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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1986/2022

ATAS/60/2024 du 01.02.2024 ( LPP ) , ADMIS PARTIEL

Recours TF déposé le 11.03.2024, 9C_147/2024
Recours TF déposé le 13.03.2024, 9C_163/2024, 9C_147/2024
*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL;DÉCISION D'EXTENSION;DROIT CONSTITUTIONNEL À LA PROTECTION DE LA BONNE FOI;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;DÉLAI DE RÉSILIATION
Normes : Cst.5.al3; Cst; LPP.73; CCT
Résumé : Après avoir constaté que la société défenderesse doit être qualifiée d’entreprise mixte dès lors que seul son secteur « travaux » fait partie du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’arrêté du Conseil fédéral du 5 juin 2003 étendant le champ d’application de la convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : CCT RA) à l’ensemble du territoire suisse (à l’exception du Valais), la chambre de céans a estimé que ledit secteur ne peut toutefois pas être considéré, au regard des critères jurisprudentiels, comme autonome sur le plan organisationnel, de sorte que l’existence d’une entreprise mixte authentique - condition nécessaire à un assujettissement à la CCT RA étendue -, ne peut être retenue. La fondation FAR ayant, depuis le 1er juillet 2003, assujetti à tort, à la CCT RA, le secteur « travaux » de la société défenderesse - en appliquant une pratique fondée sur une décision de son Conseil de fondation, pratique jugée contraire au droit par le Conseil fédéral en date du 14 juin 2016 -, la chambre de céans a estimé que la situation dans laquelle se trouvent les employés demandeurs est entièrement imputable à la fondation défenderesse, de sorte que ces derniers peuvent se prévaloir d’une situation acquise et faire valoir le droit à l’octroi d’un régime transitoire approprié pour leur permettre de s’adapter à leur nouvelle situation, ce que la fondation FAR n’avait pas fait dans son courrier du 28 février 2018, informant la société défenderesse de la fin de son assujettissement à la CCT RA étendue au 31 août 2017. Pour des motifs liés au respect du principe de bonne foi, la chambre de céans a retenu, en tenant compte d’une période transitoire de trois ans, par analogie avec le système mis en place dans le règlement FAR concernant la résiliation des contrats d’affiliation, que l’entreprise défenderesse est restée partiellement assujettie à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021. Vu l’assujettissement de la société défenderesse à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021, et contrairement à l’avis de la fondation FAR, la chambre de céans a estimé que deux employés demandeurs remplissent les conditions cumulatives donnant droit à l’octroi, par la fondation précitée, d’une rente transitoire, avec intérêts moratoires de 5% dès le jour du dépôt de leur action en justice.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1986/2022 ATAS/60/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 1er février 2024

En la cause

A______

B______

C______

D______

E______

F______

G______

H______

Tous représentés par Me Romolo MOLO, avocat

 

demandeurs

contre

STIFTUNG FÜR DEN FLEXIBLEN ALTERSRÜCKTRITT IM BAUHAUPTGEWERBE (FAR)

MAISON I______ SA

représentée par Me Sélina MULLER, avocate

 

défenderesses

EN FAIT

 

A. a. La société I______ SA (ci-après : la société ou l’entreprise), avec siège à Genève, a été fondée en 1873. Selon le registre du commerce, il s’agit d’une entreprise de travaux sanitaires, de vidange hydraulique, de maçonnerie, de travaux publics et objets analogues.

La société est soumise à la Convention nationale du secteur principal de la construction (ci-après : CN) depuis 1973. Elle est également affiliée à la Caisse genevoise de compensation du bâtiment (ci-après : CCB GE).

b. Monsieur A______, né en 1966, a travaillé pour la société en qualité de maçon à partir du 3 mars 1997.

Monsieur B______, né en 1966, a travaillé pour la société en qualité de chauffeur de chantier à partir du 4 mai 2015. Il a quitté l’entreprise le 30 juin 2022.

Monsieur C______, né le ______ 1959, a travaillé pour la société en qualité de manœuvre de bâtiment à partir du 28 juin 2010.

Monsieur D______ né le ______ 1960, a travaillé pour la société en qualité de maçon à partir du 2 septembre 1996.

Monsieur E______, né en 1966, a travaillé pour la société à partir du 5 mars 1990.

Monsieur G______, né en 1963, a travaillé pour la société en qualité de maçon à partir du 5 mars 1990.

Monsieur F______, né en 1968, a travaillé pour la société en qualité de maçon-machiniste à partir du 12 janvier 2015.

Monsieur H______, né en 1973, a travaillé pour la société en qualité de maçon à partir du 18 janvier 2017. Il a quitté l’entreprise le 30 avril 2022.

B. a. Le 12 novembre 2002, la société suisse des entrepreneurs SSE, d'une part, et les syndicats SIB (UNIA depuis le 1er janvier 2005) et SYNA, d'autre part, ont conclu une convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : CCT RA). Cette convention a pour but de permettre aux travailleurs du secteur principal de la construction de prendre une retraite anticipée dès l'âge de 60 ans révolus. L'entrée en vigueur de la CCT RA a été fixée au 1er juillet 2003. Les parties à cette convention ont créé le 19 mars 2003 la Fondation pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : la Fondation FAR), institution de prévoyance non enregistrée, dont le siège est à Zurich. Le Conseil fédéral a, par arrêté du 5 juin 2003 (ci-après : ACF ECA CCT RA), prévu l'extension de la CCT RA à l'ensemble du territoire suisse, à l'exception du canton du Valais. Cette extension a ensuite été prolongée à plusieurs reprises. Le 4 juillet 2003, le conseil de fondation a édicté, sur la base de la CCT RA, un règlement relatif aux prestations et aux cotisations de la Fondation FAR (ci-après : règlement RA).

b. En 2003, la Fondation FAR a interpellé la société, considérant qu’elle devait être assujettie et ainsi cotiser pour la retraite anticipée de ses employés du secteur travaux.

c. Par « décision » du 14 avril 2005, le Conseil de fondation FAR a précisé comme suit la définition des entreprises mixtes non authentiques de leurs secteurs : « pour les entreprises dont l’activité prépondérante est exercée en dehors du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA, mais qui avec les activités exercées au sein du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA réalisent un chiffre d’affaires d’au moins CHF 500'000.-, les emplois équivalents plein temps sont assujettis à la CCT RA pour ces derniers, l’activité exercée peut être attribuée comme faisant partie de ce champ d’application ».

d. Par courriel du 1er février 2013, un employé de la société a interpellé la Fondation FAR au sujet de son affiliation à la CCT RA.

e. Le 28 février 2013, la société a rempli un « formulaire général
d’auto-déclaration CCT RA, CN ». Elle a indiqué que l’entreprise était composée de quatre secteurs, soit « nettoyage canalisations » (83%), « caméra » (2%), « travaux » (10%) et « pompes » (5%). Son « secteur travaux », qui s’occupait de « petits travaux sur la canalisation ainsi que les travaux de recherche », n’occupait qu’une dizaine d’employés. À la question de savoir si les travailleurs de l’entreprise pouvaient être clairement attribués aux secteurs précités, la société a répondu positivement. À la question de savoir si tous les secteurs avec leurs produits ou prestations faisaient office de soumissionnaires autonomes à l’extérieur vis-à-vis des clients, la société a répondu négativement. Enfin, la société a précisé qu’elle enregistrait un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 500'000.- aux secteurs « nettoyage des canalisations, travaux et pompes ».

Selon l’organigramme annexé à la déclaration, la société comprenait 53 employés, dont quinze dans le secteur « travaux ».

f. Par « décision » du 4 avril 2013, la direction de la Fondation FAR a informé la société qu’elle était assujettie à la CCT RA. Elle devait être qualifiée d’entreprise mixte, seul son secteur « travaux » étant assujetti au champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA. Il s’agissait en particulier d’une « entreprise mixte non authentique ». L’activité prédominante de la société ne faisait pas partie du champ d’application relatif au genre d’entreprise de la CCT RA. Or, selon le formulaire d’auto-déclaration de la société, le secteur « travaux » affichait un chiffre d’affaires supérieur à CHF 500'000.-. Ainsi, compte tenu de la précision apportée par le Conseil de fondation FAR du 14 avril 2005, le secteur « travaux » était assujetti à l’ACF ECA CCT RA. Par conséquent, la société était tenue de cotiser à la Fondation FAR depuis le 1er juillet 2003 pour les collaborateurs du secteur « travaux », assujettis au champ d’application de la CCT RA relatif au personnel.

g. Par arrêté du 14 juin 2016, le Conseil fédéral a décrété que l’application de la clause de CHF 500'000.- par la Fondation FAR était en contradiction avec les principes applicables aux entreprises mixtes, si bien qu’il convenait de la supprimer.

h. Lors de sa séance du 2 décembre 2016, le Conseil de fondation FAR a décidé de supprimer de manière générale la cause des CHF 500'000.-.

C. a. Le 30 août 2017, un contrôle d’assujettissement a eu lieu sur mandat de la Fondation FAR. Selon le procès-verbal de contrôle du 12 décembre 2017, l’expert a qualifié la société d’entreprise mixte non authentique dont l’activité principale portait sur les travaux de nettoyage et de canalisations. Il ne s’agissait pas d’une entreprise de construction, les travaux de construction étant uniquement exécutés en rapport avec l’activité principale. Ils portaient sur de petits travaux de réparation (par exemple : ruptures de conduites, réparations de puits). Il n’existait aucune partie d’entreprise. Les activités centrales de l’entreprise étaient généralement proposées et exécutées. De ces dernières, en ressortaient des travaux supplémentaires soumis à la Fondation FAR, lesquels étaient en règle générale, exécutés par des travailleurs qualifiés du domaine de la construction. Aucun des travailleurs annoncés à la Fondation FAR n’exécutaient durant toute l’année des activités soumises à la FAR à 100%. Chaque collaborateur annoncé à la Fondation FAR était également employé avec l’activité principale. Séparer une propre partie d’entreprise ayant pour but de seulement exécuter des travaux de construction n’était pas concevable, car il y avait trop peu de travaux de construction.

b. Dès le 4 décembre 2017, l’entreprise a suspendu le paiement des cotisations.

c. Par courrier du 28 février 2018, la Fondation FAR a informé la société qu’elle considérait qu’elle n’était plus assujettie à l’ACF ECA CCT RA depuis le 31 août 2017. Dans la mesure où elle avait versé des cotisations FAR de CHF 499'258.40 au total jusqu’au 30 août 2017 et la Fondation FAR lui avait versé des prestations de CHF 611'613.50 au total, la société avait été implicitement affiliée à la Fondation FAR du 1er juillet 2003 au 30 août 2017.

L’éventuel prochain prestataire de rente était l’employé C______. Pour garantir que son éventuel droit à une rente transitoire ne devienne pas caduc, elle était disposée à conclure un contrat d’affiliation de durée limitée, soit jusqu’au 31 décembre 2018 avec la société. La condition à remplir serait que la société verse pour les années 2017 et 2018 les cotisations FAR pour les mêmes personnes qu’elle l’avait fait en 2016. C______, né le ______ 1959, pouvait bénéficier des éventuelles prestations de la Fondation FAR au plus tôt dès le 1er avril 2019. Vu cette situation, il devait, à condition que la société demeure affiliée à la Fondation FAR jusqu’au 31 décembre 2018, trouver un emploi dans une entreprise assujettie à l’ACF ECA CCT RA pour la période du 1er janvier au 31 mars 2019. Un délai était imparti à la société pour l’informer de son accord de conclure le contrat d’affiliation annexé.

d. Le 15 mai 2018, la Fondation FAR a considéré que la société et les collaborateurs annoncés jusqu’ici étaient assujettis à la CCT RA jusqu’au 31 décembre 2018. Par conséquent, elle tiendrait compte de leur durée d’emploi dans l’entreprise jusqu’à cette date. La société était tenue d’informer les travailleurs annoncés jusqu’ici de la résiliation de la CCT RA au 31 décembre 2018 en leur indiquant les conséquences de cette résiliation.

e. Par courrier du 29 juin 2018, la société a requis la poursuite de l’affiliation s’agissant de neuf de ses employés concernés par la résiliation de la CCT RA. Elle ne verserait, en revanche, plus de cotisation pour tout nouvel employé engagé par la société.

f. Par courrier du 16 juillet 2019, la Fondation FAR a rejeté la demande de la société d’assujettir neuf collaborateurs à la convention. Les collaborateurs avaient la possibilité de commencer à travailler dans une entreprise assujettie à la CCT RA au plus tard au 1er janvier 2019. Elle a rappelé que la société n’avait pas réagi à son courrier du 28 février 2018. Selon un entretien téléphonique avec une représentante de la société, celle-ci avait déclaré que la société n’était pas intéressée à sauver la rente d’un seul collaborateur au moyen d’un contrat d’affiliation de durée déterminée, si les autres travailleurs perdaient leurs droits. La société avait ainsi cessé de cotiser au 1er janvier 2018.

g. Le 12 août 2020, la société a formé une demande de reconsidération de la « décision » du 28 février 2018 et de réintégration du secteur « travaux » de l’entreprise dans le cercle des assujettis à la CCT RA, avec effet rétroactif au 1er janvier 2019. Subsidiairement, elle a sollicité le maintien de l’affiliation à tout le moins pour les employés de l’entreprise assujettis au 31 décembre 2018, et ce jusqu’à la fin des rapports de travail de chacun d’entre eux.

h. Le 7 avril 2021, la Fondation FAR a confirmé sa « décision » du 6 décembre 2017, selon laquelle la société n’était plus assujettie depuis le 1er janvier 2019. Aucun élément nouveau ne permettait de revenir sur cette décision.

D. a. En parallèle, deux employés de l’entreprise, soit C______ et D______, ont sollicité des prestations de la Fondation FAR.

b. La demande de C______ a été refusée le 25 avril 2019 par l’office de paiement FAR, au motif qu’il n’avait exercé une activité soumise à la CCT RA que pendant neuf ans et six mois, étant précisé que la société n’était plus soumise à la CCT RA depuis fin 2018.

Par décision du 25 juillet 2019, la commission de recours du Conseil de fondation FAR a rejeté le recours interjeté par l’intéressé contre cette décision.

c. Le 21 décembre 2020, la Fondation FAR a informé D______ que les conditions pour l’obtention de prestations n’étaient pas remplies, faute pour ce dernier d’avoir exercé une activité soumise à la CCT RA de manière ininterrompue au cours des sept dernières années.

E. a. Par action du 22 février 2022, la société a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) d’une demande concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu’il soit constaté qu’elle était restée assujettie à la CCT RA au-delà du 31 décembre 2018. Elle invitait ainsi la chambre de céans à dire que ses employés du secteur travaux, soit C______, J______, A______, D______, G______, K______, L______, F______, M______ et B______ sont demeurés assujettis à la CCT RA selon l’art. 3 de cette dernière. Si les conditions prévues étaient réalisées et une demande faite par des employés remplissant les conditions d’un droit complet ou partiel, soit en particulier pour C______ et D______, la Fondation FAR devrait leur verser à chacun leurs prestations avec intérêts à 5% depuis la date de leur première demande, le cas échéant, après qu’ils aient formé une nouvelle demande et versé les cotisations dues à partir du 1er janvier 2019. Elle a également conclu à ce que la Fondation FAR soit condamnée à lui rembourser la somme perçue en trop relative à N______ et O______, soit en l’état CHF 29'247.55, plus intérêts moratoires à 5% dès le 1er mai 2019. Préalablement, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire permettant d’établir si la société était une entreprise mixte authentique au sens de l’art. 2bis al. 5 CN.

Elle a allégué, en substance, que la fondation FAR s’était livrée à des calculs de rentabilité de son cas, en procédant à une sélection des risques. Il y avait lieu de garantir le maintien des situations acquises du fait d’une pratique antérieure afin de protéger les employés cotisants, s’agissant en particulier d’une institution de prévoyance ne connaissant aucun régime de libre passage. La proposition faite en 2018 de maintenir l’affiliation durant quelques mois afin de permettre aux employés de conclure un nouveau contrat de travail avec un employeur soumis à la FAR était irréaliste et irréalisable. Un contrat d’affiliation aurait dû s’étendre au moins sur cinq ans.

Elle remplissait les conditions d’une entreprise mixte authentique. En effet, la construction de canalisations, les travaux de terrassement, la construction de colonnes de chute étaient des activités qui relevaient du bâtiment. Elles étaient du reste expressément citées dans le but social de la société. Les maçons,
maçon-machinistes, manœuvres en bâtiment, conducteurs de chantier et contremaîtres pouvaient être attribués de manière claire au secteur « travaux ». Les travaux de construction n’étaient pas uniquement effectués à titre auxiliaire dans le cadre d’autres activités mais faisaient l’objet de soumissions, bons de travail et factures séparées. Le travail de maçonnerie, canalisation et travaux publics apparaissait sur le marché en tant que prestations autonome, notamment puisque facturé séparément. Enfin, les activités susmentionnées étaient reconnues comme telles de l’extérieur.

b. Cette cause a été enregistrée sous le n° A/661/2022.

F. a. Le 16 juin 2022, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ ont saisi la CJCAS d’une action contre la Fondation FAR et la société, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu’il soit constaté que la société était restée assujettie à la CCT RA au-delà du 1er janvier 2019 et que par conséquent tous les travailleurs assujettis à la CCT RA, en particulier A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______, avaient droit aux prestations de la Fondation FAR. Ils concluaient ainsi à la condamnation de la Fondation FAR au versement desdites prestations, avec intérêts à 5% depuis la date de leur première demande. Subsidiairement, ils ont sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire permettant d’établir que la société était une entreprise mixte authentique au sens de l’art. 2bis al. 5 de la CCT du bâtiment.

La qualification de la société en tant qu’entreprise mixte non-authentique était déjà erronée en 2013 et l’était à nouveau lors du contrôle de 2017.

Les travailleurs qui exerçaient exclusivement, voire de manière prépondérante, des activités relevant du secteur de la construction pour la société étaient assujettis à la CCT RA. Il était indéniable que la construction de canalisations, les travaux de terrassement et la construction de colonnes de chute étaient des activités qui relevaient du bâtiment. Ces travaux étaient d’ailleurs expressément cités comme but social de la société. La partie d’entreprise distincte qui constituait le secteur « travaux » de la société tombait sans aucun doute dans le champ d’application matériel de la CCT RA. Quant au champ d’application personnel, il s’appliquait aux travailleurs professionnels tels que maçons, ainsi qu’ouvriers de la construction avec ou sans connaissances professionnelles.

De 2017 à 2020, l’entreprise employait environ 70 collaborateurs, dont douze maçons, chauffeurs de chantier ou contremaîtres occupés durant l’intégralité de leur temps de travail ou principalement à des travaux relevant du champ d’application de la CCT RA.

À l’appui de leur recours, ils ont produit un organigramme avec le détail de l’organisation de l’entreprise, six bons de travail, ainsi que neuf factures de l’entreprise.

Cette cause, objet de la présente procédure, a été enregistrée sous le n° A/1986/2022.

b. Par réponse du 11 octobre 2022, la Fondation FAR a conclu au rejet de la demande.

En sa qualité d’entreprise mixte non authentique dont l’activité prédominante n’était pas dans le secteur principal de la construction, la société n’avait jamais été assujettie à la CCT RA étendue. Dans la mesure où les demandeurs ne travaillaient pas dans une entreprise assujettie à la CCT RA étendue, elle n’entrait pas non plus dans le champ d’application relatif au personnel de la CCT RA. De plus, un travailleur ne pouvait prétendre à des prestations de la Fondation FAR en se fondant sur le seul fait qu’il avait un emploi soumis à la CCT RA étendue. Ce n’était que lorsqu’une personne atteignait l’âge de 60 ans que l’on pouvait déterminer si elle remplissait les critères d’octroi d’une rente RA définis à l’art. 14 CCT RA.

Elle a sollicité la production, par la société, d’une liste de tous les collaborateurs avec année de naissance, indication de la fonction exercée et leur fiche d’engagement.

c. Par réplique du 12 décembre 2022, les demandeurs ont persisté dans leurs conclusions. La position de la défenderesse se fondait sur un procès-verbal signé le 10 octobre 2017, dont le contenu était d’ailleurs en partie erroné. Le litige concernait toutefois l’assujettissement à partir du 1er janvier 2019.

Ils ont notamment produit une « liste des employés soumis FAR 2017-2022 » contenant 16 employés (pièce 31bis demandeurs).

d. Par duplique du 16 mars 2023, la défenderesse a persisté dans ses conclusions. Il n’était pas nécessaire de faire appel à un autre expert. Les faits n’avaient pas changé de manière significative depuis 2018-2019. L’entreprise ne remplissait aucun des trois critères cumulatifs requis pour une entreprise mixte authentique. Elle était active dans le domaine des réhabilitations de canalisations (réparations et rénovations), soit une activité en grande partie non soumise à la CCT RA. Les employés que la société avait déclarés à la défenderesse étaient occupés au maximum pour une faible part dans ses activités du secteur principal de la construction. Les activités que la société attribuait au secteur « travaux » n’étaient soumises qu’à environ 50% à la CCT RA.

Elle a sollicité l’édition des déclarations de masse salariale AVS de la société pour les années 2004, 2013, 2016, 2017 et 2021 « afin d’obtenir une image de la structure d’âge des employés déclarés et non déclarés à la Fondation FAR ».

e. Par observations du 22 mai 2023, les demandeurs ont persisté dans leurs conclusions. La société n’était pas active seulement dans le domaine de la « réhabilitation de canalisations », mais également dans celui de la construction de canalisations et notamment de la mise en séparatif de canalisations, ce qui signifiait la construction d’une canalisation séparée pour les eaux pluviales et les eaux usées. Les canalisations étaient des ouvrages de génie civil, lesquels entraient dans le champ d’application matériel de la CCT RA. Les travailleurs figurant sous la liste produite sous pièce 31bis (demandeurs) avaient tous été occupés à plus de 80% dans des activités soumises à la CCT RA. Le fait que la majeure partie de ses activités se situait en dehors du secteur principal de la construction était sans importance. L’activité dans le secteur de la construction s’était développée de manière significative depuis 2017, notamment en raison du développement des exigences légales en matière de mise en séparatif des eaux pluviales.

EN DROIT

 

1.             Se pose en premier lieu la question de la recevabilité de la demande.

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations
[CO - RS 220]; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982
[LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

1.2 Aux termes de l'art. 73 al. 1 LPP, chaque canton désigne un tribunal qui connaît, en dernière instance cantonale, des contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit. La voie à suivre est celle de l'action (ATF 115 V 224 consid. 2).

L'art. 73 LPP s’applique, d’une part, aux institutions de prévoyance enregistrées de droit privé ou de droit public – aussi bien en ce qui concerne les prestations minimales obligatoires qu’en ce qui concerne les prestations s’étendant au-delà (art. 49 al. 2 LPP) – et, d’autre part, aux fondations de prévoyance en faveur du personnel non enregistrées, dans le domaine des prestations qui dépassent le minimum obligatoire (art. 89 bis al. 6 CC ; ATF 122 V 323 consid. 2a).

La Fondation FAR a été créée le 19 mars 2003 en vue de l'application commune de la CCT RA conformément à l'art. 357b CO. Il s'agit d'une institution de prévoyance non enregistrée (ch. 1.1 Acte de fondation). Elle ne participe en effet pas à l'application du régime de l'assurance obligatoire au sens de la LPP.

1.3 En l'espèce, en sa qualité de fondation de prévoyance non enregistrée, la fondation défenderesse couvre des prestations allant au-delà des minimums légaux pour le risque vieillesse, en allouant des prestations en cas de retraite anticipée. La procédure a été ouverte par les employés de la société et vise principalement à ce que la fondation défenderesse soit condamnée à leur verser les prestations prévues par la CCT RA. La contestation porte ainsi sur des questions spécifiques à la prévoyance professionnelle, de sorte que la chambre de céans est compétente à raison de la matière. Elle l’est également à raison du lieu puisque les demandeurs ont exercé leur activité dans une société sise à Genève (art. 73 al. 3 LPP). Pour le reste, la demande respecte les conditions de forme prescrites par la loi, de sorte qu’elle est recevable (art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA ; RSG E 5 10).

2.             En matière de prévoyance professionnelle, le juge saisi d'une action doit se prononcer sur l'existence ou l'étendue d'un droit ou d'une obligation dont une partie prétend être titulaire contre l'autre partie (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.91/05 du 17 janvier 2007 consid. 2.1).

L'objet du litige devant la juridiction cantonale est déterminé par les conclusions de la demande introduite (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 72/04 du 31 janvier 2006 consid. 1.1). C'est ainsi la partie qui déclenche l'ouverture de la procédure qui détermine l'objet du litige (maxime de disposition). L'état de fait doit être établi d'office selon l'art. 73 al. 2 LPP seulement dans le cadre de l'objet du litige déterminé par la partie demanderesse. La maxime inquisitoire ne permet pas d'étendre l'objet du litige à des questions qui ne sont pas invoquées (ATF 129 V 450 consid. 3.2).

Le juge n'est toutefois pas lié par les conclusions des parties ; il peut ainsi adjuger plus ou moins que demandé à condition de respecter leur droit d'être entendu (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.59/03 du 30 décembre 2003 consid. 4.1).

3.             Le litige porte sur le point de savoir si les demandeurs peuvent prétendre à des prestations de la prévoyance professionnelle plus étendue. Cette question implique de déterminer, à titre préalable, si la société est ou non assujettie à la CCT RA à compter du 1er janvier 2019.

3.1 La CCT RA donne la possibilité au personnel des entreprises qui lui sont assujetties, de bénéficier d'un départ à la retraite anticipé volontaire au cours des cinq dernières années avant l'âge ordinaire de l'AVS et prévoit une atténuation financière pour les années de transition jusque-là. Elle entend en effet "tenir compte de la sollicitation physique des travailleurs du secteur principal de la construction et d'atténuer les maux dus à l'âge qui y sont liés".

La Fondation est chargée de faire appliquer la CCT RA dans son intégralité. Elle est en particulier autorisée à effectuer auprès des parties soumises à la convention les contrôles requis. Elle peut céder les activités de contrôle à des tiers, notamment aux commissions professionnelles paritaires formées pour le contrôle de la CN, soit en l'espèce la CPGO (art. 23 CCT RA).

3.2 Le champ d'application de la CCT RA est défini à l'art. 2 al. 1 CCT RA (cf. art. 2 al. 4 ACF ECA CCT RA), selon lequel, la CCT RA s'applique à toutes les entreprises suisses et étrangères opérant sur territoire suisse, respectivement leurs parties d'entreprises, ainsi qu'aux sous-traitants et aux tâcherons indépendants qui emploient des travailleurs qui ont une activité en particulier dans les secteurs suivants : du bâtiment, du génie civil, des travaux souterrains et de construction de routes (y compris la pose de revêtements) (let. a).

Le Tribunal fédéral a dû trancher à plusieurs reprises des questions relatives au champ d’application à raison de l’activité de l’entreprise pour l’application de la CCT RA. Sur la notion d’activité prédominante, qui est une question de droit, il a retenu, dans un ATF 139 III 165, que les entreprises qui réalisent des forages pour sondes géothermiques, c'est-à-dire qui, pour l'essentiel, exécutent des forages (verticaux), installent des sondes géothermiques et effectuent le raccordement (horizontal) jusqu'à l'immeuble, respectivement la pompe à chaleur, appartiennent au secteur du génie civil au sens de l'art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA. Elles tombent par conséquent dans le champ d'application des clauses étendues de la CCT RA (consid. 4.3). Il a précisé que, contrairement par exemple au métier de carreleur, qui relevait typiquement du second œuvre et donc des métiers annexes de la construction, qui ne pouvaient être affectés d'emblée à aucun des domaines mentionnés à l'art. 2 al. 4 ACF ECA CCT RA (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_1033/2009 du 30 avril 2010 consid. 2.5 et 2.9), les entreprises réalisant des forages pour sondes géothermiques étaient visées par l’art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA si elles relevaient du domaine du « génie civil ». Le Tribunal fédéral a souligné que la question de la signification du terme « génie civil » ne dépendait pas du droit cantonal des marchés publics ; en tant que disposition de droit fédéral, l’art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA devait être interprété selon une conception nationale (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_1033/2009 du 30 avril 2010 consid. 2.7). En outre, il n'était pas pertinent que les travaux puissent également être effectués après l'achèvement d’une construction, c'est-à-dire du bâtiment à raccorder aux sondes géothermiques. À suivre une telle argumentation, les travaux d'excavation ultérieurs, en vue par exemple de la pose de nouvelles conduites d'eau ou lignes d'électricité ne seraient pas incluse dans la notion de génie civil. Or, tel n’était pas le cas. De plus, un forage (remblayé) pouvait en tant que tel être considéré comme un « bâtiment » avec une « structure porteuse », s'agissant par exemple d'installer les sondes thermiques de manière stable et sûre en profondeur dans le sol. D’ailleurs, les forages en général étaient de toute évidence à classer dans le domaine du génie civil. La différence entre le forage de sondes géothermiques et d'autres forages de diamètre comparable (par ex. pour des sondages ou des micropieux) n'était ni compréhensible et ni explicable. Le Tribunal fédéral a encore indiqué que l'objectif du forage n'était pas pertinent. En définitive, il a encore relevé que, dans la mesure où les forages pour sondes géothermiques devaient être décrits comme des travaux de « génie civil spécial », s’agissant d’ailleurs selon l'usage général d'une sous-catégorie du « génie civil », les forages en cause étaient donc à englober, sans autre, dans le terme générique. Procédant au surplus à un examen, respectivement, des normes SIA pertinentes, du rapport de concurrence directe entre entreprises de génie civil exerçant des activités de forages « classiques », entreprises qui étaient couvertes par le champ d'application de l'art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA, ainsi que de la charge physique que représentait l'exercice de l'activité concernée, celle-ci devant en principe être prise en compte non pas dans le cadre du champ d’application relatif aux entreprises mais dans le cadre du champ d’application relatif au personnel, le Tribunal fédéral a confirmé que des entreprises réalisant des forages pour sondes géothermiques appartenaient, de manière facilement reconnaissable, au secteur du génie civil au sens de l'art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA et, partant, étaient couvertes par le champ d'application (opérationnel) des dispositions de force obligatoire générale de la CCT RA. Il a encore souligné qu’en tout état de cause, une exclusion d’assujettissement ne pouvait pas être déduite du seul fait que des avis différents pouvaient être émis sur l'activité caractérisant une société et sur la question de savoir si une certaine catégorie de sociétés entrait dans le champ d'application conformément à l'art. 2 al. 4 ACF ECA CCT RA. Cela valait également sous l’angle de la sécurité du droit, un employeur pouvant autrement se soustraire à l'obligation de payer des cotisations simplement en les contestant avec une justification appropriée, ce qui n’était pas compatible avec une déclaration d'application générale de dispositions d’une convention collective (ATF 139 III 165 cons. 4.3 et les références citées). Le Tribunal fédéral a entériné cette jurisprudence dans un ATF 141 V 657, constatant que l’entreprise concernée tombait avec son unité « forages pour sondes terrestres » dans le champ d'application relatif au genre d'entreprise de l'art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA (cons. 4.7).

3.3 Une convention collective s'applique en principe à toute l'entreprise, sauf si plusieurs activités sont exercées au sein de l'entreprise par le biais d'unités présentant une autonomie suffisante (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_251/2020 du 10 novembre 2020 ; 4A_408/2017 du 31 janvier 2018 consid. 2.1)

La CCT RA est une convention de branches, applicable en principe à l'ensemble de l'entreprise, d'après le principe de l'unité tarifaire. Tel est le cas lorsque les secteurs d'activités se recoupent. Il faut alors appliquer à tout le personnel la convention collective de la branche dans laquelle l'entreprise est principalement active (ATAS/123/2006). Lorsqu'il y a conflit entre deux conventions collectives de travail, une convention propre peut s'appliquer à une subdivision d'une même entreprise pour autant que cette subdivision soit autonome sur le plan organisationnel (ATF 134 III 11 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_454/2016 du 9 mars 2017 consid. 5.2.1 ; 4C.350/2000). Ainsi, deux ou plusieurs conventions collectives peuvent être applicables dans une même entreprise si celle-ci a des secteurs d'activités différents, clairement distincts à l'interne et à l'externe (ATF 141 V 657 consid. 4.5.2.1 et 4.5.2.2 et les références citées ; 139 III 165 consid. 4.3.3.2 et les références citées). En d’autres termes, pour que l’existence d’une entreprise mixte authentique soit reconnue, il faut que chaque secteur apparaisse comme tel envers les tiers, en offrant des produits ou des services clairement distincts (ATF 134 III 11 cons. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 4C.191/2006 du 17 août 2006, consid. 2.3 ; 4C.350/2000 du 12 mars 2001 cons. 3d). Cela présuppose que les différents travailleurs puissent être clairement attribués et que les travaux correspondants ne soient pas seulement effectués à titre accessoire dans le cadre des autres activités de l'entreprise. Dans l'intérêt de la sécurité juridique, il convient en outre d'exiger que la partie d'entreprise, avec ses produits ou services particuliers, apparaisse également à l'extérieur comme un fournisseur correspondant vis-à-vis des clients. Ces trois critères doivent être remplis de manière cumulative pour que l’on puisse conclure à la présence d’une partie d’entreprise authentique (arrêt du Tribunal fédéral 4C.350/2000 du 12 mars 2001 consid. 3d). En revanche, la partie d'entreprise n'a pas besoin d'une administration propre ou même d'une comptabilité séparée pour pouvoir être considérée comme telle (arrêts du Tribunal fédéral 9C_454/2016 du 9 mars 2017 consid. 5.2.1 ; 4A_377/2009 du 25 novembre 2009 consid. 6.1 ; 4C.350/2000 du 12 mars 2001 consid. 3d).

3.4 L'extension est une décision par laquelle une convention collective, ou certaines de ses dispositions seulement, est aussi rendue impérativement applicable à tous les employeurs et travailleurs qui appartiennent à la branche économique ou à la profession visée, mais qui ne sont pas liés par cette convention. La décision d'extension doit fixer le champ d’application quant au territoire, à la profession et aux entreprises, ainsi que la date d’entrée en vigueur et la durée de validité de sa décision (art. 12 al. 2 de la loi fédérale permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail ; RS 221.215.311 ; ci-après : LECCT). Elle ne peut dès lors avoir pour effet d'étendre le champ d'application matériel personnel et géographique d'une convention collective ni de prolonger sa durée. Une fois étendues, les clauses normatives d'une convention collective s'appliquent directement et impérativement à tous les travailleurs et à tous les employeurs entrant dans le champ d'application de l'arrêté d'extension, les clauses de la convention étendue l’emportant sur celles des conventions non étendues, sous réserve des dérogations stipulées en faveur des travailleurs (art. 4 al. 1 et 2 LECCT ; ATF 134 III 11 consid. 2.2 et les références citées ; 128 II 13 consid. 1d).

La décision d'extension permet donc l'application d'une CCT aux employeurs et aux travailleurs qui appartiennent à la branche économique ou à la profession visée et ne sont pas liés par cette convention (art. 1 al. 1 LECCT). Pour savoir si une entreprise appartient à la branche économique ou à la profession visée et entre, de ce fait, dans le champ d'application de la CCT étendue, il faut examiner de manière concrète l'activité généralement déployée par l'entreprise en cause. Il va sans dire que seule doit être prise en considération, dans le cadre de cet examen, l'activité généralement exercée par l'employeur en question, c'est-à-dire celle qui caractérise son entreprise, et non pas une prestation de service exorbitante de sa sphère d'activité naturelle, qu'il pourra être amené à fournir à titre exceptionnel. Lorsqu'une entreprise exerce différents types d'activités, celle qui la caractérise est décisive pour décider de sa soumission à telle ou telle convention collective de travail. Le but social inscrit au registre du commerce n'est pas déterminant pour trancher la question de l'applicabilité d'une CCT étendue à un employeur qui n'est pas lié par cette convention. En définitive, il faut en principe rechercher l’activité typique de l’entreprise, celle qui la caractérise. Ainsi, lorsqu’un employeur exerce plusieurs activités, dont certaines ne sont, par exemple, pas soumises à la CCT FAR, la question de sa soumission à la CCT se détermine en fonction de l’activité marquante ou typique qui caractérise l’entreprise (ATF 142 III 758 cons. 2.2 et les références citées ; 134 III 11 consid. 2.1 et 2.2 et les références citées ; cf. aussi ATF 139 III 165 consid. 3.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_614/2009 du 28 janvier 2010 consid. 2 et 4A_377/2009 du 25 novembre 2009 consid. 2.1).

La jurisprudence a encore précisé que les entreprises visées par la déclaration d'extension doivent offrir des biens ou des services de même nature que les entreprises qui sont soumises contractuellement à la CCT ; il doit exister un rapport de concurrence directe entre ces entreprises (ATF 141 V 657 consid. 4.5.2.2 et les références citées, 134 III 11 consid. 2.2 et 2.4 et les références citées ; cf. aussi ATF 139 III 165 consid. 4.3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_377/2009 du 25 novembre 2009 consid. 3.1).

Les dispositions concernant l'extension d'une CCT ont un caractère normatif et sont en conséquence soumises aux règles régissant l'interprétation des textes de lois (ATF 127 III 318 cons. 2a ; arrêts du Tribunal fédéral 4C.191/2006 du 17 août 2006 consid. 2.2 ; 4P.49/2006 du 24 avril 2006 consid. 3.3 et 4C.45/2002 du 11 juillet 2002 consid. 2.1.2). Ainsi, ces dispositions doivent être interprétées en premier lieu selon leur lettre. Lorsque leur sens littéral est clair et univoque, l'autorité qui doit les appliquer est en principe liée (cf. ATF 132 III 18 cons. 4.1 ; 130 I 82 cons. 3.2). En effet, selon la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique), du but poursuivi, de l'esprit de la règle, des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique). Le sens que prend la disposition dans son contexte est également important (ATF 135 II 243 cons. 4.1, 132 III 18 consid. 4.1, 131 II 361 cons. 4.2 ; cf. aussi ATF 139 III 165 cons. 3.2 et les références citées). À noter que rien ne justifie d'interpréter extensivement une convention étendue, dès lors que la décision d'extension constitue déjà en soi une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'à la liberté contractuelle (arrêts du Tribunal fédéral 4C.191/2006 du 17 août 2006 et 4C.409/1995 du 15 mai 1996 consid. 2b et les références citées).

3.5 En l’occurrence, la société ne saurait être soumise à la CCT RA de par son champ d’application, puisqu'elle n'est membre d'aucune des parties contractantes à la convention. Elle peut en revanche l'être en application de l'art. 2 al. 1 et 4 de l'arrêté du Conseil fédéral du 5 juin 2003 étendant le champ d’application de la convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (FF 2003 3603 ; cf. aussi prolongation et modification de l’ACF ECA CCT RA des 6 décembre 2012 et 10 novembre 2015 et modification de l’ACF ECA CCT RA du 7 août 2017), disposition qui a étendu les effets de cette convention à tout le territoire suisse, à l'exception du canton du Valais (al. 1). Il convient donc d’examiner si l’activité de la société entre dans le champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA, étant précisé que, selon la jurisprudence, on ne peut rien déduire de l’assujettissement à la CN (ATF 139 III 165 consid. 4.3.2 ; arrêt du Tribunal fédérla 4C.350/2000 du 12 mars 2001 consid. 3d).

Selon le registre du commerce, la société est une entreprise de travaux sanitaires, de vidange hydraulique, de maçonnerie, de travaux publics et objets analogues. Il ressort de l’auto-déclaration de la société du 28 février 2013 que celle-ci exerce son activité dans quatre secteurs différents, soit « nettoyage canalisations », « caméra », « travaux » et « pompes ». À l’époque de l’auto-déclaration, 33 personnes étaient affectées au secteur « nettoyage canalisations », 2 au secteur « caméra », 15 au secteur « travaux » et 3 au secteur « pompes ». Le secteur « travaux » comprenait « les petits travaux sur les canalisations ainsi que les travaux de recherche ».

Sur l’ensemble de ces activités, seul le secteur « travaux » tombe sous le coup de l’art. 2 al. 4 let. a ACF ECA CCT RA, ce qui n’est pas contesté. Étant donné que les activités exercées par la société ne font que partiellement partie du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA, la société doit être qualifiée d’entreprise mixte.

Ainsi, en application de la jurisprudence précitée, il convient d’examiner si la section « travaux » de l’entreprise peut être considérée comme autonome sur le plan organisationnel. Cela présuppose que les différents travailleurs puissent être clairement attribués, que les travaux correspondants ne soient pas seulement effectués à titre auxiliaire dans le cadre des autres activités de l'entreprise et que la partie d'entreprise, avec ses produits ou services particuliers, apparaisse également à l'extérieur comme un fournisseur correspondant vis-à-vis des clients. Il convient donc d’examiner successivement ces trois critères.

S’agissant d’abord du critère de l’attribution des travailleurs, force est de relever que les demandeurs n’ont produit aucune liste, interne à l’entreprise, permettant d’identifier les secteurs d’attribution de l’ensemble des employés de l’entreprise. Ils ont certes produit un organigramme de la société, ainsi qu’une liste des « employés soumis FAR 2017 – 2022 » (pièce 31bis demandeurs). La défenderesse relève toutefois, sans que ce point n’ait été spécifiquement contesté, que le nombre d’employés figurant sur cette liste pour 2017 (soit onze, étant précisé que les demandeurs ont indiqué que ce chiffre s’élevait à douze employés dans leur action du 16 juin 2022, avant de ramener ce chiffre à onze dans leur réplique du 12 décembre 2022) ne correspond pas au nombre de « maçons » figurant au secteur « travaux » de l’organigramme mis à disposition par l’entreprise lors du contrôle de 2017 (soit sept). S’ajoute à cela que, s’agissant des employés figurant sur la liste précitée, seuls sept avaient été engagés en qualité de maçon selon les contrats de travail versés au dossier (pièces 34, 35, 36, 37, 38, 39 et 42 demandeurs). Il ressort en particulier des contrats de travail de L______ et B______, mentionnés sur la liste comme étant « soumis FAR », que ceux-ci avaient été engagés en qualité de « chauffeur », soit une activité en tant que telle non couverte par l’ACF ECA CCT RA. À l’inverse, certains employés ont été annoncés à la FAR alors que, selon l’entreprise, ils n’exerçaient pas d’activités soumises à la CCT. Il en va notamment ainsi des employés N______, O______ et M______. Les demandeurs l’ont d’ailleurs expressément relevé dans leurs écritures. L’ensemble de ces éléments, en particulier les écarts importants quant au nombre d’employés rattachés au secteur « travaux » durant la même période, suscitent ainsi des doutes quant à l’existence d’un secteur « travaux » clairement délimitable et délimité auquel était rattaché l’ensemble des maçons.

Il n’est en outre pas possible de comprendre, sur la base des pièces produites par les demandeurs, si les employés annoncés comme étant soumis à la CCT RA exercent ou non l’essentiel de leur activité dans le secteur des travaux. C’est le lieu de préciser qu’il s’agit là, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d’une condition nécessaire pour retenir l’existence d’une unité organisationnelle des travailleurs (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_570/200 du 8 mars 2021 consid. 3.4 ; 9C_75/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4.3.3). En l’occurrence, à s’en tenir au procès-verbal de contrôle du 10 octobre 2017, tel ne semble pas être le cas. Selon ce rapport, « aucun des travailleurs annoncés à la FAR n’exécut[ait] durant toute l’année et à 100% des activités relevant du champ d’application de l’ACF ECA CCT RA. Chaque collaborateur annoncé à la FAR [était] également employé avec l’activité principale. Il n’[était] pas concevable de séparer une propre partie d’entreprise ayant pour but de seulement exécuter des travaux de construction car il y [avait] trop peu de travaux de construction ». L’expert a en particulier relevé que l’entreprise réalisait environ 5% de son chiffre d’affaires dans le secteur principal de la construction. Or, dans la mesure où l’effectif de l’entreprise était d’environ 60 travailleurs, cela signifiait que l’on pouvait affecter au maximum trois équivalents temps plein aux travaux du secteur principal de la construction. Cette appréciation, dûment motivée et fondée sur les pièces au dossier, apparaît plausible. Ainsi, si l’on répartit la part des travaux du secteur principal de la construction entre les onze travailleurs déclarés à la FAR pour l’année 2017 (cf. pièce 31bis demandeurs), sur les 70 employés au total de la société, ceux-ci auraient été affectés à 32% au plus à la réalisation de travaux dans le secteur principal de la construction. En tant qu’elle n’est nullement étayée, l’allégation contraire des demandeurs, selon laquelle les maçons exerçaient leur activité à hauteur de 80%, ne suffit à l’évidence pas à écarter les conclusions de l’expert. Même à retenir les pourcentages de chiffre d’affaires relatif au secteur « travaux » allégué par les demandeurs, soit 11% en 2016, 17.19% en 2017, 14.37% en 2018, 12.94% en 2019 et 10.61% en 2020 (pièce 38 demandeurs), force est de relever qu’excepté 2017, ils ne permettent pas de retenir une activité de 80% consacrée au domaine des travaux. La chambre de céans relèvera au demeurant que la société ne tient une comptabilité séparée des différents secteurs d’activité que depuis 2016. Certes, selon la jurisprudence, l'acceptation d'une partie d'entreprise ne nécessite pas une comptabilité séparée. Il n’en reste pas moins que les critères qu’elle applique pour distinguer les différents secteurs d’entreprise ne sont pas d’emblée évidents. D’après la défenderesse, près de la moitié des activités désignées par la société comme étant des travaux ne serait pas comprise dans le champ d’application de la CCT RA. Comme le relève la fondation défenderesse, le secteur « travaux » était probablement défini de manière très large par la société puisque, d’après son auto-déclaration du 28 février 2013, il incluait les travaux de recherches. Ainsi, les difficultés à établir tant le chiffre d’affaires correspondant au secteur des travaux que le nombre d’heures effectuées dans ce domaine par les employés plaident en faveur d’une absence d’unité organisationnelle. Dans ces conditions, et quand bien même la « décision » de la direction de la défenderesse du 4 avril 2013 retenait sur la base de l’organigramme produit par la société à l’appui de son auto-déclaration que les travailleurs pouvaient être clairement attribués à chaque secteur, il paraît douteux que le premier critère soit réalisé in casu. Ce point peut toutefois demeurer indécis, pour les motifs qui suivent.

Le deuxième critère à remplir pour qu’une entreprise mixte puisse être qualifiée d’authentique implique que les travaux qui entrent dans le champ d’application de la CCT RA ne soient pas seulement effectués à titre auxiliaire dans le cadre des autres activités de l'entreprise. En l’occurrence, dans son formulaire
d’auto-déclaration du 28 février 2013, la société avait elle-même relevé que ce critère n’était pas réalisé. Les activités exercées dans le secteur « travaux » de l’entreprise étaient décrites comme des « petits travaux sur les canalisations et recherches ». Il ressort du rapport de contrôle du 10 octobre 2017 qu’il n’[était] pas concevable de séparer une propre partie d’entreprise ayant pour but de seulement exécuter des travaux de construction car il y [avait] « trop peu de travaux de construction ». L’enquêteur a relevé en particulier que « dans la comptabilité, l’attribution des travaux de construction s’[était] déroulée la première fois en 2016, par le biais de factures établies. Il s’agi[ssai]t en grande partie de factures forfaitaires, dans lesquelles les travaux soumis à la FAR n’[étaient] pas inclus. 1'000 factures [étaient] établies par mois, par année environ 12'000 factures. C’[étaient] de nombreux petits mandats pour nettoyages et inspection des canalisations, desquels découl[aient] des petits travaux de réparation (des nouveaux couvercles de regard, réparation du sol des puits, etc.) ». Les demandeurs contestent certes les constatations de ce rapport. Il appert néanmoins, comme l’a relevé à juste titre la défenderesse, que le contrôle a été effectué en présence d’une représentante de la société et que le procès-verbal a été signé par celle-ci et qu’il n’a fait l’objet d’aucune remarque de la part de l’intéressée. Ainsi leurs allégations, formulées cinq ans après, selon lesquelles le rapport de contrôle ne refléterait pas la réalité du fonctionnement de la société, voire très imparfaitement, doivent être prises avec circonspection. Les pièces au dossier confortent au demeurant l’appréciation de l’expert. Ainsi que l’a relevé la défenderesse, les factures et bons de travail produits par les intéressés ne concernent pas uniquement des travaux dans le secteur principal de la construction. On ne trouve ainsi pas de factures de travaux relevant exclusivement du secteur principal de la construction sans lien avec les activités principales de la société. Les activités documentées au moyen des pièces 40 à 53 et 79 demandeurs portent en effet tant sur des activités soumises à la CCT RA, telles que la construction de nouvelles canalisations, la démolition de parcelles, la creuse d’une fouille, le piquage du béton, que sur des activités non assujetties, telles que l’entretien, le nettoyage, l’assainissement de conduites, le remplacement de canalisations, la fourniture et pose d’une isolation ou le chargement de déblais. Il convient ainsi de déduire de ces pièces que les travaux du secteur principal de la construction sont, en principe, fournis conjointement avec des travaux soumis à la CCT RA. Or, là encore, de tels éléments plaident en faveur d’une entreprise mixte non authentique. En tant que les demandeurs se réfèrent à la norme SIA 190-2017, force est de relever qu’il n’est pas contesté qu’une partie des travaux réalisés par la société constituent des activités soumises à la CCT RA. Il en va notamment ainsi de la construction de canalisations, qui fait l’objet de la norme SIA 190-2017. L’élément déterminant est le fait que de telles activités sont étroitement liées à l’activité principale de la société, soit le nettoyage de canalisations. C’est encore le lieu de préciser que, selon la caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA), la société est active dans le domaine du nettoyage de routes et de canalisations, collecte de déchets, activités de bureau, travaux sur véhicules automobiles légers, inspection de canalisations par robot et travaux manuels sur regards et conduites existants. Elle est assurée dans la classe équivalent au « transport-routiers » (cf. pièce 22 défenderesse). Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de retenir que le deuxième critère posé par la jurisprudence pour retenir l’existence d’une entreprise mixte authentique n’apparaît pas réalisé.

Quant au troisième critère, selon lequel la partie d'entreprise doit apparaître à l'extérieur comme un fournisseur correspondant vis-à-vis des clients, il n’est pas non plus réalisé, ce que l’entreprise avait du reste également reconnu dans le formulaire d’auto-évaluation du 28 février 2013. Ainsi que le relève la défenderesse, les activités qui ressortent du secteur principal de la construction sont certes mentionnées sur le site internet de la société, mais elles figurent au second plan. Il ressort en particulier de la rubrique « nos services » du site internet de la société qu’elle est active dans le domaine de l’assainissement et qu’elle propose une gamme complète de service d’entretien et de salubrité (vidange hydraulique, vidange de fosses, assainissement, transport de matières dangereuses et déchets spéciaux, entretien de station de pompage et remplacement de pompe, nettoyage et curage de colonnes, entretien de vide-ordures, tous travaux d’insalubrité, repérage de canalisation par radiodétection, rapports complets sur l’état de canalisations), parmi laquelle figurent certains travaux du secteur principal de la construction (soit maçonnerie, canalisation et travaux publics). Ainsi que l’a relevé la fondation défenderesse, sans que cet élément n’ait été spécifiquement contesté par les demandeurs, lorsqu’un client contacte la société pour l’entretien ou la maintenance de conduites, il n’est pas encore clair à ce moment-là si des travaux dans le secteur principal de la construction seront nécessaires et, si oui, dans quelle mesure. La réponse à cette question n’est donnée qu’après l’inspection des canalisations par la société. Cet élément vient encore corroborer l’argument de la fondation défenderesse selon lequel les prestations du secteur principal de la construction sont étroitement liées aux activités principales de la société. Dans tous les cas, on ne saurait considérer que les activités du secteur « travaux » sont perçues sur le marché comme un produit autonome de l’entreprise. Quant à la publicité, il ressort des pièces produites par la défenderesse, en particulier la pièce 13, que les véhicules de l’entreprise ne portent pas tous la mention de travaux relevant du secteur principal de la construction.

Partant, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de suivre les conclusions de l’expert dans le rapport de contrôle du 12 décembre 2017 et de retenir que la section « travaux » de l’entreprise ne peut pas être considérée comme autonome sur le plan organisationnel. Dans la mesure où la chambre de céans dispose de tous les éléments permettant de statuer en l’état du dossier, il sera renoncé, par appréciation anticipée des preuves, à la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, ainsi qu’aux demandes de production de pièces formulées par la fondation défenderesse. Les demandeurs allèguent certes que la situation aurait considérablement évolué depuis le contrôle réalisé en 2017, relevant que le volume de travail dans le secteur principal de la construction aurait connu une hausse massive depuis 2019. Or, outre le fait que l’examen de la chambre de céans ne repose pas uniquement sur les éléments retenus dans le rapport de contrôle du 12 décembre 2017 mais également sur les nombreuses pièces versées au dossier, l’allégation des demandeurs n’est aucunement démontrée. Contrairement à ce qu’ils soutiennent, les factures produites (pièce 79 demandeurs) ne suffisent pas à retenir que le secteur de la construction s’est développé de manière significative. C’est le lieu de rappeler que, selon l’expert, la société établit 1'000 factures par mois, soit 12'000 factures par an. Il n’est ainsi pas possible de tirer de conclusions pertinentes sur la base de quelques 34 factures établies entre 2016 et 2022. L’allégation des demandeurs est, au demeurant, contredite par leurs propres indications, selon lesquelles le pourcentage de chiffre d’affaires relatif au secteur « travaux » de la société n’a pas cessé de diminuer entre 2017 et 2020 (soit 17.19% en 2017, 14.37% en 2018, 12.94% en 2019 et 10.61% en 2020).

4.             Reste à examiner si, comme le soutiennent les demandeurs, le comportement de la défenderesse peut être considéré comme abusif.

4.1 L'art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst., RS 101) prévoit que les organes de l'Etat – et ses agents délégués au nombre desquels figurent les institutions de prévoyance – et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif. De ce principe découle notamment, en vertu de l'art. 9 Cst., le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'Etat (cf. ATF 137 I 69 consid. 2.5.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 2C_109/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3.3). Cette disposition consacre le droit d'exiger que l'autorité respecte ses promesses et, en outre, qu'elle évite de se contredire. L'art. 9 Cst. confère à une personne le droit à la protection de la confiance qu'elle place à bon droit dans les promesses des autorités ou dans le comportement habituel des autorités fondant des attentes déterminées. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (cf. ATF 141 V 530 consid. 6.2 p. 538; ATF 131 II 627 consid. 6.1 p. 636 s.).

Une violation du principe de la bonne foi n'est réalisée que lorsque la modification du droit porte atteinte aux droits acquis en contredisant, sans raisons valables, des assurances précédemment données par le législateur, ou lorsqu'une modification est décidée de façon imprévisible dans le dessein d'empêcher l'exécution d'un projet qui serait réalisable. Il découle uniquement des droits acquis une certaine "stabilité" de la loi dans le sens que de tels droits ne peuvent pas être annulés ou restreints par des changements de loi ultérieure sans indemnités. Le principe de la bonne foi peut, en outre, imposer un régime transitoire. Ce régime doit permettre aux administrés de s'adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l'ancien régime plus favorable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_134/2018 du 24 septembre 2018 consid. 5.1 et les références). 

4.2 Les dispositions d'une convention collective étendue sur la retraite anticipée constituent des dispositions obligationnelles indirectes (ou semi-normatives) ; ces dispositions ont un effet normatif, puisqu'elles s'appliquent directement et de manière impérative à des tiers, c'est-à-dire aux employeurs ou aux travailleurs liés. 

4.3 Devant la chambre de céans, les demandeurs font valoir que la « pratique d’exclusion des mauvais risques » de la défenderesse serait constitutive d’un abus. Ils relèvent qu’il y avait lieu de garantir le maintien des situations acquises du fait d’une pratique antérieure afin de protéger les employés cotisants, s’agissant en particulier d’une institution de prévoyance ne connaissant aucun régime de libre passage.

En l’espèce, par « décision » du 4 avril 2013, la défenderesse a informé la société que son secteur « travaux » était assujetti à la CCT RA, si bien qu’elle était tenue au paiement des cotisations depuis le 1er juillet 2003 pour les collaborateurs de ce secteur. L’assujettissement de la société pour les employés concernés était fondé sur une décision du Conseil de fondation de la défenderesse du 14 avril 2005, selon laquelle les entreprises dont l’activité prépondérante était exercée en dehors du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA, mais qui avec les activités exercées au sein du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA réalisaient un chiffre d’affaires d’au moins CHF 500'000.-, étaient assujetties à la CCT RA pour les emplois équivalents plein temps. Ce n’est que suite à l’arrêté du Conseil fédéral du 14 juin 2016, constatant que cette pratique était contraire au droit, que la défenderesse a cessé d’appliquer la « clause des CHF 500'000.- ». Il appert ainsi que la situation dans laquelle se trouvent les demandeurs est entièrement imputable à la défenderesse et à l’application de sa pratique, jugée contraire au droit par le Conseil fédéral. Dans ces conditions, il convient d’admettre que les demandeurs peuvent se prévaloir d’une situation acquise.

Reste à déterminer ce que cette position permet aux demandeurs de faire valoir.

Comme indiqué, l’existence d’une situation acquise ne garantit pas à son bénéficiaire une situation immuable. Il convient donc de déterminer si la défenderesse a suffisamment tenu compte des intérêts en présence en accordant aux demandeurs un régime transitoire.

En l’occurrence, dans son courrier du 28 février 2018, la défenderesse a informé l’entreprise qu’elle n’était plus assujettie à l’ACF ECA CCT RA depuis le 31 août 2017. Elle a certes proposé à l’entreprise un aménagement spécifique afin de tenir compte de la situation de son employé C______ qui atteindrait l’âge de 60 ans en mars 2019 et dont l’éventuel droit aux prestations prendrait effet dès le 1er avril 2019. La proposition consistait, d’une part, à ce que l’intéressé trouve un emploi dans une entreprise assujettie à l’ACF ECA CCT RA pour la période du 1er janvier au 31 mars 2019, et, d’autre part, à ce que la société conclue un contrat d’affiliation avec la Fondation FAR jusqu’au 31 décembre 2018. Force est toutefois de relever, avec les demandeurs, qu’une telle proposition était irréaliste. Compte tenu du nombre d’années de cotisations, soit quinze ans, la défenderesse ne pouvait se contenter de considérer que la société n’était plus assujettie, sans accorder un délai transitoire approprié pour lui permettre de s’adapter à la nouvelle situation. En effet, conformément aux principes précités, les demandeurs ne sauraient subir les conséquences dommageables du comportement de la fondation défenderesse. S’agissant de la fixation du délai d’adaptation, il convient de retenir ce qui suit.

Dans son courrier du 28 février 2018, la défenderesse a relevé que du 1er juillet 2003 au 30 août 2017, la société avait bénéficié d’un « contrat d’affiliation tacite ». Or, la conclusion d’un contrat d’affiliation est prévue à l’art. 3 al. 3bis du règlement FAR. Selon cette disposition, les entreprises composées de secteurs qui entrent dans le champ d’application relatif au genre d’entreprise de la CCT RA ou de l’arrêté d’extension de la CCT RA peuvent, par contrat, s’affilier à la Fondation FAR pour les autres secteurs de l’entreprise qui n’entrent pas dans le champ d’application relatif au genre d’entreprise. La présente situation ne vise certes pas ce cas de figure. Il est toutefois intéressant de constater que le système mis en place dans le règlement prévoit un délai de résiliation de trois ans (art. 3 al. 3bis, 2e paragraphe, du règlement FAR). Ce délai permet ainsi à l’employeur d’informer ses employés du changement de situation afin que ces derniers puissent s’organiser en conséquence afin de garantir que leur éventuel droit à une rente transitoire ne devienne pas caduc en raison de la résiliation du contrat d’affiliation. Il donne également suffisamment de temps aux employés pour chercher une nouvelle activité auprès d’une entreprise soumise à la CCT RA. Dans le cas présent, la fondation défenderesse a, par courrier du 28 février 2018, annoncé à l’entreprise qu’elle considérait qu’elle n’était plus assujettie à l’ACF ECA CCT RA depuis le 31 août 2017. Tenant compte d’une période transitoire de trois ans, par analogie avec le régime prévu par l’art. 3 al. 3bis du règlement FAR, il y a lieu de retenir que la société défenderesse est restée partiellement assujettie à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021 pour tous les employés déclarés comme étant soumis à la FAR et pour lesquels la société s’est acquittée de cotisations FAR. Une telle solution s’impose pour des motifs liés au respect du principe de la bonne foi (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_735/2015 du 11 novembre 2016 consid. 6).

Du fait de son assujettissement à la CCT RA, la société défenderesse est ainsi tenue de s’acquitter des cotisations, parts salariales et employeur (cf. art. 7 et 8 CCT RA), calculées jusqu’au 28 février 2021, conformément aux dispositions du règlement RA, ainsi que des intérêts moratoires (art. 9 al. 4 du règlement RA), pour l’ensemble des employés soumis à la CCT RA. La fondation défenderesse n’ayant toutefois pris aucune conclusion en paiement de cotisations, cette question sort de l’objet du présent litige.

5.             Les demandeurs concluent à l’octroi de prestations de la prévoyance professionnelle plus étendue de la part de la Fondation FAR.

5.1 Selon l’art. 2 al. 5 ACF ECA CCT RA, les clauses étendues s’appliquent aux travailleurs (indépendamment de leur mode de rémunération) occupés dans les entreprises au sens de l’al. 4. Cela concerne en particulier les ouvriers de la construction (let. d) et d’autres travailleurs, pour autant qu’ils exécutent des travaux auxiliaires dans une entreprise soumise au champ d’application (let. f). Les travailleurs sont soumis à la CCT RA dès le moment où ils sont soumis aux cotisations obligatoires de l’AVS.

À teneur de l’art. 12 CCT RA, les prestations sont accordées dans le but de permettre au travailleur de prendre une retraite anticipée dès l'âge de 60 ans révolus jusqu'à l'âge ordinaire de la retraite AVS et d'en atténuer les conséquences financières. La période de prestations est dans tous les cas restreinte aux cinq dernières années avant l'âge ordinaire de la retraite AVS.

Selon l’art. 14 al. 1 CCT RA, le travailleur peut faire valoir son droit à une rente transitoire lorsqu’il remplit les conditions cumulatives suivantes : il a 60 ans révolus (let. a) ; il n’a pas encore atteint l’âge ordinaire de la retraite AVS (let. b) ; il a exercé une activité soumise à l’obligation de cotiser pendant au moins 15 ans pendant les 20 dernières années et de manière ininterrompue pendant les sept dernières années précédant le versement des prestations dans une entreprise selon le champ d’application de la CCT RA (let. c) ; il renonce définitivement, sous réserve de l’art. 15, à toute activité lucrative (let. d). Selon l’al. 2, le travailleur qui ne remplit pas complètement le critère d’occupation (al. 1 let. c du présent article) peut faire valoir son droit à une rente transitoire réduite lorsque : il a exercé une activité soumise à l’obligation de cotiser pendant 10 ans seulement et pour les 20 dernières années dans une entreprise soumise à la présente CCT RA, mais de manière ininterrompue pendant les sept dernières années précédant le versement des prestations (let. a) et/ou il a été chômeur pendant deux ans au maximum au cours des sept années précédant la retraite anticipée, mais qu’il remplit les deux autres conditions prévues à la lettre a du présent alinéa (let. b ; cf. aussi art. 13 ak, 2 du règlement FAR).

Aux termes de l’art. 15 al. 1 CCT RA (cf. également art. 15 al. 1 ACF ECA CCT RA du 29 janvier 2019), pendant le versement d’une rente transitoire, il est permis d’exercer une activité assujettie à la CCT RA dans une entreprise soumise à la CCT RA avec un revenu annuel qui ne dépasse pas le seuil d’entrée fixé par l’art. 7 al. 1 LPP majoré de 30%, sans perte de la prestation de la retraite anticipée. La moitié du revenu entre le seuil d’entrée selon la LPP et cette limite supérieure est imputée sur la rente transitoire et peut être compensée avec les rentes transitoires en cours. L’exercice d’une autre activité indépendante ou dépendante demeure autorisé si le revenu est inférieur de moitié au seuil d’entrée selon l’art. 7 al. 1 LPP (cf. aussi art. 24 du règlement RA).

Selon l’art. 22 al. 1 CCT RA, pour recevoir des prestations, l’ayant droit doit faire une demande et rendre plausible sa légitimité. L’art. 25 al. 1 du Règlement FAR précise que les travailleurs qui veulent faire usage de leur droit à la retraite anticipée doivent déposer une demande auprès de la Fondation FAR au plus tard six mois avant le début souhaité de la prestation.

5.2 En l’occurrence, il ressort du dossier que seuls les employés C______ et D______ ont déposé une demande auprès de la Fondation FAR en application des art. 22 al. 1 CCT RA et 25 al. 1 du Règlement FAR. Il s’agit par ailleurs des seuls demandeurs ayant atteint l’âge de 60 ans révolus au moment où la société était encore assujettie à la CCT RA (soit jusqu’au 28 février 2021). Il n’est à cet égard par contesté que ce n’est que lorsqu’une personne atteint l’âge de 60 ans qu’il est possible de déterminer si elle remplit les critères d’octroi d’une retraite anticipée définis à l’art. 14 CCT RA. C’est encore le lieu de préciser que tant C______ que D______ entrent dans le champ d’application relatif au personnel de la CCT RA dans la mesure où, en leur qualité d’ouvriers de la construction, ils exécutent des travaux dans une entreprise soumise au champ d’application (art. 2 al. 5 ACF ECA CCT RA). Il n’est au demeurant pas contesté que ces deux employés ont été déclarés par la société comme étant soumis à la CCT RA et qu’à ce titre, ils ont été soumis aux cotisations obligatoires de l’AVS (cf. attestations de salaires 2014, 2015, 2016 et 2017 ; pièces 16, 18, 19 et 20 demandeurs).

S’agissant d’abord de C______, né le ______ 1959, il a commencé à travailler pour le compte de la société le 1er juillet 2010. Selon sa fiche d’engagement, il a été engagé en qualité de « manœuvre » dans le « bâtiment » (cf. pièce 14 demandeurs). Auparavant, il avait déjà effectué douze mois d’activité pour des sociétés soumises à la CCT RA. Par « décision » du 25 avril 2019, la Fondation FAR a informé C______ que les conditions pour l’obtention de prestations n’étaient pas remplies. Cette décision a été confirmée sur recours le 25 juillet 2019 par la commission de recours du Conseil de fondation FAR. Dans ces « décisions », la fondation défenderesse a relevé que durant les 20 dernières années, l’intéressé n’avait exercé une activité soumise à la CCT RA que pendant neuf ans et six mois. Dans les sept dernières années, il présentait une lacune du 1er janvier 2019 au 30 juin 2019 puisque, durant cette période, la société n’était plus soumise à la CCT RA.

Ce raisonnement ne peut être confirmé. Conformément aux considérants développés ci-avant, la société est restée assujettie à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021. Dans cette mesure, et contrairement à ce qui a été retenu par la fondation défenderesse, le demandeur remplit la condition de l’art. 14 al. 2 let. a CCT RA donnant droit à une rente transitoire réduite. Il ressort toutefois du dossier, en particulier de la pièce 31bis demandeurs, que l’employé a continué à exercer une activité lucrative au sein de l’entreprise au-delà de ses 60 ans. Il appartiendra ainsi à la fondation intimée, en application de l’art. 15 al. 1 CCT RA, d’imputer l’éventuel gain excédentaire sur la rente transitoire.

Quant à D______, né le ______ 1960, il a commencé à travailler pour le compte de la société le 1er janvier 2001. Selon sa fiche de mutation, il a été engagé en qualité de « maçon » en « bâtiment » (pièce 35 demandeurs). Par « décision » du 21 décembre 2020, la Fondation FAR a informé l’intéressé que les conditions pour l’obtention de prestations n’étaient pas remplies. Durant les 20 dernières années, l’intéressé avait travaillé pendant plus de quinze ans dans des entreprises soumises à la CCT RA. Cependant, durant les sept dernières années, soit du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020, il avait travaillé chez la société qui n’était plus soumise à la CCT RA à partir du 1er janvier 2019. La période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2020 ne pouvait dès lors être créditée comme étant soumise à la CCT RA.

À nouveau, le raisonnement ne peut être confirmé. Conformément aux considérants développés ci-avant, la société est restée assujettie à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021. Dans cette mesure, et contrairement à ce qui a été retenu par la fondation défenderesse, le demandeur remplit la condition de l’art. 14 al. 1 let. c CCT RA donnant droit à une rente transitoire ordinaire. Il ressort toutefois du dossier, en particulier de la pièce 31bis demandeurs, que l’employé a continué à exercer une activité lucrative au sein de l’entreprise au-delà de ses 60 ans. Il appartiendra ainsi à la fondation intimée, en application de l’art. 15 al. 1 CCT RA, d’imputer l’éventuel gain excédentaire sur la rente transitoire.

6.             Les demandeurs concluent au versement d’un intérêt moratoire de 5% depuis la date de leur première demande.

6.1 En matière de rente de la prévoyance professionnelle, l'institution de prévoyance est tenue de verser un intérêt moratoire à partir du jour de la poursuite ou du dépôt de la demande en justice sur le montant dû (cf. art. 105 al. 1 CO ; ATF 137 V 373 consid. 6.6 ; 119 V 131 consid. 4c ; cf. arrêt BV.2010.00044 de la Sozialversicherungsgericht du 28 février 2012 concernant la Fondation FAR). À défaut de disposition réglementaire topique, le taux d'intérêt moratoire est de 5% (art. 104 al. 1 CO; ATF 130 V 414 consid. 5.1 et les références).  

6.2 En l’occurrence, ni la CCT RA ni le règlement RA ne prévoient d’intérêt moratoire de 5% dès l'exigibilité des prestations de retraite anticipée. Il convient ainsi de fixer le point de départ des intérêts moratoires de 5% au jour du dépôt de l’action, soit le 16 juin 2022.

7.             Au vu de ce qui précède, la demande en paiement est partiellement admise, au sens des considérants.

Contrairement aux autres branches des assurances sociales, la législation en matière de prévoyance professionnelle ne contient aucune disposition relative à la fixation des dépens pour la procédure devant le tribunal cantonal désigné pour connaître des litiges en matière de prévoyance professionnelle (art. 73 al. 2 LPP). Il appartient par conséquent au droit cantonal de procédure de déterminer si et à quelles conditions il existe un droit à une indemnité de dépens (arrêt du Tribunal fédéral 9C_590/2009 du 26 mars 2010, consid. 3.1). Selon l’art. 89H al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - G E 5 10), une indemnité est allouée au recourant qui obtient gain de cause. Les dépens sont fixés en fonction du nombre d’échanges d’écritures, de l’importance et de la pertinence des écritures, de la complexité de l’affaire et du nombre d’audiences et d’actes d’instruction (ATAS/1041/2023 du 19 décembre 2023).

En l’occurrence, les demandeurs obtenant gain de cause par l’intermédiaire d’un avocat, une indemnité à titre de dépens de CHF 4'000.- leur sera allouée, à la charge solidaire des défenderesses.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        Dit la que la société est restée assujettie à la CCT RA jusqu’au 28 février 2021.

3.        Dit que C______ remplit la condition de l’art. 14 al. 2 let. a CCT RA pour le droit à une rente transitoire réduite à compter du 1er juillet 2019.

4.        Invite la Fondation FAR à lui communiquer le montant de ses prestations de retraite anticipée au sens des considérants, avec intérêt moratoire de 5% dès le 16 juin 2022.

5.        L’y condamne en tant que de besoin.

6.        Dit que D______ remplit la condition de l’art. 14 al. 1 let. c CCT RA pour le droit à une rente transitoire ordinaire à compter du 1er janvier 2021.

7.        Invite la Fondation FAR à lui communiquer le montant de ses prestations de retraite anticipée au sens des considérants, avec intérêt moratoire de 5% dès le 16 juin 2022.

8.        L’y condamne en tant que de besoin.

9.        Condamne les défenderesses à verser, solidairement entre elles, aux demandeurs la somme de CHF 4'000.- à titre de participation à leurs dépens.

10.    Dit que la procédure est gratuite.

11.    Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le