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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/705/2023

ATAS/479/2023 du 21.06.2023 ( CHOMAG ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/705/2023 ATAS/479/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 juin 2023

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Me Philippe ROUILLER, avocat

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né le 10 janvier 1978, séparé et en instance de divorce de Madame B______.

b. Il a travaillé pour l’entreprise du père de son épouse, C______), du 1er novembre 2001 au 22 décembre 2021, notamment en qualité de responsable marketing.

c. C______ est inscrite depuis le 12 septembre 1974 au registre du commerce. Elle a pour but l’exploitation d’un café-brasserie, d’une pizzeria et l’hôtel D______. E______ en est titulaire avec signature individuelle et sa fille, B______, a une procuration collective à deux depuis le 25 janvier 1996.

d. F______ est une entreprise individuelle inscrite au registre du commerce le 4 juillet 2016, dont l’épouse de l’assuré est titulaire avec signature individuelle, et qui a pour but l’exploitation de la résidence D______.

B. a. L’assuré s’est inscrit auprès de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) le 10 juin 2022 pour un placement dès la même date à 100%.

b. Le 30 juin 2022, il a déposé une demande d’indemnité de chômage à la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : la caisse ou l’intimée) dès le 22 décembre 2021, indiquant avoir été licencié par son employeur pour le même jour.

c. Par décision du 9 novembre 2022, la caisse a refusé d’indemniser l’assuré au motif que son épouse avait une fonction dirigeante avec signature individuelle dans l’entreprise qui l’avait licencié.

d. Le 2 décembre 2022, l’assuré a formé opposition à la décision précitée, faisant valoir que son épouse n’exerçait pas de fonctions dirigeantes pour l’entreprise C______ et que le fait qu’elle avait une procuration collective à deux pour celle-ci ne suffisait pas à retenir le contraire. C______ et F______ étaient deux entités juridiques distinctes et il n’avait jamais été l’employé de son épouse. La résidence D______ se situait au passage J______, tandis que l’hôtel G______ se situait à la rue H______. L’assuré concluait à l’octroi de l’indemnité de chômage avec effet rétroactif au 10 juin 2022.

Il a produit :

-      une attestation établie le 28 novembre 2022, dans laquelle E______ indiquait que si sa fille était au bénéfice d’une procuration collective à deux pour son entreprise, elle ne participait pas à la gestion effective de celle-ci et n’avait aucun pouvoir de décision dans les relations commerciales de l’entreprise, notamment vis-à-vis des employés. C______, qui exploitait notamment l’hôtel G______, était une entité distincte et indépendante de l’entreprise individuelle F______, qui exploitait la résidence D______.

-      et une attestation établie le 29 novembre 2022 par son épouse, qui indiquait être la seule et unique titulaire, avec signature individuelle, de l’entreprise F______, qui exploitait la résidence D______. Son entreprise était une entité distincte et indépendante de C______. L’assuré n’avait pas été employé, ni n’avait participé à la gestion ou à l’exploitation de la résidence D______, respectivement de l’entreprise F______.

e. Le 30 novembre 2022, l’épouse de l’assuré a adressé à la caisse le bilan 2020 de la résidence D______ dont il ressort qu’elle n’avait aucun employé à charge.

f. Par décision sur opposition du 30 janvier 2023, la caisse a constaté que l’hôtel D______ et la résidence D______ étaient exploités respectivement par le beau-père de l’assuré et par son épouse. Divers éléments au dossier démontraient qu’il s’agissait de deux entités étroitement liées, ce qui laissait subsister un doute quant à un éventuel abus de droit. Il paraissait vraisemblable que la conjointe de l’assuré jouissait d’une situation comparable à celle d’un employeur et qu’elle continuait à disposer d’une influence considérable sur les décisions de l’entreprise. L’assuré se trouvait ainsi dans une position assimilable à celle d’un conjoint de l’employeur. Par conséquent, son temps de présence sur le lieu de travail ainsi que sa perte de travail étaient incontrôlables et ne pouvaient être déterminés. Il en résultait un réel risque d’abus, de sorte que c’était à juste titre qu’une décision de refus avait été notifiée à l’assuré dès le 10 juin 2022.

C. a. L’assuré a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) le 28 février 2023, concluant à son annulation et à ce qu’il soit dit qu’il avait droit à l’indemnité de chômage dès le 10 juin 2022.

b. Par réponse du 28 mars 2023, l’intimée a conclu au rejet du recours.

c. Lors d’une audience du 10 mai 2023, la chambre de céans a entendu le recourant et son épouse.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le présent recours est recevable (art. 56 à 60 LPGA).

3.              

3.1 En vertu de l’art. 8 al. 1 LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il est sans emploi ou partiellement sans emploi (let. a), s’il a subi une perte de travail à prendre en considération (let. b), s’il est domicilié en Suisse (let. c), s’il a achevé sa scolarité obligatoire, s’il n’a pas encore atteint l’âge donnant droit à une rente AVS et ne touche pas de rente de vieillesse de l’AVS (let. d), s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (let. e), s’il est apte au placement (let. f) et s’il satisfait aux exigences du contrôle (let. g). Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 215 consid. 2).

L’art. 13 al. 1 LACI dispose que celui qui, dans les limites du délai-cadre prévu à cet effet (art. 9 al. 3), a exercé durant douze mois au moins une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation.

3.2 Selon l'art. 31 al. 3 LACI, n'ont pas droit à l'indemnité :

a. les travailleurs dont la réduction de l'horaire de travail ne peut être déterminée ou dont l'horaire de travail n'est pas suffisamment contrôlable ;

b. le conjoint de l'employeur, occupé dans l'entreprise de celui-ci ;

c. les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise; il en va de même des conjoints de ces personnes, qui sont occupés dans l'entreprise.

L’art. 31 al. 3 let. c LACI vise à éviter les abus sous forme d’établissement par l’assuré lui-même des attestations nécessaires pour l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, d’attestations de complaisance, d’influence sur la décision de réduire l’horaire de travail alors qu’il est impossible de contrôler la perte de travail (ATF 122 V 270 consid. 3).

Le Tribunal fédéral applique par analogie l’art. 31 al. 3 let. c LACI dans le domaine de l’indemnité de chômage. Ainsi, un travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur n’a pas droit à l’indemnité de chômage lorsque, bien que licencié par une entreprise, il continue à fixer les décisions de l’employeur ou à influencer celles-ci de manière prépondérante (ATF 123 V 234 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_719/2008 du 1er avril 2009 consid. 3.3). Il en va de même pour leur conjoint occupé dans l’entreprise (arrêts du Tribunal fédéral 8C_74/2011 du 3 juin 2011 consid. 5.1 ; 8C_1032/2010 du 7 mars 2011 consid. 5.1).

Dans l’hypothèse où le chômeur occupe lui-même une position décisionnelle dans l’entreprise, il faut distinguer deux situations : lorsqu’il occupe une telle position du fait qu’il est membre du conseil d’administration ou d’un autre organe supérieur de direction de l’entreprise, il n’y a pas même lieu d’examiner la situation au regard des circonstances concrètes du cas, car il est alors réputé ex lege disposer d’un pouvoir déterminant au sein de cette dernière au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, appliqué par analogie à l’indemnité de chômage (ATF 122 V 270 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_171/2012 du 11 avril 2013 consid. 6.2 ; 8C_776/2011 du 14 novembre 2012 consid. 3.3 ; 8C_515/2007 du 8 avril 2008).

En revanche, lorsqu’il n’est pas formellement membre d’un organe supérieur de direction de l’entreprise, mais peut engager cette dernière, il s’impose de vérifier s’il a matériellement qualité d’organe dirigeant, compte tenu du pouvoir de décision dont il jouit effectivement, en fonction de la structure interne de l’entreprise, le seul fait qu’il soit autorisé à représenter cette dernière par sa signature et inscrit au registre du commerce n’étant pas en soi suffisant pour l’exclure du droit à l’indemnité de chômage (ATF 120 V 521 consid. 3). Les mêmes règles s’appliquent dans la situation du conjoint d’une personne occupant une position assimilable à celle d’un employeur. Il faut cependant, pour que le droit à l’indemnité de chômage soit nié, que le chômeur ait été employé par l’entreprise de son conjoint et que ce dernier reste lié à ladite entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 8C_231/2012 du 16 août 2012).

Il n’y a plus de parallélisme de la perte de travail avec une réduction de l’horaire de travail – et partant plus d’application analogique possible de l’art. 31 al. 3 let. c LACI à l’indemnité de chômage – lorsque la personne qui occupe une position assimilable à celle d’un employeur quitte définitivement l’entreprise en raison de la fermeture de cette dernière ou rompt définitivement tout lien avec l’entreprise qui continue d’exister (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_574/2017 du 4 septembre 2018 consid. 5.1).

Il est également admis que les assurés occupant une position assimilable à celle d’un employeur et leur conjoint ont droit à l’indemnité de chômage s’ils se retrouvent au chômage après avoir été salariés d’une entreprise tierce (dans laquelle ils n’ont pas eu le statut de dirigeant), à la condition toutefois qu’ils l’aient été durant au moins six mois (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 171/03 du 31 mars 2004 consid. 2.3.2). Lorsqu’une telle durée d’emploi comme salarié sans position dirigeante dans une entreprise tierce a été atteinte, il faut admettre que le rapport de travail ouvrant le droit au chômage n’a pas constitué un masque à une réduction de l’horaire de travail (Boris RUBIN, op. cit., n. 35 ad art. 10).

Une rupture définitive de tout lien avec l’entreprise continuant d’exister est aussi admise lorsque l’assuré a divorcé de la personne occupant une position dirigeante au sein de cette entreprise, mais il ne suffit pas que les époux soient séparés de fait ou de droit ou que des mesures protectrices de l’union conjugale aient été ordonnées (ATF 142 V 263 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_574/2017 du 4 septembre 2018 consid. 5.2).

4.             En l'espèce, l’épouse du recourant a une procuration collective à deux dans l’entreprise de son père qui employait le recourant, mais elle n’a pas la qualité d’organe de celle-ci. Selon la jurisprudence précitée, il faut vérifier dans ce cas si elle a matériellement la qualité d'organe dirigeant de l'entreprise. Tel n'est manifestement pas le cas, dès lors qu'il ressort du dossier et des déclarations concordantes et convaincantes du recourant et de son épouse – qui sont confirmées par l’attestation de l’employeur du recourant – que l’épouse de celui-ci n’intervient pas dans la gestion de l’hôtel.

Elle a ainsi déclaré que son mari gérait l'hôtel comme directeur et qu’elle gérait de manière indépendante les 24 studios de la résidence. Elle avait signé des documents pour son père avec sa procuration quand il ne pouvait pas le faire, notamment actuellement car il était à l'hôpital, mais elle ne l’avait jamais remplacé dans la gestion de l'hôtel, c’était toujours lui qui décidait de tout.

Il est indéniable qu’il y a des liens entre les deux entreprises, qui sont gérées par un père et sa fille, qui se trouvent dans deux immeubles collés avec un passage permettant d’aller de l’un à l’autre et que l’épouse du recourant emprunte notamment pour aller à la buanderie de l’hôtel qu’elle utilise pour la résidence. Celle-ci paie des services hôteliers à l'hôtel et il arrive que les clients de la résidence s'adressent à l'accueil de l'hôtel et pour y récupérer leur clé. Les deux entreprises se présentent en outre comme une seule entité au public pour des raisons d'image et de marketing, l’hôtel indiquant ainsi sur ses courriers « Famille I______ » et « hôtel-résidence ». Cela explique également que l’épouse du recourant a pu se présenter comme directrice de l'hôtel D______ au niveau marketing.

Les liens précités ne suffisent toutefois pas à considérer que cette dernière a matériellement la qualité d’organe dirigeant de l’entreprise de son père, ce qui n’est manifestement pas le cas. Elle a précisé à cet égard qu’elle n’avait pas la même vision que son père sur la gestion, de sorte que celui-ci n'avait rien à dire sur la résidence et qu’elle ne s’était jamais mêlée de la gestion de l'hôtel, ce d'autant moins qu’elle avait eu un cancer entre 2016 et 2019 et ses enfants à élever. Son temps de travail était souple pour la résidence et personne ne la remplaçait. Les résidents l'appelaient sur son téléphone portable.

Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que l’intimée a nié le droit à l'indemnité de chômage au recourant dès le 10 juin 2022, au motif que son épouse avait une position assimilable à son employeur.

5.             Le recours sera en conséquence admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à la caisse pour nouvelle décision.

Le recourant obtenant gain de cause et étant assisté d’un conseil, il a droit à des dépens qui seront fixés à CHF 2'000.- et mis à la charge de l’intimée (art. 61 let. g LPGA).

La procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision rendue par l'intimée le 30 janvier 2023.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour nouvelle décision.

5.        Alloue au recourant une indemnité pour ses dépens de CHF 2'000.- à la charge de l’intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le