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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2720/2022

ATAS/30/2024 du 22.01.2024 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2720/2022 ATAS/30/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 janvier 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

représenté par Maître Florian BAIER, avocat

 

 

recourant

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1971, originaire du Sri Lanka, entrée en Suisse le 19 juin 1990, titulaire d'une autorisation de séjour, est marié et père de trois enfants nés en 2001, 2005 et 2006.

b. Il a exercé une activité principalement en tant qu'aide-cuisinier et n'exerce plus d'activité professionnelle depuis 2015.

c. Depuis 1er avril 2020, il est suivi par l'Hospice général.

B. a. Le 16 avril 2019, l'assuré a déposé une première demande de prestations auprès de l’office cantonal de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI), en mentionnant des lombalgies chroniques et des douleurs chroniques mal contrôlées par substitution d'opiacés, depuis 1992.

b. Le 30 avril 2019, le docteur B______ et la docteure C______, spécialistes FMH en médecine interne générale, ont indiqué, sur question de l'OAI, avoir diagnostiqué des douleurs chroniques ayant une incidence sur sa capacité de travail. Ils étaient intervenus auprès de l'assuré du 26 février 2019 au 9 avril 2019 au Service de médecine de premiers recours des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Sa maladie avait débuté en 1992. Sa capacité de travail exigible était de 50% dans une activité habituelle et de 100% dans une activité adaptée. Il pouvait être raisonnablement attendu de lui qu'il travaille 4 heures par jour.

Ils ont joint un rapport de consultation du 9 avril 2019, dans lequel il était expliqué que l'assuré avait souffert de polytoxicomanie, qu'il avait été transitoirement sous méthadone et qu'il était à présent sous SEVRE-LONG. Il souffrait d'asthénie avec des douleurs généralisées et se plaignait toujours de douleurs, depuis 1992, au dos et aux articulations du coude et du genou à droite. Ses douleurs l'obligeaient « à se lever vers 18h00 » pour les soulager grâce à des massages et une bouillotte. En journée, les douleurs étaient moins fortes. La prise de 500mg de SEVRE-LONG calmait ses douleurs, un plus grand dosage augmentait en revanche ses risques de crise d'angoisse. Il avait stoppé le football ainsi que le volley depuis 3/4 ans en raison de sa fatigue. L'anamnèse de l'assuré restait très difficile en raison de ses multiples plaintes.

c. Dans un rapport du 29 juillet 2019, le docteur D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, intervenant au Département de la santé mentale et psychiatrique aux HUG et auprès de l'assuré du 1er novembre 2018 au 31 octobre 2019, a déclaré à l’OAI avoir diagnostiqué un épisode dépressif moyen, sans syndrome somatique, un trouble panique et un syndrome de dépendance des opiacés avec une incidence sur la capacité de travail. L'assuré présentait plusieurs limitations fonctionnelles, à savoir des troubles de la concentration, un léger ralentissement psychomoteur, une aboulie et une vulnérabilité au stress importante. Il était en incapacité de travail de 100% depuis le 1er novembre 2018, et probablement même depuis 2015/ 2016. Son traitement médicamenteux comprenait du SEVRE-LONG 200mg/j et du SERTRALINE 50mg. Il était suivi pour un syndrome de dépendance aux opiacés depuis 2009.

d. Le 28 juin 2020, le Dr B______ a indiqué que depuis le début de sa prise en charge, il n'y avait eu aucune évolution de l’état de santé. L’assuré souffrait de douleurs peu claires du dos en général. Les doses de SEVRE-LONG avaient été baissées. Quant à ses limitations fonctionnelles, il présentait des douleurs lombaires chroniques. Il avait débuté l'héroïne à cause de ses douleurs de dos.

e. Le 28 octobre 2020, le docteur E______, psychiatre intervenant à la Consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique Arve des HUG (ci‑après : CAAP Arve), a rendu un rapport médical dans lequel il a fait état de troubles mentaux et du comportement lié à l'utilisation d'opiacés, syndrome de dépendance, de trouble panique et de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen. L'assuré présentait les limitations fonctionnelles suivantes : une absence de motivation, une anhédonie, des douleurs somatoformes, des difficultés à maintenir les rendez-vous et à tenir des horaires, une perte d'énergie. Son incapacité de travail était de 100%.

Il lui avait rapporté une augmentation de ses douleurs à la mobilisation et une diminution de celles-ci par le repos. Lors de la baisse de sa posologie de morphine, les douleurs augmentaient et lorsqu'il prenait « assez » de morphine pour reprendre une activité, il ressentait des palpitations, des céphalées, des rhinorrhées et des rectorragies, voire une sensation de confusion, de froid et des tremblements. Il décrivait la présence de ces symptômes depuis 2015/2016, ce qui correspondait au début de ses attaques de panique. Il avait à présent trouvé un dosage de SEVRE-LONG qui lui permettait d'être « stable », c'est-à-dire qu'il arrivait à maintenir une activité quotidienne adéquate sans la présence des symptômes susmentionnés. Il ne consommait pas d'autres substances en parallèle des médicaments prescrits.

S'agissant de son statut psychiatrique, il avait une diminution de l'appétit et un sommeil perturbé à cause de ses douleurs somatiques. Il présentait une thymie fluctuante entre triste et neutre. Il se plaignait d'une aboulie, d'une anhédonie, de troubles du sommeil de type réveils précoces, d'une irritabilité en lien avec ses douleurs, d'un manque d'énergie et de trouble de la concentration. Il n'avait en revanche pas d'idées suicidaires.

f. Le 15 juillet 2021, Dr B______ a transmis à l'OAI le rapport des consultations ambulatoires de la douleur des 4 et 12 septembre 2019 aux HUG.

La docteure F______, spécialiste FMH en anesthésiologie, pharmacologie et toxicologie cliniques, et le docteur G______, spécialiste FMH en anesthésiologie, avaient diagnostiqué des douleurs musculosquelettiques chroniques diffuses primaires. L'anamnèse, le statut et les examens radiologiques évoquaient des rachialgies communes non spécifiques possiblement secondaires à des dysfonctionnements musculaires dans un contexte d'imprégnation chronique aux opiacés. Il existait aussi une probable sensibilisation centrale qui impliquait une réorganisation anatomique et fonctionnelle au niveau de la moelle et du cerveau. Il était alors fréquent que les douleurs soient diffuses, associées à une hyperalgésie, une fatigue, une insomnie, des troubles de l'humeur, de la mémoire et de l'attention.

g. À la demande de l'OAI, les médecins de H______ (le docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et le docteur J______, spécialiste FMH en rhumatologie) ont rendu un rapport d'expertise médicale bidisciplinaire le 5 mai 2022, basé sur le dossier de l’assuré, sur une heure et quinze minutes d'examen clinique psychiatrique et sur une heure et quinze minutes d'examen clinique rhumatologique.

Ils ont établi que l'assuré sortait marcher au quotidien, se nourrissait de nombreuses relations amicales, écoutait de la musique et conduisait une moto. Il n'avait aucune limitation fonctionnelle tant sur le plan rhumatologique que sur le plan psychiatrique. Sa capacité de travail était de 100% depuis toujours.

L'examen rhumatologique était normal et ne mettait en évidence aucune pathologie rachidienne active, aucune symptomatologie cervicale ou rachidienne, aucun syndrome lombovertébral ou « cervical douleurs », aucune radiculalgie sciatique ou crurale, aucun déficit distal ou proximal. Aucun diagnostic n'a été retenu. L'examen neurologique était également normal. Il existait manifestement une incohérence entre les plaintes que l’assuré rapportait comme étant incapacitantes et l'examen somatique ainsi que les données radiologiques.

L'examen psychiatrique se situait dans la norme, exempt de psychopathologie spécifique. Aucune psychopathologie incapacitante n'avait été trouvée. Il n'avait pas de doléances psychiatriques. Elles étaient d'un domaine somatique algique exploré ailleurs. Aucun diagnostic n'a été retenu.

h. Le 16 mai 2022, la Dre K______, médecin-conseil au service médical régional (ci-après : SMR), a considéré que l'expertise bidisciplinaire était convaincante, et que l'on pouvait suivre ses conclusions. L'assuré présentait des rachialgies mécaniques immunes n'entrainant pas de limitations fonctionnelles ni d'incapacité de travail, et il n'y avait pas d'atteinte psychiatrique incapacitante. Ainsi, l'activité habituelle d'aide en cuisine était entière depuis toujours.

i. Par projet de décision du 20 mai 2022, l’OAI a nié à l'assuré le droit à des prestations de l'assurance-invalidité, au motif qu'il ne pouvait être retenu une atteinte à la santé incapacitante.

j. Par écriture du 20 juin 2022, l'assuré a contesté le projet de décision.

k. Par décision du 28 juin 2022, l'OAI a rejeté la demande de prestations.

l. Le 4 juillet 2022, la docteure L______, spécialiste FMH en médecine interne générale, médecin traitante de l'assuré depuis le 22 février 2022, a rempli un rapport médical de l'assurance-invalidité attestant que l'assuré présentait une hernie discale L4 – L5 sans déficit neurologique et syndrome d'hyperalgésie secondaire. Depuis plus d'une année, la dose de SEVRE-LONG était stable. À la moindre baisse de dosage, les douleurs devenaient insupportables. La Dre L______ suspectait que l'assuré soit un métaboliseur rapide de SEVRE-LONG. Un déficit de testostérone et un probable syndrome d'apnée du sommeil d'origine centrale étaient suspectés. Il s'agissait d'effets secondaires connus au traitement de substitution d'opiacés. En raison du syndrome douloureux et de ses troubles psychiatriques, il n'était pas capable d'exercer une activité professionnelle adaptée à son état de santé. La Dre L______ a estimé que l'avis d'un confrère addictologue était souhaitable. Il rapportait une fatigue diurne importante. Depuis 2006, il avait une dépression avec un isolement social. Il avait stoppé le football et la piscine. Il faisait des attaques de panique dans la rue. Il sortait souvent accompagné d'un tiers par crainte d'avoir une attaque cardiaque, des diarrhées ou une crise d'épilepsie.

C. a. Le 29 août 2022, l'assuré, représenté par un avocat, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de Justice à l'encontre de la décision de l’OAI du 28 juin 2022, en concluant principalement à son annulation, à l'octroi d'une rente d'invalidité ordinaire et à des mesures de réadaptation.

b. Par complément de recours le 14 octobre 2022, le recourant a conclu à ce que préalablement, une expertise judicaire par un médecin spécialiste en addictologie soit ordonnée, principalement à l'annulation de la décision du 28 juin 2022 et à l'octroi d'une « rente d’invalidité ordinaire » dès le 16 avril 2019.

Depuis des années, le traitement au SEVRE-LONG générait chez lui un épuisement quasi-total et le rendait inapte au placement sur le marché primaire de l'emploi, ainsi que dans l'incapacité d'accomplir des tâches ménagères. L'expertise psychiatrique ne traitait pas de son besoin de prendre des opiacés dans le contexte de son traitement antalgique. Son incapacité de travail devait être examinée par un addictologue car sa problématique ne ressortait pas du domaine de la psychiatrie. Il s'agissait de savoir dans quelle mesure un traitement pour le maintien des douleurs à un niveau acceptable entrainait une incapacité de travail.

Il a joint un courrier médical du 14 avril 2022 du docteur M______, médecin interne au CAAP Arve, dans lequel il était indiqué que l'assuré était suivi au CAAP Arve pour une dépendance aux opiacés, un trouble panique et une dépression. Il était au bénéfice d'un traitement agoniste opiacé par SEVRE-LONG, à une posologie de 300mg par jour. Il présentait une forte symptomatologie anxieuse lorsqu'il augmentait le traitement agoniste opiacé qui se manifestait par une tachycardie, des tremblements, une cognition catastrophique et des stratégies d'évitement. Il bénéficiait également d'un traitement antidépresseur de DULOXETIN 60mg.

c. Le 10 novembre 2022, l'intimé a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, en soulignant que l'expertise était probante et qu'il ressortait du rapport du 5 mai 2022 que le recourant ne présentait pas d'atteinte incapacitante.

d. Par réplique du 6 décembre 2022, le recourant a souligné que la question liée à la prise en charge de SEVRE-LONG, plus particulièrement celle de savoir s'il s'agissait en l'occurrence d'une atteinte primaire ou secondaire à sa santé, n'avait pas été traitée dans l'expertise. L'atteinte à la santé et la perte de capacité de travail causée par ce produit n'avaient nullement été diagnostiquées. Les informations contenues étaient lacunaires, imprécises et à bien des égards erronées. De plus, elle s'était fondée sur des documents médicaux partant de 2019, alors même qu'il y avait manifestement eu un évènement crucial sur le plan médical en début de l'année 2014.

Était notamment joint à la réplique, un rapport du docteur N______, spécialiste FMH en médecine interne et pneumologie du 19 septembre 2022, dans lequel il a indiqué avoir diagnostiqué un syndrome d'apnées-hypopnées mixte du sommeil de degré sévère, avec prédominance d'événements centraux et désaturation nocturne. Il a également précisé que les apnées centrales étaient fréquemment induites par la méthadone, qui pourrait aussi induire une composante d'hypoventilation nocturne, voire diurne.

e. Le 23 janvier 2023, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle.

f. Le 2 février 2023, l’intimé a produit au dossier l’enregistrement de l’expertise des Drs J______ et I______.

g. À la demande de la chambre de céans, ceux-ci ont précisé, le 7 mars 2023, que l’échange consensuel entre eux avait eu lieu le 19 avril 2022 et que la prise de SEVRE-LONG avait été évaluée par l’expert psychiatre, qui avait estimé que le recourant ne présentait pas de syndrome de dépendance.

h. Le 24 août 2023, la chambre de céans a ordonné une expertise judiciaire, confiée au docteur N______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

i. Le 30 octobre 2023, le Dr N______ a rendu son rapport d’expertise, lequel concluait à des diagnostics d’épisode dépressif moyen, isolé, de trouble panique, d’agoraphobie, de phobie sociale, de trouble à symptomatologie somatique, chronique, de dépendance aux opiacés (en rémission prolongée complète sous traitement de substitution), de trouble de l’usage de l’alcool (en rémission prolongée complète), de trouble de l’usage du tabac, léger, et de trouble de la personnalité limite, décompensé. La capacité de travail était nulle dès 2015.

j. Le 26 novembre 2023, le recourant a adhéré aux conclusions de l’expertise judiciaire.

k. Le 11 janvier 2024, le SMR a rendu un avis, selon lequel l’expert N______ avait motivé clairement plusieurs diagnostics psychiatriques et l’expertise judiciaire était convaincante, de sorte qu’il convenait de retenir une incapacité de travail totale du recourant depuis 2015.

l. Le 11 janvier 2024, l’OAI a conclu à l’octroi au recourant d’une rente entière d’invalidité dès octobre 2019.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connait, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

La demande de prestations ayant été déposée le 16 avril 2019, le droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 est applicable au cas d’espèce.

3.             Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

4.              

4.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

4.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

4.3 Selon l’art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré.

5.              

5.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entrainer une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

5.2 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).

5.3 L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).

6.              

6.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

6.2 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

8.              

8.1 En l’occurrence, la chambre de céans a estimé qu’une expertise judiciaire était nécessaire, en considérant ce qui suit :

L’intimé s’est fondé, pour rendre la décision litigieuse, sur le rapport d’expertise bidisciplinaire des Drs J______ et I______. L’aspect psychiatrique est contesté par le recourant.

À cet égard, l’expertise psychiatrique du Dr I______ ne saurait se voir reconnaitre une pleine valeur probante, dès lors que, comme l’a souligné le recourant, elle ne traite pas de façon sérieuse la question de la prise de SEVRE-LONG par celui-ci. En effet, les psychiatres traitants du recourant ont relevé notamment un syndrome de dépendance aux opiacés et des limitations fonctionnelles totalement incapacitantes, soit un trouble de la concentration, un ralentissement psychomoteur, une aboulie, une vulnérabilité importante au stress, une absence de motivation, une anhédonie et une perte d’énergie (avis des Drs D______ du 29 juillet 2019 et E______ du 28 octobre 2010). Par ailleurs, la Dresse L______ a estimé que l’incapacité de travail était totale et que l’avis d’un addictologue était souhaitable et le Dr M______ que le recourant présentait une dépendance aux opiacés, un trouble panique et une dépression.

Ces avis sont fortement divergents de celui du Dr I______, étant encore souligné que la description des ressources du recourant par celui-ci est très éloignée de celle relatée par le médecin traitant. Le Dr I______ souligne en effet un réseau du recourant constitué de 400 amis, des relations proches, une capacité à donner et recevoir un soutien affectif significatif, à évoluer au sein d’un groupe et un réseau relationnel amical, fonctionnel et soutenant (rapport d’expertise du Dr I______ pp. 42-43). Or, les médecins traitants du recourant ont au contraire relevé que celui-ci n’a pas de grand réseau social, quelques amis soutenants mais pas de relations amicales en dehors des gens qui consomment des toxiques (avis du Dr E______ du 28 octobre 2020) et qu’il présente une dépression, avec un isolement social (avis de la Dre L______ du 4 juillet 2022). S’agissant en particulier des 400 amis relevés par le Dr I______, le recourant a précisé en audience de comparution personnelle qu’il avait évoqué les 400 personnes issues de la communauté sri-lankaise qu’il ne voyait plus car il ne sortait presque plus (PV d’audition du 23 janvier 2023). Enfin, l’enregistrement de l’entretien d’expertise du Dr I______ permet de confirmer que celui-ci n’a pas pris la peine de questionner le recourant sur ce réseau de 400 amis, afin de comprendre si celui-ci était un vrai réseau social soutenant ou une simple référence à la communauté sri-lankaise que le recourant, selon les précisions qu’il a données, ne fréquente plus en raison de son état de santé.

8.2 La valeur probante de l’expertise judiciaire du Dr N______ est reconnue par les parties. Elle peut être confirmée, vu l’anamnèse complète et détaillée, la prise en compte de tous les éléments du dossier, les diagnostics clairs et l’estimation convaincante d’une capacité de travail nulle du recourant depuis 2015.

8.2.1 En particulier, l’expertise du Dr I______ n’est pas convaincante. L’expert N______ a, à cet égard, relevé que l’anamnèse faite par le Dr I______ comprenait des lacunes majeures. Elle avait dû être refaite en intégralité, tant elle était erronée et insuffisante pour la compréhension du cas. Elle n’apportait pas d’éléments sur l’enfance carencée sur le plan émotionnel, sur les abus sexuels comme physiques, sur les relations familiales et sur l’impact du départ précoce de la maison sur le développement du trouble de la personnalité. L’examen du recourant avait été bâclé.

Par ailleurs, le fait de ne pas établir un diagnostic, même pour les antécédents, chez un recourant connu pour des problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme depuis plus de 20 ans et suivi par un service d’addictologie semblait correspondre plus à une volonté délibérée d’écarter des troubles qu’à les constater. L’information concernant le traitement suivi avait été occultée. Le rapport ne portait pas d’intérêt aux facteurs de stress émotionnels. Il n’apportait pas d’intérêt à ces éléments essentiels. Il n’apportait aucun éclairage sur les facteurs en jeu dans l’évolution de la psychopathologie. On ne savait rien sur le rôle du recourant dans la fratrie, sur la relation de couple, sur la situation familiale, sur l’impact du décès du père, sur le surmenage professionnel, sur la transformation totale de la personnalité. Tout ceci avait été écarté car le but du rapport semblait être de parvenir par tous les moyens à la conclusion d’une absence totale de toute pathologie psychique.

Le fait que le recourant ne soit pas conscient de la gravité de ses troubles n’était pas la preuve de l’absence d’une capacité de travail. Les considérations que le recourant avait un réseau social de 400 personnes de sa communauté découlaient d’une incompréhension ou d’une manipulation des dires du recourant qui se référait à l’année 2010. Depuis plusieurs années, le recourant n’avait pas de vie sociale du tout ; il évitait en particulier sa communauté en raison d’un sentiment de honte et de culpabilité. Plusieurs autres éléments, comme le présumé voyage en avion du recourant pour rendre visite à sa mère au Sri Lanka, n’existaient pas. En effet, à cause de sa pathologie psychique, le recourant non seulement n’avait pas pu se rendre auprès de sa mère mais il était aussi le seul membre de la fratrie à ne pas avoir été à ses funérailles en 2022, ce dont il se culpabilisait encore maintenant. L’expert I______ notait le visionnement de reportages naturels, les exercices sportifs devant la télévision, la conduite d’une moto, le jardinage, l’écoute de la musique avec plaisir, tout était bon pour donner l’illusion d’une vie harmonieuse et plaisante avec des « chances de guérison excellentes ». Pourtant, aucun de ces éléments n’avait été validé dans l’état actuel et un grand doute subsistait, vu les rapports médicaux des médecins traitants (qui avaient connu le recourant durant plus qu’une heure), qu’un tel état de santé ait existé en mai 2022. Par ailleurs, de quoi devait guérir le recourant qui n’avait pas de psychopathologie ?

Le Dr I______ écartait toute atteinte thymique, alors même que le recourant lui avait fait part d’éléments relevant d’une telle atteinte. Il avait commis une erreur d’analyse des résultats de laboratoire, en estimant à tort que les taux plasmatiques étaient en dessous des normes attendues.

Ce rapport était un status superficiel qui visait à noyer le lecteur dans une masse de symptômes écartés pour lui faire croire que le recourant n’avait rien de pathologique. Les plaintes et les observations objectives à l’appui étaient écartées et les informations sur l’état prémorbide confondues avec les actuelles.

8.2.2 Au demeurant, il convient de suivre les conclusions du rapport de l’expert judiciaire N______ et de confirmer l’absence de valeur probante de celle du Dr I______. Partant, une incapacité de travail totale du recourant doit être reconnue depuis 2015. Vu le dépôt de la demande de prestations le 16 avril 2019, il convient, conformément aux conclusions de l’intimé, de reconnaitre au recourant un droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er octobre 2019 et non pas dès le 16 avril 2019, comme requis par le recourant (cf. art. 29 al. 1 LPGA précité).

9.              

9.1 Conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’art. 45 al. 1 LPGA constitue une base légale suffisante pour mettre les coûts d’une expertise judiciaire à la charge de l’assureur (ATF 143 V 269 consid. 6.2.1 et les références), lorsque les résultats de l'instruction mise en œuvre dans la procédure administrative n'ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels et qu'en soi un renvoi est envisageable en vue d'administrer les preuves considérées comme indispensables, mais qu'un tel renvoi apparait peu opportun au regard du principe de l'égalité des armes (ATF 139 V 225 consid. 4.3).

Cette règle ne saurait entrainer la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2). Tel est notamment le cas lorsque l'autorité administrative a laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu’elle aura laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle a pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents. En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 139 V 496 consid. 4.4 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2019 du 6 avril 2020 consid. 5.1).

9.2 Vu en l’espèce l’absence totale de valeur probante de l’expertise du Dr I______, il se justifie de mettre les frais de l’expertise judiciaire de CHF 16'000.-, selon la note d’honoraires du Dr N______ du 2 novembre 2023, à charge de l’intimé.

10.         Partant, le recours sera partiellement admis, la décision de l’intimé annulée et il sera dit que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er octobre 2019.

Pour le surplus, le recourant obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 4'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimé du 28 juin 2022.

4.        Dit que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er octobre 2019.

5.        Met les frais de l’expertise judiciaire de CHF 16'000.-, selon facture du 2 novembre 2023 du Dr N______, à charge de l’intimé.

6.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 4'000.- à charge de l’intimé

7.        Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le