Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/661/2022

ATAS/61/2024 du 01.02.2024 ( LPP ) , ADMIS PARTIEL

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : ENRICHISSEMENT ILLÉGITIME;PRESCRIPTION;PÉRIODE DE COTISATIONS;CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL;DÉCISION D'EXTENSION
Normes : LPP.73; CO.62.al1; CO.63.al1; CO.67.al1; aCO.67.al1; tIT. FIN. CC.49.al1; cct
Résumé : Après avoir considéré que la demande de l’entreprise - en tant qu’elle porte sur la constatation de son assujettissement à la convention collective pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : CCT RA) au-delà du 31 décembre 2018 et sur le paiement de prestations par la fondation FAR en faveur de ses employés -, doit être rejetée dans la mesure de sa recevabilité, la chambre de céans a examiné le droit de la demanderesse au remboursement de cotisations versées en trop pour deux employés pour les années 2014 à 2016, au regard des dispositions relatives à l’enrichissement illégitime (art. 62 ss CO). Constatant d’abord que la créance de la demanderesse n’était pas prescrite lorsque cette dernière a intenté son action justice, d’une part, et que les parties ne contestent ni l’assujettissement partiel de l’entreprise à la CCT RA pendant la période litigieuse, ni son obligation de verser des cotisations pour tous les employés assujettis à la CCT RA (secteur « travaux »), d’autre part, la chambre de céans a ensuite retenu, sur la base de l’ensemble des pièces, que les deux employés n’ont pas été engagés dans le secteur « travaux » de la demanderesse, de sorte qu’en payant des contributions sur des salaires non soumis à la FAR, l’entreprise demanderesse a versé des cotisations par erreur à la fondation défenderesse. Cette dernière est ainsi tenue de rembourser le montant des cotisations versées en trop, avec un intérêt moratoire de 5% à partir du dépôt de la demande en justice.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/661/2022 ATAS/61/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 1er février 2024

 

En la cause

A______
représentée par Me Sélina MULLER, avocate

 

 

demanderesse

 

contre

FONDATION POUR LA RETRAITE ANTICIPÉE DANS LE SECTEUR PRINCIPAL DE LA CONSTRUCTION (FAR)

 

 

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. La société A______ (ci-après : la société), avec siège social à Genève, est une entreprise de travaux sanitaires, de vidange hydraulique, de maçonnerie, de travaux publics et objets analogues.

b. La société est soumise à la Convention nationale du secteur principal de la construction (ci-après : CN) depuis 1973. Elle est également affiliée à la Caisse genevoise de compensation du bâtiment (ci-après : CCB GE).

c. Messieurs B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et K______ ont travaillé pour le compte de la société. D’après celle-ci, ils étaient engagés dans son « secteur travaux ».

d. Monsieur L______, né le ______ 1984, a été engagé par la société avec effet au 1er octobre 2012.

e. Monsieur M______, né le ______ 1973, a été engagé par la société en qualité de « vidangeur » avec effet au 17 mars 2010.

B. a. Le 12 novembre 2002, la société suisse des entrepreneurs SSE, d'une part, et les syndicats SIB (UNIA depuis le 1er janvier 2005) et SYNA, d'autre part, ont conclu une convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : CCT RA). Cette convention a pour but de permettre aux travailleurs du secteur principal de la construction de prendre une retraite anticipée dès l'âge de 60 ans révolus. L'entrée en vigueur de la CCT RA a été fixée au 1er juillet 2003. Les parties à cette convention ont créé le 19 mars 2003 la Fondation pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (ci-après : la Fondation FAR), institution de prévoyance non enregistrée, dont le siège est à Zurich. Le Conseil fédéral a, par arrêté du 5 juin 2003 (ci-après : ACF CCT RA), prévu l'extension de la CCT RA à l'ensemble du territoire suisse, à l'exception du canton du Valais. Cette extension a ensuite été prolongée à plusieurs reprises. Le 4 juillet 2003, le conseil de fondation a édicté, sur la base de la CCT RA, un règlement relatif aux prestations et aux cotisations de la Fondation FAR (ci-après : règlement RA).

b. En 2003, la Fondation FAR a interpellé la société, considérant qu’elle devait être assujettie et ainsi cotiser pour la retraite anticipée de ses employés du secteur travaux.

c. Par « décision » du 14 avril 2005, le Conseil de fondation FAR a précisé comme suit la définition des entreprises mixtes non authentiques de leurs secteurs : « pour les entreprises dont l’activité prépondérante est exercée en dehors du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA, mais qui avec les activités exercées au sein du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF ECA CCT RA réalisent un chiffre d’affaires d’au moins CHF 500'000.-, les emplois équivalents plein temps sont assujettis à la CCT RA pour ces derniers, l’activité exercée peut être attribuée comme faisant partie de ce champ d’application ».

d. Le 28 février 2013, la société a rempli un « formulaire général
d’auto-déclaration CCT RA, CN ». Elle a indiqué que son « secteur travaux » n’occupait qu’une dizaine d’employés de l’entreprise. Ce secteur comprenait les « petits travaux sur canalisations ainsi que les travaux de recherche ». Elle comprenait quatre secteurs, soit « nettoyage canalisations » (83%), « caméra » (2%), « travaux » (10%) et « pompes » (5%). Enfin, elle enregistrait un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 500'000.- aux secteurs « nettoyage des canalisations, travaux et pompes ».

e. Par « décision » du 4 avril 2013, la direction de la Fondation FAR a informé la société qu’elle était assujettie à la CCT RA. Étant donné que les activités effectivement exercées par la société ne faisaient que partiellement partie du champ d’application relatif au genre d’entreprise de l’ACF CCT RA, on était en présence d’une entreprise mixte. Il s’agissait en particulier d’une « entreprise mixte non authentique ». L’activité prédominante de la société ne faisait pas partie du champ d’application relatif au genre d’entreprise de la CCT RA. Or, selon l’auto-évaluation de la société, le secteur « travaux » affichait un chiffre d’affaires supérieur à CHF 500'000.-. Ainsi, compte tenu de la précision apportée par le Conseil de fondation FAR du 14 avril 2005, le secteur « travaux » était assujetti à l’ACF ECA CCT RA. Par conséquent, la société était tenue de cotiser à la Fondation FAR depuis le 1er juillet 2003 pour les collaborateurs du secteur « travaux », assujettis au champ d’application de la CCT RA relatif au personnel.

f. Par arrêté du 14 juin 2016, le Conseil fédéral a décrété que l’application de la clause de CHF 500'000.- par la Fondation FAR était en contradiction avec les principes applicables aux entreprises mixtes, si bien qu’il convenait de la supprimer.

g. Lors de sa séance du 2 décembre 2016, le Conseil de fondation FAR a décidé de supprimer de manière générale la cause des CHF 500'000.-.

C. a. Par courriel du 18 mai 2017 adressé à la Fondation FAR, Monsieur N______, aide-comptable et aide RH de la société, s’est enquis des démarches à effectuer pour obtenir le remboursement de cotisations (la part salariale et la part patronale) de salariés non concernés et « mis par erreur à la FAR ». Les fiches d’enregistrement, accompagnées des dates d’entrée et des professions étaient annexées au courriel.

b. Le 30 août 2017, un contrôle d’assujettissement a eu lieu sur mandat de la Fondation FAR. Selon le procès-verbal de contrôle du 12 décembre 2017, la société était qualifiée d’entreprise mixte non authentique dont l’activité principale portait sur les travaux de nettoyage et de canalisations. Il ne s’agissait pas d’une entreprise de construction, les travaux de construction étant uniquement exécutés en rapport avec l’activité principale. Ils portaient sur de petits travaux de réparation (par exemple : ruptures de conduites, réparations de puits). Il n’existait aucune partie d’entreprise. Les activités centrales de l’entreprise étaient généralement proposées et exécutées. De ces dernières, en ressortaient des travaux supplémentaires soumis à la FAR, lesquels étaient en règle générale, exécutés par des travailleurs de la construction qualifiés. Aucun des travailleurs annoncés au FAR n’exécutait durant toute l’année des activités soumises à la FAR à 100%. Chaque collaborateur annoncé à la Fondation FAR était également employé avec l’activité principale. Séparer une propre partie d’entreprise ayant pour but de seulement exécuter des travaux de construction n’était pas concevable, car il y avait trop peu de travaux de construction.

c. Le 28 février 2018, la Fondation FAR a considéré que la société, dans son intégralité, n’était plus assujettie à la CCT RA depuis le 31 août 2017. Dans la mesure où elle avait versé des cotisations FAR de CHF 499'258.40 au total jusqu’au 30 août 2017 et la Fondation FAR lui avait versé des prestations de CHF 611'613.50 au total, la société avait été implicitement affiliée à la Fondation FAR du 1er juillet 2003 au 30 août 2017.

L’éventuel prochain prestataire de rente était B______. Pour garantir que son éventuel droit à une rente transitoire ne devienne pas caduc, elle était disposée à conclure un contrat d’affiliation de durée limitée, soit jusqu’au 31 décembre 2018 avec la société. La condition à remplir serait que la société verse pour les années 2017 et 2018 les cotisations FAR pour les mêmes personnes qu’elle l’avait fait en 2016. B______, né le ______ 1959, pouvait bénéficier des éventuelles prestations de la Fondation FAR au plus tôt dès le 1er avril 2019. Vu cette situation, il devait, à condition que la société demeure affiliée à la Fondation FAR jusqu’au 31 décembre 2018, trouver un emploi dans une entreprise assujettie à l’ACF CCT RA pour la période du 1er janvier au 31 mars 2019. Un délai était imparti à la société pour l’informer de son accord de conclure le contrat d’affiliation annexé.

d. Le 15 mai 2018, la Fondation FAR a considéré que la société et les collaborateurs annoncés jusqu’ici étaient assujettis à la CCT RA jusqu’au 31 décembre 2018. Par conséquent, elle tiendrait compte de leur durée d’emploi dans l’entreprise jusqu’à cette date. La société était tenue d’informer les travailleurs annoncés jusqu’ici de la résiliation de la CCT RA au 31 décembre 2018 en leur indiquant les conséquences.

e. Par courrier du 29 juin 2018, la société a requis la poursuite de l’affiliation s’agissant de neuf de ses employés concernés par la résiliation de la CCT RA. Il ne serait, en revanche, plus cotisé pour tout nouvel employé engagé par la société.

f. Le 5 avril 2019, un réviseur de l’office de révision des caisses de compensation, mandaté par la Fondation FAR, a procédé à un contrôle de la société pour la période de janvier 2014 à décembre 2017. Par courrier, non daté, il a informé la société avoir constaté des différences sur la masse salariale pour la période contrôlée d’un montant de CHF 417'822.15 (CHF 141'170.90 en 2016, CHF 141'051.50 en 2015 et CHF 135'599.75 en 2014). Les reprises et remises seraient établies par la Fondation FAR. Cette lettre d’information ne portait aucun préjudice à toute autre action de la Fondation FAR. À son courrier était annexé un document intitulé « Reconnaissance des salaires différenciés (CCT RA) », reprenant le détail des salaires comptabilisés en trop dans la masse salariale de la société.

g. Par courrier du 16 juillet 2019, la Fondation FAR a rejeté la demande de la société d’assujettir neuf collaborateurs à la convention. Les collaborateurs avaient la possibilité de commencer à travailler dans une entreprise assujettie à la CCT RA au plus tard au 1er janvier 2019. Elle a rappelé que la société n’avait pas réagi à son courrier du 28 février 2018. Selon un entretien téléphonique avec une représentante de la société, celle-ci avait déclaré qu’elle n’était pas intéressée à sauver la rente d’un seul collaborateur au moyen d’un contrat d’affiliation de durée déterminée, si les autres travailleurs perdaient leurs droits.

h. Le 12 août 2020, la société a formé une demande de reconsidération de la « décision » du 28 février 2018 en ce sens que soit prononcée la réintégration du secteur « travaux » de l’entreprise dans le cercle des assujettis à la CCT RA, avec effet rétroactif au 1er janvier 2019. Subsidiairement, elle a sollicité le maintien de l’affiliation à tout le moins pour les employés de l’entreprise assujettis au 31 décembre 2018, et ce jusqu’à la fin des rapports de travail de chacun d’entre eux.

i. Le 7 avril 2021, la Fondation FAR a confirmé sa « décision » du 6 décembre 2017, selon laquelle la société n’était plus assujettie depuis le 1er janvier 2019. Aucun élément nouveau ne permettait de revenir sur cette décision.

D. a. Par action du 24 février 2022, la société a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS) d’une demande concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu’il soit constaté qu’elle était restée assujettie à la CCT RA au-delà du 31 décembre 2018. Elle invitait ainsi la chambre de céans à dire que ses employés du secteur travaux, soit B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et K______ étaient demeurés assujettis à la CCT RA selon l’art. 3 de cette dernière. Si les conditions prévues étaient réalisées et une demande faite par des employés remplissant les conditions d’un droit complet ou partiel, soit en particulier pour B______ et O______, la Fondation FAR devrait leur verser à chacun leurs prestations avec intérêts à 5% depuis la date de leur première demande, le cas échéant, après qu’ils aient formé une nouvelle demande et versé les cotisations dues à partir du 1er janvier 2019. Elle a également conclu à ce que la Fondation FAR soit condamnée à lui rembourser la somme perçue en trop relative à L______ et M______, soit en l’état CHF 29'247.55, plus intérêts moratoires à 5% dès le 1er mai 2019. Préalablement, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire permettant d’établir si la société était une entreprise mixte authentique au sens de l’art. 2bis al. 5 CN.

Elle a allégué, en substance, que la Fondation FAR s’était livrée à des calculs de rentabilité de son cas, en procédant à une sélection des risques. Il y avait lieu de garantir le maintien des situations acquises du fait d’une pratique antérieure afin de protéger les employés cotisants, s’agissant en particulier d’une institution de prévoyance ne connaissant aucun régime de libre passage. La proposition faite en 2018 de maintenir l’affiliation durant quelques mois afin de permettre aux employés de conclure un nouveau contrat de travail avec un employeur soumis à la FAR était irréaliste et irréalisable. Un contrat d’affiliation aurait dû s’étendre au moins sur cinq ans.

Elle remplissait les conditions d’une entreprise mixte authentique. En effet, la construction de canalisations, les travaux de terrassement, la construction de colonnes de chute étaient des activités qui relevaient du bâtiment. Elles étaient du reste expressément citées dans le but social de la société. Les maçons,
maçon-machinistes, manœuvres en bâtiment, conducteurs de chantier et contremaîtres pouvaient être attribués de manière claire au secteur « travaux ». Les travaux de construction n’étaient pas uniquement effectués à titre auxiliaire dans le cadre d’autres activités mais faisaient l’objet de soumissions, bons de travail et factures séparées. Le travail de maçonnerie, canalisation et travaux publics apparaissait sur le marché en tant que prestations autonome, notamment puisque facturé séparément. Enfin, les activités susmentionnées étaient reconnues comme telles de l’extérieur.

Les employés L______ et M______, qui n’étaient pas liés au secteur travaux, avaient été soumis à tort à cotisations FAR. Le réviseur mandaté par la défenderesse avait constaté une différence de masse salariale en sa faveur de CHF 417'822.15, ce qu’il avait confirmé dans un document intitulé « reconnaissance de salaires différenciés », qu’elle avait signée et transmise à la défenderesse. Un montant de CHF 29'247.55, correspondant à 7% des salaires différenciés, devait lui être remboursé à ce titre.

Cette cause a été enregistrée sous le n° A/661/2022.

b. Le 21 mars 2022, D______, K______, B______, O______, P______, Q______, F______ et R______ ont formé une demande d’appel en cause.

c. La société s’en est rapportée à justice sur la demande d’appel en cause.

d. Par réponse du 24 mai 2022, la Fondation FAR a conclu à ce que la procédure soit limitée à la question de la compétence et à ce que la demande soit déclarée irrecevable, subsidiairement à son rejet. Il n’y avait pas lieu d’entrer en matière sur la demande d’appel en cause.

Elle a allégué en substance que la demande en constatation ne relevait pas d’une action en exécution d’une prestation de par la nature même du rapport juridique qui devait être constaté. Sa demande de faire constater son assujettissement partiel au-delà du 31 décembre 2018 aurait pour effet que la Fondation FAR serait tenue de verser des prestations aux travailleurs de l’entreprise, pour autant qu’ils en remplissent les conditions. La société n’avait cependant pas la qualité pour agir en prestations de rentes à l’égard de la Fondation FAR. Quant à la conclusion en condamnation d’un montant de CHF 29'247.55 pour les cotisations versées à tort, la société ne pouvait fonder la compétence de la chambre de céans « par la porte dérobée » que représentait cette créance d’un montant relativement modeste par rapport aux autres chefs de conclusions.

En sa qualité d’entreprise mixte non authentique, la société n’avait jamais été assujettie à la CCT RA étendue. Jusqu’au 31 décembre 2018, elle n’était affiliée à la Fondation FAR que sur la base d’une convention d’affiliation tacite par acte concluant, et ce uniquement pour les travailleurs déclarés à la Fondation FAR.

La créance en remboursement des cotisations versées à tort pour les employés L______ et M______ était prescrite. Le délai de prescription de l’action pour cause d’enrichissement illégitime était encore d’un an à compter du jour où la société avait eu connaissance de son droit à répétition, soit lors de l’envoi de son courriel du 18 mai 2017. Ce droit ne reposait, quoi qu’il en soit, sur aucune base juridique. Durant la période en question, la société était affiliée tacitement par acte concluant pour tous les travailleurs déclarés à la Fondation FAR. La base de calcul de la créance était également erronée, puisque le taux de contribution était fixé à 7% du salaire déterminant depuis le deuxième semestre 2016 seulement. Pour les années précédentes, il était de 5%.

Enfin, la société avait suspendu le paiement des cotisations le 4 décembre 2017.

e. Par réplique du 29 août 2022, la société a persisté dans ses conclusions. La CJCAS était compétente, même s’il était inusuel qu’un employeur agisse pour que son assujettissement soit constaté. Elle devait faire constater son assujettissement afin de poursuivre le paiement de ses cotisations au-delà du 1er janvier 2019. La conclusion condamnatoire n’était pas prescrite puisque fondée sur une reconnaissance de salaires différenciés de la Fondation FAR et non sur une action en enrichissement illégitime.

f. Cette écriture a été transmise à la Fondation FAR.

g. Parallèlement, le 16 juin 2022, D______, K______, B______, O______, P______, Q______, F______ et R______ ont saisi la CJCAS d’une action contre la Fondation FAR et la société, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu’il soit constaté que la société était restée assujettie à la CCT RA au-delà du 1er janvier 2019 et que par conséquent tous les travailleurs assujettis à la CCT RA, en particulier D______, K______, B______, O______, P______, Q______, F______ et R______, avaient droit aux prestations de la Fondation FAR. Ils concluaient ainsi la condamnation de la Fondation FAR au versement desdites prestations, avec intérêts à 5% depuis la date de leur première demande. Subsidiairement, ils ont sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire permettant d’établir que la société était une entreprise mixte authentique au sens de l’art. 2bis al. 5 de la CCT du bâtiment.

Cette cause a été enregistrée sous le n° A/1986/2022.

EN DROIT

 

1.             Se pose en premier lieu la question de la recevabilité.

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations
[CO - RS 220]; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982
[LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

1.2 Le point de savoir si une entreprise particulière est soumise à une convention collective de travail à laquelle a été conférée un caractère obligatoire général (CCT étendue) doit, en cas de litige, être tranché en principe par un tribunal civil (ATF 134 III 11 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_701/2017 du 27 septembre 2018 consid. 4.2.2 ; 9C_211/2008 du 7 mai 2008 consid. 4.4 et les arrêts cités).  

Toutefois, sous réserve de règles spéciales contraires, le tribunal compétent pour traiter de la cause au fond est également compétent pour examiner à titre préjudiciel les questions litigieuses nécessaires ressortissant d'un autre domaine de droit, même si, sous l'angle d'une approche isolée, d'autres autorités ou tribunaux seraient compétents pour traiter de celles-ci, dans la mesure où ces autorités en soi compétentes n'ont pas encore rendu de décision correspondante (ATF 130 III 297 consid. 3.3 p. 299 s; 128 V 254 consid. 3 p. 262). Ceci vaut aussi pour les tribunaux compétents selon l'art. 73 LPP (arrêt du Tribunal fédéral 9C_211/2008 cité consid. 4.5 et les arrêts cités). Ceux-ci sont tenus de répondre à titre préjudiciel à des questions de droit civil, dont dépend l'issue du litige en matière de droit de la prévoyance professionnelle, par exemple, au point de savoir si un contrat de travail a été conclu (ATF 119 II 398 consid. 2b p. 400) ou s'il existait un vice de volonté lors de la conclusion d'un contrat (ATF 128 II 386 consid. 2.2). 

Dans un arrêt 9C_701/2017 portant sur l’assujettissement d’une société à une convention collective sur la retraite anticipée des travailleurs du secteur principal de la construction et du carrelage, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal valaisan était compétente pour statuer sur le litige concernant l'affiliation de la société à la caisse de retraite sous l'angle du droit de la prévoyance professionnelle et des obligations de verser les cotisations en découlant (consid. 4.2.2 ; cf. aussi l’arrêt du Tribunal cantonal de droit public de Neuchâtel, CDP.2020.432).

1.3 Le point de savoir si une partie a la qualité pour agir (ou légitimation active) ou la qualité pour défendre (légitimation passive) - question qui est examinée d'office (cf. ATF 110 V 347 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_14/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.1 ; 9C_40/2009 du 27 janvier 2010 consid. 3.2.1) - se détermine selon le droit applicable au fond, également pour la procédure de l'action soumise au droit public. En principe, c'est le titulaire du droit en cause qui est autorisé à faire valoir une prétention en justice de ce chef, en son propre nom, tandis que la qualité pour défendre appartient à celui qui est l'obligé du droit et contre qui est dirigée l'action du demandeur (arrêt B 61/02 du 17 août 2005 consid. 3.2, in RSAS 2006 p. 46; cf. ATF 125 III 82 consid. 1a p. 84). La qualité pour agir et pour défendre ne sont pas des conditions de procédure, dont dépendrait la recevabilité de la demande, mais constituent des conditions de fond du droit exercé. Leur défaut conduit au rejet de l'action, qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention du demandeur, et non pas à l'irrecevabilité de la demande (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 10/05 du 30 mars 2006 consid. 7, in SVR 2006 BVG n° 34 p. 131; cf. ATF 126 III 59 consid. 1 ; 125 III 82 consid. 1a).

Les contestations entre institution de prévoyance et employeur en vertu de l’art. 73 LPP se rapportent à l’ensemble des droits et obligations réciproques qui sont directement déterminants pour la mise en œuvre de la prévoyance professionnelle. En font partie, entre autres, les obligations de cotisations de l’employeur en faveur de l’institution de prévoyance qui sont fondées sur le droit de la LPP, le droit du travail ou le droit public ; la demande d’une institution de prévoyance contre l’employeur en tant que fondateur, en paiement du capital de fonction pas encore libéré ; annonces, mutations, modalités d’exécution de l’assurance, en particulier du calcul des cotisations et de la perception des cotisations ; contestations relatives à la prévoyance découlant du contrat d’affiliation ; obligations réglementaires ou contractuelles de l’employeur vis-à-vis de l’institution de prévoyance de fournir des rentes transitoires en cas de retraite anticipée ou relatives à la résorption du découvert ; recouvrement de contributions d’assainissement par l’employeur (Ulrich MEYER/Laurence UTTINGER, Commentaire LPP et LFLP, 2e éd., n. 53 ad art. 73 LPP). Selon la jurisprudence, l’employeur n’a toutefois pas la légitimation active pour faire valoir en justice la prétention de ses employés à l’octroi d’un « intérêt sur l’excédent » (arrêt du Tribunal fédéral 9C_40/2009 du 27 janvier 2010).

1.4 Des conclusions constatatoires ne sont admissibles que s'il existe un intérêt juridique ou de fait digne de protection à ce qu'elles soient accordées qui ne saurait être pleinement sauvegardé par une conclusion formatrice (arrêt 9C_105/2016 du 5 avril 2016 consid. 1.1 non publié aux ATF 142 V 192).

1.5 Devant la chambre de céans, la demanderesse formule essentiellement deux chefs de conclusions, qu’il convient d’examiner successivement. Elle conclut, d’une part, à ce qu’il soit constaté qu’elle-même, et ses employés du secteur travaux, sont restés assujettis à la CCT RA au-delà du 31 décembre 2018 et à ce que, par voie de conséquence, la défenderesse verse des prestations à ses employés, en particulier B______ et O______. D’autre part, la demanderesse conclut au remboursement par la défenderesse du montant de CHF 29'247.55, à titre de cotisations versées en trop pour les employés L______ et M______.

1.5.1 S’agissant d’abord de la conclusion en constatation d’assujettissement à la CCT RA au-delà du 31 décembre 2018 et en paiement de prestations de rente en faveur des employés, la défenderesse conclut à l’irrecevabilité de la demande, au motif que la chambre de céans ne serait pas compétente. Selon l’intéressée, la conclusion visant à constater l’assujettissement de la demanderesse à la CCT RA ne relèverait pas d’une action en exécution d’une prestation. La demande de la société viserait uniquement à ce que la défenderesse verse des prestations de rente aux travailleurs, pour autant qu’ils en remplissent les différentes conditions requises. Or, la société n’aurait pas qualité pour agir s’agissant de prestations de rente anticipée. Ainsi, faute de cause au fond relevant de la compétence de la chambre de céans, l’action formée par la société relèverait de la compétence du tribunal civil.

En l’occurrence, il résulte des conclusions formées par la demanderesse que la présente action vise à faire constater l’assujettissement de celle-ci à la CCT RA, dont le champ d'application a été étendu par arrêté du Conseil fédéral, afin que ses employés puissent obtenir les prestations de retraite anticipée en découlant. La demanderesse n’est toutefois pas l’ayant droit desdites prestations. Celles-ci concernent uniquement le rapport juridique entre l’institution de prévoyance et les employés assurés, et non celui entre la défenderesse et la société en tant qu’employeuse. C’est le lieu de préciser qu’une action en constatation n’est recevable qu’à condition que le demandeur puisse faire valoir un intérêt digne de protection (ATF 199 V 13 consid. 2a). Tel n’est cependant pas le cas en l’occurrence puisque l’employeuse n’est pas titulaire des droits en question. Elle n’a au demeurant aucun intérêt à agir pour le seul paiement de cotisations. Indépendamment du fait que le litige a été déclenché par l’annonce faite par la défenderesse de la fin de l’assujettissement de la société au 31 décembre 2018, le litige à l’origine de l’action formée par la société concerne des prestations de la défenderesse à l’égard des employés de la société. Il incombe à ces derniers d’intenter une action contre la défenderesse, ce qu’ils ont d’ailleurs fait par acte du 16 juin 2022 (A/1986/2022).

Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure de sa recevabilité en tant qu’il porte sur la question préalable de l’assujettissement de la société au-delà du 31 décembre 2018 et le droit aux prestations de retraite anticipée des employés de la société. Au vu de l’issue du présent litige sur ce point, il sera renoncé à procéder à l’appel en cause sollicité par les employés D______, K______, B______, O______, P______, Q______, F______ et R______. Il sera également renoncé à ordonner une expertise judiciaire sur la question de la qualification de la société, cette question n’étant pas pertinente pour l’issue du litige.

1.5.2 La conclusion en remboursement de cotisations versées en trop par la société pour ses employés L______ et M______ est en revanche recevable. Il ressort en effet de la jurisprudence précitée que la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, en tant que juridiction compétente en matière de prévoyance professionnelle, a la compétence pour statuer sur les litiges concernant l'affiliation d’une société à une caisse de retraite sous l'angle du droit de la prévoyance professionnelle et des obligations de verser les cotisations en découlant. Pour le reste, l’ouverture de l’action prévue à l’art. 73 al. 1 LPP n’est soumise à l’observation d’aucun délai, de sorte qu’elle est recevable.

2.             Le litige ne porte donc plus que sur le droit de la demanderesse au remboursement du montant de CHF 29'247.55 à titre de cotisations versées en trop pour les employés L______ et M______ pour les années 2014 à 2017.

2.1 Selon l’art. 7 CCT RA, les ressources pour le financement de la retraite anticipée proviennent principalement du cumul des cotisations des employeurs et des travailleurs. La cotisation du travailleur correspond à 1.5% du salaire déterminant et la cotisation de l’employeur correspond à 5.5% du salaire déterminant (art. 8 al. 1 et 2 CCT RA ; prolongation et modification du 14 juin 2016, entrée en vigueur le 1er juillet 2016 – FF 2016 4865-4866 ; cf. aussi art. 7 al. 1 et 8 du règlement RA). Dans sa teneur jusqu’au 30 juin 2016, l’art. 8 CCT RA prévoyait que la cotisation du travailleur correspondait à 1% du salaire déterminant et la cotisation de l’employeur correspondait à 4% du salaire déterminant.

Selon l'art. 6 al. 1 du règlement RA, dans sa version modifiée le 2 décembre 2016 par le conseil de fondation, les cotisations sont basées sur le salaire déterminant. Est considéré comme salaire déterminant le salaire soumis à l'AVS des travailleurs assujettis jusqu'au maximum LAA.

2.2 Selon l’art. 62 al. 1 CO, celui qui, sans cause légitime, s’est enrichi aux dépens d’autrui, est tenu à restitution. Pour que l'appauvri puisse faire valoir sa créance en enrichissement, l'art. 63 al. 1 CO fixe comme condition qu'il ait effectué un paiement volontaire mais par erreur. Celle-ci n'a besoin d'être ni excusable ni essentielle. Elle peut porter sur des faits aussi bien que sur du droit (arrêt du Tribunal fédéral B 149/06 du 11 juin 2007). 

L'art. 67 al. 1 CO prévoit deux délais de prescription : le premier délai d'un an, relatif, court à partir du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de répétition; le second délai de dix ans, absolu, court dès la naissance de ce droit. À la suite de la révision du droit de la prescription, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, le délai de prescription relatif de l'action en enrichissement illégitime a été porté à trois ans, l'art. 67 al. 1 CO demeurant pour le reste inchangé (RO 2018 5343; s'agissant du droit transitoire, cf. l'art. 49 Tit. fin. CC).  

S'agissant du point de départ de la prescription, la jurisprudence considère que le lésé n'a connaissance de son droit que lorsqu'il a la possibilité d'intenter une action judiciaire et qu'il possède des éléments suffisants pour la justifier (ATF 127 III 421 consid. 4b p. 427). Cette jurisprudence précise qu'en cas de factures prétendument trop élevées, le délai de prescription part du paiement si les éléments nécessaires pour constater que celle-ci est trop élevée, se trouvent dans la facture elle-même (ATF 127 III 421 consid. 4b déjà cité p. 427). 

Lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (art. 49 al. 1 tit. Final CC).

2.3 En l’espèce, la demanderesse affirme avoir payé plus que ce que prévoyait la CCT RA en s’acquittant de cotisations pour des personnes non soumises à la CCT RA. Le remboursement de cotisations payées en trop n’est pas prévu par la CCT RA. Ainsi, à défaut de norme statuaire ou réglementaire, la demande de restitution des cotisations de prévoyance professionnelle payées en trop par l’employeuse se fonde sur une action en enrichissement illégitime. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, le document intitulé « reconnaissance de salaires différenciés », non signé par la défenderesse, ne saurait fonder une action sur la base d’une reconnaissance de dettes.

La défenderesse soulève l’exception de prescription. Elle fait valoir que le délai de prescription de l’action pour cause d’enrichissement illégitime au sens des art. 62ss CO était encore d’un an au moment où la société a eu connaissance de son droit à répétition, soit lors de l’envoi de son courriel du 18 mai 2017 par lequel elle s’est renseignée sur les démarches à effectuer pour obtenir le remboursement des cotisations versées à tort pour les employés L______ et M______.

Ce raisonnement ne peut être suivi. Dans son courriel du 18 mai 2017, la demanderesse s’est limitée à se renseigner sur les démarches à effectuer pour obtenir le remboursement des cotisations versées à tort pour les employés L______ et M______. À ce moment-là, elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour justifier une action en justice. Ce n’est que lors du contrôle du réviseur du 5 avril 2019 que la demanderesse disposait des éléments chiffrés quant aux différences de masse salariale. C’est ainsi la reconnaissance des salaires différenciés datée du 5 avril 2019, et signée par la société, qui marque le début du délai de prescription. Dans la mesure où le délai d’un an de l’art. 67 aCO n’était pas encore échu au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle teneure de cette disposition, la créance n’était pas prescrite lorsque la demanderesse a intenté son action en justice devant la chambre de céans.

La prétention de la demanderesse n’étant pas prescrite, il convient d’examiner si celle-ci est bien fondée.

En l’occurrence, les parties ne contestent pas l’assujettissement partiel à la CCT RA de la société durant la période de litigieuse (2014 à 2017), étant précisé que, d’après la défenderesse, la société était affiliée à la Fondation FAR sur la base d’une convention d’affiliation tacite par acte concluant pour les travailleurs déclarés à la fondation. Elles ne remettent pas non plus en cause le fait que la demanderesse était tenue de verser des cotisations pour tous les employés assujettis à la CCT RA (secteur travaux). Seule est litigieux le point de savoir si la demanderesse a un droit au remboursement pour les cotisations versées entre 2014 et 2017 s’agissant des employés L______ et M______, qui, selon la demanderesse, n’étaient pas assujettis à la CCT RA.

Devant la chambre de céans, la demanderesse explique avoir envoyé les fiches d’engagement de ces deux employés à la CCB GE en 2010 et 2012. La CCB GE avait alors soumis ces deux employés à cotisations FAR par erreur, puisque le premier était employé comme « manœuvre-vidangeur » et le second comme « vidangeur », ce qu’elle avait signalé à la défenderesse par courriel du 18 mai 2017. Après plusieurs relances, la défenderesse lui avait répondu que ces différentiels seraient traités lors d’un prochain contrôle. Lors de son contrôle du 5 avril 2019, le réviseur mandaté par la défenderesse avait constaté, pour la période de janvier 2014 à décembre 2017, une différence de masse salariale de CHF 417'822.15 sur laquelle la défenderesse n’aurait pas dû percevoir de cotisations, les deux employés précités n’étant pas liés au secteur travaux. La reconnaissance des salaires différenciés avait alors été signée par la société en avril 2019, puis renvoyée à la fondation défenderesse. Un montant de CHF 29'247.55, correspondant à 7% des salaires différenciés, devait ainsi lui être remboursé à ce titre.

La défenderesse conteste ce point de vue. Lors de son contrôle, le réviseur s’était fondé sur les informations incomplètes et en partie trompeuses fournies par la société au sujet de l’assujettissement des employés L______ et M______. S’agissant en particulier de l’employé L______, la société avait modifié sa « fiche d’engagement » en vue du contrôle de l’employeur, en ajoutant à la catégorie « profession », le complément « vidangeur ». Après avoir pris contact avec la défenderesse, le réviseur avait tenu compte de la position de cette dernière et constaté l’absence de différences des masses salariales pour les exercices 2014 à 2017. Ce « document correctif » avait été transmis à la société (cf. pièce 7 défenderesse).

Ce raisonnement ne convainc pas. Il ressort en effet sans ambiguïté de la fiche d’engagement de l’employé M______ que ce dernier a été engagé par la société en qualité de « vidangeur », soit une activité non soumise à la CCT RA. Le dossier contient certes des pièces contradictoires s’agissant de la profession de l’employé L______. Si la pièce 9 (défenderesse) mentionne uniquement la profession de « manœuvre », la pièce 8 (défenderesse) contient une note manuscrite « vidange », ajoutée à celle de manœuvre. Ces pièces ne permettent toutefois pas de comprendre quand et par qui la note manuscrite a été rajoutée. Ainsi, en l’absence de preuves suffisantes, il n’est pas possible de suivre la position de la défenderesse selon laquelle celle-ci a été rajoutée en vue du contrôle de l’employeur du 5 avril 2019. Cette position est d’autant moins crédible que la société avait déjà signalé, par courriel du 18 mai 2017 que les employés L______ et M______ avaient été enregistrés par erreur à la FAR. S’ajoute à cela qu’il ressort du dossier, en particulier de la pièce 14 demanderesse, que la CCB GE a retiré ces deux employés de la masse salariale soumise à cotisations FAR dès 2017. L’ensemble de ces pièces permet ainsi de retenir que les deux employés n’ont pas été engagés dans le secteur « travaux » de la demanderesse. À ce titre, la société n’était pas tenue de s’acquitter de cotisations FAR sur les salaires versés à ces derniers. Cette appréciation est par ailleurs confortée par celle du réviseur mandaté par la défenderesse qui, sur la base des pièces aux dossiers, a retranché les salaires versés aux deux employés de la masse salariale soumise à cotisations FAR pour les années 2014 à 2017. Quoi qu’en dise la défenderesse, le « document correctif » dont elle se prévaut, non signé et dont la demanderesse conteste avoir eu connaissance, ne suffit pas à revenir sur cette appréciation. Ainsi, en payant des contributions sur des salaires non soumis à la FAR, la demanderesse a versé des cotisations par erreur. Elle est ainsi en droit d’en demander la restitution.

S’agissant du montant de la différence de masse salariale, soit CHF 417'822.15 (soit CHF 141'170.90 en 2016, CHF 141'051.50 en 2015 et CHF 135'599.75 en 2014), la défenderesse ne le conteste pas spécifiquement. Il convient donc de suivre les conclusions du réviseur sur ce point.

Quant au calcul des cotisations versées en trop, la demanderesse réclame un montant de CHF 29'247.55, correspondant au 7% (5.5% cotisation de l’employeur et 1.5% cotisation du travailleur) des salaires retenus en trop dans la masse salariale. Or, conformément à ce que fait valoir la défenderesse, le taux de contribution était fixé à 5% jusqu’au 30 juin 2016 et à 7% dès le 1er juillet 2016 (cf. modification de l’art. 8 al. 1 et 2 CCT RA du 14 juin 2016, entrée en vigueur le 1er juillet 2016). Il s’ensuit que la défenderesse est tenue de rembourser un montant de CHF 22'302.80 (soit CHF 6'780.- [5% de CHF 135'599.75 pour 2014] + CHF 7'052.75 [5% de CHF 141'051.50 pour 2015] + CHF 3'529.25 [5% de CHF 70'585.45 pour janvier à juin 2016] + CHF 4'941.- [7% de CHF 70'585.45 pour juillet à décembre 2016]) à la demanderesse à titre de contributions versées en trop de 2014 à 2016.

2.4 En matière de rente de la prévoyance professionnelle, l'institution de prévoyance est tenue de verser un intérêt moratoire à partir du jour de la poursuite ou du dépôt de la demande en justice sur le montant dû (cf. art. 105 al. 1 CO; ATF 137 V 373 consid. 6.6 ; 119 V 131 consid. 4c). À défaut de disposition réglementaire topique, le taux d'intérêt moratoire est de 5% (art. 104 al. 1 CO; ATF 130 V 414 consid. 5.1 p. 421 et les références).  

En l'absence d'une disposition réglementaire sur les intérêts moratoires, il convient d'appliquer un taux d'intérêt de 5% à partir du dépôt de la demande, le 22 février 2022.

2.5 Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission partielle du recours. Contrairement aux autres branches des assurances sociales, la législation en matière de prévoyance professionnelle ne contient aucune disposition relative à la fixation des dépens pour la procédure devant le tribunal cantonal désigné pour connaître des litiges en matière de prévoyance professionnelle (art. 73 al. 2 LPP). Il appartient par conséquent au droit cantonal de procédure de déterminer si et à quelles conditions il existe un droit à une indemnité de dépens (arrêt du Tribunal fédéral 9C_590/2009 du 26 mars 2010 consid. 3.1). Selon l’art. 89H al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - G E 5 10), une indemnité est allouée au recourant qui obtient gain de cause. Les dépens sont fixés en fonction du nombre d’échanges d’écritures, de l’importance et de la pertinence des écritures, de la complexité de l’affaire et du nombre d’audiences et d’actes d’instruction (ATAS/1041/2023 du 19 décembre 2023).

En l’espèce, la demanderesse, qui a obtenu partiellement gain de cause par l’intermédiaire d’un avocat, se verra allouée une indemnité à titre de dépens de CHF 2’000.-, à charge de la défenderesse.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

 

1.        Admet partiellement, en tant qu’elle est recevable, la demande.

2.        Condamne la défenderesse à verser à la demanderesse un montant de CHF 22'302.80, avec intérêts à 5% dès le 22 février 2022.

3.        Condamne la défenderesse à verser à la demanderesse une indemnité de CHF 2’000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le