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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1739/2020

ATAS/674/2023 du 31.08.2023 ( AI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 24.10.2023, 8C_665/2023
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1739/2020 ATAS/674/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 31 août 2023

Chambre 3

 

En la cause

Madame A______
représentée par Maître Michael RUDERMANN

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née en ______ 1978, ayant exercé l’activité d’éducatrice en crèche à 100% depuis 2001, en arrêt de travail depuis le 25 octobre 2013 en raison d’une dépression sévère, a déposé une première demande de prestations en juin 2015, rejetée par l'Office de l'assurance‑invalidité (ci-après : l'OAI) par décision du 5 juin 2015, à l’issue d’une instruction ayant permis de recueillir, notamment, les éléments suivants :

-       un rapport du docteur B______ du 30 juin 2014, concluant à un état dépressif consécutif à un divorce compliqué ayant entraîné une totale incapacité de travail du 21 mai au 1er août 2013 ;

-       un rapport d’employeur faisant mention de nouvelles incapacités de travail de 100%, du 25 octobre 2013 au 5 janvier 2014, de 50%, du 6 janvier au 30 mars 2014, puis à nouveau de 100%, du 31 mars au 31 juillet 2014 ;

-       un rapport du docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, du 31 juillet 2014, concluant à l’existence d’un trouble affectif bipolaire et à une anxiété généralisée ; la patiente souffrait d’un trouble bipolaire de type II depuis de nombreuses années, surtout sur un mode dépressif majeur ; lorsqu’il l’avait évaluée pour la première fois, en octobre 2013, elle traversait un épisode dépressif majeur caractérisé par une humeur dépressive et anxieuse, une anhédonie avec baisse de l’élan vital et de la motivation, une désafférentation sociale, des troubles de la concentration et de l’attention, une fatigue quasi constante et des troubles du sommeil ; au vu de la sévérité des symptômes anxio-dépressifs, elle avait beaucoup de difficultés à accomplir les tâches professionnelles et avait dû être mise en arrêt maladie ; suite à l’introduction d’un traitement antidépresseur, la patiente s’était progressivement améliorée et avait pu reprendre une activité à 50%, avant que son état clinique ne se péjore à nouveau en février 2021 (humeur dépressive avec symptômes cognitifs importants ayant pour conséquence des difficultés à s’organiser et à gérer son quotidien ; le médecin escomptait une reprise de l’activité professionnelle à 50% à compter d’octobre ou novembre 2014 ;

-       un rapport d’expertise établi le 16 septembre 2014 par le docteur D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à l’intention de l’assurance perte de gain, concluant à un épisode dépressif récurrent sévère sans symptômes psychotiques en rémission partielle pouvant désormais être qualifié de légèrement symptomatique ; étaient également mentionnés à titre de diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail des accentuations de certains traits de la personnalité (anxieuse) non décompensés et des troubles hyperkinétiques avec déficit de l’attention traités ; tenant compte de l’ensemble du tableau clinique – y compris du déconditionnement de l’assurée –, l’expert arrivait à la conclusion que la capacité de travail médico‑théorique dans l’activité habituelle serait de 0% jusqu’au 14 octobre 2014, de 20% du 15 au 31 octobre 2014, de 50% du 1er au 30 novembre 2014, puis de 100%, sans diminution de rendement, à compter du 1er décembre 2014 ;

-       un avis émis par le Service médical régional de l’AI (ci-après : SMR) le 21 janvier 2015, après mise en place de mesures de coaching, notant que, contrairement au psychiatre traitant, l’expert D______ ne retenait pas le diagnostic de trouble bipolaire au vu des résultats des tests psychométriques et de l’anamnèse, que l’assurée ne bénéficiait d’ailleurs d’aucun traitement stabilisateur de l’humeur, que l’expert n’avait pas retenu non plus le diagnostic de trouble anxieux, vu l’évaluation clinique et psychométrique, que l’assurée ne prenait pas non plus de traitement anxiolytique, que l’évolution de la thymie avait été progressivement favorable, mais qu’il restait cependant des limitations fonctionnelles (fatigabilité et ralentissement psychomoteur discret) nécessitant une reprise progressive de l’activité habituelle – adaptée – à compter d’octobre 2014 ; cette amélioration permettait un pronostic psychiatrique favorable et une pleine capacité de travail à compter du 1er décembre 2014 ; au vu de la nature de la psychopathologie, une rechute dépressive n’était cependant pas à exclure.

b. Le 2 juillet 2015, l’intéressée a interjeté recours contre cette décision avant de se dédire, ce dont la Cour de céans a pris acte le 8 septembre 2015 (ATAS/676/2015).

B. a. Une nouvelle demande a été déposée le 24 novembre 2016 par l’assurée. Ont alors été versés au dossier :

-       le dispositif d’une ordonnance du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) du 15 avril 2016, instituant une curatelle de représentation avec gestion du patrimoine en faveur de l’assurée et désignant deux co‑curateurs afin de la représenter dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d’affaires administratives et juridiques et de logement, pour gérer ses revenus et biens, ainsi que pour administrer ses affaires courantes ;

-       un certificat établi le 30 septembre 2016 par le professeur E______, médecin aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), responsable de l’unité de la régulation émotionnelle, expliquant que l’assurée souffrait d’un trouble dépressif récurrent de longue date qui avait atteint une intensité sévère depuis octobre 2015, se manifestant par d’importants troubles de la concentration, un manque d’élan vital, une forte anhédonie, une tristesse avec sentiments de dévalorisation et de culpabilité, une incapacité à tolérer le moindre stress et des idées suicidaires importantes ; ces symptômes induisaient une incapacité totale de travail ; malgré le traitement antidépresseur et celui appliqué pour un trouble du déficit de l’attention-hyperactivité (TDA-H) comorbide, la patiente restait incapable d’exercer la moindre activité lucrative en raison de son hypersensibilité aux stress environnementaux et de la fragilité de sa thymie ;

-       un rapport du Prof. E______ du 26 avril 2017, retenant les diagnostics de perturbation de l’activité et de l’attention présente depuis l’enfance et de trouble dépressif récurrent désormais en rémission, présent depuis 2006 ; le médecin précisait que, bien que l’état dépressif soit en rémission, la patiente restait extrêmement vulnérable à la reprise d’une activité lucrative et à toute remise en situation professionnelle normale ; l’état dépressif était resté d’intensité sévère de 2014 à début 2016, date à laquelle la patiente avait commencé à répondre au traitement médicamenteux de manière adéquate, avec une rémission à partir de mi-2016 ; persistaient toutefois une difficulté à tolérer le stress et une fragilité l’exposant à une rechute en cas de reprise du travail ; s’y ajoutait un TDA-H qui fragilisait les capacités de l’intéressée à tolérer les situations stressantes : les déficits d’attention et la difficulté de planification et gestion des tâches rendaient difficile l’exercice au long court d’une activité lucrative normale ; l’incapacité était totale dans l’activité habituelle, éventuellement de 50% dans une activité adaptée, c’est-à-dire permettant de minimiser le stress et les contacts avec la hiérarchie, et de pouvoir adapter les horaires à la pathologie ; cette activité devrait prendre en compte les déficits d’attention, les difficultés de planification et de gestion, l’intolérance au stress et pourrait alors être envisagée à raison de quatre heures par jour ;

-       un avis émis par le SMR en date du 12 janvier 2018 indiquant que l’on pouvait admettre une incapacité de travail totale depuis octobre 2016 dans l’activité habituelle et une capacité réduite à 50% dans une activité adaptée ;

-       un calcul du degré d’invalidité effectué le 19 janvier 2018 concluant, après comparaison du revenu avant invalidité (CH 68'329.-) au revenu d’invalide (CHF 23'307.- [Enquête suisse sur la structure des salaires 2012 TA1_tirage_skill_level = 4'112.- CHF/mois pour 40 h./sem. en 2012 = 4'287.- CHF/mois pour 41,7 h./sem. en 2012 = 51'441.- CHF/an en 2012 = 51'793.- CHF/an en 2013 = CHF 23'307.- à mi-temps, après réduction supplémentaire de 10% pour tenir compte du fait que seule une activité partielle est possible]), à un degré d’invalidité de 65,89% ;

-       un rapport détaillé du Prof. E______ du 23 novembre 2018 répondant à diverses questions de l’OAI et confirmant les diagnostics déjà énumérés précédemment ; le médecin indiquait que, depuis son dernier rapport, sa patiente avait essayé de reprendre une activité dans un contexte protégé auprès des Établissements publics pour l’intégration (ci-après : EPI) ; cette expérience avait été un échec complet, l’intéressée n’ayant pas supporté le stress, même dans une structure adaptée ; cela avait conduit à une recrudescence d’affects anxio‑dépressifs majeurs ayant conduit à stopper la mesure en raison du risque de rechute dans une dépression sévère ; la thymie était triste, avec une difficulté à se projeter dans l’avenir, un sentiment de dévalorisation et de culpabilité, une recrudescence du trouble dépressif récurrent ; s’y ajoutaient des symptômes en lien avec le TDA-H, à savoir un discours fluide, mais très digressif, avec une difficulté à rester en place et d’importants troubles de l’attention ; l’intéressée était souvent débordée par le simple fait de devoir s’occuper de son domicile et de son enfant ; elle était extrêmement susceptible au moindre changement dans son quotidien, avait de la peine à s’organiser, à planifier les tâches de base comme le ménage, les loisirs ou les activités sociales ; elle était passablement isolée, vite débordée, ce qui pouvait aboutir à des stress majeurs et à une recrudescence des symptômes anxio-dépressifs ; elle disposait de très peu de ressources et isolée socialement ; bien qu’elle présentât une aptitude à la communication plus ou moins satisfaisante et se montrât motivée aux changements, elle disposait d’extrêmement peu de ressources pour supporter des stress, même dans des structures adaptées comme les EPI ; la capacité de travail restait de 0% depuis 2014 en raison des difficultés d’organisation et de planification des tâches en lien avec le TDA-H, situation péjorée par la succession d’épisodes dépressifs désormais en rémission ; persistaient néanmoins des symptômes résiduels se manifestant par une difficulté de gestion du stress ou de répondre à des demandes très précises ; l’observance thérapeutique était tout à fait satisfaisante ;

-       un rapport des EPI du 26 novembre 2018 indiquant un taux de présence de 21% (7 jours sur 33) et relevant que l’assurée s’était retrouvée en difficulté lors d’exercices complexes (erreurs fréquentes, rythme de travail allant en diminuant, fatigue, perte d’attention) ;

-       un rapport d’examen neuropsychologique du 20 janvier 2020 de Madame F______, psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP, rappelant que l’assurée avait effectué une scolarité obligatoire sans souci particulier, avant d’obtenir un diplôme de l’École de culture générale, puis de travailler plusieurs années à plein temps et d’obtenir en 2010 un diplôme d’éducatrice de la petite enfance ; en 2013, elle avait souffert d’un premier épisode dépressif, puis d’un second, en 2016 ; l’examen neuropsychologique mettait en évidence une collaboration satisfaisante avec une mobilisation irrégulière des ressources et divers signes de majoration de symptômes ; les observations cliniques montraient une certaine désorganisation dans les activités de la vie quotidienne et une légère impatience motrice en fin d’examen qui, associées aux plaintes, pouvaient évoquer un léger trouble déficitaire de l’attention présent depuis l’enfance ; cependant les troubles mnésiques mis en évidence manquaient de cohérence et ne pouvaient être retenus face à l’échec de plusieurs mesures de validation de symptômes évoquant une majoration probable de ceux-ci ; les troubles neuropsychologiques étaient peu spécifiques, mais le diagnostic de léger trouble déficitaire de l’attention présent depuis l’enfance restait vraisemblable ; en définitive, la neuropsychologue retenait le diagnostic de trouble minime à léger au sens des critères de l’Association suisse de neuropsychologie, sans répercussion significative sur la capacité de travail chez une assurée n’ayant consulté aucun spécialiste durant l’enfance et ayant réussi sa scolarité et sa formation, y compris une formation en cours d’emploi et une bonne douzaine d’années de travail à plein temps sans difficulté particulière, pouvant tout au plus et dans des conditions exigeantes sur le plan attentionnel, justifier une légère baisse de rendement de 10% ;

-       le rapport d’expertise du docteur G______ du 30 janvier 2020 concluant que le trouble dépressif récurrent était désormais en rémission et récusant le diagnostic de TDA-H en se référant aux conclusions de Mme F______ ; selon l’expert, l’hyperactivité, trouble central purement neurobiologique, serait curable par psychostimulants ; qui plus est, les troubles dépressifs et anxieux dans leur phase aiguë allaient toujours de pair avec des troubles attentionnels ; l’expert ajoutait que, dans la règle, l’évolution naturelle du TDA-H allait vers l’atténuation des symptômes avec l’âge ; selon lui, il n’était dès lors pas vraisemblable qu’une pathologie neurobiologique sans incidence majeure sur la scolarité et la formation professionnelle devienne soudain incapacitante à l’approche des 40 ans de l’assurée ; en revanche, l’expert retenait le diagnostic de personnalité avec traits dépendants et anxieux non incapacitante ; selon lui, la perte d’attention n’était pas conséquente et la fatigue pas suffisante pour justifier une baisse objectivable du fonctionnement professionnel ; la capacité de travail était de 100% depuis avril 2016, mais en tout cas depuis avril 2017 dans toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée, avec une réduction de rendement de 10% ;

-       un nouvel avis du SMR du 5 mars 2020 se ralliant à l’avis de l’expert.

b. Le 6 mars 2020, l’OAI a adressé à l’assuré un projet de décision dont il ressortait qu’il se proposait de lui nier tout droit à des prestations, faute d’atteinte à la santé invalidante.

c. Le 18 mars 2020, ce projet a été contesté par le Dr E______ qui s’en est déclaré extrêmement surpris et a maintenu que sa patiente était incapable d’exercer la moindre activité lucrative en raison de symptômes attentionnels, hyperactifs et impulsifs.

d. Par décision du 20 mai 2020, l’OAI a nié le droit à toute prestation à l’assurée en se référant à l’expertise du Dr G______.

e. Le 8 juin 2020, le Prof. E______ a adressé un courrier à l’OAI dans lequel il a fait part de son étonnement sur plusieurs points de l’expertise effectuée par le Dr G______, dont il a estimé qu’il méconnaissait de toute évidence le TDA-H et n’avait pas les compétences pour mener une expertise à ce titre.

Le médecin expliquait que le TDA-H est avant tout et essentiellement un trouble qui doit être diagnostiqué sur la base d’une anamnèse, qu’un test neuropsychologique n’était d’aucune utilité chez l’adulte et que ce n’est pas parce qu’un patient a réussi à traverser les années scolaires sans difficultés que cela permet d’exclure un TDA-H.

Selon lui, l’assurée était de toute évidence incapable de travailler en raison du trouble objectivé par ses soins dans un centre spécialisé.

C. a. Par écriture du 19 juin 2020, l’assurée a interjeté recours contre la décision du 20 mai 2020 en concluant préalablement à l’audition du Dr E______, à la mise sur pied d’une expertise auprès d’un spécialiste du TDA-H et, quant au fond, à l’octroi d’une rente.

b.  Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 13 juillet 2020, a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique du 24 juillet 2020, la recourante a persisté dans ses conclusions en reprenant les arguments développés par son psychiatre traitant en juin 2020 et en rappelant que le Prof. E______ est un éminent spécialiste du TDA-H et qu’il a expliqué en détail les raisons pour lesquelles l’expertise du Dr G______ ne pouvait se voir reconnaître pleine valeur probante.

d. Le 18 mai 2021, la Cour de céans a ordonné une expertise judiciaire (ATAS/464/2021), qu’elle a confié au docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et au bénéfice d’une expérience dans le domaine du TDA-H.

Elle a jugé que l’expertise du Dr G______ ne pouvait se voir reconnaître valeur probante. Certes, le rapport de l’expert était détaillé et comportait une anamnèse, ainsi qu’un résumé des plaintes subjectives de la recourante, l’expert avait expliqué les raisons pour lesquelles il s’écartait de l’avis du professeur (l’assurée avait effectué une scolarité sans problèmes particuliers, avait obtenu plusieurs diplômes et travaillait durant des années, d’une part, le TDA-H s’atténuait avec l’âge, d’autre part). Cependant, le Dr G______ n’était pas spécialiste de cette pathologie et ses arguments avaient été réfutés par le Prof. E______, dont c’était précisément le domaine de spécialisation. Il n’appartenait pas à la Cour de céans de trancher ce débat entre praticiens. Par ailleurs, la recourante avait dû être mise au bénéfice d’une curatelle en bonne et due forme, ce qui apparaissait pour le moins contradictoire avec la modicité des troubles retenue par l’expert et la neuropsychologue. Il était dans ces conditions nécessaire de procéder à des investigations complémentaires sur le plan psychique.

e. Le 28 mars 2023, la docteure I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a adressé à l’OAI – qui l’a transmis à la Cour de céans – un courrier intitulé « rapport médical spontané », dans lequel elle explique avoir débuté le suivi psychiatrique et psychothérapeutique de la recourante en mai 2021. Ce suivi régulier, l’analyse du dossier, des discussions avec le médecin traitant et Madame J______, psychologue, l’ont conduite à poser un diagnostic de trouble bipolaire de type II (déjà évoqué par le Dr C______ en 2014) avec un diagnostic différentiel de TDA-H. Elle explique que, pour elle, ce diagnostic ne fait aucun doute car elle a suivi la patiente chaque semaine durant l’épisode dépressif sévère qui a duré de septembre 2021 à mars 2022 et pendant l’épisode hypomaniaque qu’elle a traversé durant l’été 2021. Le 15 mars 2022, un traitement de stabilisateur de l’humeur a débuté, accompagné d’un suivi psychiatrique infirmier à domicile pour la gestion du traitement et les soins d’hygiène. Depuis des années, la patiente traverse des épisodes sévères de dépression d’une durée approximative de six à douze mois, qui étaient déjà présents pendant l’enfance ; elle a également fait une dépression post-partum et il y a des antécédents familiaux psychiatriques. Selon le médecin, la recourante n’a pas été diagnostiquée correctement ni traitée en conséquence.

Ce rapport a été transmis à l’expert.

f. Ce dernier a finalement rendu son rapport en date du 26 septembre 2022.

En substance, il retient à titre de diagnostics ayant une influence sur la capacité de travail : un trouble hyperkinétique avec perturbation de l’activité et de l’attention, un trouble dépressif récurrent sévère sans caractéristiques psychotiques, un trouble bipolaire dépressif et une personnalité anxieuse et anankastique.

L’expert conclut à une capacité de travail de 0% dans l’activité habituelle depuis octobre 2013. Il explique que les tentatives de reprise d’activité depuis lors ont été des échecs qui sont non pas le reflet d’un manque de collaboration, mais l’expression de la sévérité des symptômes. Il préconise la poursuite des thérapies déjà mises en place.

g. Par écriture du 13 octobre 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions en l’octroi d’une rente à compter de mai 2017, soit six mois après le dépôt de sa nouvelle demande du 24 novembre 2016.

h. Pour sa part, l’intimé conclut au rejet du recours. S’appuyant sur un avis du SMR, il considère que l’expertise judiciaire serait lacunaire et contradictoire et ne pourrait dès lors se voir reconnaître de valeur probante.

i. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance‑invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la Cour de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 82a LPGA).

4.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

5.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

6.             Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à des prestations de l’assurance-invalidité, plus particulièrement sur la question de savoir si, depuis juin 2015, son état de santé s’est péjoré au point de lui ouvrir droit à une rente.

7.              

7.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

7.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, telle la classification internationale des maladies (ci-après : CIM) ou le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual) (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

7.3 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).

Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d'exclusion définis dans l'ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; ATF 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).

7.4 L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).

7.5 Pour des motifs de proportionnalité, on peut renoncer à une appréciation selon la grille d’évaluation normative et structurée si elle n’est pas nécessaire ou si elle est inappropriée. Il en va ainsi notamment lorsqu’il n’existe aucun indice en faveur d’une incapacité de travail durable ou lorsque l’incapacité de travail est niée sous l’angle psychique sur la base d’un rapport probant établi par un médecin spécialisé et que d’éventuelles appréciations contraires n’ont pas de valeur probante du fait qu’elles proviennent de médecins n’ayant pas une qualification spécialisée ou pour d’autres raisons (arrêts du Tribunal fédéral 9C_101/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3 et la référence ; 9C_724/2018 du 11 juillet 2019 consid. 7). En l’absence d’un diagnostic psychiatrique, une telle appréciation n’a pas non plus à être effectuée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2).

7.6 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence). 

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

-          Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3),

A.    Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.     Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.     Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-          Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

8.              

8.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui – en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part –, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

8.3 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

8.4 Le fait qu'une expertise psychiatrique n'a pas été établie selon les nouveaux standards – ou n'en suit pas exactement la structure – ne suffit pas pour lui nier d'emblée toute valeur probante. En pareille hypothèse, il convient bien plutôt de se demander si, dans le cadre d'un examen global, et en tenant compte des spécificités du cas d'espèce et des griefs soulevés, le fait de se fonder définitivement sur les éléments de preuve existants est conforme au droit fédéral. Il y a lieu d'examiner dans chaque cas si les expertises administratives et/ou les expertises judiciaires recueillies – le cas échéant en les mettant en relation avec d'autres rapports médicaux – permettent ou non une appréciation concluante du cas à l'aune des indicateurs déterminants (ATF 141 V 281 consid. 8 ; ATF 137 V 210 consid. 6 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_808/2019 du 18 août 2020 consid. 5.2. et 9C_109/2018 du 15 juin 2018 consid. 5.1).

8.5 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

10.         Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références ; ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b ; ATF 122 V 157 consid. 1d).

11.         En l’espèce, l’intimé conteste la valeur probante de l’expertise judiciaire en produisant à l’appui de sa position un avis émis par le SMR.

C’est le lieu de souligner qu’en principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Comme rappelé supra, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions.

En l’occurrence, le rapport d’expertise judiciaire se base sur le dossier médical, des renseignements médicaux psychiatriques obtenus auprès de la Dre I______, du Dr C______ et du Prof. E______, la lecture des expertises médicales des Drs D______ et G______, deux entretiens avec l’expertisée et des examens neuropsychologiques effectués par Madame K______, psychologue-psychothérapeute FSP et neuropsychologue auprès de l’Institut clinique des neurosciences. L’expert s’est livré à une anamnèse détaillée et s’est fait le relais des plaintes de l’assurée. Puis il a expliqué qu’elles avaient été ses observations cliniques, les diagnostics retenus et a discuté ceux-ci. Formellement, son rapport remplit donc tous les réquisits jurisprudentiels.

L’intimé argue tout d’abord que le status décrit par l’expert et l’anamnèse ne correspondraient pas au tableau clinique d’un individu atteint d’une dépression dont l’intensité doit être qualifiée de sévère. Ce faisant, il tente de substituer sa propre appréciation à celle de l’expert – ce qui n’est déjà pas admissible en soi. Qui plus est, l’appréciation de l’expert quant à la sévérité de l’atteinte est d’autant moins sujette à caution qu’elle est corroborée non seulement par les descriptions faites par le Dr C______ et le Prof. E______ – qui, tous deux, ont décrit la sévérité des symptômes –, mais également par le fait que la mise sur pied d’une curatelle a été jugée nécessaire par le TPAE en avril 2015, après qu’il a été constaté que la recourante était dans l’incapacité de gérer ses affaires administratives et courantes. On ajoutera enfin que l’expert a souligné que les plaintes de la recourante étaient objectivées aussi bien par l’évaluation clinique que neuropsychologique.

L’intimé reproche ensuite à l’expert d’avoir mentionné le diagnostic de trouble bipolaire au nombre de ceux retenus alors qu’il l’a écarté dans son rapport. Il est vrai que l’expert a indiqué n’avoir pour sa part pas trouvé d’éléments cliniques clairs appuyant un diagnostic de trouble bipolaire mixte. Il a émis l’opinion que l’épisode hypomaniaque décrit par la Dre I______ pourrait être développé dans le cadre d’une réaction au deuil des parents de l’assurée. Néanmoins, il a admis que le caractère cyclique et saisonnier de la symptomatologie dépressive, ainsi que l’amélioration relative obtenue avec un stabilisateur agissant sur la phase dépressive pourraient orienter vers un trouble bipolaire dépressif. On comprend des explications de l’expert que s’il n’a pu pour sa part confirmer formellement le diagnostic de trouble bipolaire – qu’un praticien ayant suivi l’assurée dans la durée semble plus à même de pouvoir poser – il ne l’a pas non plus catégoriquement écarté, raison pour laquelle il l’a fait figurer au nombre des diagnostics retenus. Il n’y a donc pas là de véritable contradiction.

L’intimé fait également grief à l’expert de n’avoir pas décrit l’évolution clinique dans le temps et de n’avoir pas expliqué les raisons pour lesquelles il a retenu une incapacité de travail durable depuis 2013, alors qu’il a mentionné une aggravation en mars 2022. Il est vrai que l’expert n’a pas détaillé l’évolution clinique précisément dans le temps. Il a cependant expliqué que s’il concluait à une incapacité de travail totale depuis octobre 2013, c’est parce que les tentatives de reprise d’activité qui avaient eu lieu depuis lors avaient été des échecs, dont il a souligné qu’ils n’étaient pas le reflet d’un manque de collaboration, mais bien l’expression de la sévérité des symptômes. Si l’expert manque il est vrai de précision, il ressort du dossier que la sévérité des symptômes confirmée par lui remonte, selon le rapport du prof. E______, à octobre 2015. Ce praticien fait certes état d’une rémission, mi-2016, qui aurait éventuellement permis d’envisager une reprise d’activité adaptée à raison de 4 heures par jour, qui ne s’est toutefois pas confirmée par la suite. Ainsi, les EPI ont constaté, en 2018, que la recourante se retrouvait en difficulté durant les quelques jours où elle avait pu être présente.

Si l’expert n’a pas décrit le déroulement d’une journée-type, il n’en a pas moins examiné quels étaient les empêchements réels de la recourante dans la vie courante et examiné les indicateurs développés par le Tribunal fédéral.

L’expert a relaté que plusieurs épisodes dépressifs sévères avaient été décrits, dont le premier était survenu vers l’âge de 9-10 ans. Il a relaté qu’à l’évaluation clinique, un questionnaire de Weiss et Murray avait révélé, selon les critères diagnostics du DSM-V, un score de 9/9 s’agissant des symptômes d’inattention et de 9/9 s’agissant des symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité. Le questionnaire ASRS (Adult Self-Report Scale) avait quant à lui conduit à un score de 6/6 et un entretien semi-structuré avait mis en évidence des signes d’inattention présents à raison de 9/9, ainsi que des signes d’hyperactivité et impulsivité de 7/9. Une échelle de dépistage de la dépression avait montré un score très significatif, suggérant une symptomatologie sévère. Des questionnaires ont mis en évidence des difficultés au niveau de l’inhibition, de la flexibilité, du contrôle émotionnel, de l’initiation, de la mémoire de travail, de la planification, de l’organisation du matériel et du contrôle de la tâche. Un examen cognitif a mis en évidence des difficultés en mémoire épisodique verbal sévère (encodage et récupération), des difficultés attentionnelles modérées, caractérisées par un ralentissement et des fluctuations attentionnelles et des difficultés exécutives légères. Les autres domaines cognitifs évalués (langage, mémoire immédiate non verbale, mémoire épisodique visuelle, mémoire sémantique, incitation verbale et non verbale, etc.) sont apparus globalement dans la norme. L’examen du fonctionnel intellectuel a mis en évidence des indices de vitesse de traitement et de mémoire de travail, sensibles aux difficultés attentionnelles et exécutives, à la limite inférieure des normes, voire déficitaires.

S’agissant de la validation des symptômes, l’expert dit avoir observé chez la recourante une implication correcte compte tenu des difficultés anxio-dépressives relevées lors de l’examen. Il a constaté que la réalisation des tests lui avait demandé un effort important et qu’elle se décourageait rapidement face aux difficultés, notamment mnésiques. Il n’y avait pas d’incohérence au niveau du tableau cognitif et des plaintes rapportées. Une épreuve de validation des performances n’a pas montré d’efforts autocontrôlés. Ainsi, de nombreuses difficultés exécutives sur le plan comportemental ont été mises en évidence, ainsi que des signes dépressifs très significatifs (sévères).

D’après les lignes directrices permettant de définir le degré de gravité d’un trouble neuropsychologique et son classement par capacité fonctionnelle et capacité de travail de l’Association suisse des neuropsychologues (ci-après : ASMP), l’atteinte cognitive doit être qualifiée de légère à moyenne, caractérisée par des difficultés mnésiques, attentionnelles et exécutives chez une patiente ayant des capacités intellectuelles dans la norme. L’ensemble peut suggérer la présence d’un TDA-H. La trajectoire de vie de la recourante montre que cette dernière a mis en place des stratégies de compensation de ce trouble au cours de son parcours scolaire et professionnel (passage du collège à l’école de culture générale, insertion dans la vie professionnelle avant de retourner en formation). Le point de rupture semble avoir été la charge de travail et les responsabilités liées à son emploi d’éducatrice, associés à des problèmes d’ordre privé (séparation, puis divorce). Ces facteurs semblent avoir entraîné une décompensation émotionnelle, puis cognitive, chez une patiente n’étant plus en capacité de faire face à ses obligations (courrier non ouvert, poursuites), ce qui a nécessité la mise en place d’une curatelle de gestion. Depuis l’arrêt de travail prononcé en 2013, la patiente a tenté à plusieurs reprises de retrouver une activité professionnelle, sans succès.

L’expert en a tiré la conclusion que le TDA-H était présent depuis l’enfance. Il a constaté que ce dernier atteignait un degré de sévérité grave et nécessitait une prise en charge spécialisée déjà instaurée et devant être maintenue pour une durée indéterminée. Il a expliqué de manière convaincante que si l’assurée a pu mener une scolarité et suivre une formation, c’est qu’elle a développé des mécanismes d’adaptation qui, s’ils se sont avérés dans un premier temps efficaces, ont créé des comorbidités psychiatriques secondaires, notamment une anxiété, des traits de personnalité obsessionnels et une dépression, aboutissement d’une intolérance massive à la contrainte et à la frustration. L’affirmation du Dr G______ selon laquelle un TDA-H s’estomperait progressivement au cours de la vie n’est pas confirmée par la littérature internationale. Au contraire, le TDA-H devient souvent un handicap manifeste pour le maintien des performances professionnelles et il est responsable de burnout. Qui plus est, un TDA-H ne se guérit pas avec un traitement pharmacologique. Ce traitement, à des doses adaptées, est symptomatique et arrive à corriger les symptômes cibles. Les comorbidités secondaires doivent être traitées parallèlement.

En l’occurrence, l’ensemble du tableau clinique et l’incapacité de travail sont secondaires à une mauvaise adaptation au TDA-H. Ainsi que le fait remarquer l’expert, la mise sous curatelle administrative, ainsi que l’ampleur et la chronicité de la symptomatologie démontrent le handicap majeur de l’assurée, non seulement dans l’exercice d’une activité professionnelle moyennement structurée, mais également dans la gestion élémentaire de son quotidien, ce qui montre une limitation uniforme dans tous les domaines comparables de la vie.

La compliance a été optimale, même si l’évolution a été irrégulière, reflet de l’instabilité des troubles diagnostiqués.

Les symptômes et pertes de certaines fonctionnalités dont se plaint l’assurée sont cohérents et plausibles, les résultats de l’examen valides et compréhensibles.

Si un traitement pouvait peut-être améliorer la qualité de vie de l’assurée, il ne pourrait en aucun cas, selon l’expert, lui permettre d’exercer une activité professionnelle, ses ressources ayant été épuisées au fil des ans. Certes, elle en dispose encore sur les plans cognitif, émotionnel et relationnel, mais la sévérité des troubles les limite passablement.

En définitive, la Cour de céans conclut de ce qui précède que, quoi qu’en dise l’intimé, le rapport d’expertise judiciaire peut se voir reconnaître pleine valeur probante. S’il ne suit pas exactement la structure prescrite par la jurisprudence, il n’en demeure pas moins que son examen global, en tenant compte des spécificités du cas d'espèce, permet une appréciation concluante du cas à l'aune des indicateurs déterminants, de sorte qu’il y a lieu de se rallier à ses conclusions et de considérer que la recourante, lorsqu’elle a déposé sa nouvelle demande, en novembre 2016, était totalement incapable de travailler et ce, depuis octobre 2015, date à laquelle le Prof. E______ a indiqué que le trouble dépressif récurrent avait à nouveau atteint un degré d’intensité sévère. La rémission partiellement espérée par le Prof. E______ mi-2016, n’a pas débouché sur une augmentation durable de la capacité de travail.

Conformément au calcul auquel s’était livré la division de réadaptation de l’intimé en janvier 2018, il y a donc lieu de lui reconnaître un degré d’invalidité de 65,89% lui ouvrant droit, à compter de mai 2017, à un trois-quarts de rente d’invalidité.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours est admis et la décision du 20 mai 2020 annulée. La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]). Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 1'000.- (art. 69 al. 1bis LAI).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Dit que la recourante a droit à un trois-quarts de rente de l’assurance-invalidité à compter du 1er mai 2017.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour calcul des prestations dues.

5.         Condamne l’intimé à verser à la recourante la somme de CHF 3’000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de l’intimé

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le