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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4170/2022

ATAS/526/2023 du 30.06.2023 ( PC ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4170/2022 ATAS/526/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2023

Chambre 5

 

En la cause

A______

représenté par le service de protection de l'adulte (SPAd), soit pour lui F______ et G______, curateurs

 

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le protégé ou le recourant), né en ______ 1941, est le père de Monsieur B______ (ci-après : le fils), né en ______ 1969. Son épouse, Madame C______, est décédée en ______ 2021.

b. L’intéressé a signé une demande de prestations complémentaires qui a été reçue par le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) en date du 4 avril 2022.

c. Afin de procéder à l’instruction du dossier, le SPC a demandé à l’intéressé de lui fournir différents documents relatifs, notamment, à sa fortune.

B. a. Après instruction du cas, le SPC a rendu une décision, en date du 20 septembre 2022, par laquelle l’octroi de prestations complémentaires cantonales et fédérales était refusé en raison du fait que la fortune de l’intéressé dépassait les seuils prévus par les dispositions fédérales et cantonales.

b. Par courrier du 20 octobre 2022, signé par l’intéressé et par son fils, il était fait opposition à la décision du 20 septembre 2022. L’opposition était rédigée par le fils de l’intéressé, qui disait écrire de la part de son père, suite au téléphone qu’il avait eu avec l’un des employés du SPC. Il expliquait que son père n’avait pas pu contester cette décision dans le délai, car il se trouvait, depuis le mois de mai 2022, dans la maison familiale située dans le canton de Vaud et n’était revenu à Genève qu’en date du 19 octobre 2022. De surcroît, l’intéressé ne pouvait pas rédiger un courrier dès lors qu’il souffrait d’un début de maladie de Parkinson. Sur le fond, la décision était contestée dès lors que le SPC avait retenu comme élément de fortune un montant qui avait été dilapidé à la suite de plusieurs arnaques Internet dont l’intéressé avait été victime et qui avaient été dénoncées auprès de la police. Compte tenu de cet élément, l’intéressé n’était plus en possession de l’élément de fortune dont le SPC avait tenu compte. Il était conclu, implicitement, à ne pas tenir compte du montant en question.

c. Par décision sur opposition du 15 novembre 2022, le SPC a écarté l’opposition et a confirmé la décision du 20 septembre 2022 au motif que le SPC avait retenu deux dessaisissements de la fortune de l’intéressé ; un premier dessaisissement était établi par la situation du compte bancaire de l’intéressé, au 31 décembre 2018, qui faisait apparaître une dépense d’un montant global de CHF 185'099.- pendant l’année 2018, puis un deuxième dessaisissement, d’un montant de CHF 16'987.-, résultant d’une donation de la nue-propriété de biens immobiliers par l’intéressé à son fils.

Sur le fond, le SPC faisait notamment remarquer que le Ministère public avait refusé d’entrer en matière sur la plainte pénale déposée suite au premier dessaisissement ascendant à CHF 185'099.- et résultant, prétendument, d’une arnaque Internet, dès lors que les éléments constitutifs d’une escroquerie n’étaient pas réalisés. Quant au second, il s’agissait d’une donation par l’intéressé de la nue-propriété de biens immobiliers, dont la valeur était estimée à CHF 16'987.-, qui avait été effectuée, en date du 31 mai 2022, en faveur du fils de l’intéressé.

C. a. Par acte interjeté devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), posté le 8 décembre 2022 et contresigné par l’intéressé et par son fils, ce dernier, disant agir au nom de son père, a recouru contre la décision sur opposition du SPC du 15 novembre 2022 en rappelant les arguments déjà développés au stade de l’opposition, et notamment que l’intéressé avait été victime d’une arnaque Internet organisée depuis un pays africain et que le montant dont il s’était appauvri ne pouvait pas être considéré comme un dessaisissement. Le fils mentionnait avoir déposé une demande de curatelle auprès du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE), en date du 12 septembre 2022, car disait-il, son père continuait de dépenser son argent de manière inconsidérée. S’agissant de la donation en nue-propriété, le fils alléguait que ladite donation ne pouvait être considérée comme un dessaisissement dès lors qu’elle avait une contrepartie, sous la forme d’un usufruit octroyé à son père qui était, désormais, le seul bénéficiaire de « l’usage des immeubles » et avait également, à sa charge, les dépenses et frais de l’immeuble en question.

b. Dans sa réponse du 5 janvier 2023, le SPC a confirmé sa position déjà exprimée dans la décision et a conclu au rejet du recours.

c. Par courrier posté le 21 février 2023 et signé par l’intéressé, ce dernier a informé la chambre de céans « renoncer à tout recours contre la décision du SPC ».

d. La chambre de céans, partant du principe que le fils avait certainement été nommé curateur du père, a demandé à ce dernier de contresigner le courrier de retrait du recours, qui est revenu à la chambre de céans, en date du 16 mars 2023, muni de la signature de l’intéressé et de la contre-signature de son fils.

e. Après révision du dossier, la chambre de céans s’est adressée au TPAE en exposant l’occurrence du dépôt, puis du retrait du recours et en demandant une copie de l’éventuelle ordonnance de mise sous curatelle de l’intéressé.

f. Par courrier interne du 28 mars 2023, le TPAE a transmis à la chambre de céans copie de son ordonnance, datée du 11 janvier 2023, qui instituait une curatelle de représentation et de gestion de l’intéressé et désignait Madame F______ et Monsieur G______, employés du service de protection de l’adulte (ci-après : SPAd), aux fonctions de curateurs de l’intéressé (ci-après : les curateurs).

g. Par courrier du 4 avril 2023, la chambre de céans a interpellé les curateurs en leur exposant les modalités du recours puis de son retrait, posté en date du 21 février 2023 et en leur demandant de se déterminer, jusqu’au 3 mai 2023.

h. Par courrier du 3 mai 2023, les curateurs ont demandé à la chambre de céans l’octroi d’un délai supplémentaire d’un mois, afin de prendre connaissance du dossier, ce qui leur a été accordé.

i. Par courrier du 31 mai 2023, les curateurs ont déclaré maintenir le recours contre la décision du SPC du 15 novembre 2022, au motif que lors de la notification de l’ordonnance de non-entrée en matière par le Ministère public, l’intéressé aurait dû recourir contre cette dernière, ce qu’il n’avait pas fait mais ce qu’auraient fait les curateurs, au nom de l’intéressé, si la curatelle avait déjà été ordonnée à ce moment-là. Selon ces derniers, le SPC n’était pas lié par les constatations du juge pénal. Les curateurs exposaient que, de surcroît, l’intéressé était incapable de discernement au moment où il avait renoncé à ses biens, raison pour laquelle les dessaisissements ne pouvaient pas être qualifiés comme tels.

À l’appui de leur argumentation, les curateurs transmettaient à la chambre de céans un certificat médical du docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne générale, daté du 4 mars 2019. À teneur dudit certificat, le Dr D______ se déclarait médecin traitant de l’intéressé et certifiait qu’au vu de l’anamnèse et de l’examen clinique de ce dernier, l’intéressé n’était plus en pleine possession de sa capacité de discernement, ce qui pouvait l’amener à effectuer des achats ou des dépenses inadéquates.

En se fondant sur ce document, les curateurs maintenaient le recours et concluaient à ce que le dessaisissement, par CHF 185'099.-, ne soit pas pris en compte par le SPC, en raison de la naïveté et du grand âge de l’intéressé.

j. Par duplique du 14 juin 2023, le SPC s’est déterminé sur l’argumentation des curateurs en considérant que ces derniers n’étaient pas parvenus à établir l’incapacité de discernement de l’intéressé au moment du dessaisissement. Par conséquent, il concluait au rejet du recours

k. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

l. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2. Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

3. Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249 ; RO 2020 585).

Dans la mesure où le recours porte sur le droit aux prestations complémentaires à partir du mois d’avril 2022, soit une période postérieure au 1er janvier 2021, le présent litige est soumis au nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur dès le 1er janvier 2021.

4. Le recours est recevable, quant à la forme et au délai (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 9 de la loi cantonale sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).

Cependant, en raison de la problématique de la capacité de discernement de l’intéressé, ce point sera examiné infra.

5. Le litige porte sur le montant et le calcul des prestations complémentaires, en particulier sur l'intégration dans le calcul de montants correspondant à des biens dessaisis.

6. Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC, ainsi que les conditions relatives à la fortune nette prévues à l’art. 9a LPC, ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de vieillesse de l'assurance-vieillesse et survivants, conformément à l'art. 4 al. 1 let. a LPC.

Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (art. 3 al. 1 LPC). L’art. 9 al. 1 LPC prévoit que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants : a. la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de prestations complémentaires ni de prestations d’aide sociale ; b. 60% du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d LPC.

Ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 LPCC).

7. Selon l’art. 11a al. 2 LPC, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé.

Selon l’art. 17b let. a de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC - AVS/AI - RS 831.301), entré en vigueur le 1er janvier 2021, il y a dessaisissement de fortune, notamment, lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation.

En cas d’aliénation de parts de fortune, le montant du dessaisissement correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation (art. 17c OPC-AVS/AI).

Selon l’art. 17e OPC-AVS/AI, le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 et 3 LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de 10 000 francs (al. 1). Le montant de la fortune au moment du dessaisissement doit être reporté tel quel au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement pour être ensuite réduit chaque année (al. 2). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

Conformément à cette disposition, il faut qu'une année civile entière au moins se soit écoulée entre le moment où l'intéressé a renoncé à des parts de fortune et le premier amortissement de fortune (Ralph JÖHL, Die Ergänzungsleistung und ihre Berechnung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, p. 1816 n. 247).

Pour qu'un dessaisissement de fortune puisse être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires, la jurisprudence soumet cet acte à la condition qu'il ait été fait « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente ». Les deux conditions précitées ne sont pas cumulatives, mais alternatives (ATF 131 V 329 consid. 4.4).

Le moment déterminant pour établir la valeur des parts de fortune dessaisies et de la contre-prestation éventuelle est celui du dessaisissement (office fédéral des assurances sociales, Directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI [ci-après : DPC], état au 1er janvier 2022, ch. 3532.04 ; ATF 120 V 182 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1).

L'art. 11a al. 2 LPC contient une définition claire de la notion de dessaisissement qui faisait défaut dans le cadre de l'art. 11 al. 1 let. g aLPC, sans qu'il ne modifie toutefois la pratique actuelle en matière de renonciation à des ressources ou de dessaisissement de fortune. En particulier, une contre-prestation est considérée comme adéquate si elle atteint au moins 90% de la valeur de la prestation. Pour les biens de consommation ou les services, la contre-prestation obtenue est considérée comme adéquate si la preuve d’achat est apportée par la personne demandant les prestations complémentaires. Les jeux de hasard, les jeux de loterie et les jeux de casino n’offrent au contraire aucune contre-prestation adéquate et la fortune perdue de cette manière constitue un dessaisissement de fortune au même titre qu’une donation. Il en va de même lorsque la fortune a fait l’objet d’un investissement imprudent qu’une personne raisonnable n’aurait, au vu des circonstances, pas effectué (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 pp. 7322 et 7323).

Dans son message, le Conseil fédéral a relevé, en se référant à l’ATF 121 V 204, que l’accomplissement d’un devoir moral, tel que le fait de verser à un proche des contributions d’entretien qui excèdent ses besoins vitaux, n’est pas une raison suffisante de ne pas reconnaître la renonciation à une part de la fortune, comme un dessaisissement (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 p. 7322). La question de savoir si la renonciation à un élément de fortune en accomplissement d'un devoir moral constitue un dessaisissement de fortune, au sens de l'art. 3c al. 1 let. g aLPC, a toutefois été laissée ouverte par le Tribunal fédéral (ATF 131 V 329 consid. 4.2 à 4.4).

8. Lorsqu’un bénéficiaire de prestations complémentaires cède la propriété d'un immeuble en le grevant d'un usufruit en sa faveur en contrepartie, il y a dessaisissement si la valeur de l'usufruit représente moins de 90% de la valeur de l'immeuble (ATF 122 V 394 consid. 5b = Pratique VSI 3/1997 pp. 144). La valeur de la contre-prestation, soit l'usufruit, doit être calculée en fonction de la valeur locative de l'immeuble au moment de son transfert, ou de la constitution de l'usufruit, après déduction des coûts qui incombent effectivement au bénéficiaire des prestations complémentaires dans l’exercice de l’usufruit ; cette valeur locative doit ensuite être capitalisée selon les tables publiées par l'Administration fédérale des contributions et non selon les tables STAUFFER/SCHAETZLE. Si l’usufruit est accordé aux deux époux, la valeur déterminante sera la valeur la plus élevée issue des facteurs de conversion applicables pour l’homme et la femme (ATF 122 V 394 consid. 4b = Pratique VSI 3/1997 p. 143 ; DPC, état au 1er janvier 2022, ch. 3532.07 et 3532.08 ou DPC, état au 1er janvier 2020, ch. 3483.04 et 3483.05).

9. Le dessaisissement suppose que l’assuré ait la capacité de discernement s’agissant de la diminution de sa fortune (arrêt du Tribunal fédéral 9C_934/2009 du 28 avril 2010 consid. 5.1). Selon l’art. 16 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), toute personne qui n'est pas privée de la faculté d'agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d'ivresse ou d'autres causes semblables est capable de discernement au sens de la présente loi. Cette disposition comporte deux éléments, un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 134 II 235 consid. 4.3.2). La capacité de discernement est relative : elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_209/2012 du 26 juin 2012 consid. 3.2). Une personne n'est privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC, dont la maladie mentale, la faiblesse d'esprit ou une autre altération de la pensée semblable, à savoir des états anormaux suffisamment graves pour avoir effectivement altéré la faculté d'agir raisonnablement dans le cas particulier et le secteur d'activité considérés. Par maladie mentale, il faut entendre des troubles psychiques durables et caractérisés qui ont sur le comportement extérieur de la personne atteinte des conséquences évidentes, qualitativement et profondément déconcertantes pour un profane averti (arrêt du Tribunal fédéral 4A_194/2009 du 16 juillet 2009 consid. 5.1.1). La faiblesse d'esprit décrirait un développement insuffisant de l'intelligence et de la force de jugement, dont résulteraient un manque de compréhension important - en particulier par rapport à de nouvelles tâches et des situations de vie inhabituelles - ainsi qu'une propension élevée à être influencé (Franz WERRO/Irène SCHMIDLIN in Commentaire romand, Code civil I, 2010, n. 39 ad art. 16). La capacité de discernement est la règle ; elle est présumée d'après l'expérience générale de la vie. Partant, il incombe à celui qui prétend qu'elle fait défaut de le prouver. Une très grande vraisemblance excluant tout doute sérieux suffit, en particulier quand il s'agit d'une personne décédée, car la situation rend alors impossible une preuve absolue (ATF 117 II 231 consid. 2b). Lorsqu'une personne est atteinte de faiblesse d'esprit, en particulier due à l'âge, ou de maladie mentale, l'expérience générale de la vie amène à présumer le contraire, à savoir l'absence de discernement (arrêt du Tribunal fédéral des assurances 5A_384/2012 du 13 septembre 2012 consid. 6.1.2).

10. Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

11. Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). En particulier, dans le régime des prestations complémentaires, l'assuré qui n'est pas en mesure de prouver que ses dépenses ont été effectuées moyennant contre-prestation adéquate ne peut pas se prévaloir d'une diminution correspondante de sa fortune, mais doit accepter que l'on s'enquière des motifs de cette diminution et, en l'absence de la preuve requise, que l'on tienne compte d'une fortune hypothétique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 65/04 du 29 août 2005 consid. 5.3.2 ; VSI 1994 p. 227 consid. 4b). Mais avant de statuer en l'état du dossier, l'administration devra avertir la partie défaillante des conséquences de son attitude et lui impartir un délai raisonnable pour la modifier ; de même devra-t-elle compléter elle-même l'instruction de la cause s'il lui est possible d'élucider les faits sans complications spéciales, malgré l'absence de collaboration d'une partie (cf. ATF 117 V 261 consid. 3b ; ATF 108 V 229 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 59/02 du 28 août 2003 consid. 3.3 et les références).

12. En l’espèce, les curateurs du recourant, désignés par l’ordonnance du TPAE du 11 janvier 2023, maintiennent le recours de leur protégé au motif que ce dernier était incapable de discernement, au moment où il s’est dessaisi d’un montant de CHF 185'099.-, dans le courant de l’année 2018, après avoir été victime d’une arnaque Internet.

Selon les curateurs, l’incapacité de discernement est établie par le certificat médical délivré par le Dr D______, en date du 4 mars 2019.

12.1 À titre liminaire, il convient d’examiner la question de la capacité de discernement de l’intéressé au regard de ses démarches administratives et judiciaires, soit sa capacité à déposer la demande de prestations complémentaires, puis à interjeter recours contre la décision de refus de prestations complémentaires.

À teneur de l’art. 19c al. 2 CC, les personnes incapables de discernement sont représentées par leur représentant légal, sauf pour les droits qui ne souffrent aucune représentation en raison de leur lien étroit avec la personnalité.

Il est admis qu’une demande de prestations ou un recours ne font pas partie des droits strictement personnels absolus pour lesquels toute représentation est exclue.

Partant, on peut admettre que les curateurs ont ratifié, par acte concluant, la demande de prestations complémentaires ainsi que le recours contre la décision de refus, ce qui ressort implicitement de leurs courriers de réplique du 3 et du 31 mai 2023.

12.2 Sur le fond, il est admis que le dessaisissement de fortune, à hauteur de CHF 185'099.-, a été fait « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente ». Les deux conditions précitées ne sont pas cumulatives, mais alternatives (ATF 131 V 329 consid. 4.4).

On relèvera ensuite que le dessaisissement n’a pas été considéré comme étant le fruit d’une infraction pénale par le ministère public genevois, qui a rendu une ordonnance de non-entrée en matière, suite au dépôt de la plainte pénale, en date du 25 mars 2019, étant rappelé que, à teneur de l’art. 310 al. 1 let. a du code de procédure pénale du 5 octobre 2017 (CPP - RS 312.0), le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l’infraction ou les conditions d’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Par ailleurs, et contrairement à ce qu’allèguent les curateurs, il n’appartient pas au SPC de procéder à une investigation indépendante quant au caractère illicite ou non des conditions dans lesquelles l’intéressé s’est dessaisi du montant de CHF 185'099.- ; l’intimé peut donc se fonder sur l’appréciation du Ministère public. Partant, et en l’absence de tout élément de preuve, hormis les allégations des curateurs du recourant, il n’est pas établi que ce dernier s’est dessaisi de ce montant suite à la commission d’une infraction pénale à son endroit.

12.3 Se pose, en revanche, la question de la capacité de discernement de l’intéressé au moment du dessaisissement.

Né en 1941, l’intéressé était âgé de 76 ans en 2017, année lors de laquelle il a commencé à se dessaisir de montants par le débit de son compte en faveur du compte bancaire d’un destinataire à Accra, la capitale du Ghana, à teneur du relevé bancaire du compte UBS no CH1______ ouvert au nom de l’intéressé (premier débit, par EUR 450.- en date de valeur du 21 juin 2017).

Il ne s’agit pas encore d’un grand âge à partir duquel on peut postuler que, selon l’expérience générale de la vie, l’intéressé ne dispose plus de sa capacité de discernement.

Selon le site Internet de prévention suisse de la criminalité, https://www.skppsc.ch/fr/questions-frequentes/focus/escroquerie-escroquerie/#escroquerie-escroquerie, plusieurs types de fraude sont régulièrement commis sur Internet, notamment par des auteurs provenant de certains pays africains ; selon la description du modus operandi, les victimes ne sont pas forcément des personnes très âgées et incapables de discernement, mais bien plutôt des personnes naïves ou isolées sur le plan social.

Enfin, à teneur d’une interprétation littérale du texte du certificat médical rédigé par le Dr D______, ce dernier ne certifie pas que l’intéressé est complètement et définitivement incapable de discernement au mois de mars 2019, mais qu’il « n’est plus en pleine possession de sa capacité de discernement, ce qui peut l’amener à effectuer des achats ou dépenses inadéquates » (sic).

En dépit de la teneur du certificat médical, le fils de l’intéressé a attendu le mois de septembre 2022, soit plus de trois ans après l’établissement du certificat médical, pour adresser une demande de curatelle au TPAE, ce qui rend vraisemblable que l’intéressé était tout de même capable de gérer ses affaires administratives de manière indépendante.

Étant encore précisé que, dans l’intervalle, M. B______ a, semble-t-il, jugé son père suffisamment capable de discernement pour partager un bien immobilier propriété de l’hoirie de Feu Madame C______ afin que son père lui cède la nue-propriété du bien immobilier sis à Beaulmes (VD) en échange de la constitution d’un droit d’usufruit en sa faveur, ce qui découle de l’acte authentique de partage du 27 avril 2022 établi par la notaire E______, avec étude à Orbe (VD).

12.4 Compte tenu de l’ensemble des éléments examinés supra, la chambre de céans considère que les curateurs ne sont pas parvenus à établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le dessaisissement d’un montant global de CHF 185'099.-, qui s’est déroulé entre le début de l’année 2017 et la fin de l’année 2018, est nul en raison de l’incapacité de discernement de leur protégé au moment des faits.

Dès lors, c’est à juste titre que l’intimé a tenu compte de ce dessaisissement dans le calcul des prestations complémentaires.

12.5 Pour avoir droit à des prestations complémentaires, la fortune nette d’une personne seule ne doit pas être supérieure à CHF 100'000.- à teneur de l’art. 9 al. 1 let. a LPC et de l’art 1A al. 1 LPCC, qui renvoie aux dispositions de la LPC.

Selon les éléments figurant au dossier et notamment l’état de fortune comprenant l’état de fortune mobilière de l’intéressé, il apparaît que ce dernier était titulaire d’une fortune globale de CHF 202'086.- au moment du dépôt de la demande de prestations complémentaires, après réintégration dans la fortune du montant dont il s’était dessaisi.

12.6 Compte tenu du seuil de fortune pour une personne seule fixée à CHF 100'000.-, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant la question du second dessaisissement intervenu par acte authentique du 27 avril 2022, dès lors que le montant de la fortune du recourant, en tenant compte du premier dessaisissement, dépasse largement le seuil de CHF 100'000.-, ce qui ne lui donne aucun droit à des prestations complémentaires fédérales ou cantonales.

13. À teneur de ce qui précède, la chambre de céans n’a d’autre choix que de rejeter le recours.

14. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le