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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/9283/2020

CAPH/188/2022 du 05.12.2022 sur JTPH/20/2022 ( OS ) , PARTIELMNT CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9283/2020-2 CAPH/188/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 15 novembre 2022

 

Entre

 

A______ SA, sise ______ [GE], appelante du jugement JTPH/20/2022 rendu le 21 janvier 2022, comparant par Me Michael LAVERGNAT, avocat, rue de l’Arquebuse 14, 1204 Genève, en l’Etude duquel elle élit domicile.

 

Et

 

Madame B______, domiciliée ______, ______ [GE], appelante du jugement JTPH/20/2022 rendu le 21 janvier 2022, comparant par Me Céline MOREAU, avocate, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4, en l’Etude de laquelle elle élit de domicile.


EN FAIT

 

A. Par jugement JTPH/20/2022 du 21 janvier 2022, le Tribunal des prud’hommes, statuant sur les réclamations formulées par B______ à l’encontre de A______, et fondées sur la loi sur l’égalité (LEg), a condamné A______ à verser à B______ la somme brute de 6'500 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% dès le 30 avril 2019, en application de l’article 5 al. 2 lit. d LEg, à titre de différence de salaire en présence d’une discrimination salariale. Le Tribunal des prud'hommes a en outre condamné A______ à verser à B______ la somme nette de 4'200 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er novembre 2019, au titre d’indemnité pour tort moral fondée sur l’article 5 al. 5 LEg, au motif que l’employée avait subi une discrimination salariale et une discrimination dans l’attribution des tâches qui justifiaient l’octroi d’une indemnité, au sens de la disposition précitée.

Pour asseoir leur décision, les premiers juges ont considéré que B______ avait été victime de discrimination dans l’attribution des tâches pour avoir été affectée exclusivement à la salle de service située au sous-sol du restaurant, dite « D______ », dans des conditions de travail plus difficiles, alors que ses collègues masculins exerçaient leur activité dans la salle du rez-de-chaussée. Les premiers juges ont également retenu que B______ percevait un salaire inférieur à celui de ses collègues masculins dans une proportion qui justifiait une discrimination salariale et, au regard des rapports d’ancienneté dans l’entreprise concernant chaque protagoniste, ont retenu qu’à compter de novembre 2018, soit après quatre années d’activité au sein de l’entreprise, B______ aurait dû percevoir un salaire comparable à celui des employés masculins. La juridiction inférieure a ainsi condamné A______ à lui verser une somme de 6'500 fr. correspondant à une différence de salaire mensuelle de 500 fr. calculée entre novembre 2018 et le 31 octobre 2019, date de la fin des rapports de service, soit un montant brut de 6'500 fr. qui comprenait un treizième salaire. Les discriminations dont avait été victime l’employée la légitimaient à recevoir, en outre, une indemnité nette de 4'200 fr. Les autres chefs de réclamation formulés par B______ ont été rejetés.

B. B______ a été engagée à compter du 1er novembre 2014 par A______, société exploitant un restaurant japonais sis à Genève, en qualité de serveuse, avec une rémunération mensuelle brute de 3'800 fr., versée treize fois l’an. Lors de son engagement, B______ bénéficiait d’une expérience professionnelle de serveuse de deux années, au sein d’un établissement similaire.

L’employée fut affectée au service de la salle sise au sous-sol du restaurant (D______) qui comportait un service sur des tables basses. Par courrier du 3 janvier 2019, B______ s’est plainte auprès de son employeur de ses conditions de travail, exerçant seule le service au sous-sol du restaurant qui impliquait le transport et le dépôt de plateaux sur des tables très basses et de nombreux aller-retours dans les escaliers, autant d’efforts qui étaient préjudiciables à sa santé. Elle sollicitait qu’une solution soit trouvée pour qu’elle puisse alterner le service en sous-sol et celui au rez-de-chaussée. Elle se plaignait également de l’attitude exigeante et agressive du maître d’hôtel.

Les rapports de travail ont été dénoncés par l’employeur le 12 septembre 2019 pour le 31 octobre 2019.

La remplaçante de B______ a été engagée, au départ de l’employée licenciée, avec un salaire mensuel brut de 4'300 fr., perçu treize fois l’an, salaire ayant été augmenté à 4'500 fr. brut après trois ans d’activité. Lors de son engagement, elle bénéficiait de quatre années d’expérience dans le service de restauration.

C. Par demande du 2 novembre 2020, B______ a assigné A______ au paiement des sommes de 24'000 fr. à titre de différence salariale, 3'187 fr. 96 à titre de dommages et intérêts et 4'200 fr. à titre de tort moral, le tout avec suite d’intérêts. A l’appui de sa réclamation, elle indiquait avoir perçu, à compétence et tâches égales, un salaire inférieur à celui de ses collègues masculins, dont les rémunérations variaient entre 4'000 fr. et 4'600 fr. Elle disait s’être plainte durant son activité de cette discrimination salariale, notamment dans la lettre du 3 janvier précitée. Elle se plaignait également avoir été exclusivement affectée à la salle du sous-sol, qui comprenait un D______ avec des tables basses imposant un service laborieux et des allers-retours avec la cuisine du rez-de-chaussée, ainsi que des mouvements répétés d’inclination vers les tables proches du sol, avec de lourds plateaux. Elle était seule à devoir effectuer ce service et s’était, à plusieurs reprises, plainte auprès de la direction en demandant un tournus avec les quatre autres collègues masculins qui travaillaient dans la salle du rez-de-chaussée. Elle invoquait ainsi une discrimination à la tâche non justifiée dès lors que l’employeur considérait que le service aux tatamis devait être effectué par une serveuse, au motif qu’il s’agissait d’une tâche « traditionnellement exécutée par une femme ».

Elle a indiqué que les discriminations subies avaient des répercussions sur sa santé et sollicitait une réparation de tort moral de 4'200 fr., équivalent à un mois de salaire en application de l’article 5 al. 5 LEg. Elle a produit à l’appui de sa réclamation plusieurs certificats médicaux établis entre décembre 2019 et avril 2020 (respectivement les 3 décembre 2019, 11 février 2020, 26 avril 2020 et 28 avril 2020), faisant état de troubles anxieux ou autres troubles d’ordre psychologique et de douleurs dorso-lombaires ayant nécessité un état médicamenteux et des séances de physiothérapie qui se sont déroulées de juillet 2017 à avril 2019, pour pallier des douleurs essentiellement causées par une surcharge de travail et la répétition de mouvements de flexion.

D. A______ SA a contesté toute discrimination à raison du sexe. Elle a allégué que l’établissement avait, à ses débuts, connu une période d’exploitation fructueuse qui lui avait permis d’engager des collaborateurs avec des salaires supérieurs à la convention collective et qui avaient connus par la suite une augmentation. A la suite d’une baisse importante de son chiffre d’affaires, les salaires de ces collaborateurs avaient été gelés et les salaires des nouveaux entrants étaient limités aux salaires prévus par la convention collective. L’employeur indiquait ainsi que la différence de salaire entre B______ et ses collègues masculins s’expliquait par l’ancienneté et l’expérience de ceux-ci, ainsi que par la marche des affaires du restaurant dans une situation conjoncturelle difficile.

A______ SA a indiqué que l’employée avait été engagée pour être affectée au salon du sous-sol qui était peu fréquenté par rapport au restaurant du rez-de-chaussée, avec une ambiance zen qui impliquait que le service fut assuré par une personne de type asiatique et vêtue d’un kimono, situation qui n’était pas adaptée au serveurs masculins dont certains étaient en surpoids. L’employeuse a précisé que, compte tenu de la faible rentabilité du D______, la restauration au sous-sol était fermée les lundis et mardis et que B______ se voyait adjoindre une aide les vendredis et samedis soirs lorsque l’affluence était plus importante.

E. A la demande du Tribunal, l’employeuse a produit les fiches de salaires, les contrats de travail et les curriculum vitae de trois autres serveurs ayant travaillé avec B______, ainsi que sa remplaçante, documentation qui permet de dégager les éléments suivants :

 

Nom

Date de l’engagement

Fonction

Salaire de base à l’engagement

Expérience dans le service à l’engagement

Salaire de 2014 à 2018

Ancienneté à Miyako en nov. 2014

Salaire en 2019

F______

01.12.1992

Serveur

3'800.-

3 ans

4'950.-

22 ans

4'950.-

G______

15.11.1995

Serveur

3'700.-

6 ans

4'600.-

19 ans

4'600.-

H______

01.10.1997

Serveur

3'700.-

10 ans

4'600.-

17 ans

4'600.-

B______

01.11.2014

Serveuse

3'800.-

2 ans

3'800.-

-

3'800.-

E______

01.11.2019

Serveuse

4'500.-

5 ans

-

-

4'500.-

 

L’employeuse a également produit un tableau récapitulatif de son chiffre d’affaires indiquant qu’il était environ de 4'325'000 fr. en 2005, à environ 3'500'000 fr. en 2012, d’environ 3'165'000 fr. en 2014, à 2'969'000 fr. en 2015, à 2'684'000 fr. en 2016, à 2'352'000 fr. en 2018, à 2'186'000 fr. en 2019 et à 1'346'000 fr. en 2020, année de la pandémie covid-19.

L’employée a alors porté sa réclamation en différence de salaire de 24'000 fr. à 58'500 fr., correspondant à une différence mensuelle de salaire de 975 fr. pendant soixante mois, soit la période du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2019.

F. Les témoins entendus à la procédure, collaborateurs et anciens collaborateurs de l’établissement, ont confirmé que seules les femmes travaillaient au D______ du sous-sol, sans en connaître la raison, mais subodorant qu’il s’agissait d’une tradition japonaise (témoins I______ et H______, procès-verbal du 31 août 2021 ; témoins F______ et G______, procès-verbal du 2 septembre 2021). Les témoins H______, F______ et G______, tous trois serveurs au restaurant, ont confirmé à la fois leur ancienneté dans l’entreprise (respectivement vingt-quatre, trente et vingt-six ans), leur niveau de rémunération, ainsi la baisse du chiffre d’affaires ayant affecté le restaurant depuis environ 2015. Le témoin E______, engagée en novembre 2019, à la suite du départ de B______, bénéficiait de quatre années d’expérience dans le service et s’est vue proposer un salaire de 4'300 fr. brut augmenté à 4'500 fr. après trois mois d’engagement. Le témoin E______ travaillait aux tatamis et ne s’est jamais plainte de la pénibilité de cette activité, en relevant que le restaurant du sous-sol était peu fréquenté.

G. Dans son jugement du 21 janvier 2022, le Tribunal des prud'hommes a retenu une discrimination directe dans l’attribution des tâches contraire à l’article 3 al. 2 LEg. Les premiers juges ont considéré qu’en confinant B______ aux tâches de service dans le D______ du restaurant, et en dispensant les collaborateurs masculins de cette activité, l’employeur a violé l’interdiction de discriminer au sens de la disposition précitée, la justification selon laquelle cette tâche devait être exécutée par une personne de sexe féminin n’ayant pas été établie. Les premiers juges ont à ce sujet considéré que l’employeuse n’avait pas prouvé que le fait d’assurer le service au D______ uniquement par des employés de sexe féminin poursuivait un but légitime et commercialement nécessaire.

Le Tribunal a en outre considéré que la discrimination salariale avait été rendue vraisemblable par les faits de la cause et que l’employeuse n’avait pas rapporté la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence de salaire, du moins à compter du 1er novembre 2018. Selon les premiers juges, la situation économique difficile et la baisse du chiffre d’affaires ne constituaient pas des éléments propres à justifier une telle discrimination, la rentabilité du restaurant n’ayant pas empêché A______ SA d’engager, en 2019, en remplacement de B______, une nouvelle serveuse à des niveaux de rémunération supérieurs à ceux de B______, soit 4'300 fr. lors de l’engagement, portés à 4'500 fr. trois mois plus tard. Pour apprécier la quotité de la différence de salaire auquel B______ pouvait prétendre et justifier l’action en paiement de salaire au sens de l’article 5 al. 1 lit. d LEg, le Tribunal a pris en considération un salaire mensuel moyen brut de 4'300 fr., soit une différence de salaire de 500 fr. par rapport au salaire perçu. Les premiers juges ont considéré que l’employée était légitimée à recevoir cette rémunération à compter de novembre 2018, soit après quatre ans d’activité au sein de l’entreprise. C’est ainsi un montant de 6'500 fr., treizième salaire compris, que le Tribunal a retenu au titre de différence de salaire à laquelle pouvait prétendre l’employée.

Le Tribunal a en outre considéré que la discrimination dont avait été victime B______ lui donnait droit à une indemnité au sens de l’article 5 al. 5 LEg qu’elle a fixée à 4'200 fr.

H. A l’encontre de ce jugement notifié le 21 janvier 2022, A______ SA interjette appel par acte déposé au greffe de la juridiction de la Cour civile, le 23 février 2022. A______ SA conclut à l’annulation du jugement entrepris et au déboutement des conclusions de B______. A l’appui de son appel, A______ SA reproche aux premiers juges d’avoir nié que la différence de salaire reposait sur des critères objectifs liés notamment à l’ancienneté du personnel masculin, aux négociations convenues à l’époque et aux fluctuations conjoncturelles qui empêchaient l’entreprise d’engager des nouveaux collaborateurs à un niveau de rémunération aussi élevé que les anciens employés. L’appelante reproche en outre au Tribunal d’avoir retenu une discrimination quant à l’attribution des tâches, relevant que B______ avait été spécifiquement engagée pour travailler au D______ en kimono et que cette tâche n’était pas plus pénible que celle de service dans la salle du haut, avec la précision que, jusqu’au début de l’année 2019, soit pendant plus de quatre années, la serveuse ne s’était pas plainte de ses conditions de travail dans le salon du sous-sol. Enfin, l’appelante conteste la condamnation à payer une indemnité fondée sur l’article 5 al. 5 LEg, dès lors que le Tribunal n’a pas retenu les éléments constitutifs d’un tort moral qui aurait ouvert le droit à une telle prétention.

G. Par acte du 21 février 2022, B______ a également interjeté appel à l’encontre du jugement du Tribunal des prud'hommes du 21 janvier 2022. Elle conclut à la réformation du chiffre 2 du jugement, condamnant A______ SA à payer la somme brute de 6'500 fr. au titre de différence de salaire et à la condamnation de A______ SA de lui verser le montant de 58'500 fr., avec intérêts 5% dès le 1er mai 2017, au titre de différence de salaire. A l’appui de son appel, B______ fait le reproche au Tribunal d’avoir (i) retenu que l’expérience et l’ancienneté des collaborateurs masculins pouvaient constituer un critère de différence salariale, alors que l’employeuse n’avait pas prouvé ce critère (ni même offert de le prouver), (ii) pris en considération, sans justification, un montant mensuel de salaire non discriminatoire de 4'300 fr., alors que la moyenne des revenus des employés masculins – qui devait servir de base de calcul – se montait mensuellement entre 4'600 fr. et 4'950 fr., soit un salaire mensuel moyen de 4'775 fr., (iii) fixé, sans justification, la date à partir de laquelle le salaire était discriminatoire en novembre 2018, soit après quatre années de collaboration de service, alors que la discrimination salariale s’était déroulée sur toute la période de travail, soit soixante mois.

La différence salaire s’élevant ainsi mensuellement à 975 fr. (4'775 fr. - 3'800 fr.), c’est une somme totale brute de 58'500 fr. que fait valoir l’appelante au titre de différence salariale, le tout avec suite d’intérêts.

I. Les parties ont répondu à ces appels croisés, respectivement par acte du 22 mars 2022 pour A______ SA et 25 mars 2022 pour B______. Dans sa réponse à l’appel de l’employée, A______ SA soutient que les débats ont montré que l’évolution des affaires du restaurant était défavorable et que la situation conjoncturelle de l’entreprise pouvait conduire à une différence de traitement entre collègues. A______ SA retient en outre qu’on ne pouvait, comme le soutient son ancienne employée, prendre en considération, comme date de salaire non discriminatoire, l’engagement de B______, compte tenu de la différence d’expérience et d’ancienneté qui la démarquait alors de ses employés masculins.

Dans sa réponse à l’appel de A______ SA, B______ conclut à l’irrecevabilité de l’appel, au motif que A______ SA critique insuffisamment le jugement entrepris, son appel souffrant d’un manque de motivation, dès lors qu’un renvoi aux arguments soulevés en première instance est à cet égard insuffisant. Voudrait-on considérer l’appel comme recevable, que son caractère infondé doit être retenu par la juridiction d’appel. En substance, la critique développée par A______ SA concernant la discrimination quant à l’attribution des tâches est sans substance, l’employeuse confondant la discrimination fondée sur le sexe avec les questions de protection de la santé et de la personnalité des travailleurs et travailleuses. La critique concernant l’absence de discrimination salariale ne peut être suivie, l’appelante n’ayant pas prouvé le critère objectif justificatif qui conduirait à nier la discrimination et oubliant que des motifs économiques ne sauraient justifier un écart de salaire discriminatoire. S’agissant du tort moral, B______ considère que le Tribunal a correctement appliqué l’article 5 al. 5 LEg, qui pouvait trouver application au cas d’espèce, même si les conditions de la norme générale de l’article 49 al. CO n’étaient pas réalisées. B______ conclut ainsi au rejet de l’appel de A______ SA.

J. Les parties ont répliqué respectivement par actes du 19 avril 2022 pour B______ et 3 mai 2022 pour A______ SA, développant les mêmes arguments que ceux consignés dans leurs appels et réponses respectifs. B______ a présenté un mémoire de duplique du 24 mai 2022 persistant dans ses écritures antérieures.

 

EN DROIT

 

1. Interjetés dans le délai prescrit par l’article 311 CPC, les appels de A______ SA et B______ sont recevables. B______ conclut à l’irrecevabilité de l’appel interjeté par A______ SA pour défaut de motivation. L’article 311 CPC prescrit à ce sujet que l’appel doit être motivé, ce qui signifie que l’appelant a le fardeau d’expliquer les motifs pour lesquels le jugement attaqué doit être annulé et modifié, un simple renvoi aux écritures et pièces de première instance n’étant pas conforme aux exigences de motivation de l’article 311 al. 1 CPC (Jeandin, Code de procédure civile commenté, 2è éd., n°3, ad art. 311 CPC). L’instance supérieure doit pouvoir comprendre ce qui est reproché aux premiers juges sans avoir à rechercher des griefs par elle-même, ce qui exige une certaine précision quant à l’énoncé et à la discussion des griefs (Jeandin, loc. cit., n°3a et 3b, ad art. 311 CPC).

L’appel de A______ SA du 23 février 2022 répond à cette exigence de motivation, dans la mesure où la juridiction supérieure comprend les griefs énoncés par l’appelante à l’encontre du jugement entrepris, la critique portant à la fois sur la discrimination retenue par le Tribunal quant à l’attribution des tâches et sur la discrimination salariale. En substance, l’appelante fait grief au Tribunal de n’avoir pas pris en considération les éléments objectifs qui justifiaient une différence de salaire. Partant, la motivation est suffisante et l’appel de A______ SA sera déclaré recevable.

2. L’article 8 al. 3 Cst impose d’octroyer à l’homme et à la femme un salaire égal pour un travail de valeur égale. Selon l’article 3 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, cette interdiction s’appliquant en particulier à l’emploi, à l’attribution des tâches, à l’organisation des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et à la formation continue, à la promotion et au licenciement.

2.1 L’interdiction de discriminer est absolue (ATF 133 III 145 consid. 3.2 ; ATF 127 III 207 consid. 4.1) et ne dépend ni d’une faute, ni d’une conscience ou intention discriminatoire (ATF 127 III 207 consid. 5b ; Aubry/Girardin, Commentaire de la loi sur l’égalité, Genève, 2011, n°9 ad art. 3 LEg, p. 73).

Il y a discrimination directe si une différence de traitement est expressément fondée sur le sexe ou sur un critère qui ne peut être rempli que par l’un des deux sexes et si elle ne peut être effectivement justifiée (ATF 145 II 153 consid. 4.3.5 ; 124 II 409 consid. 7 ; 124 II 529 consid. 3a ; 125 I 71 consid. 2a). D’autre part, une discrimination indirecte peut être présumée si une disposition formellement neutre du point de vue du genre désavantage en fin de compte nettement plus ou majoritairement les membres d’un sexe par rapport à ceux de l’autre, sans que cela soit objectivement justifié (ATF 144 II 65 consid. 4.1 ; 141 II 411 consid. 6.1 ; 125 II 71 consid. 2.1 ; 124 II 409 consid. 7).

2.2 L’existence d’une telle discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (article 6 LEg). Cette disposition constitue un allègement du fardeau de la preuve et s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnel, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (arrêt du Tribunal fédéral 8C_821/2016 du 26 janvier 2018, consid. 3.3). Une discrimination est rendue vraisemblable lorsque les personnes d’un sexe reçoivent une rémunération significativement plus basse (environ 15 à 25%) que les personnes de l’autre sexe pour un travail de valeur égale. Si une discrimination liée au sexe est rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé et il revient à l’employeur de prouver que la différence de rémunération est fondée sur des critères objectifs, tels que les raisons qui peuvent influencer la valeur du travail (formation, années de service, qualification, expérience, prestation, risques), les raisons qui prennent en compte des facteurs sociaux (charge familiale, âge) et enfin des facteurs externes (situation conjoncturelle). Il ne suffit pas de donner n’importe quels motifs pour justifier une différence de traitement. Au contraire, les motifs doivent être pertinents pour le travail concret (ATF 142 II 49 ; ATF 144 II 65 et les références citées). L’employeur doit démontrer qu’il poursuit un but objectif répondant à un besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle de la proportionnalité (ATF 130 III 145 consid. 5.1 et les références citées). Parmi ces éléments objectifs, on peut retenir divers critères qui peuvent être de nature à influencer la valeur du travail, tels la formation, la qualification professionnelle, l’expérience professionnelle, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus, le rendement, le cahier des charges, le plurilinguisme, l’importance du budget à gérer (Wyler, Commentaire de la loi fédérale sur l’égalité, n°30, ad art. 6 LEg, p. 167 à 170). L’ancienneté peut également constituer un tel critère, mais a toutefois tendance à perdre son importance avec l’écoulement du temps, notamment lorsque les collègues sont au bénéfice de la même formation, exercent les mêmes activités, avec un cahier des charges identique, et des responsabilités identiques sans que la qualité ou la quantité de leurs prestations ne soient l’objet de différences (arrêt du Tribunal fédéral dans la cause 2A_192/2002 du 7 mars 2003, consid. 5.2 ; ATF 123 I 1 consid. 6c ; Wyler, loc. cit., n°30b ad art. 6 LEg).

2.3 La jurisprudence récente en matière de droit privé se montre restrictive et circonspecte à admettre des critères conjoncturels au titre de motifs objectifs. Elle exige à cet égard que les disparités en résultant soient compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire pour l’employeur, le cas échéant dans le délai d’une année. Ainsi, selon la jurisprudence, la situation conjoncturelle ne peut conduire à une différence de traitement entre collègues que temporairement (Aubry/Girardin, loc. cit., n°38 ad art. 3 LEg ; Wyler, loc. cit., n°31 lit. c ad art. 6 LEg ; ATF 130 III 145 consid. 5.2 qui indique expressément que la situation conjoncturelle peut conduire à une différence rémunération pour le même travail, « mais que les disparités de salaire qui résultent de fluctuations conjoncturelles doivent être compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire pour l’employeur, le cas échéant dans le délai d’une année (arrêt 4C_57/2002 du 10 septembre 2002, consid. 4.2 qui se réfère à Stephan Hegner, Salaire égal pour un travail de valeur égale, Zürich 1980, p. 26 ; cf aussi ATF 125 III 368 consid. 5C/ee). » Dans cette dernière décision (ATF 125 III 368 = JT 2001 596), le Tribunal fédéral s’inspire largement de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes. Il rappelle que la conjoncture peut justifier une différence de rémunération dans la mesure où sa prise en considération correspond à un réel besoin de l’entreprise (ATF 125 I 71 consid. 4d/aa, p 24 ; ATF 118 Ia 35, consid. 2c p. 38 ; JT 1994 I 147; ATF 113 Ia 107 consid. 4a p. 116 ss; cf. l’aperçu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes en matière d’égalité cité par Olivier Steiner, Das Verbot der Indirekten Diskriminierungstes Geschlaechts in Erwerblebens, Bâle 1999, p. 181 ss). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle que, dans la littérature récente, les auteurs se réfèrent à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes et admettent en principe des différences de salaire dues au marché, à certaines conditions restrictives : celles-ci doivent ainsi respecter la principe de la proportionnalité ; elles doivent aussi répondre de façon appropriée et exigible à un réel besoin de l’entreprise (Steiner, loc. cit., p. 275), elles ne doivent pas dépasser les fluctuations conjoncturelles établies et doivent se limiter au laps de temps le plus court possible ; l’entreprise doit les éliminer dans un délai convenable lors de son réexamen périodique de la structure des salaires (Stephan Hegner, loc. cit., p. 126).

C’est à l’aune de ces principes qu’il s’agit d’apprécier les griefs formulés par les deux appelants à l’encontre du Tribunal des prud’hommes.

3. Il découle du dossier que B______ a rendu vraisemblable une discrimination salariale. Elle a été engagée avec un salaire mensuel brut de base de 3'800 fr., alors que ces trois autres collègues, serveurs, masculins, qui effectuaient des tâches identiques, percevaient des salaires entre CHF 4'600.- et 4'950 fr., soit près de 17.40% à 23.25% supérieurs à celui de la salariée. Cette dernière a donc rendu vraisemblable la discrimination et cette situation implique un renversement du fardeau de la preuve au terme de laquelle l’employeur doit prouver que la différence de rémunération est fondée sur des critères objectifs.

3.1 Dans son appel du 23 février 2022, A______ SA ne paraît pas contester ce principe du renversement du fardeau de la preuve puisqu’elle invoque des critères objectifs qui lui permettent de nier la discrimination salariale. A cet égard, l’appelante relève que la différence de salaire entre la salariée et ses collègues masculins repose sur des critères objectifs dès lors que ces derniers disposaient d’une expérience supérieure à celle de la salariée, ayant été engagés bien antérieurement à cette dernière et à une « période faste » qui permettait de leur proposer des conditions salariales très avantageuses pour l’époque. Lorsque la conjoncture s’est révélée plus mauvaise, il était impossible pour l’entreprise de baisser les salaires ainsi offerts aux employés masculins (qui avaient d’ailleurs bénéficié d’augmentations depuis leur engagement) mais il n’était pas possible d’offrir le même niveau de rémunération à la nouvelle entrante. A comprendre l’argumentation, l’appelante A______ SA invoque deux critères objectifs, l’ancienneté des employés masculins engagés à des conditions « avantageuses » et une situation conjoncturelle défavorable lors de l’engagement de la salariée.

3.2 S’agissant du premier moyen (ancienneté et expérience professionnelle), il sera examiné sous ch. 4, ci-dessous, dès lors qu’il se confond avec la motivation développée à cet égard par B______, également appelante du jugement du Tribunal.

A l’appui de son moyen, A______ SA soutient que l’ancienneté et l’expérience professionnelle des employés masculins étaient un critère objectif propre à justifier une discrimination salariale ayant couru pendant toute la relation de travail de l’employée ; dans son appel, cette dernière conteste l’existence de ce motif objectif et reproche au Tribunal d’avoir considéré que, jusqu’en novembre 2018, l’ancienneté et l’expérience professionnelle pouvaient justifier une différence salariale sans pour autant constituer une discrimination.

3.3 Au titre d’élément objectif justifiant la différence salariale, l’appelante invoque également une situation conjoncturelle qui l’empêchait d’offrir à la nouvelle employée un niveau de rémunération égal à ses collègues masculins qui étaient dans l’entreprise depuis de nombreuses années et qui avaient de ce fait bénéficié d’augmentations salariales. Ce seul critère ne peut être suffisant, selon la Chambre des prud’hommes, pour constituer un critère objectif justifiant une discrimination salariale. La jurisprudence citée ci-dessus rappelle que des motifs économiques ne justifient pas l’écart salarial discriminatoire ou alors de façon strictement temporaire, la discrimination devant disparaître dans le délai d’une année. Au regard des conditions restrictives posées par la jurisprudence pour l’admission de ce critère objectif, il ne peut justifier une discrimination salariale.

A l’appui de son moyen, l’appelante A______ SA se contente d’invoquer une baisse de son chiffre d’affaires, notamment entre 2012 et 2020, en produisant à ce sujet un tableau récapitulatif. Une telle allégation est insuffisante pour que la Chambre des prud’hommes retienne comme établi ce critère lié à la situation conjoncturelle et propre à justifier une discrimination salariale. L’employeur n’a pas expliqué en quoi la baisse du chiffre d’affaires entre 2012 et 2019, de moins de 10% par année (9% de 2012 à 2014, 7% de 2014 à 2015, 9% de 2015 à 2016, 9% de 2016 à 2018, 7% de 2018 à 2019) rendait impossible la réévaluation de la rémunération de l’employée féminine. L’employeuse n’a pas démontré et justifié la répartition des coûts, les charges fixes, les éventuelles absences de liquidités qui eussent empêché une telle réévaluation, compte tenu de la disparité salariale avec les collègues masculins. En invoquant une seule baisse de son chiffre d’affaires, au demeurant peu significative quoique constante, A______ SA n’a pas rapporté la preuve que cette situation conjoncturelle, qui doit être appréciée au demeurant de façon restrictive, légitimait une différence salariale.

A cela s’ajoute le fait que, alors même que la marche des affaires était en 2019 en régression, A______ SA a engagé la remplaçante de B______ à un salaire mensuel plus élevé, soit 4'300 fr. augmenté à 4'500 fr. après trois mois d’engagement, ce qui prouve que l’augmentation salariale n’était pas impossible. L’argument tiré de la conjoncture économique ne présente ici aucune substance.

Il en va de même de l’argument lié à l’engagement de l’extra, dont on ne comprend d’ailleurs pas qu’il eut empêché l’augmentation du salaire de la salariée. Il n’a pas été démontré que l’engagement de l’extra était spécifiquement dévolu à B______, la procédure ayant rapporté que l’extra intervenait en cas d’accroissement subit de la clientèle ou pour pallier une absence. Enfin, comme le rappelle à bon droit les premiers juges, on ne peut exclure qu’une alternance équilibrée de travail au D______ parmi l’ensemble des cinq serveurs de l’établissement aurait permis d’éviter l’engagement d’une extra. L’employeur ne peut dès lors justifier le maintien d’une inégalité salariale par une des possibles conséquences de la discrimination à la tâche qu’il a lui-même imposée.

La Chambre d’appel des prud’hommes retiendra que A______ SA n’a pas apporté la preuve que la conjoncture commerciale constituait un critère objectif qui pouvait justifier une discrimination salariale rendue vraisemblable par la salariée.

4. La victime de discrimination salariale peut entreprendre à une action en paiement du salaire, au sens de l’article 5 al. 1 lit. d LEg. Lorsque le salaire est fixé de façon discriminatoire, l’action en paiement du salaire portera sur les arriérés de rémunération, la partie demanderesse devant conclure au versement d’un montant chiffré correspondant à la différence entre le salaire reçu et le salaire non discriminatoire (ATF 131 II 393 consid. 8.1 ; 125 I 14 consid. 3 ; 124 II 436 consid. 10k ; Aubert, Commentaire de la loi fédérale sur l’égalité, n°25 et 26, ad art. 5 LEg et les références citées).

4.1 Appliquant l’article 5 al. 1 lit. d LEg, le Tribunal a pris en considération un salaire non discriminatoire mensuel de 4'300 fr., soit une différence de salaire de 500 fr. avec la rémunération perçue par la salariée et considéré que le salaire perçu par cette dernière était discriminatoire à compter de novembre 2018. Les premiers juges ont en effet considéré, qu’à l’issue de quatre années de collaboration de l’employée au sein de l’entreprise, une disparité salariale ne se justifiait plus.

4.2 Dans son appel du 21 février 2022, B______ fait grief aux premiers juges d’avoir erré concernant à la fois le montant du salaire non discriminatoire et la date à partir de laquelle le salaire devenait discriminatoire. S’agissant du montant, l’appelante se réfère aux rémunérations des collègues masculins de la salariée qui percevaient, à compter de 2014 (soit lors de l’engagement de l’appelante) des rémunérations oscillant entre 4'600 fr. et 4'950 fr., soit un salaire moyen de 4’775 fr. La critique de l’appelante est sur ce point fondée et on ne comprend pas les raisons pour lesquelles les premiers juges ont pris en considération un salaire non discriminatoire de 4'300 fr., alors que le salaire des employés masculins effectuant le même travail oscillait entre 4'600 fr. et 4'950 fr., soit une moyenne de 4'775 fr. Le salaire non discriminatoire constituant le salaire des employés masculins effectuant les mêmes tâches, on ne voit pas la justification de retenir un salaire non discriminatoire inférieur à la rémunération de ces employés masculins. Le Tribunal aurait dû se référer aux revenus des collègues masculins de l’appelante pour calculer la différence salariale entre le salaire perçu et le salaire non discriminatoire. La critique de l’appelante est sur ce point fondée.

4.3 B______ reproche également au Tribunal d’avoir arbitrairement fixé la date à partir de laquelle le salaire devenait discriminatoire en novembre 2018, soit quatre années après l’engagement de la salarié. Sur ce point, les premiers juges relèvent que B______ bénéficiait, avant son engagement, d’une expérience professionnelle de deux années dans le domaine de la restauration et que, si un écart de salaire avec les collègues masculins pouvait se justifier à cette date, il ne pouvait perdurer au bout de quatre années de service au sein de l’établissement qui l’avait engagée. Les trois serveurs du restaurant pris comme critère de comparaison (H______, F______ et G______) ont été engagés à un niveau de rémunération quasiment similaire (3'700 fr. - 3'800 fr.). Certes, ils ne bénéficiaient pas tous de la même expérience lors de leur engagement, puisque leur expérience était respectivement de dix ans (H______), six ans (G______) et trois ans (F______). Les trois serveurs masculins ont connu des augmentations de salaire depuis leur engagement intervenu en 1997 pour H______, en 1995 pour G______ et en 1992 pour F______. Ils ont indiqué avoir bénéficié de deux voire trois augmentations de salaire pour obtenir en 2011, une rémunération qui par la suite n’a pas subi de variation. H______ et G______ percevaient ainsi une rémunération de 4'600 fr. et F______ de 4'950 fr. En 2014, lors de l’engagement de B______, les trois employés masculins qui percevaient la rémunération précitée bénéficiaient dans l’établissement d’une ancienneté de respectivement dix-sept ans (H______), dix-neuf (G______) et vingt-deux ans (F______).

Compte tenu de cette ancienneté et de l’expérience professionnelle pour les trois serveurs masculins, il n’était, selon la Chambre des prud’hommes, pas discriminatoire, au moment de l’engagement de B______ en 2014, d’offrir à cette dernière un salaire inférieur à celui de ses collègues. L’entreprise eut-elle engagée un jeune serveur masculin, qu’elle lui aurait assurément proposé un salaire inférieur à ceux offerts à ses collègues, compte tenu de leur ancienneté dans l’entreprise et de leur expérience professionnelle. Si les critères liés à l’ancienneté et à l’expérience professionnelle ont vocation à perdre de leur importance avec le temps, ils restaient néanmoins des critères étant de nature à influencer la valeur de travail et, dès lors, aptes à justifier une discrimination salariale. La jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 130 III 145 consid. 5.2 ; 127 III 207 consid. 3c ; 125 III 368 consid. 5) nous enseigne que l’expérience professionnelle perd certes de son importance avec le temps, notamment lorsque la comparaison intervient entre deux personnes bénéficiant d’une telle expérience et que, si ce critère était de nature à justifier une différence initiale de traitement, il est devenu relatif sept années après l’entrée en fonction, même si le collègue bénéficiait d’une expérience professionnelle dans un secteur social d’un an et demi supérieur à celui de la partie demanderesse (Wyler, loc. cit., n°30 lit. 3, ad art. 6 LEg et les références citées). Ainsi, contrairement à ce que soutient l’appelante, les premiers juges ne pouvaient faire totalement fi de l’expérience professionnelle au sein de l’entreprise et ne pouvaient pas juger, dès l’entrée en fonction de B______, que le salaire proposé était derechef discriminatoire par rapport à ses collègues masculins.

4.4 Il convient dès lors d’examiner au bout de quel laps de temps ce critère liée à l’ancienneté et à l’expérience professionnelle a perdu de son intérêt et ne pouvait plus être invoqué comme justifiant une disparité salariale. La procédure n’a pas démontré que B______ souffrait de carences dans l’exécution de ses tâches liées à un défaut d’expérience, le témoin H______ ayant néanmoins relevé qu’il arrivait au personnel masculin de conseiller la serveuse, compte tenu de l’expérience que possédaient les serveurs dans l’entreprise et la restauration en générale.

Les premiers juges ont relevé que B______ disposait, au moment de son engagement au restaurant A______ SA, d’une expérience professionnelle de deux années dans la restauration pour avoir travaillé au [restaurant] J______ qui propose toutefois un autre service que celui du restaurant A______, qui est plus élaboré et plus raffiné, notamment au D______. La Chambre des prud’hommes relève en outre que la remplaçante de B______, E______, a été engagée alors qu’elle bénéficiait de quatre années d’expérience dans le domaine du service de restauration. Elle s’est vue proposer d’emblée un salaire de 4'300 fr., porté à 4'500 fr. après trois mois, soit quasiment la rémunération de ses collègues masculins. Ainsi, pour l’employeuse, une expérience professionnelle de quatre années paraît être un critère pour équilibrer les salaires au sein de l’entreprise et éviter des disparités. Il sera ainsi retenu qu’à l’issue de quatre années d’expérience dans le service de restauration, la disparité salariale ne présentait plus de justification.

Compte tenu de l’expérience de deux années acquise par B______ auprès de son précédent emploi, la Chambre des prud’hommes considérera que, à l’issue de deux années au sein du restaurant A______, soit après quatre années d’expérience professionnelle dans ce secteur d’activité, une disparité salariale ne se justifiait plus. La juridiction d’appel relève d’ailleurs que les témoignages se sont accordés à reconnaître que B______ était une bonne professionnelle et compétente dans son emploi. La date de novembre 2016 sera ainsi prise en considération.

La Chambre des prud’hommes retiendra ainsi novembre 2016 comme la date à partir de laquelle le salaire devient discrétionnaire ; la juridiction d’appel prendra en considération la moyenne des rémunérations des serveurs masculins - 4'775 fr. - impliquant ainsi une différence salariale mensuelle de 975 fr., calculée sur trente-six mois. C’est ainsi une somme de 35’100 fr., avec suite d’intérêts, qui sera prise en considération au titre de différence de salaire, au sens de l’article 5 al. 1 lit. d LEg. Le jugement sera réformé dans ce sens. L’appelante B______ faisait partir le dies a quo des intérêts moratoires sur la créance en différence de salaire au 1er mai 2017, cette date sera retenue par la Chambre des prud’hommes.

5. Dans son appel du 23 février 2022, A______ SA reproche également au Tribunal d’avoir retenu une discrimination directe dans l’attribution des tâches contraire à l’article 3 al. 2 LEg. A l’appui de sa critique, l’appelante relève que (i) selon la tradition japonaise, le service au sein du D______ est en général l’apanage de la gente féminine vêtue de kimonos de soie, (ii) l’intimée a été engagée pour travailler au D______ en tenue de kimono, (iii) les conditions de travail au D______ n’étaient pas différentes et plus contraignantes que celles de la salle à manger du rez-de-chaussée, (iv) lorsque l’intimée s’est plainte de son affectation au D______, les parties ont décidé de mettre fin d’un commun accord à la relation de travail. Dans son mémoire de réponse du 25 mars 2022, B______ considère que c’est à bon droit que les premiers juges ont admis une discrimination directe à l’attribution des tâches et, d’un point de vue procédural, reproche à l’appelante un défaut d’allégation et de preuve, qui justifieraient une différence de traitement concernant les tâches entre la serveuse et ses collègues masculins.

5.1 Une entreprise qui, par principe, réserve certains travaux au personnel de sexe masculin ou féminin, se rend coupable de discrimination directe dans l’attribution des tâches, à moins qu’elle ne soit en mesure de prouver qu’aucune femme ou aucun homme ne serait à même d’accomplir ces tâches efficacement (Lempen, Commentaire de la loi fédérale sur l’égalité, n°25 ad art. 3 LEg). Des moyens de statistiques ou des idées préconçues sur l’adéquation des hommes ou des femmes à accomplir certaines tâches ne pourront être invoqués ; seules comptent les aptitudes réelles des personnes concernées (lourdes tâches, résistance au stress, etc.). Ainsi, une entreprise qui n’affecte que des employés masculins aux travaux exigeant de la force physique sans se soucier si ces derniers sont véritablement de constitution plus robuste que leurs collègues féminines commet une discrimination directe dans l’attribution des tâches (Lempen, loc. cit. n°25 ad art. 3 et les références citées).

5.2 Le Tribunal a retenu que les mesures probatoires, notamment l’audition des employés du restaurant, conduisaient à retenir que seules les employées féminines travaillaient au D______, à l’exclusion du personnel masculin, sans toutefois pouvoir donner une justification à cette attribution différenciée des tâches. Il résulte de ces déclarations que les tâches étaient genrées et qu’il appartenait dès lors à l’employeur, en vertu de l’allégement du fardeau de la preuve qui s’applique également à l’attribution des tâches, de démontrer l’inexistence d’une telle discrimination dans l’attribution des tâches en rapportant la preuve stricte que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. A l’appui de son argumentaire, A______ SA invoque notamment la culture japonaise qui impliquerait que le service au D______ soit effectué par des serveuses en kimono. A juste titre, le Tribunal, sans mépris pour la culture japonaise, a retenu que cette tradition n’apparaissait pas propre à constituer un critère objectif justifiant une différenciation, ce d’autant plus qu’il paraît vraisemblable que des employés de sexe masculin puissent également porter le kimono dans des restaurants de gastronomie japonaise. Sans vouloir entrer dans un débat sur la culture japonaise, le kimono ne représente pas l’habit traditionnel dévolu aux personnes de sexe féminin.

L’acte d’appel contient à cet égard une double faiblesse. D’une part, il ne critique pas avec suffisamment de précision, au sens de l’article 311 CPC, la motivation des premiers juges les ayant conduit à retenir une discrimination dans l’attribution des tâches. D’autre part, l’appelante semble occulter le renversement du fardeau de la preuve qu’implique l’allègement de ce fardeau qui s’applique également à l’attribution des tâches. Il appartenait dès lors à l’appelante de démontrer, s’agissant de l’attribution des tâches, que la mesure poursuit un but légitime et commercialement nécessaire, qu’elle est appropriée et nécessaire à la réalisation de ce but, qu’il n’existe pas de solution de rechange raisonnable ayant des conséquences moins discriminatoires et qu’elle a pris des mesures d’accompagnement pour réduire l’effet discriminatoire (Freivogel, Commentaire de la loi sur l’égalité, 2000, n°53, ad art. 3 LEg). L’employeur a échoué à rapporter cette preuve cumulative. Le fait que B______ n’aurait pas émis de protestation sur son affection jusqu’en janvier 2019 ne constitue pas un fait justificatif qui fait disparaître la discrimination dans l’attribution des tâches. De même, les circonstances qui ont entouré la fin des rapports de service ne constituent pas un tel fait justificatif. Faute de critique suffisante, cet aspect du jugement sera confirmé.

6. Dans son appel, A______ SA fait enfin grief au Tribunal d’avoir alloué à B______ une indemnité nette de 4'200 fr. et sollicite la réformation du jugement sur ce point. A l’appui de son appel, A______ SA invoque que le Tribunal a refusé d’allouer une indemnité pour tort moral à l’employée en application de l’article 49 al. 1 CO, dont les conditions n’étaient pas remplies, au regard notamment de l’atteinte à la personnalité dont se plaignait la salariée du chef des agissements de son supérieur hiérarchique K______. L’appelante relève que c’est à tort que les premiers juges ont alloué à la salariée une indemnité fondée sur l’article 5 al. 5 LEg considérant qu’aucun élément ne permettait d’établir l’existence d’une souffrance particulière revêtant un degré de gravité qui nécessiterait une réparation par le biais d’une indemnité pour tort moral.

6.1 Selon l’article 5 al. 5 LEg, sont réservés les droits en dommages-intérêts et en réparation de tort moral, de même que les prétentions découlant de dispositions contractuelles plus favorables aux travailleurs. Le Tribunal fédéral a pu déterminer la portée de cette réserve en indiquant qu’elle visait à « clarifier la situation », en rappelant qu’une discrimination au sens de la loi sur l’égalité représente aussi une atteinte au droit de la personnalité et que cette atteinte illicite peut donner droit à des dommages-intérêts, ainsi qu’à une réparation de tort moral (ATF 163 II 254 consid. 5.3 et les références citées). Ainsi, selon l’article 5 al. 5 LEg, le régime spécial des indemnités prévu à l’article 5 al. 2 et 3 LEg laisse subsister pleinement les actions découlant d’un droit commun. L’article 5 al. 5 LEg constitue donc une base légale suffisante pour allouer à la salariée une indemnité.

6.2 Les premiers juges ont considéré que B______ avait subi une ou plusieurs discriminations contraires à l’article 3 LEg. De telles discriminations sont dès lors illicites, puisqu’elles contreviennent à la loi et constituent donc une atteinte illicite à la personnalité de la salariée.

Pour justifier l’octroi d’une indemnité au sens de l’article 5 al. 5 LEg, le Tribunal a notamment retenu que l’affectation de la salarié au D______ avait généré des douleurs particulières, notamment des douleurs dorsales et des douleurs aux bras, liées à la pénibilité de l’activité concernée. Les symptômes dont a souffert B______ et liés à son activité ressortent de la procédure, la salariée s’étant notamment plainte à ses collègues de la pénibilité de son activité (procès-verbal d’audience du 31 août 2021, p. 2, 4 et 8 ; procès-verbal d’audience du 2 septembre 2021, p. 3). Elle s’en est également plainte à sa colocataire, qui a remarqué un changement dans l’état physique de son amie qui se plaignait de maux de dos (procès-verbal d’audience du 31 août 2021, p. 4). Enfin, B______ a produit à la procédure plusieurs certificats médicaux qui attestent de ces symptômes en relation avec son activité professionnelle. Il ressort ainsi de la procédure que B______ a souffert physiquement et psychiquement des discriminations subies dans le cadre de son travail, notamment la discrimination liée à l’attribution des tâches qui la confinaient dans une activité dans laquelle elle ressentait une certaine pénibilité.

Dès lors, l’indemnité allouée par le Tribunal à la salariée ne viole pas l’article 5 al. 5 LEg et le jugement sera sur ce point confirmé.

7. La procédure relevant de l’application de la LEg, elle est gratuite et il ne sera dès lors pas statué sur les frais.

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2 :

 

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 21 février 2022 par B______ à l’encontre du jugement JTPH/20/2022 du 21 janvier 2022, dans la cause C/9283/2020-2.

Déclare recevable l’appel interjeté par A______ SA contre ledit jugement.

 

Au fond :

Annule et met à néant le chiffre 2 dudit jugement.

Confirme le jugement pour le surplus.

 

Statuant à nouveau :

Condamne A______ SA à payer à B______ la somme brute de 35’100 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er mai 2017.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

 

Siégeant :

Monsieur Guy STANISLAS, président; Madame Fiona MAC PHAIL, juge employeur; Monsieur Kasum VELII, juge salarié; Madame Véronique FERNANDES, greffière.

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.