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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/19884/2021

CAPH/124/2023 du 27.11.2023 sur JTPH/338/2022 ( OO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19884/2021-3 CAPH/124/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d’un jugement rendu le 8 novembre 2022 par le Tribunal des prud'hommes (JTPH/338/2022), représentée par Me Thomas BARTH, avocat, Etude BARTH & PATEK, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12,

 

Et

Madame B______, domicilié ______ [GE], intimée, représentée par Me Maxime CLIVAZ, avocat, Etude Interdroit Etude d'avocat-e-s, boulevard Saint-Georges 72, case postale, 1211 Genève 8.


EN FAIT

 

A.           a. Par requête de conciliation adressée le 12 octobre 2021 à l’Autorité de conciliation du Tribunal des prud’hommes, Madame B______ a assigné l’entreprise individuelle A______, dont est titulaire Madame A______, en paiement de la somme totale de 58'273.68 Fr.

b. Une audience de conciliation appointée au 11 novembre 2021 a été reportée sur demande de Madame A______, qui expliquait ne pas pouvoir assister en personne à l’audience.

A l’audience de conciliation du 7 décembre 2021, l’entreprise individuelle A______ était représentée par M. C______, fondé de procuration, et Madame A______ était représentée par Maître D______, avocat, muni d’une procuration.

c. Une autorisation de procéder a été délivrée à l’issue de ladite audience, désignant l’entreprise individuelle A______ comme partie défenderesse.

L’autorisation de procéder a été délivrée pour les conclusions prises par Madame B______ hormis celle tendant à la remise du certificat de travail. Cette prétention de l’employée a été rayée par l’autorité de conciliation dans la mesure où un accord, consistant en la remise d’un certificat, a été trouvé durant l’audience.

Monsieur C______ a signé cet accord partiel pour la « Partie défenderesse ».

d. Par acte reçu au greffe du Tribunal des prud’hommes le 14 mars 2022, Madame B______ a assigné l’entreprise individuelle A______ en paiement d’une somme totale de 60'653.68 Fr.

e. Par réponse du 17 juin 2022, Madame A______ a contesté la capacité d’être partie de l’entreprise individuelle A______ et conclu à l’irrecevabilité de la demande.

f. Par ordonnance du 4 juillet 2022, le Tribunal des prud’hommes a imparti un délai à Madame B______ pour se déterminer sur la recevabilité de sa demande.

g. Dans ses déterminations du 2 septembre 2022, Madame B______ a conclu à la recevabilité de sa demande et à la correction de la désignation de la défenderesse, en ce sens que Madame A______ soit indiquée en lieu et place de l’entreprise individuelle A______.

h. Par jugement JTPH/338/2022 du 8 novembre 2022, le Tribunal des prud'hommes, groupe 3, a :

·         rectifié les qualités de la partie défenderesse de Madame A______,

·         dit que la procédure suivra son cours,

·         dit que la procédure est gratuite et qu’il n’est pas alloué de dépens.

Il a ainsi débouté Madame A______ de ses conclusions tendant à ce que l’action en paiement de Madame B______ du 14 mars 2022 soit déclarée irrecevable.

Le Tribunal a notamment considéré qu’une telle rectification était possible car il n’existait dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, et que les conditions de l’art. 204 CPC étaient remplies, car Monsieur C______, fondé de procuration, était présent à l’audience de conciliation et que Madame A______ avait signé en son propre nom la procuration permettant à Maître E______ de la représenter, admettant ainsi sa qualité de partie.

i. Par mémoire expédié le 18 janvier 2023, Madame B______ a répondu à l’appel de Madame A______.

Elle explique que selon l’art. 204 al. 3 let. c CPC, l’employeur pouvait se faire représenter par un employé habilité par écrit à transiger de sorte que sa comparution personnelle n’était pas exigée. Elle invoque que la position de Madame A______ constitue un abus de droit manifeste (art. 2 al. 2 CC) dans la mesure où l’affaire a été partiellement conciliée lors de l’audience de conciliation par la remise d’un certificat de travail mais aussi du fait que l’Appelante a déposé une plainte pénale contre Madame B______, au nom de l’entreprise individuelle, tout en invoquant dans la procédure prud’homale l’incapacité de l’entreprise individuelle à être partie. Elle invoque que Madame A______ ne dispose par ailleurs pas d’un intérêt digne de protection au sens de l’art. 59 al. 2 let. a CPC, dans la mesure où une nouvelle requête de conciliation a été déposée avec la désignation exacte.

j. Par acte déposé au greffe de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice le 17 février 2023, Madame A______ a soulevé que l’art. 204 al. 3 let. c CPC n'est applicable qu’en cas de procédure simplifiée au sens de l’art. 243 CPC.

k. Par acte expédié le 20 mars 2023, Madame B______ a dupliqué sur la question de l’intérêt digne de protection et persisté dans ses conclusions.

l. La cause a été gardée à juger le 24 avril 2023.

 

 

 

 

 

 

 

 

EN DROIT

1.             1.1 Les décisions incidentes, soit les décisions non finales statuant sur une question qui, si elle était tranchée dans le sens opposé par la juridiction de seconde instance, mettrait fin à la procédure (art. 237 al. 1 CPC), doivent être contestées immédiatement (art. 237 al. 2 CPC), à l'instar d'une décision finale. Constituent en particulier des décisions incidentes celles par lesquelles la juridiction de première instance admet la recevabilité de la demande et rejette les moyens soulevés contre celle-ci par le défendeur (Nicolas Jeandin/Aude Peyrot, Précis de procédure civile, 2015, § 755).

Sont susceptibles d'appel les décisions finales ou incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). En matière patrimoniale, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

L'appel, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'autorité compétente pour en connaître dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'occurrence, l'acte d'appel, respectant la forme écrite et comportant une motivation, a été expédié à la Chambre des prud'hommes, autorité compétente pour connaître des appels et recours formés contre les décisions du Tribunal des prud'hommes (art. 124 let. a LOJ), dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision contestée, intervenue le 9 novembre 2022.

L'appel est donc recevable.

2.             A juste titre, l'appelante ne conteste pas la compétence à raison de la matière (art. 1 al. 1 let. a LTPH) et du lieu (art. 34 al. 1 CPC) du Tribunal. Il n'est pas davantage contesté que la demande ait été déposée auprès du Tribunal dans les trois mois à compter de la délivrance de l'autorisation de procéder à l'intimée (art. 209 al. 3 CPC). Seule est litigieuse, en l'espèce, la question de la recevabilité de la demande en paiement, en particulier celle de l’admissibilité de la rectification d’une désignation formelle inexacte d’une partie affectant sa capacité d’être partie.

2.1 A teneur de l'art. 66 CPC, la capacité d’être partie est subordonnée soit à la jouissance des droits civils, soit à la qualité de partie en vertu du droit fédéral.

Cette disposition définit la capacité d’être partie, à savoir la faculté pour une entité juridique d’être désignée comme demanderesse ou défenderesse au procès (JEANDIN, Code de procédure civile commenté, Bâle 2011, BOHNET/HALDY/JEANDIN/TAPPY, n. 1 ad art. 66 CPC).

En droit suisse, une entreprise individuelle n’est pas considérée comme juridiquement distincte de son titulaire, qui, exerçant l’activité commerciale en son propre nom et sous sa propre responsabilité, est seul à détenir le pouvoir sur l’entreprise et à la représenter (BOHNET/JEQUIER, L’entreprise et la personne morale en procédure civile, in La personne morale et l’entreprise en procédure, Bâle, Neuchâtel 2014, p. 10s).

Une entreprise individuelle ne jouit donc pas des droits civils et n’a pas la capacité d’être partie (ATF 142 III 96, consid. 3.3.3 ; ATA/818/2021, consid. 2b).

La capacité d’être partie est une notion de procédure, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, dont la non-réalisation aboutit à une décision d’irrecevabilité (JEANDIN, Code de procédure civile commenté, Bâle 2011, BOHNET/HALDY/JEANDIN/TAPPY, n. 11 ad art. 66 CPC).

2.2 La désignation formelle inexacte d’une partie affectant sa capacité d’être partie peut être rectifiée devant le tribunal saisi de la demande lorsqu’il n’existe dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, notamment lorsque l’identité résulte de l’objet du litige (ATF 142 III 782, consid. 3.2.1 ; 131 I 57 consid. 2.2 ; 114 II 335 consid. 3).

Cela présuppose évidemment que la requête de conciliation, respectivement la demande, aient été effectivement communiquées à la partie qui a la qualité pour défendre, et non à un tiers, en d'autres termes qu'elle en ait eu connaissance, à défaut de quoi il n'est pas possible de lui imputer qu'elle aurait compris ou dû comprendre, selon les règles de la bonne foi, que l'action a été ouverte contre elle
(ATF 142 III 782 consid. 3.2.1 p. 787 et l'arrêt cité). 

Sous le CPC, il faut encore, pour que la désignation inexacte soit susceptible d’être rectifiée dans la procédure pendante, que la partie inexactement désignée ait comparu personnellement à l’audience de conciliation (art. 204 CPC), à défaut de quoi l’autorisation de procéder délivrée n’est pas valable (ungültig) et la demande déposée doit être déclarée irrecevable (ATF 140 III 70 consid. 5 ; ATF 139 III 273, consid. 2.1).

La conciliation suppose une discussion entre les parties, un échange sur leur position respective, encadré par les conseils de l’autorité. Leur présence est ainsi essentielle pour la réussite du processus de conciliation (Message du Conseil fédéral relatif au code procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6841, 6939 s. ch. 5.13; cf. aussi ATF 140 III 70 consid. 4.3, RSPC 2014 338).

La représentation n'est autorisée que dans des cas exceptionnels (art. 204 al. 3 let. a à c CPC), usuellement admis en droit de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_385/2019 du 8 mai 2020, consid. 4.1.2). Sont ainsi dispensées de comparaître personnellement et peuvent se faire représenter, notamment, les personnes empêchées de comparaître pour cause de maladie, d’âge ou en raison d’autres justes motifs (art. 204 al. 3 let. b CPC). Les justes motifs doivent être rendus à tout le moins vraisemblables (Bohnet, op. cit., n. 5 ad art. 204 CPC).

2.3 L'abus manifeste de droit (art. 2 al. 2 CC) demeure toujours réservé.

L'abus de droit consiste à utiliser une institution juridique à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, de telle sorte que l'écart entre le droit exercé et l'intérêt qu'il est censé protéger soit manifeste (ATF 144 III 407 consid. 4.2.3; 143 III 279 consid. 3.1; 140 III 585 consid. 3.2.4; 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1; 130 IV 72 consid. 2.2 p. 74).

L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 140 III 583 consid. 3.2.4;
ATF 137 III 625 consid. 4.3; ATF 135 III 162 consid. 3.3.1).

La règle prohibant l'abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste
(ATF 135 III 162 consid. 3.3.1; 134 III 52 consid. 2.1 et les références doctrinales). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un abus de droit d'établir les circonstances particulières qui autorisent à retenir cette exception (ATF 134 III 52 consid. 2.1 in fine et les arrêts cités).

2.4 En l’espèce, et il n’est pas contesté par les parties que l’entreprise individuelle A______ ne jouit pas des droits civils et n’a donc pas la capacité d’être partie. Il n’est également pas contesté qu’il n’existait dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de l’employeur. Toutefois, les conditions de l’art. 204 CPC n’étaient pas données afin qu’il puisse être procédé à la rectification de la désignation formelle inexacte. En effet, l’appelante n’a pas comparu personnellement à l’audience de conciliation (al. 1) ni ne pouvait en être dispensée (al. 3). Cela étant, il ressort de la procédure que l’appelante a adopté une attitude qui relève de l’abus de droit. D’abord, il ressort du dossier que l’appelante connaissait son obligation de comparaître en personne à l’audience de conciliation puisqu’elle en a expressément sollicité le report, au motif qu’elle ne pouvait y assister personnellement. Néanmoins, une fois l’audience reportée, elle a choisi de ne pas y assister, pour ensuite en tirer un argument d’irrecevabilité dans le but de faire échec à la demande en paiement de l’Intimée. Ainsi, elle tire avantage de son propre défaut, ce qui peut paraître abusif. Puis, un accord partiel a été trouvé lors de l’audience de conciliation puisqu’un certificat de travail a été remis à l’Intimée, par le fondé de pouvoir Monsieur C______ et le précédent conseil de l’appelante, Maître E______. L’appelante n’a d’ailleurs pas contesté la validité de cette conciliation partielle. La comparution personnelle vise à maximiser les chances de réussite de la conciliation. Or, dans la mesure où il y a eu conciliation même sur un point mineur, il convient de retenir que le but de l’audience est atteint. Concilier en partie l’affaire puis invoquer l’irrecevabilité de l’autorisation de procéder est non seulement contradictoire mais revient à utiliser une institution juridique de façon contraire à son but. En dernier lieu, l’appelante a déposé au nom de son entreprise individuelle une plainte pénale (cf. Pièces 8 et 9 Intimée) tout en soutenant dans la présente procédure que l’entreprise n’a pas la capacité de partie, ce qui constitue également une attitude contradictoire. L’ensemble des faits précités pris dans son ensemble constitue un abus de droit, de sorte que l’appelante ne pouvait se prévaloir de l’irrecevabilité de la demande, bien que d’un point de vue purement formel, elle n’avait pas comparu en personne au sens de l’art. 204 CPC.

Il résulte des développements qui précèdent que la rectification formelle de la désignation inexacte est admise : l'appel doit ainsi être rejeté et la décision attaquée confirmée.

3. Il n'y a pas lieu à la perception de frais judiciaires (art. 19 al. 3 let. c LACC) ni à l'allocation de dépens (art. 22 al. 2 LACC).

 

* * * * *

 

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 3:

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 9 décembre 2022 par Madame A______ contre le jugement JTPH/338/2022 rendu le 8 novembre 2022 par le Tribunal des prud'hommes.

Au fond :

Le rejette.

Sur les frais:

Dit qu’il n’y a pas de frais perçus.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Sirin YÜCE, présidente; Monsieur Claudio PANNO, juge employeur; Madame Monique LENOIR, juge salariée; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

La présidente :

Sirin YÜCE

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000.- fr.