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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2045/2022

ATAS/460/2023 du 20.06.2023 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2045/2022 ATAS/460/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 juin 2023

Chambre 8

 

En la cause

A______
représenté par Maître Pascal JUNOD

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après: l'assuré ou le recourant), né le ______ 1964 en Suisse et de nationalité italienne, est divorcé et père de deux filles nées en 1995 et 2007. Après une formation de maréchal-ferrant, il a travaillé dans cette profession en tant qu'indépendant.

b. Le 22 mai 2017, il a subi un accident provoquant une entorse du poignet gauche avec une incapacité de travail totale du 22 mai au 17 juin 2017 et à 50% du 18 juin au 31 octobre 2017.

c. Le 28 août 2017 une arthro-image par résonance magnétique (IRM) du poignet gauche a montré une déchirure partielle de l'insertion styloïdienne ulnaire du ligament triangulaire du carpe.

d. Le 15 octobre 2017, l'assuré a fait une chute à scooter. Cet accident a occasionné une contusion de l'épaule droite et des douleurs cervicales.

e. Dans son rapport d'expertise du 29 janvier 2018, le docteur B______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, n'a constaté aucune séquelle de ces accidents et a dès lors conclu à une capacité de travail totale dès le 1er février 2018. Il a toutefois précisé que l'assuré décrivait encore quelques douleurs au niveau du poignet gauche, ce qui ne l'empêchait cependant pas de travailler, et au niveau de l'épaule droite lors de certains mouvements.

B. a. Par demande déposée le 22 février 2018, l'assuré a requis les prestations de l'assurance-invalidité.

b. Selon le rapport du 5 mars 2018 du docteur C______, médecin du sport, l'assuré présentait une incapacité de travail totale depuis le 22 mai 2017 et de 50% à partir du 8 juin 2017 dans l'activité de maréchal-ferrant. Il souffrait depuis 2008 d'une arthrose acromio-claviculaire avec conflit sous-acromial de l'épaule droite. Il présentait également des douleurs à la marche en raison d'une coxarthrose bilatérale, ainsi que des douleurs du poignet gauche de type mécanique sur déchirure partielle du ligament triangulaire du carpe et lésion capsulaire, ainsi qu'arthrose scapho-trapézo-métacarpienne. À cela s'ajoutaient des cervicalgies sur discarthrose C3-C4, C4-C5 et C6-C7. L'assuré avait des difficultés à exercer son métier qui impliquait le port de charges et des gestes répétitifs des membres supérieurs. Sa capacité de travail était de 50%.

c. Le 2 juillet 2018, le Dr C______ a attesté que l'état était stationnaire. Au niveau de l'épaule droite, l'arc était douloureux et il y avait une discrète limitation de la rotation interne. Le périmètre de marche était limité. Il a confirmé la capacité de travail de 50% dans l'activité habituelle et a considéré que la capacité de travail était de 75% dans une activité adaptée telle que surveillance de chantier. La compliance était optimale et il y avait une bonne concordance entre les plaintes et l'examen clinique.

d. Le 9 octobre 2018, l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI) a informé l'assuré qu'il avait l'intention de lui refuser ses prestations, son incapacité de travail n'ayant duré que du 22 mai 2017 au 31 janvier 2018.

e. Par courrier du 19 octobre 2018, l'assuré a contesté implicitement ce projet de décision. Le 23 novembre 2018, il a précisé qu'il souffrait de nombreuses atteintes dégénératives et séquelles d'accidents l'empêchant de travailler à plus de 50%.

f. Dans son avis du 11 décembre 2018, le docteur G______ du service médical régional de l'assurance-invalidité pour la Suisse romande (ci-après : SMR) a retenu les diagnostics de coxarthrose bilatérale, d'arthrose acromio-claviculaire droite avec conflit sous-acromial, de rizarthrose, d'arthrose scapho-trapézo-métacarpienne et de discarthrose cervicale et lombaire. La capacité de travail était nulle dans l'activité habituelle, mais de 100% dans une activité adaptée dès le 22 mai 2017. Il y avait des limitations fonctionnelles pour la manutention, le port de charges supérieures à 10 kg, le travail avec les bras au-dessus de l'horizontale, nécessitant des mouvements fins des doigts, les positions à genoux et accroupies, la montée et descente d'échelles, d'échafaudages et la marche en terrain irrégulier. Un travail sédentaire de type bureau avec possibilités de changements de position était préconisé.

g. En mai 2019, le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a procédé, pour l'assureur perte de gain, à une évaluation de la capacité de travail de l'assuré. Dans son rapport du 23 mai 2019, il a retenu le diagnostic de coxarthrose droite modéré. La capacité de travail était totale dès le 1er juin 2019. Il y avait des limitations pour les activités impliquant la marche prolongée en terrains irréguliers, la montée et les descentes d'escaliers, d'échelles ou d'échafaudages répétées.

h. Dans son rapport du 1er octobre 2019, le docteur E______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation, a diagnostiqué un syndrome d'enclavement du nerf cubital gauche et un syndrome du tunnel carpien à prédominance gauche. La capacité de travail était de 50%.

i. Le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie de la main, a attesté, dans son rapport du 22 octobre 2019, une neuropathie ulnaire au coude gauche associée à un syndrome du tunnel carpien gauche avec une atteinte compressive sévère, provoquant une atteinte motrice importante avec parésie de la musculature intrinsèque ulnaire à M3 limitant les activités de force et les travaux fins. Une intervention chirurgicale nécessitera 8 à 10 semaines d'incapacité de travail.

j. Suite à l'intervention pratiquée le 18 décembre 2019, le Dr F______ a indiqué dans son rapport du 20 janvier 2020, que la récupération ad integrum était possiblement incomplète. La capacité de travail était nulle dans l'activité habituelle, mais entière dans une activité habituelle dès ce rapport.

k. Dans son avis médical du 25 mars 2020, le Dr G______ du SMR a constaté que la situation n'était pas encore stabilisée en ce qui concerne l'atteinte ulnaire du coude gauche. Toutefois, l'activité de maréchal-ferrant n'était plus exigible, si bien que son rapport du 11 décembre 2018 restait toujours valable.

l. Selon le rapport d'enquête pour l'activité professionnelle indépendante du 15 octobre 2019, l'assuré a été contraint, en dépit des douleurs, de reprendre son activité professionnelle entre 25 et 30%, afin de subvenir à ses besoins. Cependant, la poursuite de son activité se faisait au-dessus de ses forces et son état de santé se péjorait. Il recevait des indemnités journalières à 50% de son assurance perte de gain. Il était propriétaire de son logement et de sa forge. Les terrains étant situés en zone agricole, il ne pouvait pas les vendre. Lui-même serait expulsé dans dix ans, n'ayant pas le droit d'habiter en zone agricole. De surcroît, il devait payer des intérêts hypothécaires. Étant propriétaire d'un bien immobilier, il n'avait pas droit à l'aide de l'Hospice général. En appliquant la méthode extraordinaire d'évaluation du taux d'invalidité, à savoir la comparaison des différentes tâches inhérentes à la profession du recourant que celui-ci peut encore accomplir après la survenance de l'invalidité, l'enquête a conclu à un taux d'incapacité de travail de 67% dans l'activité habituelle. Le revenu hypothétique sans invalidité était de CHF 34'552.-, calculé sur la moyenne des années 2014 et 2016.

m. Le 7 décembre 2020, le docteur H______, spécialiste FMH en rhumatologie, a mentionné une coxarthrose bilatérale avec kyste para-labral droit inflammatoire et une importante surcharge de l'ensemble des structures lombaires basses et pelviennes.

n. Dans son complément d'enquête du 2 juin 2021, le service des enquêtes pour l'activité professionnelle indépendante a procédé à un nouveau calcul, sur la base des pièces comptables fournies par l'assuré. Il a conclu à une baisse des revenus dans l'activité indépendante de 32% suite à l'invalidité de l'assuré, en comparant la moyenne des revenus réalisés entre 2014 et 2016 à la moyenne des bénéfices entre 2018 et 2020. Dans une activité adaptée, l'assuré n'aurait pas de perte de gain, dans la mesure où il pourrait réaliser un gain supérieur à celui de maréchal-ferrant de CHF 35'552.-.

o. Dans son rapport d'expertise du 15 novembre 2021, le Dr B______ a posé le diagnostic de polyarthrose, principalement au niveau de la colonne cervicale, des poignets et des mains. Sa capacité de travail était de 50% dans son métier et de 100% dans une activité adaptée.

p. Selon le rapport du 7 avril 2022 du service de réadaptation de l'OAI, l'assuré avait toujours exercé l'activité de maréchal-ferrant et celle-ci représentait sa vie et sa passion. Il n'était pas familier des outils informatiques. Il semblait évident que la seule possibilité de maintenir une capacité de gain résidait dans la poursuite de son activité habituelle, dans la mesure où plusieurs années étaient nécessaires pour le réadapter dans un travail sédentaire et où il n'était pas certain qu'il ait les capacités d'acquérir les compétences pour une activité de bureau. Il apparaissait par ailleurs que ses revenus entre 2017 et 2019 étaient moins élevés d'environ 50% que les années précédentes, ce qui s'expliquait par le fait qu'il avait subi deux séries de périodes d'incapacité de travail en 2017 et trois en 2019, pendant lesquelles sa capacité de travail était de 50%. Cette baisse était ainsi en lien direct avec les incapacités de travail, si bien que sa perte de gain était de 50%.

q. Selon la note de travail du 5 mai 2022 de l'OAI, la perte de gain de l'assuré n'était que de 33%, si bien qu'il ne pouvait prétendre à une rente.

r. Par décision du 17 mai 2022, l'OAI a refusé à l'assuré le droit à une rente, dès lors que sa perte de gain n'était que de 33% dans l'exercice de son activité habituelle.

C. a. Par acte du 20 juin 2022, l'assuré a formé recours contre cette décision, par l'intermédiaire de son conseil, en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'intimé pour nouvelle décision. Il était totalement incapable d'exercer son métier convenablement. Il était par ailleurs curieux que, selon la méthode extraordinaire, son taux d'incapacité de travail dans son métier était de 67% et, selon la méthode générale de comparaison des revenus de 33%. Dans son complément de recours du 5 août 2022, le recourant a conclu à l'octroi d'une rente entière, ne pouvant travailler dans son métier ni être réadapté.

b. Dans sa réponse du 15 septembre 2022, l'intimé a conclu au rejet du recours, dans la mesure où le recourant continuait à travailler et ne présentait qu'une perte de gain de 32% sur la base de la comparaison des revenus, et de 33% selon la méthode extraordinaire. Il a par ailleurs confirmé qu'un changement d'activité serait possible.

c. Par réplique du 20 octobre 2022, le recourant a maintenu ses conclusions. Depuis le dernier rapport d'enquête, il avait continué à réduire son activité avec une baisse de revenus correspondante. Sa mère l'aidait à assumer ses charges.

d. Le 10 mars 2023, le recourant a produit les pièces suivantes :

-          Un récapitulatif de ses chiffres d'affaires entre 2013 et 2022, faisant apparaître un chiffre d'affaires de CHF 70'424.- en 2013 et de CHF 30'498.- en 2022 ;

-          Le bilan et les avis d'imposition pour 2021, selon lesquels il avait réalisé un bénéfice net de CHF 32'481.85 au bilan, lequel avait été corrigé par l'administration fiscale à CHF 38'082.-.

e. Le 29 mars 2023, le recourant a versé à la procédure les pièces comptables pour 2022 dont il résulte qu'il a réalisé un bénéfice net de CHF 18'606.-.

f. Dans ses écritures du 13 avril 2023, l'intimé a persisté dans ses conclusions. Les documents comptables ne permettaient pas de distinguer la part de la baisse du revenu qui devait être attribuée à des facteurs étrangers à l'invalidité (situation conjoncturelle, concurrence) et celle qui était due à une diminution de la capacité de travail de l'assuré. Partant, il y avait lieu d'évaluer le degré d'invalidité sur la base de la méthode extraordinaire.

g. Le 25 avril 2023, le recourant a produit les documents comptables pour 2022.

h. Entendu le 6 juin 2023 par la Cour de céans, le recourant a déclaré ce qui suit :

« J'ai toujours été indépendant. J'ai hérité de mes grands-parents la propriété en 1999. Depuis lors, je travaille comme maréchal-ferrant sur ce domaine.

Pour l'assurance bâtiment, le domaine vaut CHF 800'000.-. Il est hypothéqué à raison d'environ CHF 50'000.-. Je paie CHF 300.- à titre d'intérêts hypothécaires et d'amortissement par mois. Théoriquement, je pourrais prendre une hypothèque plus élevée, mais aucune banque n'accepterait de me la donner, au vu de mes revenus et de mon âge.

Je travaille toujours, environ à 20%, dans mon métier.

En principe, il n'y a aucune autorisation d'habitation sur ce domaine, ce qui rend difficile la vente et impossible sa valorisation, par exemple par la location.

J'ai actuellement 6 chevaux en pension, mais la pension est très peu élevée. Je ne pourrais pas avoir plus de chevaux et il est, de surcroît, discutable si cela est compatible avec la zone agricole. Il n'y a pas assez de terrains autour de la maison pour que je puisse être reconnu comme agriculteur. Il faudrait pour cela au moins 3 hectares.

Je fais du foin sur différents domaines de la commune ».

Son mandataire a précisé que la maison du recourant n'est pas habitable par quelqu'un d'autre que ce dernier, même pas par un exploitant agricole. Il n'a par ailleurs pas pu obtenir l'assistance juridique à cause de sa fortune théorique.

Quant à l'intimé, il a fait la déclaration suivante :

« Le problème du recourant est qu'il continue à travailler dans sa profession. S'il avait arrêté de travailler totalement ou presque dans son activité habituelle, l'AI constaterait qu'il n'est pas exigible qu'il change d'activité professionnelle et le reconnaîtrait comme invalide à 100%, conformément au rapport final – MOP du 7 avril 2022 (document 120) ».

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable.

3.             Est litigieux en l'espèce le droit du recourant à une rente d'invalidité.

4.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, l'invalidité est survenue avant le 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

5.              

5.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

5.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

5.3 La comparaison des revenus s'effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité (méthode générale de comparaison des revenus ; ATF 128 V 29 consid. 1 ; ATF 104 V 135 consid. 2a et 2b). Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient de se placer au moment de la naissance du droit à la rente ; les revenus avec et sans invalidité doivent être déterminés par rapport à un même moment et les modifications de ces revenus susceptibles d'influencer le droit à la rente survenues jusqu'au moment où la décision est rendue doivent être prises en compte (ATF 129 V 222 et ATF 128 V 174).

5.4  

5.4.1 Chez une personne de condition indépendante, la comparaison des résultats d'exploitation réalisés dans son entreprise avant et après la survenance de l'invalidité ne permet de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l'invalidité que dans le cas où l'on peut exclure, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les résultats de l'exploitation aient été influencés par des facteurs étrangers à l'invalidité. En effet, les résultats d'exploitation d'une entreprise dépendent souvent de nombreux paramètres difficiles à apprécier, tels que la situation conjoncturelle, la concurrence, l'aide ponctuelle des membres de la famille, des personnes intéressées dans l'entreprise ou des collaborateurs. Généralement, les documents comptables ne permettent pas, en pareils cas, de distinguer la part du revenu qu'il faut attribuer à ces facteurs - étrangers à l'invalidité - et celle qui revient à la propre prestation de travail de l'assuré (arrêts du Tribunal fédéral 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2 ; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3, I 83/97 du 16 octobre 1997 consid. 2c, in VSI 1998 p. 121, et I 432/97 du 30 mars 1998 consid. 4a, in VSI 1998 p. 255). Il convient de distinguer clairement la situation personnelle de la personne assurée, seule déterminante au regard de l'assurance-invalidité, de celle de l'entreprise dont elle est la propriétaire économique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_572/2010 du 25 mars 2011, consid. 3.5 in fine).

5.4.2 Si l'on ne peut déterminer ou évaluer sûrement les deux revenus en cause, il faut, en s'inspirant de la méthode spécifique pour personnes sans activité lucrative (art. 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA), procéder à une comparaison des activités et évaluer le degré d'invalidité d'après l'incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète (procédure extraordinaire d'évaluation de l'invalidité). La différence fondamentale entre la procédure extraordinaire d'évaluation et la méthode spécifique réside dans le fait que l'invalidité n'est pas évaluée directement sur la base d'une comparaison des activités ; on commence par déterminer, au moyen de cette comparaison, quel est l'empêchement provoqué par la maladie ou l'infirmité, après quoi l'on apprécie séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain. Une certaine diminution de la capacité de rendement fonctionnelle peut certes, dans le cas d'une personne active, entraîner une perte de gain de la même importance, mais n'a pas nécessairement cette conséquence. Si l'on voulait, dans le cas des personnes actives, se fonder exclusivement sur le résultat de la comparaison des activités, on violerait le principe légal selon lequel l'invalidité, pour cette catégorie d'assurés, doit être déterminée d'après l'incapacité de gain (ATF 128 V 29 consid. 1 et les références).

Concrètement, selon cette méthode, il faut tout d’abord effectuer une comparaison des champs d’activités. Il convient d’établir quelles sont les activités que l’assuré pourrait exercer avec et sans atteinte à la santé, et dans quel laps de temps il pourrait les accomplir. Il y a également toujours lieu d’examiner dans quelle mesure il lui serait possible de réduire sa perte de gain, en substituant à certaines des tâches qu’il accomplissait auparavant d’autres tâches, mieux adaptées au handicap dont il souffre. Ensuite, il s’agira de pondérer les activités en appliquant à chaque activité le salaire de référence usuel dans la branche. On peut ainsi déterminer le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide et effectuer une comparaison des revenus (Circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI] publiée par l’Office fédéral des assurances sociales dans sa version valable à partir du 1er janvier 2015, ch. 3104-3105).

5.4.3 Il existe dans le domaine des assurances sociales un principe général selon lequel l'assuré doit entreprendre tout ce qui est raisonnablement exigible pour diminuer son dommage (ATF 129 V 460 consid. 4.2). C'est pourquoi un assuré n'a pas droit à une rente lorsqu'il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d'obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. Toutefois, le point de savoir si une mesure peut être exigée d'un assuré doit être examiné au regard de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 113 V 22 consid. 4a). Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l'importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels tels que l'âge, la situation professionnelle concrète ou encore l'attachement au lieu de domicile. Parmi les circonstances objectives doivent notamment être pris en compte l'existence d'un marché du travail équilibré et la durée prévisible des rapports de travail (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I.750/04 du 5 avril 2006 consid. 5.3).

Il y a lieu de déterminer dans chaque cas et de manière individuelle si l'assuré est encore en mesure d'exploiter une capacité de travail résiduelle sur le plan économique et de réaliser un salaire suffisant pour exclure une rente. Ni sous l'angle de l'obligation de diminuer le dommage, ni sous celui des possibilités qu'offre un marché du travail équilibré aux assurés pour mettre en valeur leur capacité de travail résiduelle, on ne saurait exiger d'eux qu'ils prennent des mesures incompatibles avec l'ensemble des circonstances objectives et subjectives (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1066/2009 du 22 septembre 2010 consid. 4.1 et la référence).

Dans son arrêt 9C_578/2009 du 29 décembre 2009, le Tribunal fédéral a admis qu'il ne pouvait être exigé d'un agriculteur de 57 ans au moment de la décision et qui avait toujours une capacité de travail résiduelle de 50% dans son métier, qu'il change de profession (consid. 4.3). Ce faisant, le Tribunal fédéral a pris en considération son manque d'expérience professionnelle dans un autre domaine économique, la profonde remise en question socio-professionnelle qu'impliquait le passage du statut d'agriculteur indépendant à celui de salarié, l'absence de capacités de réadaptation subjective, l'attachement subjectif et personnel le liant à son entreprise et les perspectives de revenu seulement légèrement plus élevés par rapport au revenu qu'il pouvait obtenir dans le cadre de son activité agricole. Notre Haute Cour a toutefois admis qu'il s'agissait d'un cas limite.

6.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

7.              

7.1 En l'occurrence, il n'est pas contesté que le recourant n'est en principe plus capable d'exercer son activité habituelle depuis le 22 mai 2017. Dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, il pourrait travailler à 100%.

Cependant, selon le rapport du 7 avril 2022 du service de réadaptation de l'OAI, la seule possibilité de maintenir une capacité de gain est la poursuite de l'activité habituelle. Le recourant a exercé toute sa vie l'activité de maréchal-ferrant et celle-ci représente sa vie et sa passion. Il n'est pas familier des outils informatiques. Plusieurs années seraient nécessaires pour le réadapter dans un travail sédentaire, sans qu’il soit certain qu'il ait les capacités d'acquérir les compétences pour une activité de bureau. Ledit service estime dès lors qu'il n'est pas exigible qu'il change d'activité professionnelle

7.2 Selon le rapport d'enquête du 15 octobre 2019, le recourant a hérité d'une forge, de la maison familiale et d'une carrière en zone agricole. Selon ce dernier, il n'avait en principe pas le droit d'habiter en zone agricole, raison pour laquelle il serait expulsé à l'âge de la retraite. Le bien immobilier est en outre hypothéqué et il doit payer des intérêts hypothécaires. La situation est compliquée, dans la mesure où il ne peut pas vendre la propriété.

Il subit également la concurrence étrangère déloyale qui pratique des prix imbattables. La concurrence est importante. Depuis 2009, il avait moins de travail. En 2011, son ouvrier et son apprenti sont partis avec une grande partie de la clientèle et la Compagnie 1602 qui était sa cliente, préfère faire ferrer les chevaux en France. Enfin, la clientèle du recourant est vieillissante.

Le recourant met ses installations et prés à disposition en échange de services et de l'entretien de ses parcs, haies et de la carrière. Il a délégué le coupage du bois pour le chauffage et la forge à un tiers en échange d'une pension (pour cheval) presque gratuite.

Le travail administratif consiste en la gestion des stocks et des commandes, ainsi que le contact téléphonique et la tenue de l'agenda pour les rendez-vous avec la clientèle. Ce travail représente, avec l'usinage, quatre heures par semaine. Sa mère s'occupe du reste de l'administration (factures, paiements, comptabilité et gestion administrative privée du recourant).

Le recourant était contraint de reprendre partiellement son activité professionnelle pour subvenir à ses besoins (25 à 30%), en dépit des douleurs quotidiennes, ce qui péjore son état de santé.

Selon cette enquête, l'analyse des tableaux de pertes et profits et de la perte de gain des années 2014 à 2018, ne permet pas de déterminer de façon fiable le revenu que le recourant aurait pu réaliser avec et sans invalidité, raison pour laquelle il convient d'appliquer la méthode extraordinaire, laquelle est fondée sur le tableau comparatif des champs d'activités et l'application à chaque activité pondérée du salaire usuel de la branche. Fondée sur cette méthode, l'enquête arrive à la constatation que la perte de gain est de 67%.

Aux termes du second rapport d'enquête du 2 juin 2021, le taux de diminution du revenu est de 32% en comparant la moyenne avant l'incapacité de travail des années 2014 et 2016 à la moyenne des bénéfices 2018 à 2020. Selon le recourant, sa baisse de rendement est d'environ 30%, ce qui correspond à la perte de gain établie sur la base des documents comptables. La comparaison des champs d'activités (méthode extraordinaire), en tenant compte des activités effectivement réalisées, aboutit à la constatation d'une incapacité de travail de 33%.

Dans le rapport du 7 avril 2022 du service de réadaptation de l'OAI, il est toutefois constaté que les revenus du recourant entre 2017 et 2019 sont moins élevés d'environ 50% que ceux des années précédentes, ce qui s'explique par le fait qu'il a subi deux séries de périodes d'incapacité de travail en 2017 et trois en 2019, pendant lesquelles sa capacité de travail était de 50%. Cette baisse est ainsi en lien direct avec les incapacités de travail, si bien que sa perte de gain est de 50%, selon ledit service.

Toutefois, l'OAI n'a reconnu par la suite qu'une perte de gain de 33%, selon la méthode extraordinaire.

7.3 En premier lieu, il sied de constater qu'aussi bien la méthode ordinaire de comparaison des revenus que la méthode extraordinaire établissent la perte de gain à un taux inférieur à 40%.

Quant à la comparaison des gains, la différence entre le calcul de la perte de gain effectué par le service de réadaptation de l'OAI et celui de l'enquête pour l'activité professionnelle indépendante tient au fait que, dans cette dernière, les années de comparaison sont les années 2014 à 2016, d'une part, et les années 2018 à 2020, d'autre part, alors que le service de réadaptation de l'OAI a comparé les revenus des années 2017 et 2019, d'une part, et les années 2015 à 2020, d'autre part. Il convient toutefois d'admettre que l'année 2017 n'est pas représentative de la capacité de gain du recourant, dans la mesure où il avait été en incapacité de travail, totale ou à 50%, suite à deux accidents, du 22 mai 2017 au 1er février 2018. Partant, le calcul de la perte de gain du service d'enquête ne prête pas le flanc à la critique.

Au demeurant, en procédant à une comparaison de gain en incluant l'année 2021, la perte de gain serait toujours inférieure à 40%, selon le calcul suivant :

Année Bénéfice corrigé selon l'AI

2018 30'437

2019 17'933

2020 22'409

2021 32'481

Moyenne: 103'260 : 4 = 25'815

Comparé à la moyenne des gains entre 2014 et 2016 de 34'552.-, selon l'enquête, la perte de gain est de 25,28 %.

Quant à l'année 2022, elle n'était pas encore terminée au moment de la décision du 17 mai 2022 qui fait l'objet du recours. Toutefois, en incluant le bénéfice de CHF 18'606.- en 2022 dans la moyenne des gains à partir de 2018, la perte de gain moyenne serait toujours insuffisante pour ouvrir le droit à une rente. En effet, la moyenne des gains avec invalidité serait de CHF 24'373.20, ce qui donnerait une perte de gain de 29,61%.

Par ailleurs, en prenant pour l'évaluation de la moyenne des gains sans invalidité ceux des années 2011 à 2016 afin de les comparer aux gains entre 2018 et 2022, la perte de gain serait encore moindre, dans la mesure où les gains en 2012 et 2013 étaient très bas, à savoir de respectivement CHF 25'600.- et CHF 25'300.-, selon le compte individuel de l'AVS, de sorte que la moyenne des gains de valide s'établirait à CHF 30'911.-.

Quoi qu'il en soit, la méthode extraordinaire confirme une perte de gain d'environ 30%. Il n'est ainsi guère contestable que le recourant ne subit pas de diminution de revenus d'au moins 40%.

7.4 En résumé, il sied de constater, avec l'intimé, que le recourant présente une incapacité de travail totale dans sa profession et qu'il n'est pas exigible qu'il change d'activité professionnelle. Ainsi, s'il ne travaillait plus ou presque plus, il aurait droit à une rente d'invalidité entière. Toutefois, dans la mesure où il continue à travailler dans son ancien métier, une comparaison des champs d'activités, prenant en compte les tâches encore réalisées, doit être effectuée pour examiner le préjudice économique. Or, cette comparaison aboutit à un résultat inférieur à 40%, ce qui est au demeurant confirmé par la comparaison des gains. Partant, le recourant ne peut prétendre à aucune rente.

Cependant, si la perte de gain devait être notablement plus importante à l'avenir, il serait loisible au recourant de demander une révision de la décision de refus de rente.

8.             Cela étant, le recours sera rejeté.

9.             La procédure n'étant pas gratuite, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 69 al.1bis LAI).

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge du recourant.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le