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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3327/2023

ATAS/11/2024 du 10.01.2024 ( LAMAL ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3327/2023 ATAS/11/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 janvier 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______
représentée par Me Estelle MARGUET, avocate

 

 

recourante

 

contre

HELSANA ASSURANCES SA

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née en décembre 2000, est affiliée pour l’assurance obligatoire des soins auprès d’HELSANA ASSURANCES SA (ci-après : l’assurance ou l’intimée).

b. L’assurée, dont le genre assigné à la naissance était masculin, présente une dysphorie de genre. Elle a entamé un traitement hormonal de féminisation en 2019 et est inscrite à l’état civil en tant que femme depuis 2020.

B. a. Le 24 septembre 2021, l’assurée a requis de l’assurance la prise en charge d’une vagino-clitoro-vulvoplastie (vaginoplastie). Ses recherches l’avaient conduite à renoncer à une opération en Suisse, les risques y étant beaucoup plus élevés qu’en cas d’intervention dans un centre spécialisé à l'étranger. Elle a en substance fait valoir que la Suisse ne disposait pas d’un centre de compétences dédié aux soins liés à la dysphorie de genre, au vu du faible nombre d’opérations réparties sur quatre sites. Elle notait l'absence d'équipes multidisciplinaires prenant en charge les soins post-opératoires, et considérait la formation des médecins insuffisante. Elle avait choisi de se faire opérer à l’hôpital Mount Sinaï à New York, États-Unis, où exerçaient des spécialistes reconnus et formés dans ce type d’intervention.

b. Le docteur B______, médecin adjoint au service de pédiatrie générale des Hôpitaux universitaires de Genève, a attesté le 28 octobre 2021 que la demande de vaginoplastie de l’assurée satisfaisait aux critères de bonne pratique de soins pour cette intervention.

c. Le 4 mars 2022, l’assurance a communiqué à l’assurée que selon son médecin-conseil, les interventions de réassignation sexuelle pouvaient être réalisées en Suisse, par exemple dans les hôpitaux universitaires de Bâle (ci-après : USB) et de Zurich (ci-après : USZ), de sorte qu’elle ne pouvait prendre en charge le traitement à l’étranger.

d. Le 8 avril 2022, l’assurée a derechef requis la prise en charge du traitement à l’hôpital Mount Sinaï. Cet hôpital pratiquait une méthode de vaginoplastie avec interposition du péritoine inconnue en Suisse, qui était moins invasive et moins sujette à complications.

e. Par décision du 11 mai 2022, l’assurance a répété que l’intervention pouvait être réalisée en Suisse. Partant, la vaginoplastie prévue aux États-Unis ne relevait pas d’une prestation obligatoire, si bien que la prise en charge des frais de ce traitement était refusée.

f. L’assurée, par sa mandataire, s’est opposée à cette décision le 10 juin 2022. Elle a soutenu que les standards en matière de chirurgie de réassignation de genre n’étaient pas remplis en Suisse. De plus, la technique opératoire de la vaginoplastie prévue aux Etats-Unis n’existait pas en Suisse et apportait une plus-value notoire.

g. L’assurée a subi une vaginoplastie par interposition du péritoine à l’hôpital Mount Sinaï le 22 juin 2022.

h. Le 24 août 2022, l’assurée a produit un courrier du docteur C______, chirugien à l’hôpital Mount Sinaï, selon lequel celle-ci n’était pas éligible à une vaginoplastie par inversion pénienne simple, en raison d'une longueur du pénis insuffisante à la suite du traitement hormonal. La vaginoplastie avec interposition du côlon, telle que pratiquée en Suisse, était selon ce médecin obsolète et n’était pas pratiquée en première option dans le monde. Une telle technique présentait des risques de complications élevés, tels que perforation intestinale, péritonite, obstruction intestinale ou infection, et l’intervention avec interposition du péritoine offrait des avantages esthétiques. La Suisse ne proposait pas de technique opératoire adaptée à l’assurée.

i. Dans un avis du 13 septembre 2022, la docteure D______, spécialiste FMH en chirurgie et médecin-conseil de l’assurance, a indiqué que selon son analyse de la littérature médicale, la méthode par interposition du péritoine n’avait pas fait l’objet d’études de suivi à long terme, et les études disponibles concernaient un faible échantillon de patients. On pouvait considérer qu’elle était au stade expérimental. Vingt à vingt-cinq interventions par interposition du côlon étaient pratiquées en Suisse par année, ce qui suffisait à garantir les exigences de qualité. Cette technique n’était pas obsolète ni contre-indiquée chez l’assurée. Elle n’était pas plus risquée qu’une intervention par interposition du péritoine. Au vu du nombre d’interventions et des taux de complications dans les hôpitaux universitaires de Bâle et de Zurich, il était exigible qu’un patient y subisse une vaginoplastie.

Deux prises de position explicatives des hôpitaux universitaires de Bâle et Zurich au sujet des interventions de réassignation de genre étaient jointes à son avis.

j. Le 30 novembre 2022, l’assurée s’est déterminée en détail sur l’avis de la Dre D______, pour conclure que la vaginoplastie à l’étranger devait être prise en charge. Elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise, à confier à un spécialiste des opérations de réassignation de genre homme vers femme connaissant les deux techniques en cause. La World Professional Association for Transgender Health (WPATH), organisation neutre, pourrait renseigner l’assurance sur des spécialistes compétents.

Elle a notamment joint une attestation du 21 octobre 2022 du professeur E______, médecin au centre hospitalier universitaire de Brest, selon laquelle la vaginoplastie avec interposition du côlon n’était pas un standard de soin en France.

k. Le 5 janvier 2023, la Dre D______ s’est déterminée sur les critiques de l’assurée, concluant qu’une vaginoplastie par interposition du côlon pouvait être réalisée en Suisse avec une bonne qualité. S’il existait des données scientifiques démontrant la supériorité d’une vaginoplastie par interposition du péritoine, la prise en charge du traitement à l’étranger pouvait être recommandée. Elle recommandait de recueillir un avis expertal sur la question auprès de la docteure F______ ou du docteur G______, chefs de clinique en chirurgie plastique à l’USB et l’USZ respectivement.

Les questions suivantes devaient leur être posées :

1.             Quelles techniques sont aujourd’hui appliquées pour une vaginoplastie chez une femme transgenre ?

2.             Évaluer sur la base des études les techniques de vaginoplastie par interposition du côlon, par interposition du péritoine, ou par inversion pénienne.

3.             Une de ces méthodes doit-elle être préférée ou sont-elles égales ?

4.             Est-il exact sur la base des données scientifiques que la technique par interposition du côlon est aujourd’hui obsolète ?

Elle a joint un article d’août 2021 intitulé Use of peritoneum in neovagina construction in gender-affirming surgery: A systematic review, publié par deux chirurgiens australiens, lequel concluait que la vaginoplastie par interposition du péritoine était prometteuse et nouvelle, mais que les données étaient rares. Des recherches supplémentaires et des données à long terme étaient nécessaires pour évaluer l’efficacité et la sécurité de cette technique, et les patients voulant se soumettre à cette intervention à l’étranger devraient être informés des potentielles difficultés qu’ils pourraient rencontrer.

l. L’assurée s’est déterminée le 26 janvier 2023, affirmant que l’article australien comparait la vaginoplastie avec interposition du péritoine à d’autres méthodes que celle par interposition du côlon, ce qui démontrait que cette dernière était obsolète. Il était effectivement opportun de requérir l’avis d’un spécialiste, qui devrait avoir pratiqué les deux techniques. Partant, il convenait de nommer un spécialiste à l’étranger. Elle s’opposait à la désignation de la Dre F______ ou du Dr G______. Elle a proposé plusieurs noms d’experts exerçant aux États-Unis, en Serbie, en France ou en Espagne, ou d’interpeller la WPATH pour obtenir d’autres propositions d’experts. Elle a requis que les questions complémentaires suivantes soient posées à l'expert qui serait nommé :

1.             Connaissez-vous la technique de vaginoplastie avec interposition du péritoine ? La pratiquez-vous et à quelle fréquence ?

2.             Même question pour la technique de vaginoplastie avec interposition du côlon.

3.             Veuillez citer les sources (littérature scientifique) sur lesquelles vous vous fondez pour répondre à la question 2, et cas échéant aux autres questions.

m. Le 7 février 2023, l’assurance a indiqué à l’assurée que les questions que la Dre D______ envisageait de poser aux Drs F______ et G______ relevaient d'une clarification de la situation actuelle et des données scientifiques, et non d'une expertise médicale à proprement parler. Partant, ceux-ci seraient interrogés. Les questions de l’assurée se recoupaient avec celles de son médecin-conseil et recevraient probablement également une réponse.

n. Le Dr G______ s’est prononcé de manière détaillée sur les questions de la Dre D______ dans un document du 24 avril 2023, citant plusieurs études. Il a entre autres soutenu que la vaginoplastie par interposition du côlon n’était pas obsolète. L’USZ ne proposait pas de vaginoplastie par interposition du péritoine, car une nouvelle technique ne faisant pas l’objet d’un consensus fondé scientifiquement n’y était pas proposée comme intervention de premier recours.

o. Par courriel du 3 mai 2023, la Dre F______ a également répondu aux questions soumises par la Dre D______. Elle a également retenu que la vaginoplastie par interposition du côlon n’était pas obsolète. L’USB serait cas échéant intéressé à introduire la technique par interposition du péritoine. Il n’existait toutefois à ce jour pas de données démontrant la supériorité de cette méthode.

p. Dans son avis du 11 mai 2023, la Dre D______ a retenu que les Drs G______ et F______ étaient experts en matière d’interventions de réassignation de genre au vu de leur maîtrise de la littérature et de leur pratique chirugicale régulière. En créant des unités spécialisées, l’USB et l’USZ offraient des conditions permettant des interventions de qualité. La vaginoplastie avec interposition de côlon était une technique éprouvée depuis de nombreuses années et donnait de bons résultats à long terme. La technique péritonéale était prometteuse, mais en l'absence d'études comparatives et de suivi à long terme, elle ne pouvait pas encore être recommandée pour une prise en charge par l'assurance obligatoire des soins.

q. Le 11 mai 2023, l’assurée a émis plusieurs griefs sur les avis des Drs G______ et F______, non probants selon elle, la seule critique soulevée par ces médecins à l’encontre de la technique par interposition du péritoine étant l’absence de suivi à long terme. Les médecins ne répondaient pas sur une plus-value de cette technique opératoire, ni sur le caractère obsolète de la technique par interposition du côlon.

r. Le 1er juin 2023, l’assurée a contesté la qualité d’experts des Drs G______ et F______, ceux-ci ne pratiquant pas la vaginoplastie avec interposition du péritoine et ne réalisant pas un nombre suffisant d’interventions. Elle a maintenu sa requête d’expertise par un chirurgien reconnu en réassignation de genre, exerçant à l'étranger et pratiquant la vaginoplastie avec interposition du péritoine.

s. Dans son appréciation du 27 juin 2023, la Dre D______ a notamment relevé que les données scientifiques citées par le Dr G______ ne révélaient aucun désavantage de la technique avec interposition de côlon, de sorte qu’une telle intervention en Suisse était médicalement exigible.

t. Par courrier du 11 juillet 2023, l’assurance a indiqué à l’assurée ne pas pouvoir cautionner qu'un expert étranger puisse décider de prestations à charge de l’assurance obligatoire des soins, alors qu'il ignorait probablement tout du fonctionnement du système sanitaire suisse et qu'on pouvait craindre un manque d'objectivité face aux compétences de praticiens suisses, notamment quant à leur formation. Elle était disposée à soumettre le cas de l’assurée au Dr G______. Dans la mesure où l'intervention avait déjà été réalisée, un examen clinique ne paraissait pas nécessaire, de sorte qu’elle envisageait une expertise sur dossier. Bien entendu, l'expert pourrait cas échéant en décider autrement.

Elle a soumis le questionnaire qui serait soumis à l’expert, à la teneur suivante :

« Anamnèse

Diagnostic

Dans un rapport du 13 août 2022, le Dr C______ affirme que l'assurée n'était pas éligible à une vaginoplastie par inversion pénienne simple en raison d'une longueur du pénis insuffisante suite au traitement hormonal.

Une vaginoplastie avec interposition du côlon permet-elle d'obtenir une longueur suffisante du vagin ?

Parmi les deux techniques - interposition du côlon ou du péritoine - quelle est celle qui donne les meilleurs résultats, tant à court terme qu'à long terme ? L'une des deux techniques est-elle plus avantageuse que l'autre ?

Une vaginoplastie avec interposition du côlon réalisée en Suisse présente-t-elle un risque de complications inacceptablement élevé par rapport à une vaginoplastie avec interposition du péritoine réalisée au Mount Sinaï Hospital ?

Combien de vaginoplasties ont été réalisées par année à l'USZ les cinq dernières années ?

La pratique des vaginoplasties en Suisse est-elle suffisante pour garantir la sécurité des soins ?

Remarques ? »

u. Par courrier du 14 juillet 2023, l’assurée a répété que l’expertise devait être confiée à un spécialiste étranger, plus neutre et plus objectif. Elle s’opposait à la désignation du Dr G______ et requérait sa récusation pour les motifs suivants. Il faisait partie des trois chirurgiens en Suisse pratiquant des vaginoplasties et était responsable de la prise en charge de ce type d'opération à l’USZ. Ainsi, il n’était pas suffisamment neutre pour déterminer si la pratique des vaginoplasties en Suisse garantissait la sécurité des soins. De plus, il avait déjà répondu en partie aux questions de l’expertise, de sorte qu’il était prévenu. Elle a proposé plusieurs noms d’experts.

v. Le 14 septembre 2023, l’assurance a confirmé que l’expertise serait confiée au Dr G______, les motifs invoqués par l’assurée n’étant pas des motifs légaux de récusation. Elle a soutenu ne pas devoir rendre de décision incidente à ce sujet.

C. a. Par recours du 13 octobre 2023 devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, l’assurée a conclu, sous suite de dépens, à l’annulation de la décision du 14 septembre 2023 refusant la récusation du Dr G______ en qualité d'expert, à ce qu’il soit ordonné à l’intimée de nommer un autre expert, soit un spécialiste reconnu en chirurgie de réassignation de genre, pratiquant à l'étranger et maîtrisant les techniques de vaginoplastie avec interposition du péritoine et avec interposition du côlon, et subsidiairement à ce qu’il soit ordonné à l’intimée de rendre une décision formelle susceptible de recours sur sa demande de récusation du Dr G______.

Elle a allégué que si le courrier de l'intimée du 14 septembre 2023 ne devait pas être considéré comme une décision, il y aurait lieu de constater un déni de justice – également susceptible de recours –, dès lors que celle-ci refusait de rendre une décision. La recourante a en substance fait valoir qu’elle avait bien soulevé des motifs de récusation de nature formelle à l’encontre du Dr G______.

b. Dans sa réponse du 6 novembre 2023, l’intimée a conclu, sous suite de dépens, à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Elle a répété ne pas avoir à rendre de décision incidente en matière de désignation d’expert et a contesté le caractère de décision de son courrier du 14 septembre 2023. Si un déni de justice devait être admis, l’intimée suggérait, par économie de procédure, que la chambre de céans se prononce sur le litige.

Les griefs soulevés par la recourante étaient d’ordre matériel et seraient examinés au fond. Elle a déclaré s’opposer catégoriquement à la désignation d’un expert à l’étranger.

c. Par réplique du 30 novembre 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.

d. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture à l’intimée le 1er décembre 2023.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La modification du 21 juin 2019 de la LPGA entrée en vigueur le 1er janvier 2021 est applicable au litige, dès lors que le recours n’était pas encore pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

3.             S’agissant de la recevabilité du recours, la chambre de céans rappelle ce qui suit.

3.1 Dans la procédure juridictionnelle administrative, seuls peuvent en règle générale être examinés et jugés les rapports juridiques à propos desquels l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement d'une manière qui la lie, sous la forme d'une décision (en principe sur opposition). Dans cette mesure, la décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice par voie de recours. En revanche, si aucune décision n'a été rendue, la contestation n'a pas d'objet, et un jugement sur le fond ne peut pas être prononcé (ATF 131 V 164 consid. 2.1, arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2011 du 4 janvier 2012 consid. 3.1). Lorsqu’aucune décision n’a été rendue, le recours est irrecevable (ATF 131 V 202 consid. 2.1). Toutefois, l’art. 56 al. 2 LPGA prévoit qu’un recours peut être formé lorsque l’assureur, malgré la demande de l’intéressé, ne rend pas de décision ou de décision sur opposition. Le droit de recours en vertu de cette disposition sert à mettre en œuvre l'interdiction du déni de justice formel prévue par l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale, qui prévoit que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable (Cst. – RS 101) (arrêt du Tribunal fédéral 9C_687/2008 du 12 mars 2009 consid. 3.1). Lorsqu’un déni de justice est constaté par le juge, celui-ci ne peut en règle générale pas statuer de manière formatrice ou condamnatoire. Il doit renvoyer la cause à l'assureur en l'invitant à trancher rapidement le droit aux prestations (Miriam LENDFERS in Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, nn. 51 et 54 ad art. 56 LPGA).

3.2 En l’espèce, l’intimée n’a pas formellement rendu de décision, affirmant ne pas y être tenue en matière de désignation d’un expert.

Jusqu’au 31 décembre 2021, l’art. 44 LPGA avait la teneur suivante. Si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. En application cette disposition, le Tribunal fédéral a dans un premier temps considéré que la mise en œuvre d’une expertise par l'assureur social ne revêtait pas le caractère d'une décision (ATF 132 V 93 consid. 5). Dans un arrêt de principe de 2011, il a cependant modifié cette pratique, en ce sens qu'en l'absence d'accord entre les parties, une expertise devait être mise en oeuvre par une décision incidente (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7 dans une cause relevant de l’assurance-invalidité). Par la suite, il a précisé que dans le domaine de l'assurance-accidents également, il fallait ordonner une expertise en cas de désaccord, par le biais d'une décision incidente sujette à recours auprès du tribunal cantonal des assurances, respectivement auprès du Tribunal administratif fédéral (ATF 138 V 318 consid. 6.1).  

Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2022, l’art. 44 al. 4 LPGA prévoit que si malgré la demande de récusation, l’assureur maintient son choix du ou des experts pressentis, il en avise les parties par une décision incidente. C’est cette disposition qui est applicable à la présente procédure. En effet, conformément aux principes de droit intertemporel, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable est en principe celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

3.3 Compte tenu de ce qui précède, c’est à tort que l’intimée a refusé de statuer formellement sur la désignation du Dr G______ à titre d’expert par décision incidente, de sorte que le recours pour déni de justice est recevable. Au vu des circonstances, notamment eu égard au fait que les parties se sont prononcées sur le fond du litige et ont pu exposer leurs moyens quant au choix de l’expert, il se justifie par économie de procédure de ne pas renvoyer la cause à l’intimée pour décision formelle, mais bien d’examiner le fond du litige.

4.             Eu égard à ce qui précède, le litige porte sur le point de savoir s’il existe des motifs de récusation à l’encontre du Dr G______.

Les parties s’accordant sur la nécessité d’une expertise, la chambre de céans ne reviendra pas sur l’opportunité d’une telle mesure dans le présent cas.

5.             L’art. 44 LPGA a été modifié dans le cadre de la novelle de la loi sur l’assurance-invalidité, entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Selon son alinéa deuxième, si l’assureur doit recourir aux services d’un ou de plusieurs experts indépendants pour élucider les faits dans le cadre d’une expertise, il communique leur nom aux parties. Les parties peuvent récuser les experts pour les motifs indiqués à l’art. 36 al. 1 et présenter des contre-propositions dans un délai de dix jours. Lorsqu’il communique le nom des experts, l’assureur soumet aussi aux parties les questions qu’il entend poser aux experts et leur signale qu’elles ont la possibilité de remettre par écrit des questions supplémentaires dans le même délai. L’assureur décide en dernier ressort des questions qui sont posées aux experts (al. 3). Si, malgré la demande de récusation, l’assureur maintient son choix du ou des experts pressentis, il en avise les parties par une décision incidente (al. 4).

Dans son Message concernant la modification de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité (Développement continu de l'AI), le Conseil fédéral a relevé au sujet de l’alinéa deuxième de l’art. 44 LPGA que la notion de raisons pertinentes pour la récusation des experts était abandonnée. Désormais, cette disposition renvoie aux motifs de récusation de l’art. 36 al. 1 LPGA, qui reprend ceux de l’art. 10 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA – RS RS 172.021) (FF 2017 2507).

5.1 L’art. 36 al. 1 LPGA dispose que les personnes appelées à rendre ou à préparer des décisions sur des droits ou des obligations doivent se récuser si elles ont un intérêt personnel dans l’affaire ou si, pour d’autres raisons, elles semblent prévenues.

On précisera que l’art. 10 al. 1 PA prévoit la récusation des personnes appelées à rendre ou à préparer la décision doivent se récuser si elles ont un intérêt personnel dans l’affaire (let. a) ; si elles sont le conjoint ou le partenaire enregistré d’une partie ou mènent de fait une vie de couple avec elle (let. b); si elles sont parentes ou alliées d’une partie en ligne directe, ou jusqu’au troisième degré en ligne collatérale (let. c) ; si elles représentent une partie ou ont agi dans la même affaire pour une partie (let. d) ; si, pour d’autres raisons, elles pourraient avoir une opinion préconçue dans l’affaire (let. e). Les principes relatifs à la récusation en vertu de l’art. 10 al. 1 PA sont également applicables en matière de récusation au sens de l’art. 36 LPGA (Ueli KIESER, ATSG-Kommentar, 4ème éd. 2020, n. 6 ad art. 36 LPGA).

Les motifs visés à l’art. 36 al. 1 LPGA sont de nature formelle parce qu'ils sont propres à éveiller la méfiance à l'égard de l'impartialité de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3).

5.2 Un expert passe pour prévenu lorsqu'il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s'agit toutefois d'un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l'expert. L'appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l'expertisé, la méfiance à l'égard de l'expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 148 V 225 consid. 3.4). Compte tenu de l'importance considérable des expertises médicales dans le droit des assurances sociales, l'impartialité de l'expert doit être soumise à des critères stricts (arrêt du Tribunal fédéral 8C_474/2009 du 7 janvier 2010 consid. 7.2).

5.3 Selon la jurisprudence, un expert ne peut pas être révoqué parce qu'il a déjà eu l'occasion par le passé de réaliser une expertise au sujet de la personne concernée, pour autant cependant que le résultat de la procédure apparaisse ouvert en ce qui concerne les faits concrets et les questions juridiques à résoudre, et qu'il n'y ait objectivement pas d'apparence de prévention. L'expert est en principe considéré comme indépendant lorsqu'il doit répondre à d'autres questions ou uniquement expliquer ou compléter sa première expertise (arrêt du Tribunal fédéral 8C_578/2013 du 13 août 2014 consid. 5.1). Il n'y a pas non plus de prévention inadmissible lorsque l'expert aboutit à des conclusions défavorables à une partie (arrêt du Tribunal fédéral 8C_276/2016 du 23 juin 2016 consid. 5.1). Le critère déterminant est que le résultat de l'instruction paraisse encore ouvert et non préjugé (arrêts du Tribunal fédéral 9C_731/2017 du 30 novembre 2017 consid. 3.1 et 9C_893/2009 du 22 décembre 2009 consid. 1.2.1). Tel n’est pas le cas lorsque l'expert est chargé de vérifier ou contrôler objectivement la cohérence de son appréciation antérieure (arrêts du Tribunal fédéral 8C_775/2018 du 24 avril 2019 consid. 5.1 et 8C_89/2007 du 20 août 2008 consid. 6.2). Examinant si des motifs de récusation existaient à l’encontre d’experts qui avaient une première fois examiné un assuré et étaient désignés une seconde fois pour réaliser une expertise de suivi, le Tribunal fédéral a confirmé que ceux-ci étaient en mesure de se prononcer de manière impartiale et sans préjuger des résultats. Ils ne pouvaient certes pas répondre aux questions posées sans tenir compte de l’évaluation à laquelle ils avaient procédé dans leur première expertise, mais cela n’équivalait pas à un examen ou à un contrôle objectif de leur propre évaluation, lequel permettrait de conclure à l'absence d'impartialité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_353/2023 du 4 août 2023 consid. 5.1). Dans une cause où l’autorité avait eu des contacts avec les experts désignés par la suite, lors desquels elle avait dicuté avec eux d’un futur mandat d'expertise, le Tribunal fédéral a considéré que de tels contacts précontractuels pouvaient impliquer une relation de confiance croissante entre ces parties, si bien que les soupçons de l’assurée quant à la partialité des experts semblaient objectivement fondés (arrêt du Tribunal fédéral 8C_276/2016 du 23 juin 2016 consid. 5.2).

5.4 L’assuré ne dispose pas d'un droit de veto quant au choix de l’expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_541/2014 du 17 février 2015 consid. 3). Il n’existe pas de droit de l’assuré à la désignation d’un expert de son choix. Des connaissances insuffisantes dans un domaine ne sont pas de nature à susciter des doutes quant à l’impartialité d’un expert, mais doivent être prises en compte dans l’appréciation de l’expertise (ATF 132 V 93 consid. 6.5). Les motifs de nature matérielle, qui peuvent également être dirigés contre la personne de l'expert, ne mettent pas en cause son impartialité. De tels motifs doivent en principe être examinés avec la décision sur le fond dans le cadre de l'appréciation des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 9C_449/2013 du 23 août 2013 consid. 1.2).

6.             Les traitements médicaux pris en charge par l'assurance obligatoire des soins sont généralement soumis au principe de la territorialité consacré à l’art. 34 LAMal (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_177/2017 du 20 juin 2017 consid. 6.2). Une exception à ce principe n’est admissible que dans deux éventualités : ou bien il n'existe aucune possibilité de traitement de la maladie en Suisse ; ou bien il est établi, dans un cas particulier, qu'une mesure thérapeutique en Suisse, par rapport à une alternative de traitement à l'étranger, comporte pour le patient des risques importants et notablement plus élevés. Il s'agit, en règle ordinaire, de traitements qui requièrent une technique hautement spécialisée ou de traitements complexes de maladies rares pour lesquelles, en raison précisément de cette rareté, on ne dispose pas en Suisse d'une expérience diagnostique ou thérapeutique suffisante. En revanche, quand des traitements appropriés sont couramment pratiqués en Suisse et qu'ils correspondent à des protocoles largement reconnus, l'assuré n'a pas droit à la prise en charge d'un traitement à l'étranger en vertu de l'art. 34 al. 2 LAMal. C'est pourquoi les avantages minimes, difficiles à estimer ou encore contestés d'une prestation fournie à l'étranger, ne constituent pas des raisons médicales au sens de cette disposition. Il en va de même du fait qu'une clinique à l'étranger dispose d'une plus grande expérience dans le domaine considéré (arrêt du Tribunal fédéral 9C_136/2021 du 10 décembre 2021 consid. 2.2).

7.             En l’espèce, force est de constater que les questions devant faire l’objet de l’expertise que l’intimée entend confier au Dr G______ se recoupent pour l’essentiel avec celles qui lui ont déjà été soumises le 5 janvier 2023, et auxquelles il a répondu de manière circonstanciée. L’ajout de quelques questions supplémentaires, notamment sur l’anamnèse et le diagnostic – lesquels sont connus et ne prêtent selon toute vraisemblance guère à controverse dans le présent cas – et sur la longueur possible du vagin en cas d’intervention par interposition du côlon, qui n’est pas un critère déterminant pour l’issue du litige, permettent certes à cet expert de se déterminer sur le cas concret de la recourante plutôt que de manière théorique. Il n’en reste pas moins que le Dr G______ a déjà répondu aux questions que l’expertise est censée élucider, qui sont en lien avec les risques et les plus-values respectives des deux techniques de vaginoplastie entrant en considération en l’espèce, et ont notamment trait à la sécurité des interventions par interposition du côlon réalisées en Suisse. On peut ainsi très largement anticiper les réponses de l’expert à ces questions, sauf à imaginer que celui-ci se dédise intégralement et rétracte le contenu de son rapport du 24 avril 2023. Dans la mesure où le résultat de l’expertise paraît ainsi très largement prédéfini par la précédente et récente prise de position du Dr G______, on doit admettre une prévention de ce médecin, ce qui justifie sa récusation en application de l’art. 36 LPGA.

Par ailleurs, au vu des circonstances, il convient de souligner ce qui suit. Les questions que l’expertise doit résoudre dans le cas d’espèce portent sur la qualité et la sécurité des vaginoplastiques par interposition du côlon pratiquées en Suisse, puisque le droit au remboursement d’une intervention par interposition du péritoine à l’étranger dépend de l’existence de risques importants et notablement plus élevés de cette première intervention lorsqu’elle est pratiquée en Suisse. Dans la mesure où seul un très petit nombre de médecins pratique des vaginoplasties en Suisse, et qu’il semblerait qu’aucun n’ait recours à la méthode par interposition du péritoine, désigner un de ces praticiens à titre d’expert reviendrait en réalité à exiger de lui une évaluation de la qualité et de la sécurité de son propre travail, ce qui est incompatible avec les exigences de neutralité d’un expert. Cela l’exposerait en outre à un conflit d’intérêts, à tout le moins théorique, puisqu’admettre le caractère plus risqué des traitements par interposition du côlon en Suisse pourrait avoir des répercussions s’il devait à l’avenir être impliqué dans une procédure civile, voire pénale. On peut du reste renvoyer sur ce point à l’arrêt de la chambre de céans du 7 mars 2023 dans la cause A/1184/2022 (ATAS/151/2023 consid. 6.4).

Il n’est ainsi pas certain que la désignation d’un autre spécialiste pratiquant en Suisse soit compatible avec les exigences de neutralité de l’art. 36 LPGA. On rappellera au vu des craintes exprimées par l’intimée en lien avec la désignation éventuelle d’un expert étranger que contrairement à ce qu’elle avance dans son courrier du 11 juillet 2023, il n’appartient pas à l’expert de décider quelles sont les prestations à charge de l’assurance obligatoire des soins. Par ailleurs, l’évaluation et la comparaison des risques des différentes techniques en jeu dans la présente cause n’exigent pas une compréhension du fonctionnement du système de santé suisse, mais nécessitent avant tout des compétences médicales et des connaissances des méthodes de vaginoplastie et des données scientifiques relatives aux avantages et aux risques de ces techniques.

Il appartiendra ainsi à l’intimée de désigner un nouvel expert en recherchant un consensus avec la recourante sur ce point, et en rendant une décision incidente sur ce point si elles ne parviennent pas à un accord.

8.             Le recours sera en conséquence admis, la décision du 14 septembre 2023 annulée et la cause renvoyée à l’intimée.

La recourante a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 1'000.- (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours pour déni de justice recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 14 septembre 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour désignation d’un expert autre que le Dr G______, au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimée à verser à la recourante une indemnité de dépens de CHF 1'000.-.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le