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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2925/2022

ATAS/536/2023 du 30.06.2023 ( LPP ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.09.2023, 9C_430/2023
*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : SOMME DE RACHAT;ACTIVITÉ LUCRATIVE;ÉTAT ÉTRANGER;PRÉVOYANCE PLUS ÉTENDUE;PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE SELON LA LPP;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;INSTITUTION DE PRÉVOYANCE
Normes : LPP.79b; LPP.89a.al1; LPP.89b.al1; OPP 2.60b.al1; ALCP.2; ALCP.21.al2; ALCP.21.al3; ALCP-I.9.al2
Résumé : Après avoir rappelé que l’art. 60b al. 1 OPP 2 - qui prévoit que la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’ont jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne doit pas dépasser, pendant les cinq années qui suivent leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré tel qu’il est défini par le règlement -, fait partie des instruments fiscaux réservés par l’art. 21 § 3 ALCP, la chambre de céans a retenu, par analogie avec l’ATF 140 II 167 consid. 5.5.2, que les différences de traitement éventuelles, qui découlent de cet objectif de sauvegarde des créances fiscales ou qui sont intimement liées à la schématisation que l’art. 60b al. 1 OPP 2 comporte (dans la durée et le pourcentage fixé), se justifient. Par conséquent, la question de savoir si l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 constitue une discrimination indirecte envers les ressortissants d’un Etat de l’Union européenne prohibée par l’art. 2 ALCP peut rester ouverte, étant encore précisé qu’il n’y a pas lieu d’examiner cette question à la lumière du règlement européen n° 883/2004, lequel ne s'applique pas aux rachats d’années d’assurance qui relèvent de la prévoyance plus étendue. En l’occurrence, le demandeur, ressortissant français, arrivé en Suisse en 2020, n'a jamais été affilié à une institution de prévoyance en Suisse avant le 1er septembre 2020. Il n’a pas non plus fait transférer des droits ou des avoirs de prévoyance acquis à l’étranger auprès de cette institution de prévoyance, au sens de l’art. 60b al. 2 OPP 2. C'est donc à juste titre que la défenderesse lui a opposé, en 2022, une limitation de la somme de rachat annuelle d’années d’assurance à 20% de son salaire assuré.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2925/2022 ATAS/536/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2023

 

En la cause

A______

représenté par Me Frédéric VUILLEUMIER, avocat

 

 

demandeur

 

contre

FONDATION EN FAVEUR DES MEMBRES DE LA DIRECTION GÉNÉRALE ET ASSIMILÉS DE B______ SA (FCC)

 

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le demandeur) est un ressortissant français, né en ______ 1964, qui s’est installé en Suisse le
1er septembre 2020 au moment d’entrer au service de la société B______ SA en qualité de directeur financier. Depuis lors, il est affilié pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation en faveur des membres de la direction générale et assimilés de B______ SA (ci-après : la FCC ou la défenderesse).

b. Selon la fiche d’assurance du 31 mars 2022, reflétant la situation au 1er janvier 2022, l’assuré avait effectué deux rachats d’années d’assurance par le passé, soit respectivement CHF 160'000.- le 11 décembre 2020 et CHF 172'080.- le 29 octobre 2021. En date du 1er janvier 2022, les possibilités de rachat d’années d’assurance s’élevaient encore à CHF 11'086'197.70.

c. Le 22 juillet 2022, l’assuré a adressé à la FCC une demande de rachat d’années d’assurance pour un montant de CHF 250'000.- dont il a effectué le versement.

d. Le 4 août 2022, la FCC lui a répondu qu’elle ne pouvait pas accepter un
rachat annuel supérieur à CHF 172'080.- en 2022, cette limite correspondant
aux 20% de son salaire assuré maximum s’élevant à « CHF 860'040.- » (sic) (CHF 860'400.- selon la fiche d’assurance précitée) en cette même année. En effet, selon le droit fédéral en vigueur, la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne devait pas dépasser, pendant les cinq années qui suivaient leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré, tel qu’il était défini par le règlement. Vu cette restriction, la FCC devait procéder à la restitution du montant de CHF 77'920.- qui excédait la limite précitée de CHF 172'080.-. Aussi la FCC invitait-elle l’assuré à lui communiquer ses coordonnées bancaires en Suisse en vue de la restitution du trop-perçu.

e. Le 30 août 2022, l’assuré a informé la FCC qu’il n’adhérait pas à la position exprimée le 4 août 2022 et qu’il saisirait l’autorité compétente pour contester la « décision de restitution ». Dans l’intervalle, la FCC était priée de bien vouloir conserver la différence de CHF 77'920.- et de l’affecter à l’avoir de prévoyance de l’assuré, jusqu’à droit connu sur la cause.

B. a. Le 13 septembre 2022, le mandataire de l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’une demande en justice contre la FCC, concluant à ce que la chambre de céans dise que le demandeur n’était pas soumis à une limite de 20% de son salaire assuré pour le rachat de CHF 250'000.- effectué en juillet 2022, ni pour tout autre futur rachat qui pourrait intervenir, et qu’en conséquence, elle ordonne à la FCC de comptabiliser l’entier du rachat de CHF 250'000.- effectué en date du 22 juillet 2022 sur l’avoir de prévoyance de l’assuré.

b. Par réponse du 24 octobre 2022, la FCC a indiqué avoir pris connaissance de l’écriture de l’assuré et des arguments qui ne manquaient, pour certains, pas d’intérêt. Cela étant, elle n’avait pas de précisions à apporter et s’en remettait à justice.

c. Par pli du 31 octobre 2022, le demandeur a indiqué que, dans la mesure où la FCC n’apportait pas de complément à sa demande du 13 septembre 2022 et s’en remettait à justice, il n’avait pas d’autres observations à formuler en l’état, sinon qu’il confirmait le contenu de sa demande et persistait dans ses conclusions.

d. Par courrier du 9 mars 2023, la chambre de céans a fait savoir au demandeur que dans la mesure où elle entendait s’assurer qu’un rachat de CHF 250'000.- pour l’année 2022 ne conduirait pas à une situation de « surassurance » compte tenu de la prévoyance professionnelle qu’il avait acquise à l’étranger, avant le 1er septembre 2020, il était invité à démontrer, par la déclaration de tous ses avoirs de prévoyance se situant à l’étranger, que s’ils avaient été déduits du montant maximal de la somme de rachat par la défenderesse, ses possibilités de rachats réglementaires en Suisse ne seraient pas épuisées et permettraient encore un rachat d’années de prévoyance, à concurrence de CHF 250'000.- en 2022.

e. Le 22 mars 2023, le demandeur a indiqué qu’avant de rejoindre l’entreprise B______ SA le 1er septembre 2020, il avait travaillé exclusivement sous le régime de prévoyance français. Il avait ainsi été affilié, durant l’ensemble de
sa carrière professionnelle, au régime général de retraite français par répartition (retraite de base de la sécurité sociale et retraite complémentaire obligatoire AGIRC-ARRCO) et ne disposait, dès lors, d’aucun avoir individuel de prévoyance en France ou ailleurs à l’étranger. Selon le relevé de carrière édité le 20 mars 2023 par AGIRC-ARRCO, que le demandeur avait annexé à son écriture du 22 mars 2023, le calcul de la retraite complémentaire reposait sur le nombre de points cumulés pendant la carrière de chaque cotisant. Dans le cas concret, les points que le demandeur avait acquis étaient au nombre de 62'806.62 au
4e trimestre 2020. En tenant compte d’une valeur du point de EUR 1.3498 au
1er novembre 2020, il disposait d’une retraite complémentaire obligatoire de
EUR 84'776.37 en France. Prenant position au sujet du relevé de carrière produit, le demandeur a soutenu qu’il était « manifeste » que la prise en compte de sa prévoyance professionnelle étrangère ne pouvait en aucun cas conduire à un cas de surassurance si le rachat de CHF 250'000.- et les éventuels rachats ultérieurs étaient admis.

f. Les autres faits seront exposés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

 

 

EN DROIT

1.             Conformément à l’art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la
Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220] ; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP – RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC - RS 210]).

En matière de prévoyance professionnelle, le for de l’action est au siège ou au domicile suisse du défendeur (art. 73 al. 3 LPP), soit Genève en l’espèce.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             L’ouverture de l’action prévue à l’art. 73 al. 1 LPP n’est soumise, comme telle, à l’observation d’aucun délai (Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, Recueil de jurisprudence neuchâteloise 1984, p. 19 ; Hans Rudolf SCHWARZENBACH-HANHART, Die Rechtspflege nach dem BVG, SZS 1983, p. 182).

3.             Respectant la forme prévue à l’art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10), la demande est recevable.

4.             Le litige porte sur le point de savoir si, durant les cinq années qui suivent son affiliation à la FCC, plus particulièrement en 2022, l’assuré doit accepter de se voir opposer par cette dernière une limitation de la somme de rachat annuelle d’années d’assurance à 20% de son salaire assuré.

5.              

5.1 Selon l’art. 79b LPP, l’institution de prévoyance ne peut permettre le rachat que jusqu’à hauteur des prestations réglementaires (al. 1). Le Conseil fédéral règle les cas des personnes qui, au moment où elles font valoir la possibilité de rachat, n’ont jamais été affiliées à une institution de prévoyance (al. 2).

En exécution de l’art. 79b al. 2 LPP, l’art. 60b de l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 18 avril 1984 (OPP 2 - RS 831.331.1) dispose que la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’ont jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne doit pas dépasser, pendant les cinq années qui suivent leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré, tel qu’il est défini par le règlement. Après l’échéance du délai de cinq ans, l’institution de prévoyance doit permettre à l’assuré, qui n’aurait pas encore racheté la totalité des prestations réglementaires, de procéder à ce rachat (al. 1). Selon l’al. 2, lorsque l’assuré fait transférer des droits ou des avoirs de prévoyance acquis à l’étranger, la limite de rachat fixée à l’al. 1, 1ère phr. ne s’applique pas, pour autant que ce transfert soit effectué directement d’un système étranger de prévoyance professionnelle dans une institution de prévoyance suisse (let. a) ; que l’institution de prévoyance suisse admette un tel transfert (let. b) ; et que l’assuré ne fasse pas valoir, pour ce transfert, une déduction en matière d’impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes (let. c).

5.2  Dès lors que les personnes arrivant en Suisse pour y exercer une activité salariée présentent, typiquement, d’importantes lacunes dans le deuxième pilier suisse, faute d’un « passé de prévoyance » en Suisse, et qu’il est possible qu’elles disposent d’importants avoirs de prévoyance à l’étranger qu’elles ne doivent, ne peuvent ou ne veulent pas transférer dans l’institution de prévoyance suisse, la lacune de prévoyance susceptible d’être rachetée en Suisse s’avère nettement plus importante que celle d’une personne ayant un passé de prévoyance purement national et ayant entrepris les mêmes efforts de prévoyance. Il en découle un risque que le rachat d’années de prévoyance, qui n’est pas imposé (cf. ci-après : consid. 7.3), soit utilisé à des fins fiscalement abusives et non plus dans le but d’améliorer le niveau de prévoyance. L’objectif de l’art. 60b OPP 2 est ainsi d’éviter la réalisation d’un tel risque. Comme la limitation du rachat de l’ancien art. 79a LPP – en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005 – a été supprimée et qu’il est impossible en pratique de contrôler si des personnes disposent à l’étranger d’un régime de prévoyance équivalent à la prévoyance professionnelle suisse, le législateur a estimé nécessaire, dans le cadre de l’art. 79b al. 2 LPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2006, de charger le Conseil fédéral d’introduire une nouvelle disposition contre les abus. Conçue comme une norme à caractère fiscal, l’art. 60b OPP 2 vise les personnes qui s’installent en Suisse, y travaillent pendant quelques années durant lesquelles elles réduisent leur revenu imposable par des rachats, puis quittent la Suisse en exigeant, dans ce contexte, le versement en espèces de leur avoir de prévoyance, conformément à l’art. 5 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 17 décembre 1993 (LFLP – RS 831.42). Comme la plupart des conventions de double imposition attribuent le droit d’imposer les prestations de prévoyance à l’État de résidence, la Suisse ne profiterait pas fiscalement de l’activité lucrative de ces personnes dans la plupart des cas (Office fédéral des assurances sociales [ci-après : OFAS], Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 83 [16 juin 2005] p. 22) ; Hans-Peter CONRAD/ Peter LANG, in HÜRZELER/ STAUFFER [éd.], Berufliche Vorsorge, Basler Kommentar, 2021, n. 32 ad
art. 79b LPP ; Anne TROILLET/ Céline MOULLET, La prévoyance professionnelle des expatriés : questions choisies, in KAHIL-WOLFF/ WYLER [éd.], Piliers du droit social, 2019, p. 204). L’art. 60b al. 1 OPP 2 vise à éviter que des personnes bénéficiant d’un revenu élevé et séjournant en Suisse seulement pour une durée limitée ne paient quasiment pas d’impôts en réduisant leur revenu imposable par l’affectation de tout ou partie de celui-ci au rachat d’années de prévoyance (cf. Franziska GROB, Berufliche Vorsorge in internationalen Verhältnissen, in BVG-Tagung 2021, p. 111).

5.3 En cas de rapports de prévoyance « purement suisses » (sur cette notion : cf. consid. 5.4), l’art. 79b al. 1 LPP prévoit que l’institution de prévoyance ne peut permettre le rachat que jusqu’à hauteur des prestations réglementaires.

Au moment de l’entrée dans une institution de prévoyance, l’étendue du rachat est déterminée en premier lieu par la LFLP (art. 9 LFLP ; art. 13 LFLP). Une fois que l’assuré est entré dans une institution de prévoyance, d’autres rachats ne sont en principe possibles que s’il existe une base réglementaire formelle correspondante (arrêt du Tribunal fédéral 2A.279/2006 du 26 février 2007 consid. 2.2). Cela découle du principe de la planification, selon lequel les cotisations, entre autres, supposent une disposition réglementaire (art. 1g OPP 2). La somme de rachat maximale est déterminée par la différence entre l’avoir de vieillesse maximal possible, selon le tableau de rachat et l’avoir de vieillesse effectivement disponible. Afin d’éviter une « surassurance » et de pouvoir ainsi mettre en œuvre le principe d’adéquation (art. 1 al. 3 LPP), certains avoirs doivent être déduits du montant maximal de la somme de rachat (Hans-Peter CONRAD/ Peter LANG, op. cit., n. 15 ss ad art. 79b LPP). Ces avoirs sont constitués de la prestation de sortie de l’ancienne institution de prévoyance, portée au crédit de l’avoir de prévoyance de l’assuré (art. 9 al. 1 LFLP) et des prestations de libre passage placées auprès d’institutions de libre passage, ou conservées en supplément auprès d’une autre institution de prévoyance (art. 60a al. 3 OPP 2). Enfin, conformément à l’art. 60a al. 2 OPP 2, le montant maximum de la somme de rachat est diminué de l’avoir du pilier 3a de la personne assurée qui dépasse la somme, additionnée d’intérêts, des cotisations maximales annuellement déductibles du revenu à partir de 24 ans selon l’art. 7 al. 1 let. a de l’ordonnance sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance du 13 novembre 1985 (OPP 3 – RS 831.461.3).

5.4 Commentant l’art. 60b al. 2 OPP 2 (ci-dessus : consid. 5.1), qui ne s’applique que dans les cas d’un transfert de l’étranger en Suisse et non de Suisse vers l’étranger, l’OFAS rappelle que les institutions de prévoyance, selon la LFLP, sont des institutions purement suisses, en vertu du principe de territorialité. Il en résulte que le transfert de prestations de libre passage au sens de l’art. 3 al. 1 LFLP ne peut s’opérer qu’entre des institutions de prévoyance suisses. Un avoir de prévoyance constitué à l’étranger ne peut, en principe pas être transféré tel quel à une institution de prévoyance suisse. Et, pour autant qu’il soit possible – ce qui dépend non seulement du droit étranger, mais aussi du règlement de l’institution de prévoyance suisse –, un transfert de l’étranger doit respecter les règles prévues par les dispositions en matière de rachat (ci-dessus : consid. 7.2 ; OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 120 [18 octobre 2010], p. 7). Le caractère potestatif de l’art. 60b al. 2 let. b OPP 2 s’explique notamment par le fait que certains États soumettent le transfert des avoirs de prévoyance hors de leurs frontières à des conditions fixées par leur législation interne, notamment d’un point de vue fiscal, ce qui n’est pas acceptable selon l’OFAS et explique également le désintérêt des institutions de prévoyance suisses à accepter le transfert de tels avoirs de prévoyance étrangers. Il s’ensuit que la dérogation de l’art. 60b al. 2 OPP 2 n’a guère d’importance pratique et que les expatriés, qui sont affiliés à l’AVS, disposent probablement, pour une grande partie, de droits acquis auprès de fonds de pension étrangers (cf. Anne TROILLET/ Céline MOULLET, op. cit., p. 202 ss). On ajoutera à propos de la troisième condition posée par l’art. 60b al. 2 OPP 2 (let. c) que celle-ci rappelle l’arrière-plan fiscal (protection de l’assiette fiscale suisse) de l’art. 60b al. 1 OPP 2, dans la mesure où la limitation du rachat tombe si l’assuré renonce à faire valoir une déduction en matière d’impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes pour le transfert des droits ou des avoirs de prévoyance acquis à l’étranger. La question de savoir si, d’un point de vue systématique, une telle renonciation est possible, mérite d’être discutée ; le droit fiscal prévoit la déduction des cotisations à la prévoyance professionnelle (y compris les rachats) (art. 33 al. 1 let. d de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 [LIFD – RS 642.11] ;
art. 9 al. 2 let. d de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 [LHID – RS 642.14]) et les autorités doivent s’en tenir à ces dispositions en vertu du principe de légalité, ce qui exclurait la renonciation par le contribuable à une conséquence juridique prévue de par la loi (Hans-Peter CONRAD/ Peter LANG, op. cit., n. 34 ad  art. 79b LPP). Cela étant, s’il n’est pas possible d’opérer une déduction pour le rachat, il ne peut pas y avoir d’abus sur le plan fiscal et la condition prévue par l’art. 60b al. 2 let. c OPP 2 n’a pas lieu de s’appliquer dans cette hypothèse (OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 120 [18 octobre 2010], p. 7). Pour l’assuré qui dispose encore, dans les limites réglementaires, de possibilités de rachats après avoir procédé à un transfert selon l’art. 60b al. 2 OPP 2, les éventuels rachats « complémentaires » (privilégiés fiscalement quant à eux) seront soumis aux conditions/limitations de l’art. 60b al. 1 OPP 2 (OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 123 [19 juillet 2011], p. 108).

6.             L’assuré invoque l’incompatibilité de l’art. 60b OPP 2 avec le droit international. En tant que cette disposition prévoit le plafonnement de la somme de rachat annuelle d’années d’assurance à 20% du salaire assuré, pour les assurés qui arrivent de l’étranger et qui n’ont jamais été affiliés à une institution de prévoyance en Suisse, il y aurait une discrimination indirecte envers les ressortissants d’un État de l’Union européenne (ci-après : UE), prohibée par l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, entré en vigueur le 1er juin 2002 (ALCP – RS 0.142.112.681).

6.1 Dans sa septième partie, la LPP règle les relations avec le droit européen. Selon l’art. 89a al. 1 LPP, pour les personnes qui sont ou qui ont été soumises à la législation sur la sécurité sociale de la Suisse ou d’un ou de plusieurs États de l’UE et qui sont des ressortissants suisses ou des ressortissants de l’un des États de l’UE, pour les réfugiés ou les apatrides qui résident en Suisse ou dans un État de l’UE, ainsi que pour les membres de la famille et les survivants de ces personnes, les actes ci-après, dans leur version qui lie la Suisse en vertu de l’annexe II, section A, de l’ALCP sont applicables aux prestations comprises dans le champ d’application de la présente loi :

-          le règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (règlement n° 883/2004 – RS 0.831.109.268.1) (let. a) ;

-          le règlement n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (règlement n° 987/2009 – RS 0.831.109.268.11) (let. b) ;

-          le règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (règlement n° 1408/71 – RO 2004 121, RO 2008 4219, 4273, RO 2009 4831) (let. c) ;

-          le règlement n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du Règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté ; dans la dernière version en vigueur selon l’accord sur la libre circulation des personnes (règlement n° 574/72 – RO 2005 3909, RO 2008 4273, RO 2009 621 4845) (let. d).

Les personnes qui résident en Suisse ou dans l’un des États membres de la Communauté européenne et qui sont visées par l’art. 89a al. 1, ont, pour autant que l’ALCP n’en dispose pas autrement, les mêmes droits et obligations prévus par la présente loi que les ressortissants suisses (art. 89b al. 1 LPP).

6.2 Aux termes de l’art. 8 ALCP, les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer notamment l’égalité de traitement.

Selon l’art. 1 § 1 de l’annexe II de l’ALCP – intitulée « coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l’art. 8 ALCP et faisant partie de l’accord (art. 15 ALCP) – en relation avec la section A de cette annexe, les parties contractantes appliquent entre elles, notamment, le règlement n° 883/2004 et le règlement n° 987/2009.

Selon la décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 remplaçant l’annexe II dudit accord sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le règlement n° 883/2004 est entré en vigueur pour la Suisse le 1er avril 2012. À cette date, il s’est substitué au règlement n° 1408/71.

En l’occurence, sous réserve des précisions qui suivent, c’est en principe le règlement n° 883/2004 qui est applicable, l’affiliation de l’assuré à la FCC remontant au 1er septembre 2020.

6.3 Il convient, tout d’abord, d’examiner si les normes relatives à la prévoyance professionnelle sont soumises au système de sécurité sociale selon l’art. 8 et l’annexe II de l’ALCP. Dans le domaine de la sécurité sociale, l’accord se limite à la coordination des systèmes nationaux. Par « coordination », il faut comprendre que les législations des États parties à l’accord ne sont en principe pas modifiées. Toutefois, lorsque leurs dispositions sont contraires aux règles interétatiques, ces dernières priment. La Suisse peut donc continuer à décider, de manière autonome, de l’évolution de sa législation en matière de sécurité sociale, mais elle doit appliquer les principes découlant des règles de coordination, dont l’interdiction de discrimination, l’égalité de traitement et le principe du lieu de travail (arrêt du Tribunal administratif fédéral 2009/47 du 29 juin 2009 consid. 6.3 et les réf.). C’est avant tout le règlement n° 1408/71 qui remplit cette tâche de coordination (cf. ATF 140 II 364 consid. 4.3) et, à sa suite, le règlement n° 883/2004. La prévoyance professionnelle en Suisse est conçue sur une base légale d’une part,
et contractuelle, d’autre part. La première contient des dispositions minimales obligatoires garanties à tout salarié ; la seconde, lorsqu’elle existe, va au-delà de ce minimum légal. La prévoyance professionnelle est également incluse dans le champ d’application de l’ALCP. La prévoyance professionnelle fait pleinement partie du système suisse de sécurité sociale, tel que défini aux art. 111 et
113 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ‑ RS 101). Cela vaut toutefois pour la prévoyance professionnelle minimale obligatoire selon la LPP, et non pas pour la prévoyance professionnelle plus étendue qui, dans le contexte européen, est incluse dans le champ d’application de la Directive 98/49 CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après : Directive 98/49), à laquelle il est renvoyé à la section A de l’annexe II de l’ALCP (ATF 137 V 181 consid. 2.1).

L’institution de prévoyance doit permettre aux assurés entrants de maintenir et de développer leur couverture de prévoyance et leur créditer les prestations de sortie qu’ils ont apportées (art. 9 al. 1 LFLP). Si l’institution de prévoyance fixe ses prestations dans un plan de prestations, elle doit donner à l’assuré la possibilité de racheter toutes les prestations réglementaires. L’art. 79b LPP est réservé (art. 9
al. 2 LFLP). Dans le cadre de la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, la LFLP règle les droits des assurés en cas de libre passage (art. 1
al. 1 LFLP). Un tel cas de libre passage (cf. art. 2 al. 1 LFLP) est à distinguer d’un cas de rachat d’années d’assurance en cours d’assurance, raison pour laquelle les dispositions de la LFLP ne sont pas applicables à cette seconde hypothèse. En outre, l’art. 9 LFLP est classé sous la « Section 3 : Droits et obligations de l’institution de prévoyance lors de l’entrée d’un assuré ». Il en ressort clairement que cette disposition concerne les nouveaux assurés et ne peut pas être appliquée à un rachat ultérieur, soit à un rachat d’années d’assurance en cours d’assurance. Enfin, il n’apparaît pas qu’une autre disposition légale, notamment l’art. 79b LPP, confèrerait un droit au rachat des prestations réglementaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_813/2014 du 26 mai 2015 consid. 2.3). En d’autres termes, le droit au rachat de la totalité des prestations réglementaires existe, selon la loi, seulement lors de l’entrée de la personne assurée dans l’institution de prévoyance. S’il est effectué en cours d’assurance, un tel rachat relève de la prévoyance professionnelle plus étendue et n’est donc possible que dans la mesure où le règlement de l’institution de prévoyance le prévoit (Hermann WALSER, in SCHNEIDER/ GEISER/ GÄCHTER [éd.], LPP et LFLP, 2ème éd. 2020, n. 10-11 ad art. 9 LFLP ; Jacques-André SCHNEIDER/ Nicolas MERLINO/ Didier MANGE, in SCHNEIDER/ GEISER/ GÄCHTER [éd.], LPP et LFLP, 2ème éd. 2020, n. 10-11 ad art. 79b LPP).

6.4 En l’espèce, le rachat litigieux a été effectué non pas à l’entrée dans la caisse mais en cours d’assurance. Il relève ainsi de la prévoyance plus étendue. En conséquence, le point de savoir si pour l’assuré – qui est arrivé de France et n’a jamais été affilié à une institution de prévoyance suisse avant le 1er septembre 2020 –, la limitation de la somme de rachat annuelle d’années d’assurance à 20% du salaire assuré constitue une discrimination prohibée ne doit pas être examiné à la lumière du règlement n° 883/2004. Quant à la Directive 98/49, son art. 4 prévoit, certes, un principe propre de non-discrimination, mais limité à la question – non pertinente en l’espèce – du maintien des droits à pension (ATF 140 II 364 consid. 4.3 ; Basile CARDINAUX, Das Personenfreizügigkeitsabkommen und die schweizerische berufliche Vorsorge, thèse, 2008, p. 89, n. 156). Il en découle, selon cet auteur, que c’est à l’aune des interdictions de discrimination prévues par l’ALCP, en particulier son art. 2, qu’il convient d’examiner si l’application
de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à l’assuré constitue une discrimination prohibée
(Basile CARDINAUX, op. cit., p. 89, n. 156 ; p. 564, n. 1253 ; dans le même sens, Frédéric VUILLEUMIER, in Daniel DE VRIES REILINGH [éd.], Droit fiscal et assurances sociales, 2016, p. 175-176).

6.4.1 Selon l’art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont
pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III
de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité.

Aux termes de l’art. 9 § 2 annexe I ALCP, le travailleur salarié et les membres de sa famille visés à l’art. 3 de la présente annexe y bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.

En vertu de l’art. 21 § 2 ALCP, aucune disposition du présent accord ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d’établir une distinction, dans l’application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale, entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence.

Selon l’art. 21 § 3 ALCP, aucune disposition du présent accord ne fait obstacle à l’adoption ou l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d’une part, et un ou plusieurs États membres de la Communauté européenne, d’autre part, ou d’autres arrangements fiscaux.

L’art. 16 § 2 ALCP précise que dans la mesure où l’application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (ci‑après : CJCE) antérieure à la date de sa signature (21 juin 1999). La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’accord, à la demande d’une partie contractante, le Comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.

6.4.2 Les principales dispositions de l’ALCP précitées seront examinées ci-après, de même que leur lien avec l’art. 60b al. 1 OPP 2.

6.4.2.1.    Il découle de l’art. 2 ALCP que les ressortissants de l’UE ne peuvent pas être désavantagés par rapport aux citoyens suisses en ce qui concerne les droits régis par l’accord sur la libre circulation des personnes. Cette interdiction de discrimination, qui est d’application directe (« self-executing »), ne s’applique toutefois que dans les cas où les interdictions spécifiques de discrimination des art. 9, 15 et 29 de l’annexe I de l'ALCP n’ont pas la priorité en tant que lex specialis (CARONI/ SCHEIBER/ PREISIG/ PLOZZA, Migrationsrecht, 5ème éd. 2022, n. 964). L’art. 2 ALCP pose le principe de l’égalité de traitement sous la forme négative d’une interdiction de discrimination (ATF 136 II 241 consid. 12). Il n’y a de discrimination que lorsque des situations comparables sont traitées de façon différente ou lorsque des situations différentes sont traitées de façon comparable (ATF 140 II 167 consid. 4.1). Pour sa part, la CJCE a défini le principe de non-discrimination comme étant un principe visant à éliminer toutes les mesures imposant à un ressortissant étranger un traitement plus rigoureux, ou le plaçant dans une situation de droit ou de fait désavantageuse par rapport à la situation dans laquelle se trouve un ressortissant national dans les mêmes circonstances (Astrid EPINEY/ Gaëtan BLASER, in Cesla AMARELLE/ Minh Son NGUYEN [éd.], Code annoté de droit des migrations, Vol III, 2014, n. 22 ad art. 2 ALCP et la référence). L’art. 2 ALCP prohibe
non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes ou formelles), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application de critères de distinction autres que la nationalité, aboutissent en fait au même résultat que les discriminations formelles parce qu’elles portent typiquement préjudice aux ressortissants de certains États membres (discriminations indirectes ou matérielles). Il en est ainsi d’une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 137 II 242 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_820/2018 du 11 juin 2019 consid. 3.2).

L’interdiction de discrimination n’est pas absolue et des motifs justificatifs peuvent être acceptés à certaines conditions. L’ALCP prévoit tout d’abord la possibilité d’invoquer des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique pour justifier des limitations faites aux droits consacrés par l’Accord
(cf. art. 5 § 1 annexe ALCP). De plus, et conformément à la jurisprudence de
la CJCE, il convient d’ajouter à cette liste des motifs justificatifs non écrits, également appelés « raisons impérieuses d’intérêt général ». Si ces dernières sont interprétées de façon relativement large, elles ne peuvent en aucun cas reposer sur des motifs économiques (Gaétan BLASER, in Cesla AMARELLE/ Minh Son NGUYEN [éd.], Code annoté de droit des migrations, Vol III, 2014, n. 27 ad art. 2 ALCP et les références). En matière fiscale, la CJCE a admis la nécessité d’assurer un contrôle fiscal effectif, la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal (ATF 136 II 241 consid. 13.4 et la référence à l’arrêt de la CJCE du 28 janvier 1990 C-204/90 Bachmann, Rec. 1990 I-2161) ainsi que la nécessité d’empêcher l’abus de droit. Pour être admissibles au sens de la jurisprudence de
la CJCE, les motifs justificatifs non écrits doivent respecter le principe de la proportionnalité (Valentina MOSHEK, L’impact de l’ALCP sur l’impôt à la source – analyse à la lumière de l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 janvier 2010,
in ASA 79, pp. 303 ss, 318).

6.4.2.2.    S’agissant de l’art. 9 § 2 annexe I ALCP, les termes « avantages fiscaux et sociaux » sont une notion de droit communautaire. Pour la déterminer, il faut en principe tenir compte de la jurisprudence de la CJCE antérieure à la date de la signature de l’ALCP (art. 16 § 2 ALCP). La notion d'avantage social s'inspire de l’art. 7 al. 2 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs (auquel s’est substitué l’art 7 al. 2 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011). Selon la jurisprudence de la CJCE, la notion d’« avantage social » couvre tous les avantages qui – qu'ils soient ou non liés à un contrat de travail – sont accordés aux travailleurs nationaux principalement en raison de leur qualité objective de travailleurs ou simplement de leur résidence habituelle sur le territoire national et dont l'extension aux travailleurs d'autres États membres apparaît dès lors de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté (cf. ATF 137 II 242 consid. 3.2.1 et les références). En Suisse, le Tribunal fédéral s’est basé sur ce qui précède pour déterminer si certaines prestations prévues par le droit suisse devaient être considérées comme des avantages sociaux au sens de l’art. 9 al. 2 de l’annexe I. Cela l’a porté à accorder une telle qualification, à la libération des conditions relatives à la période de cotisations au sens de l’art. 14 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI – RS 837 ; ATF 133 V 367), à l’indemnité pour changement d’occupation au sens des art. 84 al. 2 de la loi fédérale sur l’assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA – RS 832.20) et 86 de l’ordonnance sur la prévention des accidents du 19 décembre 1983 (OPA ‑ RS 832.30 ; ATF 134 V 284), ainsi qu’à l’aide sociale accordée par la législation vaudoise sous la forme d’un revenu d’insertion (ATF 141 V 321 consid. 4.1). Le Tribunal fédéral a en revanche laissé ouverte la question de savoir si les mesures de formation scolaire spéciale de l’art. 19 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20) représentent un avantage social (ATF 132 V 184). En pratique, la casuistique développée par la CJCE et le Tribunal fédéral s’est attachée plus au volet social qu’au volet fiscal de la notion d’« avantages fiscaux et sociaux ». Pour ce qui a trait plus particulièrement aux avantages fiscaux, il convient de préciser que l’art. 9 § 2 annexe I doit être lu en relation avec l’art. 21 ALCP (Alvaro BORGHI, La libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, 2020, p. 186, n. 386).

6.4.2.3.    En autorisant expressément à effectuer des distinctions entre des situations non comparables, l’art. 21 § 2 ALCP semble à première vue constituer un simple rappel du principe de l’égalité de traitement. Ce paragraphe apporte cependant d’autres indications ; il rappelle notamment qu’en matière fiscale, la notion de résidence est pertinente pour déterminer le caractère comparable de diverses situations. Par l’usage du terme « situation comparable »
– en lieu et place de « situation identique » –, il renvoie ainsi à la jurisprudence
de la CJCE dans son état jusqu’au 21 juin 1999, en particulier à l’arrêt du
14 février 1995 C-279/93 Schumacker, Rec. 1995 I-225 (cf. ATF 136 II 241
consid. 14.2). L’art. 21 § 2 ALCP revêt enfin une importance particulière pour ce qui a trait aux diverses distinctions effectuées lors de l’application des dispositions fiscales, notamment en ce qui concerne le régime suisse d’imposition à la source (Gaétan BLASER, in Cesla AMARELLE/ Minh Son NGUYEN [éd.], Code annoté de droit des migrations, Vol III, 2014, n. 22 ad art. 2 ALCP et la référence).

6.4.2.4.    Le Tribunal fédéral considère que contrairement à ce qui est le cas pour le § 2 de l’art. 21 ALCP, le § 3 de cette disposition n'utilise pas de notions
de droit communautaire, de sorte que l’art. 16 § 2 ALCP n’a pas vocation à s’appliquer. L’art. 21 § 3 ALCP doit donc être interprété de manière autonome ou selon les règles des art. 31 ss de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (CDI - RS 0.111), c’est-à-dire en premier lieu de bonne foi, conformément au sens ordinaire à attribuer à ses dispositions dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 al. 1 CDI ; ATF 140 II 167
consid. 5.5.2). Dans ce dernier arrêt, l’interprétation autonome de l’art. 21
§ 3 ALCP a en particulier pour effet que le Tribunal fédéral n’examine pas, dans le cas qui lui est soumis, si, par rapports aux ressortissants suisses, la discrimination qui résulte de l’imposition à la source des ressortissants d’un pays de l’UE – disposant d’un simple permis de séjour – satisfait au principe de proportionnalité (principes d’aptitude et de nécessité) tel qu’il découle de la jurisprudence de la CJCE et de celle, plus récente, de la Cour de justice l’Union européenne (ci-après : CJUE ; cf. Stefan OESTERHELT/ Moritz SEILER, in STOCKER/ OESTERHELT [éd.], Internationales Steuerrecht der Schweiz, 2023, p. 709 n. 48-49).

L’ATF 140 II 167 concerne la situation suivante : le droit fiscal suisse soumet les étrangers résidant en Suisse (y compris ceux provenant des États membres de l’UE) à l’imposition à la source de leurs revenus tant qu’ils ne disposent pas
d’un permis d'établissement (art. 83 al. 1 LIFD ; art. 32 al. 1 LHID). Par rapport
à la taxation ordinaire, l’imposition à la source entraîne nécessairement une diminution des liquidités pour la personne imposée : contrairement à un ressortissant suisse, le travailleur étranger ne reçoit pas le salaire brut, mais seulement le salaire net. En d’autres termes, les étrangers résidant en Suisse et ne disposant que d’un permis de séjour sont ouvertement discriminés, c'est-à-dire ouvertement moins bien traités que les citoyens suisses, bien que leurs situations soient objectivement comparables (Stefan OESTERHELT, op. cit., p. 709 n. 49).

Selon le Tribunal fédéral, les mesures destinées à garantir l’imposition au sens de l’art. 21 § 3 ALCP visent notamment l’impôt à la source. Considéré en tant que tel, celui-ci est compatible avec l’ALCP. Si les problèmes de perception et de prélèvement se présentent surtout en matière d’impôt à la source des personnes qui ne sont ni domiciliées ni en séjour en Suisse (art. 35 LHID), ils concernent également les personnes étrangères domiciliées en Suisse : certains étrangers ne séjournent en Suisse que pour une courte période et peuvent retourner à l’étranger avant que leurs impôts aient été établis et payés. Le fait que les ressortissants de l’UE aient droit à une autorisation de séjour n’y change rien. L’art. 21 § 3 ALCP tient compte du fait qu’il n’existe pas de régime d’assistance administrative fiscale dans les relations entre la Suisse et l’UE dans le domaine des impôts directs, contrairement à ce qui se passe au sein de l’UE (directive 77/799/CEE du Conseil du 19 décembre 1977 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs [JO L 336 du 27 décembre 1977, p. 15]) ou la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE [JO L 64 du 11 mars 2011, p. 1] qui l’a remplacée). Selon la jurisprudence de la CJUE, un avantage fiscal peut également être refusé (au sein de l’UE) si celui-ci dépend de conditions qui ne pourraient être vérifiées
que par des renseignements fournis par un État tiers, mais qui ne peuvent être obtenus en raison de l’absence d’une obligation contractuelle de l’État tiers de fournir des renseignements (arrêts de la CJUE du 27 janvier 2009 C-318/07 Persche, point 70 ; du 19 juillet 2012 C-48/11 Veronsaajien, point 35 ; du 28 février 2013 C-544/11 Petersen, point 55). Cela est valable a fortiori dans le cadre de l’ALCP. Le fait qu’un objectif de sauvegarde de la créance fiscale n’existe pas pour tous les étrangers sans autorisation d’établissement n’y change rien, car le droit fiscal, en tant que droit applicable à des situations de masse, est nécessairement tributaire de certaines schématisations. De plus, on ne peut pas savoir ex ante si le séjour en Suisse sera plus court ou plus long (ATF 140 II 167 consid. 5.5.2). L’imposition à la source étant réservée à l’art. 21 § 3 ALCP pour la sauvegarde des créances fiscales, les différences de traitement qui découlent
de cet objectif de sauvegarde, poursuivi par l'imposition à la source, ou qui sont nécessairement liées à ce système d’imposition, sont également justifiées (cohérence du système fiscal ; ATF 140 II 167 consid. 5.5.3).

6.4.2.5.    En tant qu’instrument de lutte contre l’optimisation fiscale abusive (cf. ci-dessus : consid. 5.2), l’art. 60b al. 1 OPP 2 tombe dans le champ d’application des mesures réservées par l’art. 21 § 3 ALCP (Basile CARDINAUX, thèse précitée, p. 561, n. 1251).

7.              

7.1 En l’espèce, le demandeur est un ressortissant français, domicilié en Suisse depuis le 1er septembre 2020. L’ALCP lui est applicable d’un point de vue personnel, notamment les art. 6 et ss de son annexe I, qui concernent les travailleurs salariés. La prévoyance étendue – dont relève le rachat d’années de prévoyance (en cours d’assurance) ici en cause – étant exorbitante du champ d’application matériel des règlements n° 883/2004 et 987/2004 auxquels renvoie l’annexe II de l’ALCP, c’est à la lumière de l’art. 2 ALCP – disposition qui pose le principe de l’égalité de traitement sous la forme négative d’une interdiction de discrimination directe (à raison de la nationalité) ou indirecte (à raison d’autres critères aboutissant en fait au même résultat ; ATF 136 II 241 consid. 12) – qu’il y a lieu d’examiner si le demandeur doit accepter de se voir opposer une limitation de la somme de rachat annuelle d’années d’assurance à 20% de son salaire assuré en 2022.

À cet égard, il n’est pas contesté que le demandeur, arrivé de France en 2020, n’a jamais été affilié à une institution de prévoyance en Suisse avant le 1er septembre 2020 et qu’au vu du salaire assuré de CHF 860'400.- qui était le sien en 2022, la demande de rachat qu’il a présentée en juillet de cette même année, pour un montant de CHF 250'000.-, dépassait de CHF 77'920.- la limite de 20% du salaire assuré. En outre, étant donné qu’il comptait moins de cinq années d’affiliation à
la FCC en 2022, le demandeur ne conteste pas – à juste titre – que les conditions de l’art. 60b al. 1 OPP 2 soient réunies, mais uniquement la compatibilité de cette disposition avec l’art. 2 ALCP.

La chambre de céans constate pour sa part que, même si l’art. 60b al. 1 OPP 2 s’applique indistinctement aux ressortissants suisses, de l’UE et de l’AELE, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, les « personnes arrivant de l’étranger » et qui « n’ont jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse » sont le plus souvent des étrangers. Aussi convient-il d’examiner ci-après (consid. 7.2) si la situation de ces derniers est à ce point différente qu’un plafonnement du rachat à 20% de leur salaire assuré n’est pas constitutif d’une discrimination indirecte à leur encontre.

7.2 Il est conforme au cours ordinaire des choses que des personnes pouvant consacrer une part substantielle de leurs revenus à des rachats d’années de prévoyance après paiement de leurs charges courantes bénéficient de revenus élevés dont la progression va de pair avec l’ancienneté et, le cas échéant, des responsabilités plus étendues et mieux rémunérées au sein de l’entreprise. Partant de ce constat, il est clair qu’au fil de leur parcours de salarié, de telles personnes n’ayant jamais été affiliées à une institution de prévoyance suisse se sont déjà constitué, à l’étranger, des droits ou des avoirs de prévoyance au moment de leur première entrée dans une institution de prévoyance suisse. Sous l’angle de la constitution de droits ou d’avoirs de prévoyance, leur situation ne diffère donc pas de celles de personnes d’âge et de profil similaires qui auraient acquis ces droits
ou avoirs auprès d’une institution de prévoyance en Suisse en travaillant dans ce pays. On constate par ailleurs qu’entre ces deux catégories de salariés, il n’existe pas de différence de traitement du point de vue de la liberté d’effectuer des rachats d’années de prévoyance lorsque les personnes arrivant de l’étranger font transférer auprès de leur institution de prévoyance leurs droits ou avoirs de prévoyance acquis à l’étranger (art. 60b al. 2 OPP 2). Or, il va sans dire que si pour des raisons dues à la volonté de la personne venant de l’étranger (volonté de non-transfert) et/ou à d’autres facteurs (spécificités du droit étranger, règlement de l’institution de prévoyance suisse ; cf. ci-dessus : consid. 5.4), le transfert des droits ou avoirs de prévoyance acquis à l’étranger n’a pas lieu, la lacune
de prévoyance susceptible d’être rachetée en Suisse – et fiscalement déduite – s’avère nettement plus importante que celle d’une personne ayant un passé de prévoyance purement national et ayant entrepris les mêmes efforts de prévoyance. Au vu de ces différences objectives, il apparaît difficile de considérer que le fait de faire dépendre une liberté pleine et entière en termes de rachat (sous réserve des cautèles prévues par le règlement de prévoyance) d’un transfert des droits ou des avoirs de prévoyance sis à l’étranger constituerait une discrimination prohibée par l’art. 2 ALCP. La question souffre toutefois de rester indécise. Étant donné que l’art. 60b al. 1 OPP 2 fait partie des instruments fiscaux réservés par l’art. 21 § 3 ALCP (ci-dessus : consid. 6.4.2.5.) et qu’en l’absence d’un transfert au sens de l’art. 60b al. 2 OPP 2, il est non seulement « impossible en pratique de contrôler si des personnes disposent à l’étranger d’un régime de prévoyance équivalent à la prévoyance professionnelle suisse » (Bulletin de prévoyance n° 83, p. 23), mais aussi de connaître ex ante, la durée de leur séjour en Suisse,
il convient d’admettre, par analogie avec l’ATF 140 II 167 consid. 5.5.2 (cf. ci‑dessus : consid. 6.4.2.4.), qu’en tant que mesure destinée à assurer l’imposition, l’art. 60b al. 1 OPP 2 est nécessairement tributaire de certaines schématisations qui conduisent à imposer, durant cinq ans, la même limite de rachat de 20% à toutes les personnes arrivant de l’étranger et n’ayant jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse. Il importe donc peu que selon l’étendue des droits de prévoyance acquis à l’étranger, les objectifs poursuivis à titre individuel par le rachat d’années de prévoyance en Suisse tendent plutôt vers l’amélioration du niveau de prévoyance ou plutôt vers l’optimisation fiscale (pour les personnes qui disposent déjà d’une bonne prévoyance professionnelle à l’étranger). Puisque, on l’a vu, le plafonnement du rachat d’années de prévoyance à 20% du salaire assuré durant cinq ans est destiné à assurer l’imposition des personnes concernées, et qu’une telle mesure est réservée à l’art. 21 § 3 ALCP, les différences de traitement éventuelles qui découlent de cet objectif de sauvegarde des créances fiscales, poursuivi par l’art. 60b al. 1 OPP 2, ou qui sont intimement liées à la schématisation que cette disposition comporte (dans la durée et le pourcentage fixés), sont également justifiées (cf. ATF 140 II 167 consid. 5.5.3 en matière d’imposition à la source).

8.             Compte tenu de ce qui précède, la demande, mal fondée, est rejetée.

9.             Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

 

*****

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant conformément à l'art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare la demande du 13 septembre 2022 recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le