Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/301/2023

ATAS/127/2024 du 28.02.2024 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/301/2023 ATAS/127/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 février 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

intimée

 


 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né le ______ 1958, marié et père de trois enfants. Il travaille comme peintre en bâtiment pour B______ depuis le 25 juillet 2022 et est assuré à ce titre par la Suva caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : la Suva ou l’intimée).

b. Le 11 août 2022, il a fait un « mauvais » geste en prenant un bidon de peinture de 25 kg et s’est bloqué les cervicales, à teneur de la déclaration de sinistre du 11 août 2022 adressée à la Suva. Une entorse à la colonne a été mentionnée comme blessure.

c. Le 16 août 2022, la Suva a refusé d’allouer ses prestations à l’assuré, car l’événement du 11 août 2022 ne remplissait pas la condition d’un accident, ni celle d’une lésion corporelle assimilée à un accident.

d. L’assuré a passé une radiographie du rachis cervical et du rachis thoraco-lombaire le 18 août 2022 ainsi qu’une IRM du rachis cervical le 26 août 2022.

e. Le 6 octobre 2022, l’assuré a contesté la décision de la Suva, faisant valoir qu’il avait subi un accident sur son lieu de son travail et qu’il était toujours en incapacité de travail.

f. Le cas a été soumis par la Suva à son médecin interne, le docteur C______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, qui a indiqué le 8 décembre 2022, qu’il s’agissait d’une uncodiscarthrose évoluée, soit d’une lésion corporelle due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie, et qu’il n’y avait pas eu d’atteinte due au faux mouvement. Il n’y avait pas de causalité naturelle et la position administrative était à confirmer.

g. Par décision sur opposition du 20 décembre 2022, la Suva a considéré qu’au vu de la jurisprudence en la matière, c’était à juste titre qu’elle était arrivée à la conclusion que l’assuré n’avait pas été victime d’un accident, au sens de l’art. 4 LPGA et qu’il n’avait pas subi une des lésions énumérées à l’art. 6 al. 2 LAA. En conséquence, la décision querellée devait être confirmée.

B. a. Le 25 janvier 2023, l’assuré a formé recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre la décision précitée, concluant à ce que la Suva soit condamnée à lui verser ses prestations pour les conséquences de l’événement du 11 août 2022, avec suite de dépens.

Le recourant a fait valoir que la cause la plus probable de son incapacité de travail était une déchirure musculaire et l’intimée aurait dû lui octroyer ses prestations en application de l’art. 6 al. 2 LAA.

Le recourant a notamment produit à l’appui de son recours :

-      un certificat établi le 16 janvier 2023 par la docteure D______, médecin généraliste, qui certifiait que l’accident du travail du recourant du 11 août 2022, survenu dans un contexte de port d’une charge lourde sur son lieu de travail, avait provoqué des douleurs d’origine musculaire équivalant à une probable déchirure musculaire au niveau cervico-thoracique ;

-      un rapport établi le 12 décembre 2022 par la docteure E______, médecin cheffe de clinique du service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) indiquant que l’examen clinique ne montrait pas de signes de radiculopathie ni de myélopathie. L’IRM montrait des modifications dégénératives surtout au niveau C5-C6 et C6-C7 sans compression médullaire ni radiculaire en dehors d’un petit rétrécissement foraminal au niveau de C6 à droite pour lequel le patient était asymptomatique. Par ailleurs, elle ne notait pas de signe d’instabilité au niveau facettaire. Dans ce contexte, elle retenait plutôt une origine musculaire aux douleurs axiales de l’assuré.

-      un rapport établi par la Dre E______ le 19 janvier 2023 posant le diagnostic de spondylodiscarthrose C5-C6 et C6-C7.

b. L’intimée a conclu au rejet du recours, sur la base d’une appréciation du Dr C______ établie le 14 février 2023. Compte tenu d’une problématique d’ordre purement médical, la cause avait été transmise à sa division de médecine d’assurance. Celle-ci avait jugé, après avoir notamment pris connaissance des rapports produits par le recourant, que la survenance d’une déchirure musculaire le 11 août 2022 n’avait pas été prouvée médicalement par l’imagerie et qu’elle n’était pas susceptible d’être provoquée par l’événement en question, du fait qu’il ne s’était pas produit à haute énergie cinétique. Les conclusions du médecin-conseil de la Suva étaient probantes et n’étaient pas remises en cause, même de manière légère, par les rapports médicaux produits par le recourant. La Dre E______ confirmait certes une origine musculaire aux douleurs du recourant, mais sans évoquer une déchirure. Elle relevait bien plutôt des modifications d’origine dégénérative.

Quant à la Dre D______, si elle évoquait effectivement une probable déchirure musculaire, elle n’avait pas indiqué sur quelle base elle posait son diagnostic, hormis la présence de douleurs musculaires chez le recourant. Son appréciation ne résumait pas les pièces médicales au dossier et on ne savait pas si elle avait eu connaissance des examens radiologiques réalisés, ni si elle avait correctement apprécié l’événement du 11 août 2022. Son rapport ne pouvait se voir conférer une quelconque valeur probante.

Dans son appréciation médicale du 14 février 2023, le Dr C______ a posé le diagnostic d’uncocervicarthrose C5-C6 et C6-C7, soit l’équivalent d’une spondylodiscarthrose. Vu l’IRM du rachis cervical réalisée le 26 août 2022 et la littérature scientifique en général, le recourant ne pouvait avoir présenté une déchirure musculaire au niveau cervico-thoracique. Cela n’était pas prouvé médicalement par l’imagerie, mais ces déchirures musculaires n’existaient pas sauf étirement par une mécanique extérieure brutale très significative. Les atteintes musculaires au rachis cervical étaient dues à des événements à haute énergie cinétique. Quant aux contractures, elles n’étaient pas susceptibles de provoquer des déchirures, ni des élongations. Elles s’exerçaient en modalité réflexe antalgique et protectrice du rachis. C’était un mécanisme physiologique du muscle qui dépassait son but habituel. Elles étaient souvent douloureuses, ce qui s’opposait aux allégations de la Dre D______. On ne se trouvait donc pas en présence d’une lésion musculaire citée par l’art. 6 al. 2 LAA.

c. Le recourant a été entendu par la chambre de céans le 30 août 2023.

d. Le même jour, la chambre de céans a demandé à la Dre E______ si le recourant avait subi une déchirure de muscle lors de l’événement en cause avec un degré de vraisemblance prépondérante et, cas échéant, si cette lésion était manifestement due à l’usure ou à une maladie.

Le 11 octobre 2023, la Dre E______ a répondu qu’elle retenait une origine musculaire aux douleurs du recourant. Celles-ci étaient apparues après le traumatisme et étaient dues, selon elle, de manière prépondérante à celui-ci. Le diagnostic de déchirure musculaire lui semblait le plus plausible. Elle était donc d’accord avec l’appréciation de la Dre D______ sur ce point. L’IRM du 27 août 2022 montrait des modifications dégénératives qui n’expliquaient pas les douleurs reproductibles à la palpation au niveau thoracique haut du recourant.

e. Le 3 novembre 2023, l’intimée a indiqué que dans son appréciation établie le 24 octobre 2023, le Dr C______ retenait le diagnostic de torticolis comme le plus probable, soit une limitation de mouvement de la colonne cervicale d’origine musculaire ou articulaire d’apparition soudaine, accompagnée de douleurs intenses.

f. Le 27 octobre 2023, le recourant a informé la chambre de céans qu’il était d’accord avec le rapport médical de la Dre E______.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus de l’intimée de prendre en charge les suites de l’événement du 11 août 2022.

4.              

4.1 Si les conditions d’un accident ne sont pas réalisées, l’assurance alloue ses prestations, en application de l’art. 6 al. 2 LAA, pour les lésions corporelles suivantes, pour autant qu'elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l'usure ou à une maladie : les fractures (let. a) ; les déboîtements d'articulations (let. b) ; les déchirures du ménisque (let. c) ; les déchirures de muscles (let. d) ; les élongations de muscles (let. e) ; les déchirures de tendons (let. f) ; les lésions de ligaments (let. g) ; les lésions du tympan (let. h).

4.2 Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références; ATF 142 V 58 consid. 5.1 et les références; ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4). 

4.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

5.             En l’espèce, le rapport de la Dre E______ du 11 octobre 2023, qui retient le diagnostic de déchirure musculaire comme le plus plausible, confirme l’appréciation de la Dre D______. Ces rapports suffisent à remettre en cause l’appréciation contraire du cas par le Dr C______, qui est un médecin interne de l’intimée. Il se justifie en conséquence de faire procéder à une expertise par un médecin indépendant.

6.             Le recours est ainsi partiellement admis. La décision querellée sera en conséquence annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure au recourant qui n'était pas représenté et n’a pas fait valoir de frais engendrés par la procédure (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 20 décembre 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le