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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1915/2022

ATAS/684/2023 du 14.09.2023 ( LAA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1915/2022 ATAS/684/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 14 septembre 2023

Chambre 3

 

En la cause

A______

représenté par Me Sacha CAMPORINI, avocat

 

recourant

contre

 

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

 

 

intimée

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né en 1979, a travaillé à plein temps en qualité de peintre en bâtiment au service de la société B______ (ci-après : l'employeur) du 1er juillet 2011 au 31 juillet 2022, date pour laquelle son contrat de travail a été résilié. Il était, à ce titre, assuré obligatoirement contre le risque d'accident et de maladie professionnelle auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : la SUVA).

b. L'assuré a traversé plusieurs périodes d'incapacité de travail totale dès le 5 octobre 2020.

c. Une déclaration de sinistre du 13 novembre 2020 fait état d'une suspicion de maladie professionnelle en relation avec une affection pulmonaire.

d. La SUVA a recueilli divers rapports des médecins traitants, y compris les documents d'imagerie, qu'elle a soumis, pour appréciation, à sa division de médecine du travail, et obtenu de l'employeur les fiches de données de sécurité des produits chimiques utilisés.

e. En particulier, dans un rapport du 17 mars 2021, le docteur C______, spécialiste en médecine du travail à la SUVA, qui avait examiné l'assuré le 11 mars 2021, a conclu que l'anamnèse, les fonctions pulmonaires et le scanner thoracique du 7 octobre 2020 évoquaient un diagnostic de bronchite chronique, sans qu'il ne soit possible de retenir un diagnostic de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), vu l'absence de syndrome obstructif. L'anamnèse professionnelle retrouvait une exposition probable à des poussières ou des vapeurs irritantes dans le cadre de l'activité de peintre, sans exposition extraprofessionnelle notable (pas de consommation tabagique).

f. Dans un rapport du 17 mai 2021, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine du travail à la SUVA, s'est également prononcé sur les rapports médicaux au dossier. Il a considéré que, même si certains facteurs évoquaient fortement une possible origine professionnelle aux problèmes respiratoires de l'assuré, le diagnostic n'était pas clair. En l'absence d'obstruction bronchique démontrée, le diagnostic de BPCO ne pouvait être confirmé, pas plus que celui d'asthme bronchique. L'emphysème de stade II que l'assuré aurait développé ne permettait pas d'expliquer à lui seul les symptômes.

g. À la demande du Dr D______, le cas a été soumis à la doctoresse E______, spécialiste FMH en pneumologie à la SUVA, qui a rendu son rapport le 17 juin 2021, dans lequel elle a exclu le diagnostic de BPCO, tout en relevant que le dossier devait encore être instruit.

h. Le 25 novembre 2021, le Dr D______ a effectué un test de provocation à la méthacholine. Dans un rapport du même jour, ce médecin a mentionné que, quand bien même l'assuré ne travaillait plus, il se plaignait encore de symptômes respiratoires dont l'origine était peu claire. Le résultat négatif du test de provocation à la méthacholine excluait une hyperréactivité bronchique ou une maladie asthmatique. Le seul élément objectif était la présence d'un emphysème chez une personne non fumeuse et dont le dosage de l'alpha-1-antitrypsine était normal. Le Dr D______ proposait de soumettre à nouveau le cas à la Dre E______ et invitait le médecin traitant à envisager des investigations complémentaires sur le plan digestif, en relation avec le reflux gastro-œsophagien qui pourrait jouer un rôle non négligeable dans les symptômes de l'assuré.

i. Dans un rapport du 24 décembre 2021, la Dre E______ a indiqué que l'assuré se plaignait depuis plusieurs années d'une symptomatologie de toux sèche ; seul un emphysème pulmonaire était objectivé à l'imagerie ; l'examen du Dr D______ avait révélé une pléthysmographie corporelle normale ; le test de broncho-provocation à la méthacholine n'avait mis en lumière aucun signe d'une hyperréactivité bronchique ; l'assuré, non-fumeur, ne présentait aucun signe de BPCO ou d'asthme bronchique, mais une rhinite saisonnière et une sensibilisation à divers pollens de plantes ; la toux était vraisemblablement à mettre en relation avec une symptomatologie de reflux gastro-œsophagien (ou un écoulement post-nasal). La Dre E______ expliquait que les principales causes du développement d'un emphysème pulmonaire étaient la BPCO ou un déficit en alpha-1-antitrypsine, tous deux non objectivables chez l'assuré. Un emphysème pouvait toutefois aussi se développer en inhalant des poussières respirables durant plusieurs années (tel pouvait être le cas des travailleurs des mines de charbon ou de l'industrie textile, céréalière et du bois, qui étaient exposés quotidiennement à la poussière). Les pressions exercées sur les poumons pouvaient également entraîner un emphysème en raison d'une distension des alvéoles, par exemple chez les musiciens professionnels (instruments à vent) ou les souffleurs de verre. Il convenait d'interroger l'assuré sur ses loisirs ou occupations accessoires. En l'état, sur la base des indications au dossier, la Dr E______ n'identifiait, au degré de la vraisemblance prépondérante, aucune cause professionnelle à la symptomatologie de toux ou à l'apparition d'un emphysème pulmonaire.

j. Dans un rapport du 13 janvier 2022, le Dr D______ a fait siennes les conclusions de la Dre E______.

B. a. Par décision du 23 février 2022, la SUVA a nié à l'assuré le droit à des prestations d'assurance, motif pris que les troubles pulmonaires ne relevaient pas d'une maladie professionnelle.

b. Par pli du 28 mars 2022, l'assuré s'est opposé à cette décision.

Il a produit notamment la fiche de données de sécurité du produit SHELLSOL D 70, en alléguant que l'employeur avait omis de la transmettre à la SUVA, ainsi qu'un rapport du docteur F______, spécialiste FMH en oto-rhino-laryngologie (ORL), allergologie et immunologie clinique.

c. Le 9 mai 2022, le Dr D______ s'est déterminé sur ces pièces.

d. Par décision du 13 mai 2022, la SUVA a rejeté l'opposition de l'assuré, au motif qu'aucun élément objectif ne permettait de contredire les appréciations convaincantes des Drs D______ et E______.

C. a. Par acte du 10 juin 2022, l'assuré a interjeté recours auprès de la Cour de céans en concluant, sous suite de frais et dépens, préalablement, à la mise en œuvre d'une expertise judiciaire tendant à déterminer la cause de l’atteinte à sa santé, principalement, à l'octroi des prestations d'assurance en relation avec sa maladie professionnelle, subsidiairement, au renvoi de la cause à la SUVA (ci-après : l'intimée) pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

Le recourant allègue n’avoir ni pratiqué d’instrument à vent, ni soufflé de verre durant ses loisirs. Il ajoute qu’il est toujours dans l’incapacité totale de travailler, tout en étant au bénéfice de mesures d'orientation professionnelle mises en place par l'Office de l'assurance-invalidité.

Il produit en particulier une fiche de données de sécurité du 15 mai 2019 relative au produit SHELLSOL D 70. Selon lui, l'aspiration de ce produit dans les poumons peut être à l'origine d'une pneumopathie chimique gravissime.

Il constate que les appréciations des Drs D______ et F______ sont contradictoires et estime qu’en conséquence, une expertise est nécessaire pour déterminer la cause de son état, qui, d’après son médecin traitant, est due vraisemblablement aux substances nocives auxquelles il a été exposé.

Il relève que l'emphysème pulmonaire dont il est atteint demeure inexpliqué.

Il en tire la conclusion que l'instruction de son dossier est incomplète.

b. Invitée à se déterminer, l’intimée, dans sa réponse du 28 juin 2022, a conclu au rejet du recours.

L’intimée considère avoir dûment établi que l'origine des troubles du recourant ne réside pas dans une maladie professionnelle, puisque les appréciations des Drs D______ et E______, dont elle estime qu’elles doivent se voir reconnaître pleine valeur probante, écartent l'existence d'une cause professionnelle auxdits troubles. Cela suffit, en ce sens qu’il ne lui revient pas de rechercher la cause non professionnelle à ces troubles.

L’intimée fait remarquer que le Dr F______ n'attribue pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, l'origine des troubles à une cause professionnelle, mais évoque une simple possibilité. Aucun rapport médical au dossier ne permet de considérer que la symptomatologie du recourant serait due exclusivement ou de manière prépondérante (à plus de 50%) à une cause professionnelle.

c. Dans sa réplique du 1er septembre 2022, le recourant s’étonne qu’alors que ni l'intimée, ni ses médecins traitants ne sont parvenus à identifier la cause de ses symptômes pulmonaires, la première, paradoxalement, affirme qu’elle n’est pas professionnelle.

d. Dans sa duplique du 14 septembre 2022, l'intimée a persisté dans ses conclusions.

e. Le 2 février 2023, s’est tenue une audience de comparution personnelle des parties.

Le recourant, assisté d'une interprète en langue albanaise, a expliqué avoir travaillé vingt ans dans le bâtiment. Depuis 2015, des problèmes respiratoires, une toux, des maux de tête associés, ainsi que de la fatigue sont apparus, qu'il attribue aux produits utilisés. Il a parfois porté un masque, parfois non. La situation s'améliorait sous traitement, mais sa capacité respiratoire restait réduite de 40%.

Le recourant a entrepris depuis neuf mois un stage de responsable d'immeuble. En fin de journée, il éprouve toujours des difficultés à respirer, même s'il n'utilise plus de produits toxiques. Malgré cette non-exposition, il rencontre toujours des problèmes, dès qu'il se met en mouvement.

Il n'a jamais fumé, ni joué d'instrument à vent, ni soufflé de verre. À ses yeux, le lien de causalité est donc clair entre l'utilisation des produits et son état de santé. D’ailleurs, lors de sa dernière IRM, le radiologue lui a demandé s'il fumait, car il y avait « un brouillard » dans le poumon droit.

A l’issue de l’audience, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

f. Les autres faits seront repris - en tant que de besoin - dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours (du 10 juin 2022) a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où la maladie professionnelle dont le recourant se plaint s'est déclarée après cette date (le traitement médical a eu lieu pour la première fois en 2019 et où l'incapacité de travail remonte au 5 octobre 2020 (cf. art. 9 al. 3 LAA ; dossier intimée pièces 1, 2, 9, 15), le droit aux prestations d'assurance est soumis au nouveau droit (cf. al. 1 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

6.             Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations de l'assurance-accidents, au titre de maladie professionnelle, pour les troubles pulmonaires dont il souffre.

7.              

7.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.

7.2 Selon l'art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l'exercice de l'activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux ; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu'ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence - à laquelle renvoie l'art. 14 de l'ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202) -, le Conseil fédéral a dressé à l'annexe I de l'OLAA la liste des substances nocives, d'une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d'autre part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive. Selon la jurisprudence, l'exigence d'une relation prépondérante requise par l'art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l'action d'une substance nocive mentionnée à l'annexe 1 de l'OLAA (arrêt du Tribunal fédéral 8C_626/2021 du 19 janvier 2022 consid. 3.2 et les références).

7.3 Aux termes de l'art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu'elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l'exercice de l'activité professionnelle. Il s'agit là d'une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l'annexe 1 de l'OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l'exercice de l'activité professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_516/2020 du 3 février 2021 consid. 3.2.1 et les références).

7.3.1 Selon la jurisprudence, la condition d'un lien exclusif ou nettement prépondérant au sens de l'art. 9 al. 2 LAA - parfois appelé causalité qualifiée - n'est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l'exercice de l'activité professionnelle. Le Tribunal fédéral a précisé que ce taux de 75% signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d'une profession déterminée, qu'il doit être démontré, sur la base des statistiques épidémiologiques ou des expériences cliniques, que les cas de lésions pour un groupe professionnel déterminé sont quatre fois plus nombreux que ceux enregistrés dans la population en général (arrêt 8C_516/2020 précité consid. 3.2.2 et les références).

7.3.2 Le Tribunal fédéral a relevé que, compte tenu du caractère empirique de la médecine, lorsqu'une preuve directe ne peut pas être apportée à propos d'un état de fait médical, il est nécessaire de procéder à des comparaisons avec d'autres cas d'atteinte à la santé, soit par une méthode inductive ou par l'administration de la preuve selon ce mode. Dans ce cadre, la question de savoir si et dans quelle mesure la médecine peut, au regard de l'état des connaissances dans le domaine particulier, donner ou non d'une manière générale des informations sur l'origine d'une affection médicale joue un rôle décisif dans l'admission de la preuve dans un cas concret. S'il apparaît comme un fait démontré par la science médicale qu'en raison de la nature d'une affection particulière, il n'est pas possible de prouver que celle-ci est due à l'exercice d'une activité professionnelle, il est hors de question d'apporter la preuve, dans un cas concret, de la causalité qualifiée (arrêt 8C_516/2020 précité consid. 3.2.3 et les références).

7.3.3 Il découle de ce qui précède (cf. consid. 7.3.2 supra) que, dans la mesure où la preuve d'une relation de causalité qualifiée (proportion d'au moins 75%) selon l'expérience médicale ne peut pas être apportée de manière générale (par exemple en raison de la propagation d'une maladie dans l'ensemble de la population, qui exclut la possibilité que la personne assurée exerçant une profession particulière soit affectée par une maladie au moins quatre fois plus souvent que la population moyenne), l'admission de celle-ci dans le cas particulier est exclue. En revanche, si les connaissances médicales générales sont compatibles avec l'exigence légale d'une relation causale nettement prépondérante, voire exclusive entre une affection et une activité professionnelle déterminée, il subsiste alors un champ pour des investigations complémentaires en vue d'établir, dans le cas particulier, l'existence de cette causalité qualifiée (arrêt 8C_516/2020 précité consid. 3.2.4 et les références).

7.4 Ces principes valent pour l’examen de la relation de causalité exclusive ou (nettement) prépondérante sous l’angle de l’al. 1 comme de l’al. 2 de l’art. 9 LAA. Pour le lien de causalité entre une maladie et les substances nocives ou les travaux en cause au sens du premier alinéa, est cependant déterminante la mesure dans laquelle le risque d’être atteint par la maladie en raison de l’exposition à certaines substances nocives est augmenté compte tenu des données épidémiologiques. Il convient de se fonder sur le risque relatif (r-1), c’est-à-dire sur le rapport de probabilité de tomber malade entre des personnes exposées et celles qui ne le sont pas au sein d’une population déterminée, pour une période de temps délimitée. Dès lors que la cause prépondérante au sens de l’art. 9 al. 1 LAA n’est réalisée que si les substances nocives participent à plus de 50% de l’ensemble des causes à la survenance de la maladie, le risque relatif doit être supérieur à 2 (Jean-Maurice FRÉSARD / Margrit MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], 3ème éd., 2016, n. 165).

7.5 Selon la jurisprudence, l'aggravation d'un état maladif antérieur par des substances ou des travaux figurant sur la liste établie par le Conseil fédéral conformément à l'art. 9 al. 1 LAA ou par l'exercice de l'activité professionnelle au sens de l'art. 9 al. 2 LAA est assimilée à une affection provoquée par ces mêmes causes (ATF 117 V 354 ; cf. ATF 108 V 158).

8.              

8.1 Pour constater l'existence d'une atteinte à la santé en lien avec l'exercice d'une activité professionnelle, le juge doit se fonder sur des rapports médicaux auxquels on peut attribuer un caractère probant suffisant selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_800/2019 du 18 novembre 2020 consid. 3.2 et les références).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

8.3 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

8.3.1 Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 et les références ; ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4). 

8.3.2 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

10.         Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I.751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

11.          

11.1 En l'espèce, il ressort du dossier que le recourant, qui souffre d'un emphysème pulmonaire (dossier intimée pièces 29, 101, 113), présente une toux sèche (pièces 29, 50, 113).

Dans son appréciation du 23 novembre 2021, le Dr D______, médecin du travail à la SUVA, a relevé que le recourant était exposé à des poussières de chantier et à des peintures dans le cadre de son travail (dossier intimée pièce 101). Dans la mesure où le recourant n'a pas effectué des travaux dans les poussières de coton, de chanvre, de lin, de céréales et de leurs farines, d'enzymes, de moisissures et autres poussières organiques lors de son activité auprès de l'entreprise assurée, le cas ne relève pas du ch. 2 let. b annexe 1 OLAA.

Par contre, dans son appréciation du 17 mars 2021, le Dr C______, également médecin du travail à la SUVA, a, sur la base des fiches de données de sécurité des produits chimiques utilisés au sein de l'entreprise assurée, mentionné que le recourant, dans le cadre de son activité professionnelle, manipulait des colles et des liants à base de plâtre (sulfate de calcium) ou de carbonate de calcium, et des peintures siloxanes, alkydes ou acryliques (peinture en phase aqueuse ou solvant ; dossier intimée pièce 50 p. 2). Il s'avère donc que le recourant a été exposé, dans son activité professionnelle, à des substances dont certaines sont énumérées dans la liste des substances nocives dressée par le Conseil fédéral, telles que l'acide sulfurique, ses sels (sulfates) et esters (ch.1 annexe I OLAA).

Par conséquent, le cas relève à la fois de l'al. 1 et de l'al. 2 de l'art. 9 LAA. Pour qu'on puisse admettre l'existence d'une maladie professionnelle, il faut dès lors que l'affection présentée par le recourant ait été provoquée, ou, cas échéant aggravée, pour plus de 50% par l'action des substances nocives de la liste en cause ou pour plus de 75% par l'exercice de l'activité professionnelle en relation avec les autres substances en question.

Dans son appréciation du 24 décembre 2021 (dossier intimée pièce 113), sur laquelle se fonde la décision litigieuse, la Dre E______, médecin du travail et pneumologue à la SUVA, exclut, en s'appuyant sur les pièces médicales au dossier, l'existence d'une hyperréactivité bronchique, d'une BPCO et d'un asthme bronchique. Elle considère que la symptomatologie de toux sèche est imputable le plus vraisemblablement au reflux gastro-œsophagien (ou à un écoulement post-nasal). Elle explique que les principales causes d'un emphysème pulmonaire sont la BPCO ou un déficit en alpha-1-antitrypsine, lesquels n'ont cependant pas été objectivés chez le recourant, non-fumeur. Selon elle, ce dernier, qui n'a pas travaillé dans les mines de charbon, l'industrie textile, céréalière et du bois, n'a pas pu développer l'emphysème en inhalant les poussières dans ces milieux durant plusieurs années. Elle relève que les musiciens professionnels qui jouent des instruments à vent ou les souffleurs de verre peuvent présenter un emphysème en raison d'une distension des alvéoles due aux pressions exercées sur les poumons.

Ceci dit, dans son rapport du 25 novembre 2021, le Dr D______ avait fait part de la nécessité d'investigations complémentaires sur le plan digestif en relation avec le reflux gastro-œsophagien ‒ qui n'ont pas été réalisées ‒, tout en employant le conditionnel pour qualifier le lien de causalité entre la maladie digestive et la symptomatologie de toux sèche (« le reflux gastro-œsophagien "pourrait" jouer un rôle non négligeable dans les symptômes de l'assuré »). Le Dr F______, médecin ORL traitant, a également utilisé le conditionnel pour conclure que le reflex gastro-œsophagien ne « pourrait » pas à lui seul expliquer complètement la symptomatologie du recourant (rapport du 25 mars 2022). C'est dire qu'on ignore sur la base de quel élément objectif médical la Dre E______ parvient à établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, un lien entre le reflux gastro-œsophagien et la toux sèche du recourant. D'autant plus que, vu l'absence de diagnostic précis pouvant expliquer les plaintes du recourant, le Dr D______ avait invité la Dre E______ à examiner l'opportunité de faire procéder à un scanner en coupes fines, à la recherche d'une pathologie plus rare au niveau pulmonaire (rapport du 25 novembre 2021 ; dossier intimée pièce 108). Or, la Dre E______ ne s'est pas prononcée à ce sujet, tout en reconnaissant que l'emphysème pulmonaire a été objectivé, sans avoir toutefois donné une indication précise sur son étiologie. En particulier, elle ne s'est nullement déterminée quant à l'incidence ou non sur les troubles du recourant des substances chimiques qu'il a utilisées dans son activité.

Certes, le Dr F______ a fait état d'une origine multifactorielle de l'affection, aggravée par l'environnement professionnel (rapport du 25 mars 2022 ; dossier intimée pièce 136) ; le recourant présente une réaction positive pour l'olivier, le frêne, le noisetier et les acariens, ainsi qu'un reflux gastro-œsophagien (dossier intimée pièces 12, 74, 107). Cela étant, même en présence d'une affection endogène et d'une disposition atopique, il y a lieu d'examiner si une aggravation de l'état de santé a été causée essentiellement ou d'une manière prépondérante par les substances en cause ou l'activité professionnelle exercée (soit si l'aggravation est due pour plus de 50% à l'action des substances nocives, respectivement pour plus de 75% à cette activité ; cf. arrêt du Tribunal fédéral U.35/05 du 12 janvier 2006 conid. 4.2). Or, le dossier ne contient aucun avis circonstancié sur ce point.

C'est le lieu de relever que l'affection du recourant, non-fumeur, qui ne joue pas d'un instrument à vent, ni ne souffle de verre (dossier intimée pièce 136 ; procès-verbal de comparution personnelle des parties du 2 février 2023), a régressé pendant l'arrêt de travail (dossier intimée pièces 29, 50,136). Or, la Dre E______ n'a pas tenu compte de ce facteur.

Enfin, la Dre E______ n'a pas indiqué s'il existe des données épidémiologiques qui permettraient de considérer que l'exposition aux substances chimiques par le recourant a entraîné pour lui un risque deux fois, voire quatre fois plus important de développer l'affection pulmonaire.

Il ressort de ce qui précède que la Dre E______ n'a pas procédé à une étude fouillée du cas.

11.2 En conséquence, son appréciation ne répond pas aux exigences de la jurisprudence relative à la valeur probante d'un tel document sur le point ici déterminant du caractère de maladie professionnelle de la pathologie dont souffre le recourant.

Si, en l'état du dossier, l'existence d'une maladie professionnelle ne peut être établie au degré de la vraisemblance prépondérante, on ne saurait pourtant nier d'emblée tout caractère professionnel à l'affection dont souffre le recourant. Il est dès lors nécessaire de recourir à une expertise indépendante (art. 44 LPGA) pour déterminer si et dans quelle mesure cette affection a été contractée par le recourant dans l'exercice de son travail. À cette fin, la cause est renvoyée à l'intimée pour complément d'instruction et nouvelle décision. Un renvoi à l'administration se justifie d'autant plus que l'intimée a insuffisamment instruit le dossier.

L'expert qui sera mandaté est invité à répondre de manière circonstanciée aux questions ici en suspens.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis, la décision litigieuse annulée, et la cause renvoyée à l'intimée afin qu'elle procède conformément aux considérants.

Le recourant, représenté par un avocat, obtenant partiellement gain de cause, une indemnité lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]), fixée en l'espèce à CHF 3'000.-.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 13 mai 2022.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 3'000.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le