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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/84/2022

ATAS/560/2023 du 13.07.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/84/2022 ATAS/560/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 juillet 2023

Chambre 3

 

En la cause

Monsieur A______
représenté par Maître Cyril MIZRAHI

recourant

 

contre

OFFICE DE L’ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après l’assuré), né en 1958, d’origine portugaise, arrivé en Suisse en 1982, a travaillé comme maçon jusqu’en 1991, avant de débuter une activité de nettoyeur.

b. Le 19 avril 1992, il a été victime d’un accident de la route à l’origine d’une fracture des pédicules en C2, sans lésion neurologique.

c. Le 2 mars 1993, l’assuré a déposé une première demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI), que cette autorité a rejetée par décision du 15 décembre 1993, compte tenu d’un degré d’invalidité de 25%.

d. L’assuré a ensuite alterné des périodes de chômage et des contrats de travail de courte durée, puis commencé une nouvelle activité dans le domaine du jardinage et de la maçonnerie, en juin 1998.

B. a. En arrêt de travail depuis le 19 décembre 2000, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations le 12 juin 2001.

b. Par décision du 8 mars 2005, l’OAI a considéré que l’assuré avait conservé une capacité de travail quasiment entière dans une activité adaptée, pouvant lui procurer un revenu au moins équivalent à celui qu’il aurait pu obtenir sans atteinte à sa santé, si bien que les conditions d’octroi d’une mesure de reclassement n’étaient pas réalisées.

Cette décision a été rendue après avoir adressé l’assuré à un centre d’observation médicale de l’assurance-invalidité (COMAI). Les docteures B______, spécialiste FMH en rhumatologie, et C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ont rendu leur rapport le 27 décembre 2004.

Elles ont retenu les diagnostics de cervicalgies chroniques post-fracture des pédicules de C2 et de lombalgies chroniques. Elles ont également mentionné, à titre de diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, une fibrillation auriculaire paroxystique, une obésité, un diabète de type II et une hypercholestérolémie. Les médecins n’ont retenu ni trouble psychique pouvant altérer la capacité d’adaptation, ni limitations de la capacité de travail sur les plans psychique et mental.

Étaient contre-indiqués : le port de charges lourdes, les activités à risque traumatique (coups, chocs ou déchirures musculaires) et les tâches impliquant des mouvements/extensions fréquents de la nuque.

Si l’assuré, vu les lombalgies, les cervicalgies et le risque de traumatisme, ne pouvait plus travailler sur les chantiers, il pouvait continuer à exercer une activité adaptée (comme celle de nettoyeur, par exemple) à 80%, sans diminution de rendement, depuis décembre 2000.

c. Le 20 avril 2005, l’assuré s’est opposé à cette décision.

C. a. Le 21 mai 2007 – soit avant que l’OAI ne statue sur ladite opposition –, l’assuré a en outre déposé une nouvelle demande de prestations en produisant des documents faisant état d’une péjoration de son état sur le plan somatique.

b. Par décision du 25 février 2010, l’OAI a rejeté cette demande au motif que l’assuré avait recouvré, depuis décembre 2000, une capacité de travail de 80% dans une activité adaptée, réduite à 75% depuis juillet 2007. La comparaison des revenus conduisait à un degré d’invalidité de 22% en décembre 2001 (fin du délai d’attente d’un an), de 29% dès juillet 2007, taux insuffisants pour ouvrir droit à une rente.

Cette décision a été rendue à l’issue d’une instruction principalement, basée sur le rapport d’examen de la docteure , médecin auprès du Service médical régional de l’AI (SMR), qui, dans son rapport du 29 février 2008, a diagnostiqué des cervicalgies droites dans le cadre d’une hernie discale C3-C4 non compressive et un status post fracture C2 (en 1992) sans séquelles neurologiques, des lombosciatalgies chroniques non déficitaires dans le cadre d’un trouble statique et dégénératif avec une insuffisance posturale et un status post neurolyse du nerf cubital du coude et du nerf médian au poignet gauche (2005), avec trouble sensitif et faiblesse résiduelle.

L’activité de maçon n’était plus exigible. En revanche, une capacité de travail de 80% comme nettoyeur avait été attestée par l’expertise du 27 décembre 2004. Procédant à une comparaison avec ce dernier rapport, la Dre D______ a noté une péjoration courant 2006 et la mise en évidence d’une hernie discale non compressive en juillet 2007. Elle a évalué la capacité de travail dans une activité adaptée à 75%, en précisant que celle de nettoyeur n’était pas exclue.

c. Le 16 avril 2010, l’assuré a interjeté recours auprès de la Cour de céans, qui lui a donné gain de cause après avoir mis sur pied une expertise judiciaire somatique, un complément d’expertise et une expertise judiciaire psychiatrique, aux conclusions de laquelle elle s’est ralliée. La Cour a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière à compter du 1er janvier 2003 (cf. ordonnance d’expertise ATAS/1009/2011 du 1er novembre 2011, ordonnance complémentaire ATAS/995/2013 du 9 octobre 2013, ordonnance d’expertise psychiatrique ATAS 1320/2014 du 18 décembre 2014 et arrêt ATAS/226/2016 du 10 mars 2016).

L’arrêt de la Cour a été rendu au terme d’une instruction complémentaire ayant permis de recueillir, notamment, les éléments suivants :

-          Un rapport d’expertise du 19 juillet 2012, établi par le professeur E______, rhumatologue, le professeur F______, neurologue et la docteure G______, cardiologue, tous trois médecins auprès du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui se sont accordés sur l’absence de troubles organiques évidents. Hormis un syndrome douloureux, l’assuré ne rencontrait pas de limitation de la capacité de travail dans une profession adaptée.

Les experts se sont ralliés aux conclusions du SMR. Ils ont relevé que l’assuré avait déjà subi une électroneuromyographie (ENMG), que la recherche d’une pathologie cardiaque était restée négative et que les palpitations évoquées par l’assuré étaient devenues rares, de courte durée et moins gênantes. Selon eux, la symptomatologie était stable depuis de nombreuses années et l’assuré pouvait exercer son activité de jardinier à 75%, taux qui n’avait pas évolué depuis l’apparition des symptômes. Dans une activité lucrative adaptée, permettant l’alternance des positions assise et debout et une limitation du port de charges à 10 kg, la capacité de travail était entière. Toutefois, le domaine d’activité semblait difficile à définir et l’avis d’un médecin du travail était préconisé.

-          Dans son rapport du 13 novembre 2013, le Prof. E______ a estimé que son examen clinique du 11 novembre 2013 était superposable à celui pratiqué en 2012. Il a retenu un trouble somatoforme douloureux, une arthrose discrète de la région cervicale C1-C2, une discarthrose C2-C3, une ébauche d’arthrose lombaire et un kyste osseux de l’apophyse odontoïde.

Se basant sur l’expertise des Dres B______ et C______ de 2004, l’expert rhumatologue a considéré qu’il n’y avait eu aggravation ni des plaintes, ni de l’état clinique. Il n’y avait pas de limitation fonctionnelle décelable à l’examen clinique objectif, hormis une raideur fonctionnelle de la région lombaire. Les modifications arthrosiques cervicales et lombaires basses ne s’accompagnaient d’aucune limitation fonctionnelle objectivable.

En définitive, l’expert a exclu toute incapacité de travail justifiée médicalement dans une activité sédentaire légère. Dans une activité manuelle adaptée (travaux de nettoyage, de jardinage avec aménagement), cette incapacité était de 25%.

-          Dans un courrier du 12 juin 2014, la docteure H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a souligné l’existence, depuis plusieurs années d’un état anxieux important, avec un trouble dépressif jamais formellement diagnostiqué. Elle concluait à un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques et à une anxiété généralisée, trop importants pour pouvoir invoquer un trouble somatoforme.

-          Dans son rapport d’expertise du 6 juillet 2015, le docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a diagnostiqué un épisode dépressif majeur, isolé, en rémission partielle, un trouble douloureux (associé à des facteurs psychologiques et à des affections médicales), un trouble de conversion avec présentation mixte et une dépendance aux anxiolytiques ; l’expert a également fait état, notamment d’un fonctionnement intellectuel limite et d’un trouble de la personnalité non spécifié, décompensé (personnalité fruste à traits abandonniques). L’assuré disposait, d’un point de vue psychiatrique, d’une capacité de travail de 30% dans une activité adaptée après réadaptation, voire de 50% dans un atelier protégé ; il était incapable, déjà depuis 2002, de mobiliser une capacité de travail quelconque sans une aide spécialisée.

d. Saisi d’un recours de l’OAI, le Tribunal fédéral a statué le 9 février 2017 (9C_286/2016 du 9 février 2017).

Il a estimé que l’appréciation rétrospective du Dr I______, remontant à 2002, reposait uniquement sur des hypothèses non étayées objectivement et qu’il n’était pas possible de saisir les raisons pour lesquelles le trouble somatoforme douloureux aurait présenté un caractère invalidant avant février 2010. Il était dès lors insoutenable de reconnaître une totale incapacité de travail pour la période antérieure à 2010 – aucune pièce ne permettant de retenir que la situation d’un point de vue psychique se serait modifiée au point d’entraîner une incapacité de travail jusqu’au moment de la décision du 25 février 2010.

En conséquence, le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé l’arrêt du 10 mars 2016 et confirmé la décision de l’OAI du 25 février 2010. Pour le surplus, le Tribunal fédéral a renvoyé la cause à l’OAI et invité ce dernier à examiner si les conditions d’une éventuelle rente étaient réalisées pour la période postérieure à février 2010. Il convenait d’examiner s’il y avait eu aggravation de l’état de santé postérieurement à la décision du 25 février 2010, compte tenu du diagnostic de trouble somatoforme douloureux évoqué dans le rapport d’expertise du CHUV du 19 juillet 2012.

D. a. Dans un rapport non daté, parvenu le 8 septembre 2017 à l’OAI, le docteur J______, spécialiste FMH en médecine interne et médecin traitant de l’assuré, a indiqué que le début de la longue maladie remontait à 2001, date depuis laquelle la capacité de travail de son patient était nulle dans toute activité. À titre de diagnostics invalidants, le Dr J______ a mentionné des cervicalgies et cervico-brachialgies, une gonarthrose gauche, une mono-arthrite de la cheville droite sur crise de goutte et un « déconditionnement ». Il a notamment joint à son rapport :

-          une radiographie du genou gauche dont la date, partiellement reproduite, ne permettait pas de connaître l’année exacte (« 14.10.201 ») ;

-          un rapport du 7 octobre 2014 du docteur K______, rhumatologue, concluant à une mono-arthrite de la cheville droite sur crise de goutte (premier épisode, confirmé par ponction).

b. Le 3 novembre 2017, la docteure L______, du SMR, a estimé au regard des nouveaux éléments transmis par le Dr J______, que seule la gonarthrose gauche et l’arthrite microcristalline de type goutte étaient susceptibles d’entraîner des limitations fonctionnelles ayant une répercussion sur la capacité de travail. Pour le surplus, elle préconisait d’évaluer le trouble somatoforme douloureux à la lumière des indicateurs instaurés par la jurisprudence, par le biais d’une expertise rhumato-psychiatrique.

c. Celle-ci a été confiée aux docteurs M______, psychiatre, et N______, rhumatologue, qui ont rendu leurs conclusions le 4 mai 2018 sur le plan psychiatrique, respectivement le 26 juin 2018 sur le plan rhumatologique.

D’un point de vue psychiatrique, il n’y avait pas d’atteinte à la santé justifiant une invalidité. On pouvait toutefois retenir les diagnostics suivants, sans incidence sur la capacité de travail :

- utilisation d’alcool nocive pour la santé (F1x.1) ;

- trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) secondaire à la douleur.

Au cours de l’examen et du point de vue anamnestique au moins depuis 2010, le Dr M______ n’avait pu déceler les signes d’une maladie psychiatrique ou d’un trouble de la personnalité. Il s’éloignait donc des conclusions du Dr I______ et ne retenait donc pas non plus de trouble somatoforme douloureux, car le critère clinique principal caractérisant ce trouble, à savoir le sentiment de détresse profonde, n’était pas réalisé.

Le Dr N______ a quant à lui retenu à titre de diagnostics ayant une incidence sur la capacité de travail :

-     syndrome cervicobrachial récurrent, sans signe radiculaire irritatif ou déficitaire

o   status post fracture du pédicule postérieur droit en C2 le 12 août 1992

o   arthrose postérieure C2-C3 et discopathie à ces niveaux

o   image géodique de l’apophyse odontoïde d’allure kystique

-     syndrome dorso-lombaire sans signe radiculaire irritatif ou déficitaire

o   spondylose antérieure D12-L1 et discopathie L5-S1, peu significative

En revanche, étaient sans répercussion sur la capacité de travail :

-     gonalgies bilatérales, sans signe d’instabilité ou ligamentaire

o   status post arthroscopie pour méniscopathie de la corne postérieure du ménisque interne droit en 2015

-     status post opération du tunnel carpien gauche et neurolyse du nerf cubital du coude gauche en 2007

-     status post ablation par radiofréquence le 25 juin 2007 pour FA (fibrillation auriculaire) récidivante

-     status post hypertension artérielle et hypercholestérolémie et diabète de type II stables sous traitement

-     status post ulcère gastrique en 2007.

La diminution des capacités fonctionnelles dues à la santé résidait essentiellement dans le vécu douloureux devenu chronique, surtout aux niveaux du rachis, du genou droit et de l’impotence fonctionnelle que l’assuré décrivait dans ses activités de la vie quotidienne. Les limitations fonctionnelles concernaient le port de charges en porte-à-faux avec longs bras de levier de plus de 10 à 15 kg et la nécessité d’alterner les positions assise et debout.

Les différents diagnostics ayant des incidences sur la capacité fonctionnelle impliquaient, après discussion avec le Dr M______, qu’en l’absence d’atteinte à la santé handicapante du point de vue psychiatrique, l’exercice de l’activité habituelle et antérieure de paysagiste était exigible à 75%, sans diminution de rendement, et celui d’une activité adaptée exigible à 100%, sans diminution de rendement non plus.

d. Le 16 août 2018, le SMR s’est rallié aux conclusions des experts s’agissant de l’absence de modification notable et durable de l’état de santé postérieure à février 2010. En revanche, il a indiqué ne pouvoir se ranger à leur appréciation de la capacité de travail, qu’il a qualifiée d’« évaluation différente d’un même état de fait » par rapport à celle de la décision du 25 février 2010 entrée en force. Selon le SMR, la capacité de travail était nulle dans l’activité habituelle et de 75% dans une activité permettant d’éviter une position statique prolongée assise. Le début de la longue maladie et de l’aptitude à la réadaptation remontait au 19 décembre 2000.

e. Par décision du 11 décembre 2018, l’OAI a nié à l’assuré le droit à toute prestation, au motif que sa capacité à exercer une activité adaptée était toujours de 75% et que son état de santé n’était pas à l’origine de son éloignement du marché de l’emploi et de son déconditionnement, de sorte que le lien de causalité entre la diminution de la capacité de gain et l’atteinte à la santé faisait défaut.

f. Le 28 janvier 2018, l’assuré a interjeté recours contre cette décision.

g. Par arrêt ATAS/989/2020 du 22 octobre 2020, la Cour de céans a considéré
que, si le volet rhumatologique de l’expertise bidisciplinaire pouvait se voir reconnaître valeur probante, tel n’était pas le cas du volet psychiatrique, lacunaire, insuffisamment motivé et dès lors impropre à établir quelle avait été l’évolution de l’état de santé psychique de l’assuré depuis la décision du 25 février 2010. En conséquence, la Cour de céans a admis partiellement le recours, annulé la décision du 11 décembre 2018 et renvoyé la cause à l’intimé pour qu’il mette en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique.

E. a. Par courrier du 11 mars 2021, l’OAI a informé l’assuré que l’expert pressenti était le docteur O______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

b. Le 29 mars 2021, le conseil de l’assuré a informé l’OAI qu’il avait « été en affaires avec le Dr O______ ». En conséquence, il suggérait d’attribuer le mandat d’expertise à un(e) autre spécialiste, par exemple, le docteur P______.

c. Le 1er avril 2021, le secrétariat du Dr O______ a adressé directement à l’assuré – avec copie à l’OAI – la convocation à l’expertise : l’assuré était invité à se présenter le 15 avril 2021 pour un entretien d’une durée d’environ trois heures.

d. Le 8 avril 2021, l’OAI a demandé au Dr P______ s’il était en mesure d’accepter le mandat d’expertise.

e. Le même jour, l’OAI a informé le Dr O______ que le rendez-vous du
15 avril 2021 devait être annulé et que son mandat était suspendu.

f. Le 8 avril 2021 également, l’OAI a invité le conseil de l’assuré à lui suggérer trois spécialistes de son choix.

g. Par courrier du 26 avril 2021, le conseil de l’assuré a suggéré, au choix, les docteurs P______, Q______ et R______.

h. Le 28 avril 2021, l’OAI a demandé aux Drs Q______ et R______ s’ils étaient disponibles pour une expertise.

i. Il ressort d’une note téléphonique du 29 avril 2021, relatant un entretien entre l’expert O______, l’assuré et l’OAI, que le Dr O______ a fait savoir à l’OAI qu’il avait bien reçu le courrier du 8 avril 2021 mentionnant qu’il devait suspendre son expertise. Cependant, cette dernière était pratiquement terminée. En effet, l’assuré – qui confirmait son accord pour cette expertise – s’était rendu au cabinet du Dr O______ - alors même que son avocat avait récusé cet expert. Une autorisation spéciale allait être signée par l’assuré et jointe au rapport d’expertise en vue de « finaliser » ce dernier.

j. Dans son rapport du 7 mai 2021, le Dr O______ a retenu ces diagnostics, dont il a précisé qu’aucun n’avait de répercussion sur la capacité de travail :

-     F41.2 : trouble anxieux et dépressif mixte depuis 2001 ;

-     Z73.1 : traits de la personnalité émotionnellement labile et anxieuse ; ce trouble, désormais bien compensé, n’avait empêché l’assuré, ni de travailler sans limitation par le passé, ni de gérer son quotidien sans limitations psychiques ; il n’y avait eu ni hospitalisation psychiatrique, ni traitement psychotrope, ni suivi psychiatrique ;

-     F54.5 : trouble douloureux somatoforme persistant sans indices de gravité au sens des indicateurs jurisprudentiels.

Selon l’expert, la capacité de travail était entière et sans baisse de rendement depuis 2001, y compris dans le dernier emploi, adapté d’un point de vue psychique. Toute activité simple d’un point de vue intellectuel devait être considérée comme adaptée de manière optimale au handicap de l’assuré. En effet, les capacités d’apprentissage de ce dernier étaient très limitées. Dans une activité simple d’un point de vue intellectuel, la capacité de travail était de 100% sans baisse de rendement. Même si des mesures médicales n’étaient pas de nature à améliorer une capacité de travail déjà entière, un traitement antidépresseur pourrait accélérer le processus de guérison et diminuer le risque d’aggravation.

k. Le 11 mai 2021, a été adressée à l’OAI une attestation manuscrite, datée et signée le 15 avril 2021, dans laquelle l’assuré certifiait être « d’accord de faire l’expertise psychiatrique avec le Dr O______ » et l’autorisait à prendre contact avec son médecin traitant, le Dr J______.

l. Le 20 mai 2021, le SMR a estimé que cette expertise confirmait ses conclusions du 16 août 2018 : dans toute activité légère, sédentaire, simple intellectuellement, permettant d’éviter une position statique prolongée assise, debout, en rotation-flexion du tronc, en porte-à-faux, en extension et rotation extrême, les mouvements répétitifs de la tête et n’impliquant qu’un port de charges limité (10 kg occasionnellement ou 5 kg de façon répétitive), la capacité de travail était entière.

F. a. Le 11 juin 2021, l’OAI a adressé à l’assuré un projet de décision dont il ressortait qu’il se proposait de lui nier le droit à une rente, l’expertise ayant conclu à l’absence d’atteinte l’empêchant d’exercer une activité lucrative. L’évaluation de 2010 restait valable.

b. Par pli du 21 juin 2021, le conseil de l’assuré s’est étonné que le Dr O______ ait procédé à l’expertise alors même qu’il lui avait été demandé de suggérer le nom de trois autres experts. Ce procédé était, selon l’avocat, contraire au principe de la bonne foi, d’autant que, dans le courrier que l’OAI lui avait adressé le 8 avril 2021, il était indiqué que l’OAI, après réception et examen des noms d’experts proposés, lui communiquerait sa position. Or, aucune suite n’avait été donnée au courrier du 26 avril 2021, qui n’était même pas mentionné dans le projet de décision. Dans de telles conditions, l’expertise du Dr O______ devait se voir nier toute valeur probante. Le conseil de l’assuré invitait l’OAI à annuler le projet de décision du 11 juin 2021 et à reprendre l’instruction de la cause sur la base de son courrier du 26 avril 2021.

c. Le 14 juillet 2021, le conseil de l’assuré a mis l’OAI en demeure de lui faire parvenir une copie actualisée du dossier de son client, arguant que, faute d’accès au dossier, il n’était pas en mesure de formuler des observations complémentaires à celles du 21 juin 2021.

d. Le 22 juillet 2021, l’OAI lui a transmis le CD-Rom du dossier de l’assuré.

e. Le 18 août 2021, l’OAI a rendu un nouveau projet de décision annulant et remplaçant celui du 11 juin 2021, mais dont il ressortait, tout comme dans le précédent, qu’il se proposait de nier à l’intéressé le droit à toute prestation. L’OAI ne voyait pas quel reproche pouvait lui être fait s’agissant de la mise en œuvre du mandat d’expertise auprès du Dr O______, d’autant moins que l’assuré avait donné son accord et s’était rendu de son propre chef au cabinet du praticien alors même que l’OAI attendait que les experts suggérés par son conseil se manifestent. Dans ces conditions, les droits de participation de l’assuré dans la procédure d’attribution d’une expertise médicale n’avaient pas été violés.

f. Par pli du 26 septembre 2021, l’assuré, agissant toujours par l’entremise de son conseil, a contesté ce nouveau projet de décision. Il a rappelé qu’il avait soulevé un motif de récusation à l’encontre du Dr O______ le 29 mars 2021. Vu cette demande de récusation et le fait que la convocation chez l’expert avait été adressée directement à l’assuré (sans respecter l’élection de domicile chez son avocat), le fait que l’intéressé y ait donné suite ne pouvait être considéré comme une acceptation a posteriori du choix de l’expert ou comme un retrait de la demande de récusation. Au surplus, le Dr O______ aurait dû informer l’OAI, dès réception du courrier du 8 avril 2021, qu’un premier entretien devait avoir lieu le 15 avril 2021 et ne pas mettre l’OAI devant le fait accompli en attendant le 29 avril 2021 pour rendre compte du travail déjà effectué dans l’intervalle. Le comportement de l’expert était contraire à la bonne foi et l’expertise réalisée par ce dernier dénuée de toute valeur probante.

g. Par décision du 23 novembre 2021, l’OAI a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité à l’assuré, vu l’absence d’atteinte invalidante à laquelle avait conclu le rapport d’expertise du 7 mai 2021, et, par conséquent, d’aggravation depuis la décision du 25 février 2010. Selon l’OAI, les droits de participation de l’assuré avaient été respectés dans le cadre de la mise en œuvre de l’expertise.

G. a. Le 10 janvier 2022, l’assuré a interjeté recours auprès de la Cour de céans en concluant à l’annulation de la décision du 23 novembre 2021, au renvoi de la cause à l’intimé pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise psychiatrique, subsidiairement, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité, sous suite de frais et dépens.

À l’appui de sa position, le recourant reprend les arguments développés dans son opposition au projet de décision. Il reproche à l’expert O______ d’avoir fait fi du courrier de l’intimé du 8 avril 2021 lui ordonnant d’annuler l’entretien d’expertise du 15 avril 2021 et de suspendre le mandat, arguant que son attitude démontre une volonté manifeste de placer l’autorité devant le fait accompli et qu’il y a là suffisamment d’éléments objectifs donnant une apparence de prévention, de sorte que le Dr O______ doit être récusé et son expertise écartée.

Le recourant ajoute que, dans la mesure où l’intimé a finalement décidé de conserver l’expert initialement pressenti malgré la demande de récusation visant ce dernier, il aurait dû statuer formellement par le biais d’une décision incidente avant d’aller de l’avant et de faire procéder à l’expertise.

b.   Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 9 février 2022, a conclu au rejet du recours. Il fait valoir qu’il est certes regrettable que la notification de la convocation ait été entachée d’irrégularités, mais que cela ne l’a pas empêchée d’atteindre son but.

c. Par écriture du 25 mars 2022, le recourant a réitéré ses arguments en lien avec l’apparence de prévention de l’expert.

d. Le 13 avril 2022, l’intimé a renoncé à dupliquer et renvoyé à sa précédente écriture.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.              

2.1 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité (ci-après : AI), à moins que la loi n’y déroge expressément.

2.2 Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a a contrario LPGA).

2.3 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l’état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais du 18 décembre au 2 janvier (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]), le recours est recevable.

4.             Le litige porte sur le point de savoir si, dans le cadre d’une nouvelle demande faisant suite à une décision de refus de rente (cf. art. 87 al. 3 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201), l’état de fait s’est modifié de manière déterminante pour le droit aux prestations entre la décision du 25 février 2010 – confirmée par le Tribunal fédéral dans son arrêt 9C_286/2016 précité – et la décision litigieuse du 23 novembre 2021 et, préalablement, si l’intimé a violé le droit d’être entendu du recourant lors de la mise en œuvre de l’expertise.

5.             Par un moyen de nature formelle qu’il convient d’examiner en premier lieu, le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 de la Constitution suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) lors de la mise en œuvre de l’expertise.

5.1 La jurisprudence a déduit du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), en particulier, le droit pour le justiciable de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d’avoir accès au dossier, celui de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 135 I 279 consid. 2.3 ; 135 II 286 consid. 5.1 ; 132 V 368 consid. 3.1).

Le droit d’être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, la violation du droit d’être entendu – pour autant qu’elle ne soit pas d’une gravité particulière – est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen. Au demeurant, la réparation d’un vice éventuel ne doit avoir lieu qu’exceptionnellement (ATF 127 V 431 consid. 3d/aa ; 126 V 131 consid. 2b et les références).

Le juge des assurances peut examiner l’éventuelle violation du droit d’être entendu aussi bien sur contestation d’une partie que d’office (ATF 120 V 362 consid. 2a ; cf. aussi Ulrich ZIMMERLI, Zum rechtlichen Gehör im sozialversicherungs-rechtlichen Verfahren, in Festschrift 75 Jahre EVG, Berne 1992, p. 326 ; ATAS/884/2019 consid. 4 ; ATAS/174/2018 consid. 14).

5.2 Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions.

La jurisprudence a précisé les contours du droit d’être entendu dans l’hypothèse où l’assureur social met en œuvre une expertise externe au sens de l’art. 44 LPGA. Dans ce cas, l’assuré doit pouvoir s’exprimer sur la nécessité d’une telle mesure, les disciplines médicales concernées, le choix de l’expert et les questions qui lui sont posées (ATF 137 V 210 consid. 3.4.1 et s. ; 139 V 349 consid. 5.4). Ces droits de participation sont garantis à l’assuré même si l’expertise est mise en œuvre avant qu’une décision ne soit rendue (Anne-Sylvie DUPONT, in Commentaire romand de la LPGA, 2018 n. 17 ad art. 42 LPGA).

Le fait pour un assureur de ne pas permettre à un assuré d’exercer les prérogatives résultant de son droit d’être entendu, soit en particulier celui de se prononcer sur la nomination de l’expert, les questions à poser, ainsi que le résultat de l’expertise relève d’une grave violation de ce droit (arrêt du Tribunal fédéral U 22/03 du 10 juillet 2003 consid. 4). Ce vice ne peut être réparé lorsque l’expertise constitue l’élément central et prépondérant de l’instruction (ATF 120 V 357 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral U 265/04 du 23 septembre 2005 consid. 2.3). Le juge des assurances peut examiner l’éventuelle violation du droit d’être entendu aussi bien sur contestation que d’office (ATF 120 V 362 ; ATAS/884/2019 précité consid. 4 ; ATAS/174/2018 précité consid. 14).

6.              

6.1 À l’ATF 137 V 210 consid. 3, le Tribunal fédéral a instauré de nouveaux principes visant à consolider le caractère équitable des procédures administratives et de recours judiciaires en matière d’assurance-invalidité par le renforcement des droits de participation de l’assuré à l’établissement d’une expertise (droit de se prononcer sur le choix de l’expert, de connaître les questions qui lui seront posées et d’en formuler d’autres) et ce afin que soient garantis les droits des parties découlant notamment du droit d’être entendu et de la notion de procès équitable (art. 29 al. 2 Cst., art. 42 LPGA et art. 6 ch. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 [CEDH -RS 0.101] ; ATF 137 V 210 consid. 3.2.4.6 et 3.2.4.9). Il est notamment revenu sur la jurisprudence de l’ATF 132 V 93 selon laquelle la mise en œuvre d’une expertise par l’assureur social ne revêt pas le caractère d’une décision. Il a jugé qu’en l’absence d’accord entre les parties, une telle mise en œuvre doit revêtir la forme d’une décision incidente au sens de l’art. 5 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA ; RS 172.021) laquelle
peut être attaquée devant les tribunaux cantonaux des assurances sociales respectivement le Tribunal administratif fédéral (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7). Il a modifié la jurisprudence de l’ATF 133 V 446 en ce sens que l’assuré a le droit de se déterminer préalablement sur les questions à l’attention des experts dans le cadre de la décision de mise en œuvre de l’expertise (ATF 137 V 210 consid 3.4.2.9). Dans des arrêts ultérieurs, il a indiqué que ces principes et recommandations sont également applicables par analogie aux expertises mono- et bidisciplinaires (ATF 139 V 349 consid. 5.4).

6.2 Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé que l’assuré peut faire valoir contre une décision incidente d’expertise médicale non seulement des motifs formels
de récusation contre les experts, mais également des motifs matériels, tels que
par exemple le grief que l’expertise constituerait une seconde opinion superflue
contre la forme ou l’étendue de l’expertise, par exemple le choix des disciplines médicales dans une expertise pluridisciplinaire, ou contre l’expert désigné, en
ce qui concerne notamment sa compétence professionnelle (ATF 137 V 210
consid. 3.4.2.7 ; 138 V 271 consid. 1.1).

S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3) et qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 § 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.3.1 et les arrêts cités).

6.2.1 La Haute Cour a également précisé qu’il y a lieu d’accorder une importance plus grande que cela a été le cas jusqu’ici à la mise en œuvre consensuelle d’une expertise, en s’inspirant notamment de l’art. 93 de la loi fédérale sur l’assurance militaire du 19 juin 1992 (LAM - RS 833.1) qui prescrit que l’assurance militaire doit rendre une décision incidente susceptible de recours (seulement) lorsqu’elle est en désaccord avec le requérant ou ses proches sur le choix de l’expert. Selon le Tribunal fédéral, il est de la responsabilité tant de l’assureur social que de l’assuré de parer aux alourdissements de la procédure qui peuvent être évités. Il faut également garder à l’esprit qu’une expertise qui repose sur un accord mutuel donne des résultats plus concluants et mieux acceptés par l’assuré (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6).

6.2.2 Dans un ATF 139 V 349, le Tribunal fédéral a estimé qu’il est conforme au
droit de limiter l’attribution des mandats d’expertise selon le principe aléatoire
– tel que requis depuis l’ATF 137 V 210 pour les mandats d’expertises médicales confiées à un COMAI – aux expertises comprenant trois ou plus de trois disciplines médicales selon l’art. 72bis RAI (consid. 2.2 et 5.4). Il a relevé que pour les expertises médicales mono- et bidisciplinaires qui ne sont pas attribuées selon le principe aléatoire (consid. 4.2), l’incombance (Obliegenheit) de l’Office AI et de la personne assurée de s’efforcer d’aboutir à une désignation consensuelle de l’expert ou des experts prend une importance particulière et que, lorsqu’il entend confier une telle expertise à un COMAI, l’Office AI a l’obligation d’entreprendre cette procédure de désignation consensuelle (consid. 5.4). En revanche, le Tribunal fédéral a clairement rejeté la conception selon laquelle un expert ne pourrait être désigné qu’avec le consentement de l’assuré dès que celui-ci émet des objections sur la personne de l’expert, car cela reviendrait à reconnaître un droit de veto à l’assuré ; il a précisé que même en cas d’objection justifiée de l’assuré, l’assureur n’est pas tenu de suivre sans autre les contre-propositions de l’assuré (ATF 139 V 349 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 précité consid. 4.1).

7.              

7.1 En l’espèce, l’intimé a transmis au conseil du recourant le nom du psychiatre à qui il entendait confier l’expertise médicale (le Dr O______), ainsi que les questions qui lui seraient posées par communication du 11 mars 2021 et lui a accordé un délai pour faire part de ses éventuelles remarques.

Dans le délai imparti, le conseil du recourant a informé l’intimé par courrier du 29 mars 2021 qu’il avait « été en affaires avec le Dr O______ » et qu’il suggérait par conséquent d’attribuer le mandat d’expertise à un(e) autre spécialiste, en citant, à titre d’exemple, le Dr P______. Avant même que l’intimé ne sonde les disponibilités de ce dernier par courrier du 8 mars 2021, le secrétariat du Dr O______ a adressé directement à l’assuré la convocation à l’expertise, en précisant qu’un premier entretien aurait lieu le 15 avril 2021. Alors que les démarches de l’intimé auprès d’autres experts potentiels étaient toujours en cours, le recourant s’est rendu auprès de l’expert O______, le 15 avril 2021, comme cela avait été exigé de sa part, se conformant à son obligation de collaborer. Il était présent auprès de cet expert lorsque celui-ci a informé l’intimé par téléphone, le 29 avril 2021, qu’il avait reçu le courrier du 8 avril 2021 lui demandant d’annuler le rendez-vous du 15 avril 2021 et l’informant que le mandat était suspendu. Il a assisté à la conversation durant laquelle l’expert et l’intimé ont convenu, puisque, selon le Dr O______, « l’expertise était presque terminée », qu’une « autorisation spéciale » serait signée par le recourant et jointe au rapport d’expertise. Par conséquent, a priori, l’intimé a respecté les droits de participation du recourant en effectuant des démarches visant à proposer un expert faisant consensus. Toutefois, en adressant la convocation à l’expertise directement au recourant, avec copie à l’intimé, le cabinet du Dr O______ n’a pas respecté l’élection de domicile de l’intéressé auprès de son conseil, au vu et au su de l’intimé. Il a par ailleurs délibérément privé l’assuré du conseil de son avocat. L’intéressé a dû prendre sa décision sur le vif, sans en référer à son conseil.

Dès lors, il convient d’examiner si ces vices de notification ont violé le droit d’être entendu du recourant.

Selon l’art. 37 LPGA, une partie peut, en tout temps, se faire représenter, à moins qu’elle ne doive agir personnellement, ou se faire assister, pour autant que l’urgence d’une enquête ne l’exclue pas (al. 1). Tant que la partie ne révoque pas la procuration, l’assureur adresse ses communications au mandataire (al. 3). Il s’agit là d’un principe général du droit des assurances sociales, commandé par la sécurité du droit, qui est utilisé pour éliminer tout doute quant à la question
de savoir si la communication a été envoyée à la partie elle-même ou à son représentant, et pour clarifier quelles sont les communications déterminantes pour le calcul du délai de recours (ATF 99 V 177 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_815/2015 du 8 août 2016 consid. 5). Lorsqu’il reçoit personnellement une communication de l’assureur social, l’assuré représenté est en droit de penser que celle-ci est aussi parvenue à son représentant et qu’il peut s’abstenir d’agir personnellement (Ueli KIESER, ATSG-Kommentar, 4e éd. 2020, n. 25 ad art. 37). Le terme de communication doit être interprété largement et comprend en particulier aussi les exigences quant à la participation à la procédure et au respect du droit d’être entendu ou la convocation à des mesures d’instruction (Ueli KIESER, op. cit., n. 23 ad art. 37).

La notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice
pour l’intéressé (art. 49 al. 3, 3e phr., LPGA). Cependant, la jurisprudence n’attache pas nécessairement la nullité à l’existence de vices dans la notification. La protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité. Il convient à cet égard de s’en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice
de forme. Ainsi l’intéressé doit agir dans un délai raisonnable dès qu’il a connaissance, de quelque manière que ce soit, de la décision qu’il entend contester (ATF 122 I 97 consid. 3a/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_863/2013 du 9 mai 2014 consid. 3.2). En vertu de son devoir de diligence, il appartient à la partie à qui la décision a été directement notifiée de se renseigner auprès de son mandataire – dont l’existence est connue de l’autorité – de la suite donnée à son affaire, au plus tard le dernier jour du délai de recours. Aussi, la jurisprudence considère-t-elle qu’il y a lieu de faire courir dès cette date le délai dans lequel une partie est tenue d’attaquer une décision qui n’a pas été notifiée à son représentant (arrêts du Tribunal fédéral 9C_239/2022 du 14 septembre 2022 consid. 5.1 ; 9C_266/2020 du 24 novembre 2020 consid. 2.3 ; 2C_1021/2018 du 26 juillet 2019 consid. 4.2 et les références). 

7.2 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 322 consid. 5a).

8.              

8.1 En l’espèce, il n’est pas contesté que, bien que le recourant soit représenté de longue date par un avocat, le cabinet du Dr O______ lui a adressé personnellement – avec copie à l’intimé – la convocation à l’expertise, sans informer le conseil de l’intéressé. À réception de la copie de cette communication, l’intimé a adressé un courrier à l’expert, le 8 avril 2021, lui demandant d’annuler le rendez-vous du 15 avril 2021 et l’informant que le mandat était suspendu. Ce courrier, pas plus que l’entretien téléphonique du 29 avril 2021, par lequel l’expert a mis l’intimé devant le fait accompli, n’ont fait l’objet d’une communication au conseil du recourant. Il ressort par ailleurs du dossier qu’à partir du 29 avril 2021, l’intimé a cessé toute démarche auprès des autres experts proposés par le conseil du recourant.

Il est vrai que le recourant a rédigé une déclaration, datée du 15 avril 2021 – et annexée au rapport d’expertise du 7 mai 2021 – aux termes de laquelle il se disait « d’accord de faire l’expertise psychiatrique avec le Dr O______ ». Se pose la question de la portée de cette déclaration (cf. ci-après : consid. 8.2).

8.2 Selon la doctrine, un rapport de représentation n’exclut pas que la personne représentée fasse elle-même des déclarations qui l’engagent, mais il convient de noter que cela ne s’applique pas lorsque l’assureur traite à tort directement avec la personne représentée (Ueli KIESER, op. cit., n. 25 ad art. 37 LGPA et la référence). S’agissant des questions administratives et organisationnelles (convocation, date et lieu de l’expertise, etc.), le cabinet du Dr O______ peut être considéré comme un auxiliaire de l’intimé. Il s’ensuit que les vices de notification qui sont le fait de ce cabinet (violation de l’élection de domicile) doivent être imputés à l’intimé lui-même. Par conséquent, il ne fait aucun doute que, par la non-transmission de la convocation à l’expertise à Maître Cyril MIZRAHI, le droit du recourant de participer à l’établissement d’une expertise a été violé par l’intimé et que ce droit n’a pas été rendu sans objet par la déclaration du 15 avril 2021, dès lors que celle-ci a eu lieu dans le contexte de la violation de l’élection de domicile survenue en amont, au moment de l’adressage de la convocation. En outre, en cas de représentation par un avocat, l’assuré qui reçoit personnellement une communication de l’assureur social est en droit de penser que celle-ci est aussi parvenue à son représentant (arrêt du Tribunal fédéral 8C_216/2012 du 5 avril 2013 consid. 3.1). Ainsi, on ne pouvait exiger du recourant qu’il transmette lui-même la convocation à son conseil (cf. ATAS/598/2014 du 8 mai 2014 consid. 9). Il y a dès lors eu violation du droit d’être entendu.

8.3 Il convient d’examiner si cette violation peut être réparée.

On rappellera à titre liminaire que la Cour de céans a considéré dans son arrêt ATAS/989/2020 du 22 octobre 2020 qu’en l’absence de valeur probante du volet psychiatrique du rapport d’expertise bidisciplinaire des 4 mai et 26 juin 2018, les instructions données à l’intimé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 9C_286/2016 précité restaient d’actualité, de sorte qu’il convenait d’annuler la décision du 11 décembre 2018 et de renvoyer la cause à l’intimé pour qu’il mette en œuvre une expertise psychiatrique. Cela s’est effectivement produit via la réalisation de l’expertise litigieuse par le Dr O______, pourtant visé par une demande de récusation.

De deux choses l’une : soit l’intimé maintenait sa première proposition, à savoir la désignation de l’expert O______, malgré les griefs formulés par le conseil du recourant à l’encontre du médecin. Dans cette situation d’absence de consensus, l’intimé aurait dû statuer sur le rejet de ces griefs par le biais d’une décision incidente susceptible de recours (cf. ATAS/702/2022 du 11 août 2022 consid. 11.2.3) ; soit l’intimé poursuivait – comme il l’a fait dans un premier temps – sa recherche d’un consensus sur la personne de l’expert. Dans ce cas, il ne pouvait considérer, sur la base d’une déclaration d’accord viciée (ci-dessus : consid. 8.2) – obtenue qui plus est de la part d’une personne présentant des « capacités intellectuelles et de concentration nettement en dessous de la norme » (rapport d’expertise du 7 mai 2021, p. 33) –, que le recourant avait valablement renoncé à exercer plus avant ses droits de participation.

La violation de ceux-ci est d’autant plus grave que l’expert a fait fi de la suspension de son mandat et de la demande de l’OAI d’annuler le rendez-vous du 15 avril 2021 que l’intimé lui avait signifiée sept jours plus tôt, tout en étant conscient, à la date de ce rendez-vous préalablement annulé, qu’il faisait l’objet d’une demande de récusation : « L’expertisé explique d’emblée qu’il souhaite passer l’expertise psychiatrique avec le Dr O______, alors que son avocat aurait souhaité récuser cet expert [ ] » (cf. rapport d’expertise du 7 mai 2021, p. 18).

Or, l’expertise de ce médecin constitue, en l’espèce, l’élément central et prépondérant de l’instruction. C’est sur cette base que l’intimé a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité au recourant. Par conséquent, au vu de la jurisprudence précitée (ci-dessus : consid. 5.2), le recourant a été privé de ses droits de participation à l’établissement d’une expertise déterminante pour statuer sur son droit aux prestations, de sorte que la violation du droit d’être entendu ne peut être réparée – y compris par le projet de décision du 18 août 2021, qui persiste à se fonder sur l’expertise litigieuse –, ce qui entraîne, en principe, l’annulation de la décision attaquée, sous réserve des précisions qui suivent.

8.4 Il reste en effet à déterminer si la notification irrégulière de la convocation a atteint son but, plus précisément si l’invocation du vice de forme qui l’affecte respecte les règles de la bonne foi (cf. ci-dessus : consid. 7.1).

Il ne ressort pas des pièces produites par les parties que le conseil du recourant aurait eu connaissance des faits survenus les 15 et 29 avril 2021 avant de se voir notifier, le 14 juin 2021, le projet de décision du 11 juin 2021. Dans la mesure où cet acte révèle d’emblée qu’il se fonde sur « l’expertise [ ] mise en place » et que celle-ci « permet de conclure à l’absence d’affection empêchant votre mandant d’exercer une activité lucrative », on ne saurait reprocher au recourant, respectivement à son conseil, d’avoir attendu de connaître le résultat de l’expertise avant de tirer argument des vices ayant affecté la procédure de désignation de l’expert. Au contraire, le conseil du recourant a été constant dans ses déclarations puisqu’il a rappelé, dans son courrier du 21 juin 2021, faisant immédiatement suite à la notification du projet de décision du 11 juin 2021, qu’il avait déjà signalé à l’intimé, le 29 mars 2021, avoir été « en affaire avec le Dr O______ et suggéré d’attribuer le mandat au [Dr] P______ ». Aussi, en faisant valoir le 21 juin 2021, soit sept jours après réception du projet de décision du 11 juin 2021, qu’il était « manifestement contraire à la bonne foi [ ] de requérir une liste de trois spécialistes alors qu’en réalité le mandat avait d’ores et déjà été attribué au Dr O______ », le mandataire s’est prévalu dans un délai raisonnable des informalités qui pouvaient être déduites de la lecture du projet de décision du 11 juin 2021, en respectant le principe de la bonne foi.

9.             Il ressort de ce qui précède que, bien que le recourant n’ait aucun droit à la désignation consensuelle de l’expert et quand bien même les griefs invoqués ne seraient pas constitutifs d’un motif de récusation, l’intimé aurait dû statuer sur leur rejet par décision incidente, susceptible de recours. En ne le faisant pas, il a manifestement et gravement violé les droits de participation du recourant dans la procédure de désignation de l’expert et, par conséquent, son droit d’être entendu.

Ce vice ne saurait être réparé dans la présente procédure, dès lors que l’expertise constitue l’élément central et prépondérant de l’instruction.

Le rapport d’expertise du Dr O______ doit donc être écarté, dès lors qu’il a été obtenu en violation des droits de participation du recourant et ce, indépendamment des chances de succès de la demande de récusation qui avait été formulée et du bien-fondé de sa demande de prestations.

10.         Au vu de ce qui précède, le recours est admis, la décision du 23 novembre 2021 annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour qu’il mette en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique – en respectant les droits de participation du recourant –, afin d’examiner s’il y a eu une aggravation de l’état de santé postérieurement à la décision du 25 février 2010 au vu du diagnostic de trouble somatoforme évoqué dans le rapport d’expertise du CHUV du 19 juillet 2012, conformément à l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_286/2016 précité. Cela fait, il lui incombera de rendre une nouvelle décision.

 

*****


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 23 novembre 2021 et renvoie la cause à l’intimé pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, dans le respect des droits de participation du recourant.

4.        Condamne l’intimé à verser CHF 3’500.- au recourant à titre de dépens.

5.        Met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le