Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/696/2022

ATAS/417/2023 du 09.06.2023 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/696/2022 ATAS/417/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 9 juin 2023

Chambre 5

 

En la cause

A______

représentée par Me Zoltan SZALAI, avocat

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

 

 

intimé

 

EN FAIT

A.           a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née en ______ 1963, est de nationalité suisse et réside à Genève depuis le 20 octobre 1995. Elle est mariée et mère de trois enfants, nés en 1984, 1987 et 1988.

b. L’assurée a en dernier lieu travaillé 2 heures 30 par jour à Genève en tant qu’agente d’entretien pour la société B______ AG, sise à Zurich ; cet emploi a pris fin au 30 juin 2015.

c. Dans l’intervalle, en date du 13 décembre 2010, l’assurée a trébuché sur son sac à main et est tombée sur son genou droit, ce qui a engendré une fracture de sa rotule droite et une incapacité totale de travail ; elle n’a plus travaillé depuis cette date.

d. En date du 12 septembre 2011, l’assurée a déposé une demande de prestations invalidité auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé) en faisant valoir, comme trouble de la santé, une fracture de la rotule droite consécutive à l’accident du 13 décembre 2010.

e. Le 20 septembre 2012, l’assurée a glissé dans sa baignoire et s’est fracturé le poignet gauche.

f. À l’issue de l’instruction de la demande de prestations invalidité du 12 septembre 2011, l’OAI a rendu une décision de refus de toute prestation datée du 25 septembre 2013 ; cette dernière est entrée en force.

g. En date du 13 août 2018, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations invalidité en mentionnant une incapacité de travail à 100% depuis le 13 décembre 2010 et des troubles de la santé au genou droit depuis décembre 2010 et au poignet gauche depuis septembre 2012. Elle indiquait être suivie, respectivement par le docteur C______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation, pour le genou droit et par la docteure D______, cheffe de clinique aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur.

h. Une procédure parallèle d’instruction relative aux deux accidents de 2010 et de 2012 concernant, respectivement, le genou droit et le poignet gauche, a été entreprise par la SUVA caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : la SUVA).

i. Dans un rapport du 23 novembre 2018 adressé à l'OAI, le Dr C______ a relevé que la situation médicale du poignet gauche de l’assurée n’était pas encore stabilisée. La capacité de travail de l’intéressée était nulle dans toute activité au vu de ses limitations fonctionnelles qui impactaient aussi bien ses membres inférieurs que ses membres supérieurs et l’empêchaient, notamment, d’exercer une activité bimanuelle.

j. Dans sa réponse au questionnaire médical de l’OAI du 12 mars 2020, le Dr C______ a déclaré que les restrictions et limitations de la santé étaient les mêmes que celles figurant dans le rapport du 23 novembre 2018, tout en ajoutant que les limitations fonctionnelles étaient telles que la patiente était incapable de fonctionner et que le médecin, d’un point de vue strictement médical, ne voyait aucune activité professionnelle adaptée à son état de santé.

k. Le Dr C______ a confirmé son appréciation à l’OAI, dans sa réponse au questionnaire médical intermédiaire du 29 octobre 2020.

l. Répondant au questionnaire de l’OAI, le docteur E______, chef de clinique dans l’unité de chirurgie de la main et des nerfs périphériques des HUG, s’est déterminé en date du 25 novembre 2020 sur les suites de la fracture du poignet gauche et a posé le diagnostic d’arthrose post-traumatique radiocarpienne en précisant qu’un traitement était en cours, sous forme d’infiltrations avec la possibilité d’une chirurgie par arthrodèse. Les limitations fonctionnelles étaient une perte de la force, une perte de la mobilité et une diminution de l’endurance. Le médecin ne se prononçait toutefois pas sur la capacité de travail de l’assurée.

m. Dans un avis du 9 décembre 2020, le docteur F______, médecin-conseil de la SUVA, a retenu que l’atteinte au genou droit de l’assurée était médicalement stabilisée depuis le 27 février 2017. S’agissant de son poignet gauche, il constatait une régression objective de la mobilité depuis les avis du 27 février 2017 et du 10 avril 2018 mais l’évolution allait « vers une stabilisation ». Il retenait, néanmoins, une stabilisation de la situation qui impliquait que le port d’une attelle ou une arthrodèse ne changerait rien dans l’utilisation objective du poignet. Sur cette base, le Dr F______ a considéré qu’une activité sédentaire légère sans port de charges tant du côté droit que du côté gauche, avec manipulation uniquement de la main droite, était exigible avec une capacité de travail de 100% sans perte de rendement.

n. Dans un rapport complémentaire du 29 décembre 2020, le Dr C______ a précisé qu’il considérait que la question de la capacité de gain de l’assurée était stabilisée et que les séances de physiothérapie avaient uniquement un but antalgique.

o. Dans son rapport du 28 avril 2021, le service médical régional (ci-après : le SMR) de l’OAI, sous la plume du docteur G______, a résumé les troubles de la santé et a mentionné le rapport d’examen final du 9 décembre 2020 du Dr F______, en considérant qu’il n’y avait aucune raison médicale pour s’écarter de ses conclusions et qu’il fallait considérer que la capacité de travail était définitivement nulle dans l’ancienne activité de femme de ménage, depuis le 13 décembre 2010, et pleine dans une activité adaptée, depuis le 9 décembre 2020. Selon les conclusions du SMR, il existait une incapacité de travail durable dans l’activité de nettoyeuse à 100% dès le 13 décembre 2010. La capacité de travail dans une activité adaptée était de 100% dès septembre 2011, de 0% dès le 25 septembre 2012, puis à nouveau de 100% dès le 9 décembre 2020. Les limitations fonctionnelles étaient, pour le genou droit : pas de marche, ni de station debout prolongée, activité en position essentiellement assise, pas de marche en terrain instable ou irrégulier, pas de position à genoux accroupie. Pour le poignet gauche : pas de manutention ou de manipulation manuelle gauche, utilisation de la main gauche en appoint.

p. Par note de statut du 3 mai 2021, l’OAI a considéré que l’assurée avait un statut mixte, se consacrant à 50% à ses activités professionnelles et à 50% à la tenue de son ménage.

q. Le même jour, l’OAI a déterminé le degré d’invalidité de l’assurée en se fondant sur l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), tableau TA1_tirage_skill_level pour une femme, en prenant en compte l’année 2020 pour l’évaluation de l’invalidité, et est parvenu à un revenu annuel brut, avec invalidité, de CHF 49'699.- et un revenu annuel brut, sans invalidité, à plein temps de CHF 53'206.-, ce qui créait une perte de gain subie de CHF 3'506.-. Il en résultait un degré d’invalidité de 3.3%.

r. Une enquête économique sur le ménage a également été diligentée avec un entretien du 9 août 2021, qui a abouti à un rapport d’enquête économique sur le ménage du même jour, retenant un empêchement, dans les travaux habituels, pondéré de 61% sans exigibilité et de 28.60%, avec exigibilité du mari, des deux fils et de la belle-fille, qui pouvaient participer aux tâches ménagères.

B. a. Par projet d’acceptation de rente du 22 août 2021, l’OAI a octroyé une rente d’invalidité limitée dans le temps et a refusé les mesures professionnelles. L’OAI reconnaissait un droit à un trois quarts de rente d’invalidité, dès le 1er décembre 2019, jusqu’au 31 mars 2021. Le taux d’invalidité était de 50% dans l’activité professionnelle et de 14.30% dans les travaux habituels, ce qui représentait un total de 64.30% arrondi à 64% de taux d’invalidité global. Dès le 9 décembre 2020, l’invalidité dans la sphère professionnelle était de 3.30% et demeurait à 14.30% dans les travaux habituels, ce qui aboutissait à un taux d’invalidité global de 17.60% arrondi à 18%.

b. Ledit projet a été annulé par un nouveau projet d’acceptation de rente du 21 septembre 2021, qui annulait et remplaçait celui du 22 août 2021, tout en reprenant les mêmes chiffres que le projet du 22 août 2021 et en aboutissant au même taux d’invalidité, mais en couvrant la période allant du 1er février 2019 (en lieu et place du 1er décembre 2019) jusqu’au 31 mars 2021.

c. Dans le cadre de la procédure d’audition, le mandataire de l’assurée, par courrier du 11 octobre 2021, s’est opposé à la limitation dans le temps du droit à un trois quarts de rente invalidité en relevant que le rapport du Dr F______ du 9 décembre 2020 n’était pas convaincant, car il contenait d’importantes contradictions et des incohérences.

d. À l’issue de la procédure d’audition, l’OAI a confirmé son projet du 21 septembre 2021, par décision du 25 janvier 2022, octroyant à l’assurée un droit à un trois quarts de rente, pour la période allant du 1er février 2019 au 31 mars 2021.

C. a. Par acte de son mandataire, posté le 25 février 2022, l’assurée a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) contre la décision du 25 janvier 2022 en concluant, préalablement, à ce qu’il soit ordonné une nouvelle expertise pluridisciplinaire de la recourante et principalement à l’annulation de la décision querellée en tant qu’elle refusait l’octroi d’une rente invalidité illimitée dans le temps, sous suite de frais et dépens. Reprenant les arguments déjà exposés dans le cadre de la procédure d’audition, l’assurée s’est principalement fondée sur l’avis de son médecin traitant, le Dr C______, pour s’opposer à celui du médecin d’arrondissement de la SUVA, le Dr F______, sur lequel s’était fondé le SMR de l’OAI. Selon l’assurée, l’appréciation du médecin d’arrondissement de la SUVA contrastait singulièrement avec les explications beaucoup plus intelligibles de son médecin traitant. Compte tenu des incohérences, contradictions et motivations insuffisantes du Dr F______, il fallait se fonder sur l’appréciation médicale des Drs C______ et E______ et conclure à un trois quarts de rente illimitée dans le temps.

b. Dans sa réponse du 28 mars 2022, l’intimé a considéré que les éléments apportés par la recourante ne permettaient pas de faire une appréciation différente du cas et a conclu au rejet du recours. Il a exposé, en substance, que le Dr C______ se fondait sur des éléments étrangers à l’invalidité pour conclure qu’aucune capacité de travail n’était exigible dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de la recourante. Il était, notamment, rappelé que le médecin devait porter un jugement sur l’état de santé, mais pas sur l’existence ou l’inexistence d’une activité professionnelle adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée. Compte tenu du large éventail d’activités simples et répétitives que recouvrait le marché du travail en général, on devait admettre qu’un nombre significatif d’entre elles était adapté aux limitations fonctionnelles de la recourante.

c. Par réplique de son mandataire du 28 avril 2022, la recourante a considéré que c’était à tort que l’intimé écartait les avis médicaux de ses médecins traitants et réfutait la nécessité de la mise en œuvre d’une expertise, ce qui violait le principe inquisitoire régissant le domaine de l’assurance-invalidité, eu égard aux éléments contradictoires et incohérents qui ressortaient des avis médicaux du dossier de la recourante. Cette dernière persistait dans les termes de son recours.

d. Par duplique du 24 mai 2022, l’OAI a également persisté dans les termes de la décision querellée.

e. Par courrier du 29 novembre 2022, la chambre de céans a informé les parties de son intention de confier une mission d’expertise au professeur H______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie.

f. Dans le délai fixé, les parties n’ont fait valoir aucun motif de récusation à l’endroit de l’expert proposé.

g. Par courrier du 6 mars 2023, la chambre de céans a communiqué aux parties un projet de mission d’expertise. L’OAI n’a suggéré aucune modification et les suggestions du mandataire de la recourante, selon courrier du 22 mars 2023, ont été prises en compte par la chambre de céans.

EN DROIT

1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2. À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3. Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4. Le 1er janvier 2022 sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée concerne les faits juridiquement déterminants intervenus lors d’une période antérieure au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

5. Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

6. Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’OAI du 25 janvier 2022 de limiter dans le temps le droit au versement d’un trois quarts de rente invalidité.

7.

7.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assurée sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

7.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

7.3 Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

7.4 Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

7.5 En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

8.

8.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références ; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

8.3 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

8.4 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 [RAI - RS 831.201] ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1). 

8.5 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

8.6 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références). 

9. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

10. Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

11. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’art. 45 al. 1 LPGA constitue une base légale suffisante pour mettre les coûts d’une expertise judiciaire à la charge de l’assureur (ATF 143 V 269 consid. 6.2.1 et les références), lorsque les résultats de l'instruction mise en œuvre dans la procédure administrative n'ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels et qu'en soi un renvoi est envisageable en vue d'administrer les preuves considérées comme indispensables, mais qu'un tel renvoi apparaît peu opportun au regard du principe de l'égalité des armes (ATF 139 V 225 consid. 4.3).

Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2). Tel est notamment le cas lorsque l'autorité administrative a laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu’elle aura laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle a pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents. En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 139 V 496 consid. 4.4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2019 du 6 avril 2020 consid. 5.1).

12. En l’espèce, les parties parviennent à des conclusions antagonistes, selon qu’elles se fondent sur les avis médicaux de leurs médecins-conseils ou sur ceux de leurs médecins traitants.

En l’état actuel du dossier, la chambre de céans n’est pas en état de prendre une décision dès lors que les appréciations des médecins sont divergentes.

Pour cette raison, il est nécessaire d’ordonner une expertise médicale qui sera confiée au Prof. H______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie.

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

I. Ordonne une expertise médicale de Madame A______.

Commet à ces fins le professeur H______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie, à Chêne-Bougeries.

Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A.  Prendre connaissance du dossier de la cause.

B.  Si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, ainsi qu’auprès des médecins du SMR de l’OAI et des médecins d’arrondissement de la SUVA ayant traité le cas.

C.  Examiner et entendre la personne expertisée, avec l’assistance d’un interprète en langue somalienne et si nécessaire, ordonner d'autres examens.

D.  Charge le Prof. H______ d’établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :

1.             Anamnèse détaillée (avec la description d’une journée-type)

2.             Plaintes de la personne expertisée

3.             Status et constatations objectives

4.             Diagnostics (selon un système de classification reconnu)

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogenèse)

4.1. Avec répercussion sur la capacité de travail

4.1.1   Dates d'apparition

4.2         Sans répercussion sur la capacité de travail

4.2.1   Dates d'apparition

4.3         Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.4         Les atteintes et les plaintes de la personne expertisée correspondent-elles à un substrat organique objectivable ?

4.5         L’état de santé de la personne expertisée s’est-il amélioré / détérioré depuis décembre 2020 et le moment où la décision querellée a été prise en janvier 2022 ?

4.6         Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par la personne expertisée).

4.7         Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

4.8 Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

4.9 Est-ce que le tableau clinique est cohérent, compte tenu du ou des diagnostic(s) retenu(s) ou y a-t-il des atypies ?

4.10 Est-ce que ce qui est connu de l’évolution correspond à ce qui est attendu pour le ou les diagnostic(s) retenu(s) ?

5.             Limitations fonctionnelles

5.1         Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic

5.1.1   Dates d’apparition

5.2 Les plaintes sont-elles objectivées ?

6.             Capacité de travail

6.1         Dater la survenance de l’incapacité de travail durable dans l’activité habituelle pour chaque diagnostic, indiquer son taux pour chaque diagnostic et détailler l’évolution de ce taux pour chaque diagnostic.

6.2         La personne expertisée est-elle capable d’exercer son activité lucrative habituelle ?

6.2.1   Si non, ou seulement partiellement, pourquoi ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

6.2.2   Depuis quelle date sa capacité de travail est-elle réduite / nulle ?

6.3         La personne expertisée est-elle capable d’exercer une activité lucrative adaptée à ses limitations fonctionnelles ?

6.3.1   Si non, ou seulement partiellement, pourquoi et le cas échéant à quel taux d’incapacité de travail ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

6.3.2   Si oui, quel est le domaine d’activité lucrative adaptée ? À quel taux ? Depuis quelle date ?

6.3.3   Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

6.4         Comment la capacité de travail de la personne expertisée a-t-elle évolué depuis avril 2018 ?

6.5         Des mesures médicales sont-elles nécessaires préalablement à la reprise d’une activité lucrative ? Si oui, lesquelles ?

6.6         Quel est votre pronostic quant à l’exigibilité de la reprise d’une activité lucrative ?

7.             Traitement

7.1         Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation.

7.2         En cas de prise de traitement psychotrope et/ou de traitement antalgique, effectuer un dosage sanguin.

7.3         Est-ce que la personne expertisée s’est engagée ou s’engage dans les traitements qui sont raisonnablement exigibles et possiblement efficaces dans son cas ou n’a-t-elle que peu ou pas de demande de soins ?

7.4         Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.

7.5         Les médicaments pris régulièrement par l’expertisée induisent-t-ils des effets secondaires, si oui, lesquels ?

7.6         Les médicaments ont-ils un impact sur les capacités fonctionnelles de l’expertisée ? Si oui, lesquels ?

8.             Appréciation d'avis médicaux du dossier

8.1         Êtes-vous d'accord avec les avis des médecins du SMR de l’OAI, du 12 juin 2020, du 28 avril 2021 et du 15 mars 2022 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l’estimation de la capacité de travail ? Si non, pourquoi ?

8.2         Êtes-vous d’accord avec les rapports du médecin d’arrondissement de la SUVA, le docteur F______, du 4 avril 2018, du 9 décembre 2020 et du 12 janvier 2022 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l’estimation de la capacité de travail ? Si non, pourquoi ?

8.3         Êtes-vous d'accord avec les avis du docteur C______ selon les questionnaires médicaux du 23 novembre 2018, du 12 juin 2019, du 12 mars 2020, du 29 octobre 2020 et du 25 novembre 2020 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l’estimation de la capacité de travail ? Si non, pourquoi ?

8.4         Êtes-vous d'accord avec les avis du docteur E______ selon les questionnaires médicaux du 2 juillet 2019 et du 25 novembre 2020 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l’estimation de la capacité de travail ? Si non, pourquoi ?

9.             Quel est le pronostic ?

10.         Des mesures de réadaptation professionnelle sont-elles envisageables ?

11.         Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

E.   Invite l’expert à déposer, dans les meilleurs délais, un rapport en trois exemplaires auprès de la chambre de céans.

II. Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le