandataire C______ SA.

 

Le litige porte sur les trois versements intervenus entre le 26 avril et le 25 juin 2018, qui représenteraient un solde de salaire dû à l'intimé selon l'appelante, alors que l'intimé soutient qu'il s'agissait d'honoraires dus à sa société.

 

L'appelante a désigné dix de ses treize versements comme des acomptes de salaire. Le premier versement est qualifié d'"acompte novembre A______ SA en formation", celui du 4 septembre 2018 de "salaire août" et celui du 8 octobre 2018 d'"acompte honoraires septembre". L'appelante a donc qualifié de salaire également des montants qu'elle admet avoir payé à titre d'honoraires de la mandataire, de sorte qu'il n'est pas possible d'établir quelle était sa volonté réelle lors des paiements postérieurs au 31 mars 2018. Dans la mesure où il n'est pas possible de dégager une volonté commune aux parties, il y a lieu de déterminer quel sens l'intimé pouvait donner aux déclarations successives de l'appelante, selon le principe de la confiance.

 

L'appelante a utilisé le terme "acompte", qui désigne un paiement anticipé. Cette désignation a été confirmée par l'appelante lors de l'audience du Tribunal du 14 mars 2023. De bonne foi, l'intimé pouvait ainsi comprendre que les sommes reçues entre le 28 novembre 2017 et le 26 mars 2018, qui parvenaient sur son compte toujours avant la fin du mois, soit avant l'exigibilité du salaire mensuel, étaient des avances sur les salaires des mois courants. En revanche, par définition et selon le principe de la confiance, les "acomptes" reçus entre avril et juin 2018 ne pouvaient pas être compris comme des avances sur les salaires des mois de novembre 2017 à mars 2018. Ces montants sont parvenus à l'intimé après la fin du contrat de travail et durant une période où il exerçait son activité sur la base du contrat de mandat conclu par sa société, qui avait "remplacé" ledit contrat de travail, selon le terme utilisé le 20 mars 2018 par l'administratrice de l'appelante. Les trois paiements litigieux ne pouvaient être compris que comme des avances sur honoraires. L'appelante l'admet d'ailleurs pour les versements effectués entre juillet et novembre 2018.

 

En définitive, c'est à juste titre que le Tribunal a considéré que l'appelante, à qui incombait le fardeau de la preuve du versement du salaire, n'a pas établi que les paiements effectués à l'intimé postérieurement au 1er avril 2018 étaient intervenus à titre de salaire. Les deux certificats de salaire produits ne permettent pas de retenir le contraire, dans la mesure où ils ne constituent qu'une simple attestation de l'employeur à l'intention des autorités fiscales.

 

Contrairement à ce que soutient l'appelante, c'est à juste titre que le Tribunal a rendu son jugement en valeur brute et s'est borné à inviter la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles. Il n'était pas autorisé à condamner l'employeur à verser les charges sociales, ce qui relève des relations entre celui-ci et les institutions concernées.

 

Les griefs de l'appelante se révélant infondés, les chiffres 2 et 4 du dispositif du jugement attaqué seront confirmés.

4 L'appelante fait grief au Tribunal de l'avoir condamnée à verser à l'intimé une indemnité afférente à 10.4 jours de vacances.

4.1 La loi réglemente les vacances comme un droit contractuel du travailleur à une prestation de la part de l’employeur, et non comme une simple restriction des prestations dues par le travailleur. Il appartient dès lors au travailleur de prouver l’existence d’une obligation contractuelle de l’employeur de lui accorder des vacances, et la naissance de cette obligation du fait de la durée des rapports de travail. Il incombe en revanche à l’employeur, débiteur des vacances, de prouver que le travailleur a bénéficié des vacances auxquelles il avait droit (ATF
128 III 271 consid. 2a, trad. in JdT 2003 I p. 606 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C_230/1999 du 15 septembre 1999 consid. 4 ; AUBERT, Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème éd. 2012, n. 8 ad art. 329a CO, p. 2035).

4.2 En l'espèce, il est admis que l'intimé avait droit à 10.4 jours de vacances. L'appelante n'a pas établi que l'employé a bénéficié de ce droit aux vacances durant la période de novembre 2017 à mars 2018. Le fait que l'intimé ait déclaré, dans la procédure pendante devant le Tribunal de première instance, qu'il pouvait s'absenter librement de son lieu de travail ou que, lorsqu'il souhaitait prendre des vacances, il demandait à l'administratrice de l'appelante, ne suffit pas à établir qu'il a effectivement pris 10.4 jours de vacances durant la période précitée.

Pour le surplus, la Cour fait entièrement sienne l'argumentation du Tribunal (cf. partie "En fait" ci-dessus, let. D.b).

Le chiffre 3 du dispositif du jugement attaqué sera donc également confirmé.

5. La procédure étant gratuite, il n'est perçu aucun frais ni alloué de dépens (art. 19 al. 3 let. c et 22 al. 2 LaCC, art. 71 RTFMC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé le 12 juin 2023 par A______ SA contre le jugement JTPH/146/2023 rendu le 10 mai 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/16680/2019.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit que la procédure est gratuite.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Monsieur Claudio PANNO, Madame
Karine RODRIGUEZ, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.