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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2211/2022

ATAS/119/2024 du 22.02.2024 ( LAMAL ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2211/2022 ATAS/119/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 février 2024

Chambre 3

 

En la cause

A______

recourante

 

contre

Philos Assurance-maladie SA

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après l’assurée) est salariée en tant que employée de ménage à 25% par l’Association B______ (ci-après l’employeur).

Celui-ci a conclu une police d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie avec la société anonyme Philos Assurance-maladie (ci-après l’assureur)

b. L’assurée a été en incapacité de travail en raison d’une fasciite plantaire dès le 18 mars 2021, selon une déclaration du 6 mai 2021 de son employeur à l’assureur.

L’arrêt de travail de l’assurée a été régulièrement prolongé et a donné lieu au versement d’indemnités journalières par l’assureur.

c. Une échographie du pied gauche du 8 juillet 2021 a révélé une fasciite plantaire superficielle avec un foyer de fissuration profond.

d. Le docteur C______, spécialiste en chirurgie orthopédique, a attesté une incapacité de travail totale dès le 10 (sic) mars 2021 dans son rapport du 16 août 2021. Il a fait état d’un œdème dans la région du calcanéum à gauche, avec des douleurs à la palpation.

e. Dans une note du 1er septembre 2021, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne et médecin-conseil de l’assureur, a indiqué que la reprise du travail était attendue en octobre 2021.

Le 3 novembre 2021, il a suggéré une évaluation par un médecin, vu la durée inhabituellement longue de l’incapacité de travail, tout en exposant qu’une fasciite plantaire pouvait évoluer sur plusieurs mois et que ses répercussions sur la capacité de travail différaient selon l’activité exercée.

f. L’assureur a mandaté le docteur E______, spécialiste FMH en médecine du travail, pour examiner l’assurée, ce dont il a informé cette dernière le 11 février 2022.

Dans son rapport du 22 février 2022, le Dr E______ a notamment relaté un entretien téléphonique avec le Dr C______, lors duquel ce dernier a signalé que, pendant la dernière consultation, l’assurée l’avait suivi à pas rapides sans béquilles alors qu’il allait vérifier son dossier, ce qui contrastait avec ses plaintes. L’expert a noté dans l’anamnèse qu’une IRM de la cheville gauche réalisée en novembre 2021 avait mis en évidence une enthésopathie fissuraire à l’insertion du faisceau central du fascia plantaire superficiel (fasciite plantaire) sans déchirure. L’assurée décrivait une évolution peu favorable des douleurs. Elle se disait extrêmement limitée dans la station debout et les déplacements. L’expert a notamment constaté à l’examen une absence de troubles trophiques et de tuméfaction. Il y avait une douleur à la palpation de la base de la phalange proximale du premier doigt, la palpation du calcanéum étant indolore. L’assurée portait des chaussures à talons d’environ 7 cm. L’expert a posé les diagnostics de douleurs du pied gauche sur fasciite plantaire au décours et de probable surcharge de la première articulation métacarpo-phalangienne. La durée habituelle de l’incapacité de travail dépendait des contraintes de l'activité. Pour une activité nécessitant la station debout prolongée, elle pouvait être de plusieurs mois. La reprise de l'activité de nettoyeuse, exercée debout, était encore prématurée, mais pouvait être envisagée deux mois plus tard au taux de 25%. La capacité de travail était entière dans une activité adaptée. Le port de chaussures plates avec utilisation de supports plantaires était recommandé. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : éviter la station statique debout prolongée (possibilité d'alterner les positions assise-debout), les déplacements sur de longues distances, ainsi que les montées et descentes répétées d'escaliers. Ces limitations diminueraient progressivement au cours des mois suivants. L’assurée alléguait des douleurs constantes, à l’origine d’une très importante limitation de sa mobilité, mais n’avait montré aucun signe d’inconfort durant l’entretien. Elle se déplaçait avec des béquilles, sans toutefois décharger son pied gauche. Partant, bien que le Dr E______ ne mît pas en doute le diagnostic initial de fasciite plantaire, l’évolution était désormais favorable, avec un impact fonctionnel nettement moindre que celui annoncé par l’assurée.

g. A l’examen du dossier, le médecin-conseil a relevé les incohérences suivantes : port de talons hauts, utilisation de cannes sans décharger le pied gauche, déplacement sans cannes relaté à l’expert par le médecin traitant, examen clinique ayant uniquement mis en évidence des douleurs de surcharge métacarpiennes de l'avant-pied, probablement secondaires au port de talons. Le médecin-conseil a préconisé une reprise du travail au taux contractuel de 25% deux mois après l’expertise (cf. courriel à l’assureur du 16 mars 2022).

h. Par décision du 5 avril 2022, l’assureur a mis un terme au versement des indemnités journalières avec effet au 30 avril 2022, se fondant sur l’analyse de l’expertise du Dr E______ par le Dr D______.

i. L’assurée s’est opposée à cette décision le 25 avril 2022, arguant qu’il n’était pas raisonnablement exigible qu’elle reprenne le travail alors qu’elle devait utiliser des béquilles. Elle requérait une nouvelle expertise.

Elle se prévalait d’une attestation rédigée le 27 avril 2022 par le Dr C______, signalant notamment que le traitement conservateur avait eu des effets fluctuants avec des améliorations passagères. Une infiltration en mars 2022 n’avait pas amené d’amélioration nette. L’assurée n’utilisait plus les cannes et marchait en boitant. Elle présentait une légère hypotrophie du mollet gauche et poursuivait les séances de physiothérapie. Un contrôle était prévu en mai pour l'évaluation de la capacité de travail, mais une activité adaptée était d’ores et déjà exigible.

Dans cette attestation dactylographiée, la négation dans la phrase « n’utilise plus les cannes » était biffée au marqueur noir.

j. Le Dr D______ a confirmé sa position par courriel du 11 mai 2022.

k. Par décision du 2 juin 2022, l’assureur a écarté l’opposition. Si la nécessité d’utiliser des béquilles semblait contre-indiquer la reprise de l’activité
habituelle, leur réelle utilisation devait être discutée. D'une part, l'expert s’était étonné que l'assurée ne décharge pas son pied, ce qui tendait à démonter l’inutilité des cannes, et le médecin traitant avait fortuitement constaté qu'elle était en mesure de se déplacer rapidement sans béquilles. D’autre part, le rapport du Dr C______ du 27 avril 2022 avait été corrigé manuellement, laissant subsister un doute sur ce point. L’expert ne contestait pas le diagnostic de fasciite, mais concluait à une évolution favorable avec un impact fonctionnel nettement moindre que celui annoncé par l’assurée. Son rapport avait valeur probante.

B. a. Par écriture du 2 juillet 2022, l’assurée a interjeté recours auprès de la Cour de céans.

Elle reproche à l’intimé de ne pas lui avoir donné accès à son dossier, malgré ses demandes.

S’agissant de la marche sans béquilles et de la décharge du pied lors de leur utilisation, elle allègue qu’il lui était impossible de se déplacer autrement dans l’espace confiné des cabinets de l’expert et du Dr C______. L’utilisation de béquilles est confirmée par le rapport de celui-ci. La reprise du travail ordonnée dès le 1er mai 2022 par l’assureur découle selon elle d’une mauvaise compréhension des conclusions de l’expert, qui a admis une reprise au taux habituel de 25% deux mois plus tard. La recourante soutient que l’expert ne disposait pas des compétences nécessaires.

Elle produit les pièces suivantes :

-       un courriel du 29 avril 2022 à l’assureur requérant une copie de son dossier, et une mise en demeure du 29 juin 2022 exigeant sa transmission ;

-       une attestation du Dr C______ du 12 mai 2022, reprenant pour l’essentiel le contenu de celle du 27 avril 2022, précisant que l’impotence fonctionnelle a conduit l’assurée à utiliser des cannes durant plusieurs mois et que la capacité de travail dans l’activité habituelle devra être réévaluée en juin 2022 ;

-       une attestation du 2 mai 2022 de la doctoresse F______, chiropraticienne, faisant état d’une douleur au pied gauche fluctuante, entravant la marche et la station debout et nécessitant l'utilisation de béquilles, et précisant que seule une activité assise est possible, ce qui exclut la reprise du travail comme agent d'entretien ;

-       une scintigraphie du 20 mai 2022 avec scanner révélant une aponévropathie plantaire superficielle gauche avec hyperactivité osseuse associée ;

-       une imagerie par résonance magnétique (IRM) de la colonne lombo-sacrée du 14 juin 2022, réalisée en raison de lombalgies, révélant une lombarthrose prédominant en L3-L4 et L4-L5 avec dessiccation discale et pincement, avec, en L4-L5, une volumineuse déchirure de l'anneau discal fibreux et une protrusion discale médiane sous-ligamentaire ;

-       un rapport du 23 juin 2022 du docteur G______, spécialiste FMH en neurologie, notant à l'examen électroneuromyographique (ENMG) des signes indirects en faveur d'une discrète radiculopathie lombaire, ainsi que des signes cliniques en faveur d'une fasciite plantaire gauche ; le neurologue préconise, en cas de persistance des lombosciatalgies, une infiltration.

b. Invité à se déterminer, l’intimée, dans sa réponse du 22 septembre 2022, a conclu, sous suite de dépens, au rejet du recours.

L’intimée reconnaît avoir tardé à transmettre les pièces demandées à la recourante, mais relève que les critiques formulées dans son recours démontrent qu’elle a pu prendre connaissance de l'expertise du Dr E______, de sorte qu’une éventuelle violation de son droit d’être entendue doit être considérée comme réparée.

L’intimée souligne que l’assurée ne s’est pas opposée à la désignation de l’expert quand son identité lui a été communiquée.

Elle considère que l’expertise du Dr E______ doit se voir reconnaître pleine valeur probante, la recourante ne produisant aucun élément de nature à mettre en doute ses conclusions. A cet égard, elle produit la prise de position rédigée le 28 juillet 2022 par le docteur H______, médecin-conseil. Celui-ci, après examen des pièces produites par la recourante, relève que les lombalgies pourraient être un nouveau motif d’incapacité de travail, mais qu’elles ont été relevées pour la première fois le 14 juin 2022. L'examen neurologique est dans les limites de la norme, de sorte qu’une nouvelle incapacité de travail ne se justifie pas. Il n’existe pas de corrélation stricte entre les symptômes lombaires et l'imagerie et on ignore pour quelles raisons une telle IRM a été réalisée en l’absence de plainte. Il n’y a selon lui aucun élément justifiant la prolongation de l’incapacité de travail après le 1er mai 2022.

L’intimée rappelle que les faits survenus postérieurement à la décision sur opposition ne peuvent être pris en compte.

c. Dans sa réplique du 31 octobre 2022, la recourante conclu, sous suite de dépens, à ce que la décision du 2 juin 2022 soit « abjugée » et au versement d’indemnités journalières au-delà du 30 avril 2022.

Elle invoque une nouvelle fois une violation de son droit d’être entendue, du fait que les avis des Drs D______ et H______ ne lui ont pas été transmis.

Pour le surplus, elle conteste l’évaluation du Dr E______. Son incapacité de travail n’a pas pris fin le 30 mai 2022, comme l’attestent les arrêts de travail établis depuis.

Elle affirme avoir contesté oralement auprès de l’assureur la désignation du Dr E______ en qualité d’expert.

Elle produit les pièces suivantes :

-       une attestation de la Dresse F______ du 20 octobre 2022, indiquant avoir suivi ponctuellement la recourante pour des douleurs cervicales ou lombaires récurrentes dès 2010 ;

-       un rapport de consultation du 23 septembre 2022 du service de chirurgie du pied des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), mentionnant le diagnostic de pied plat valgus avec conflit du sinus tarse dans un contexte d'équin gastrocnémien à gauche avec une composante de fasciite plantaire et préconisant à titre de traitement une attelle de repos, de la physiothérapie et des semelles varisantes ;

-       des certificats d’arrêt de travail établis respectivement par les Drs C______ et F______ pour la période du 15 avril au 16 novembre 2022, à des taux oscillant entre 50% et 100%.

d. Le 23 novembre 2022, le Dr D______ a constaté dans une note que le rapport des HUG confirme une fasciite plantaire rebelle depuis un an, probablement secondaire à un pied plat valgus avec un conflit du sinus du tarse dans un contexte d'équin gastrocnémien gauche. Ce nouvel élément justifie selon lui une incapacité de travail de trois mois dès le 17 août 2022 (date du diagnostic) dans l’activité de femme de ménage, mais pas dans une activité adaptée, laquelle reste exigible.

e. Dans sa duplique du 6 novembre 2022, l’intimée a persisté dans ses conclusions. Elle fait remarquer que le rapport des HUG du 23 septembre 2022 signale un diagnostic posé le 17 août 2022, apparu ainsi plus de quatre mois après la date à laquelle elle a mis un terme à ses prestations.

f. Dans ses déterminations du 7 janvier 2023, la recourante a repris les arguments précédemment développés. Elle soutient que le diagnostic ressortant du rapport des HUG de septembre 2022 n’est pas nouveau.

g. La Cour de céans a entendu les parties en date du 6 juillet 2023. A l’issue de l’audience, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

h. Le 25 août 2023, l’intimée a produit à la demande de la Cour de céans l’enregistrement de l’entretien d’expertise auprès du Dr E______.

i. Le 31 août 2023, la recourante a encore produit plusieurs documents médicaux, dont une radiographie de la colonne thoracique et lombaire réalisée le 15 février 2022 en raison de dorsolombalgies depuis six mois.

j. La Cour de céans a transmis copie de ces documents à l’intimée le 23 janvier 2024.

 

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

En l’espèce, le contrat conclu entre l’intimée et l’employeur porte sur le versement d’indemnités journalières selon la LAMal.

Partant, la compétence de la Cour de céans pour juger du cas d’espèce est établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAMal, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-maladie, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Interjeté dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 56ss LPGA).

4.             Le litige porte sur le droit de la recourante à des indemnités journalières au-delà du 30 avril 2022.

5.             Il convient en premier lieu d’examiner la violation du droit d’être entendue dont se plaint la recourante.

5.1 Le droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit de consulter le dossier (arrêt du Tribunal fédéral 8C_463/2019 du 10 juin 2020 consid. 4.4).

La violation du droit d'être entendu, de caractère formel, doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 127 V 431 consid. 3d/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_120/2009 du 3 février 2010 consid. 2.2.1). Pour autant qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière, cette violation est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Au demeurant, la réparation d'un vice éventuel ne doit avoir lieu qu'exceptionnellement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_181/2013 du 20 août 2013 consid. 3.3).

5.2 En l’espèce, l’intimée a admis n’avoir pas donné une suite immédiate aux requêtes de la recourante tendant à la consultation de son dossier. Toutefois, au vu de la pleine cognition de la Cour de céans et du fait que la recourante a eu accès au dossier dans le cadre de la présente procédure, une éventuelle violation de son droit d’être entendue est en toute hypothèse réparée. On relèvera par ailleurs que certaines pièces que la recourante se plaint de ne pas avoir obtenues – soit les rapports du Dr H______ et certaines déterminations du Dr D______ – ont été établies après l’introduction de la présente instance et lui ont été transmises sans délai par la Cour de céans.

Il n’y a dès lors pas lieu d’entrer en matière sur le grief d’ordre formel invoqué par la recourante.

6.             L’art. 67 LAMal dispose que toute personne qui est domiciliée en Suisse ou y exerce une activité lucrative et qui est âgée de quinze ans au moins mais n’a pas atteint l’âge de 65 ans peut conclure une assurance d’indemnités journalières avec un assureur au sens des art. 2 al. 1 ou 3 de la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (LSLAMal – RS 832.12) (al. 1). L’assurance d’indemnités journalières peut être conclue sous la forme d’une assurance collective. Les assurances collectives peuvent être conclues par des employeurs, pour leurs travailleurs ou pour eux-mêmes (let. a) ; organisations d’employeurs ou des associations professionnelles, pour leurs membres et les travailleurs de leurs membres (let. b) ; organisations de travailleurs, pour leurs membres (let. c) (al. 3).

6.1 Aux termes de l’art. 72 LAMal, l’assureur convient avec le preneur d’assurance du montant des indemnités journalières assurées. Ils peuvent limiter la couverture aux risques de la maladie et de la maternité (al. 1). Les prestations prises en charge sont rattachées à la période d’incapacité de travail (al. 1bis). Le droit aux indemnités journalières prend naissance lorsque l’assuré a une capacité de travail réduite au moins de moitié (art. 6 LPGA). À défaut d’accord contraire, le droit prend naissance le troisième jour qui suit le début de la maladie. Le versement des prestations peut être différé moyennant une réduction correspondante du montant de la prime. Lorsque la naissance du droit à l’indemnité journalière est subordonnée à un délai d’attente convenu entre les parties, durant lequel l’employeur est tenu de verser le salaire, ce délai peut être déduit de la durée minimale du versement de l’indemnité journalière (al. 2). Les indemnités journalières doivent être versées, pour une ou plusieurs maladies, durant au moins 720 jours dans une période de 900 jours. L’art. 67 LPGA n’est pas applicable (al. 3).

L'assurance facultative d'indemnités journalières selon les art. 67 ss LAMal est une assurance de perte de gain, et le droit aux indemnités journalières est donc subordonné à ce que l'ayant droit subisse une perte de salaire ou de gain effective en raison d'une atteinte à la santé due à une maladie (arrêt du Tribunal fédéral 9C_131/2020 du 5 février 2021 consid. 3.2).  

6.2 Conformément à l’art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité. L’art. 6 LPGA deuxième phrase codifie le principe de l’obligation de diminuer le dommage. Dans l'hypothèse où un assuré doit s'astreindre à changer de profession, la caisse doit l'avertir à ce propos et lui accorder un délai adéquat - pendant lequel les indemnités journalières versées restent dues - pour s'adapter aux nouvelles conditions ainsi que pour trouver un emploi. Dans la pratique, un délai de trois à cinq mois imparti dès l'avertissement de l’administration doit en règle générale être considéré comme adéquat (arrêt du Tribunal fédéral 9C_546/2007 du 28 août 2008 consid. 3.4 et les références).

6.3 En l’espèce, le contrat conclu entre l’employeur et l’intimée courant dès le 1er janvier 2021 a pour objet la couverture des conséquences économiques d’une incapacité de travail résultant de la maladie, de la maternité et de l’accident, pour autant que ce risque soit inclus dans le contrat, conformément à l’art. 1 des Conditions générales de l'assurance collective d'une indemnité journalière selon la LAMal dans leur édition du 1er janvier 2018 (CGA). La police prévoit le versement d’indemnités journalières en cas de maladie correspondant à 80% du salaire durant 730 jours, avec imputation d’un délai d’attente de 30 jours.

Selon l’art. 10 al. 2 CGA, la couverture d'assurance, ainsi que le droit aux prestations cessent pour chaque assuré à la fin du contrat de travail ou du contrat collectif. Toutefois, la couverture et le droit aux prestations sont maintenus pour l'incapacité en cours à la fin du contrat de travail, si le contrat collectif est en vigueur à cette date.

7.             Pour trancher le droit aux prestations, le juge a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4; ATF 115 V 133 consid. 2). Selon le principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA), le tribunal apprécie librement les preuves médicales qu'il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le tribunal doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s'ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S'il existe des avis contradictoires, il ne peut trancher l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu'une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). En ce qui concerne la valeur probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant c'est que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_453/2017 du 6 mars 2018 consid. 4.2).  

Ces principes sont également applicables en matière de litiges portant sur le droit à des indemnités journalières selon la LAMal (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_838/2018 du 14 février 2019 consid. 2.2).

8.             En l’espèce, l’intimée a mis un terme au versement des indemnités journalières en se fondant sur les conclusions tirées par le Dr D______ de l’examen réalisé par le Dr E______.

8.1 Il convient de relever ce qui suit au sujet du rapport du Dr E______. En premier lieu, on peut, à l’instar de la recourante, s’interroger sur l’opportunité de la désignation d’un médecin du travail pour évaluer les répercussions sur la capacité de travail d’une fasciite plantaire, soit un trouble musculo-squelettique qu’un rhumatologue, voire un chirurgien orthopédique, aurait vraisemblablement été mieux à même d’analyser. On rappellera ici qu’un grief ayant trait à un défaut de compétence d’un expert est d’ordre matériel et non de nature formelle, et doit ainsi être examiné avec la décision sur le fond dans le cadre de l'appréciation des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 8C_358/2022 du 12 avril 2023 consid. 4.2.4). Il ne s’agit ainsi pas d’un motif de récusation d’ordre formel qu’un assuré doit invoquer dans les dix jours suivant la communication du nom de l’expert (cf. art. 44 al. 2 et 36 LPGA).

8.2 S’agissant du contenu dudit rapport, si, au plan formel, il contient les éléments nécessaires selon la jurisprudence – soit, notamment, une anamnèse, un résumé du dossier et des diagnostics -, ses conclusions sont insuffisamment motivées pour emporter la conviction. En particulier, on peine à comprendre sur quels éléments se fonde le Dr E______ pour qualifier la fasciite plantaire d’affection « au décours », faute d’explications sur ce point. Il n’indique pas non plus quelles observations concrètes lui permettent de retenir que les limitations fonctionnelles – dont il reconnaît implicitement la persistance à la date de son examen, puisqu’il confirme que l’incapacité de travail reste justifiée à ce moment-là – disparaitraient progressivement lors des mois suivants, ni les motifs qui le conduisent à qualifier l’évolution de favorable. L’absence de signes d’inconfort lors de l’entretien – durant lequel on peut raisonnablement supposer que la recourante était assise – n’est pas incompatible avec des douleurs et des difficultés à la mobilisation. S’agissant de l’évolution de la capacité de travail, les conclusions quant à une possible reprise deux mois après l’examen ne sont nullement motivées. Le Dr E______ se contente de souligner qu’une fasciite peut avoir une incidence durant plusieurs mois sur la capacité de travail dans le cas d’une activité exercée debout. Or, un pronostic fondé sur l’évolution usuellement observée d’une atteinte ne suffit pas à démontrer le rétablissement futur de la capacité de travail, à défaut d’éléments concrets dans ce sens. On peut ici se référer par analogie au principe prévalant en matière d’assurance-accidents, selon lequel la date à laquelle une atteinte accidentelle ne déploie plus d’effets ne peut être déterminée d'une manière abstraite et théorique en se référant au délai de guérison habituel d’une lésion, cela ne suffisant pas à établir au degré de la vraisemblance prépondérante l'extinction du lien de causalité en l’absence d'autres éléments objectifs dans le dossier médical (arrêts du Tribunal fédéral 8C_481/2019 du 7 mai 2020 consid. 3.4 et 8C_473/2017 du 21 février 2018 consid. 5).

En l’espèce, il n’existe aucun autre élément permettant d’accréditer la thèse d’une guérison de l’atteinte deux mois plus tard. On peut certes s’interroger sur les possibles incohérences mises en exergue par le Dr D______, notamment la faculté de la recourante à se déplacer sans béquilles ou sans les utiliser de manière à décharger son articulation. Cela étant, ces éléments ne suffisent pas à écarter toute incapacité de travail, dès lors que l’existence de la fasciite en tant que telle n’est pas contestée et que les répercussions de cette atteinte sur la capacité de travail n’ont pas été exclusivement liées à l’utilisation de béquilles par l’expert ou par le Dr D______, eu égard notamment aux limitations fonctionnelles décrites par le premier, incompatibles avec une activité d’employée de ménage.

On ajoutera que le médecin-conseil de l’intimé ne peut être suivi en tant qu’il soutient, dans son appréciation du 16 mars 2022, que l’examen clinique a uniquement mis en évidence des douleurs de surcharge métacarpiennes de l'avant-pied, le Dr E______ ayant également rapporté des douleurs du pied gauche sur fasciite plantaire au décours.

Surtout, la scintigraphie réalisée en mai 2022 a confirmé la persistance de la fasciite plantaire, l’aponévropathie plantaire décrite dans le rapport d’examen étant un terme synonyme (cf. Aponévropathie plantaire : mise au point 2021 in Revue médicale suisse 17 [2021] p. 1314). Le Dr G______ a également rapporté en juin 2022 des signes cliniques d’une telle atteinte. Les médecins des HUG ont eux aussi relaté une fasciite plantaire dans leur rapport de consultation du 23 septembre 2022. Au vu de l’anamnèse de la recourante, il ne s’agit à l’évidence pas d’une nouvelle atteinte, contrairement à ce que semble soutenir le Dr D______. La mention de la date du 17 août 2022 à côté de ce diagnostic correspond vraisemblablement à la date de la première consultation, lors de laquelle l’atteinte a été constatée par ces médecins.

Au vu de ce qui précède et à défaut de motivation suffisante quant à l’exigibilité de la reprise d’une activité professionnelle à partir du 1er mai 2022 malgré la persistance de l’atteinte à l’origine de l’incapacité de travail, le rapport du Dr E______ ne peut se voir reconnaître pleine valeur probante. Tel est également le cas des prises de position des médecins-conseils de l’intimée, qui ne satisfont au demeurant pas non plus à la forme aux réquisits jurisprudentiels en matière de rapports médicaux.

8.3 Par surabondance, il apparaît que la recourante souffre également de lombalgies, lesquelles pourraient également avoir des répercussions sur sa capacité de travail. Sur ce point, on ne saurait se rallier aux déterminations du Dr H______, qui nie - sans aucune motivation - une corrélation entre les symptômes lombaires et l’imagerie. Il ne peut non plus être suivi lorsqu’il affirme qu’il n’y aurait pas eu de plaintes de cet ordre, puisque c’est précisément en raison de lombalgies qu’une radiographie a été réalisée en février 2022 déjà. Cette atteinte est ainsi antérieure à la date à laquelle l’intimé a mis un terme à ses prestations.

8.4 On notera encore que si le Dr D______ s’est à plusieurs reprises prononcé sur l’exigibilité d’une activité adaptée à l’atteinte plantaire de la recourante et que le médecin traitant le rejoint sur ce point, le droit aux prestations en l’espèce doit être analysé uniquement à l’aune de la capacité de travail dans l’activité habituelle de femme de ménage, l’intimé n’ayant pas avisé la recourante de l’exigibilité d’un changement de profession et ne lui ayant imparti aucun délai d’adaptation à cet effet.

8.5 Il ressort de ce qui précède que la Cour de céans ne dispose pas d’éléments suffisants pour trancher le droit aux indemnités journalières au-delà du 30 avril 2022.

Lorsque le juge constate qu'une expertise est nécessaire, il doit en principe la mettre en œuvre lui-même. Un renvoi à l'administration reste cependant possible lorsqu'il est justifié par l'examen d'un point qui n'a pas du tout été investigué (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4).

En l’espèce, au vu des carences de l’expertise du Dr E______ et du fait que les éventuelles répercussions des atteintes lombaires n’ont pas du tout été analysées par l’intimée, un renvoi de la cause pour instruction complémentaire – par exemple sous forme d’une nouvelle expertise, qui devra être mise en œuvre de manière conforme aux exigences en matière de droit d’être entendu (cf. art. 44 LPGA) – s’impose.

Il appartiendra ensuite à l’intimée de rendre une nouvelle décision sur le droit aux indemnités journalières après le 30 avril 2022.

9.             Le recours est partiellement admis.

La recourante n’étant pas représentée, elle n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimée du 2 juin 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Diana ZIERI

 

La présidente

 

 

 

Karine STECK

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le