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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2366/2020

ATAS/414/2023 du 09.06.2023 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2366/2020 ATAS/414/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 9 juin 2023

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Me Suzette CHEVALIER, avocate

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né le ______ 1989, marié, père de deux enfants nés en 2013 et 2014. Il a travaillé dès le 1er janvier 2016 comme chauffeur-livreur.

b. Le 7 octobre 2016, son employeur a annoncé à la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : la SUVA) que l’assuré avait été victime d’un accident. Il avait glissé et être « tombé avec [son] genou droit » en sortant de la douche le 28 septembre 2016. Le lendemain, il avait consulté le centre médico-chirurgical de Vermont-Grand-Pré.

c. Dans un rapport initial du 1er novembre 2016, le docteur B______, du centre précité, a diagnostiqué une contusion du genou. Souffrant d’une tuméfaction et de douleurs au genou après avoir chuté dans sa salle de bain, l’assuré demeurait totalement incapable de travailler.

d. L’assuré a demandé des prestations de l’assurance-invalidité le 18 mai 2017 en raison de douleurs au genou droit auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé).

e. Dans un rapport d’évaluation adressé à l’OAI le 27 février 2019 à la suite d’une mesure selon l’art. 15 LAI ayant duré du 3 décembre 2018 au 17 mars 2019, un conseiller de PRO a indiqué que l’assuré avait effectué des activités simples et répétitives et qu’au terme du stage, PRO estimait que la douleur entravait sa réadaptation et qu’aucune orientation professionnelle n’était possible à ce stade.

f. Dans un rapport daté du 14 mars 2019, reçu par l’OAI le 21 mars 2019, le docteur C______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie FMH, chef de clinique aux hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : les HUG), a fait état d’un membre inférieur droit de l’assuré légèrement rouge, mais sans épanchement au niveau du genou, ainsi que d’une stabilité correcte. La mobilité en flexion-extension était mesurée à 110°-5-0°. Le reste de l’examen clinique était peu contributif, compte tenu des douleurs diffuses déplorées par l’assuré. Sous l’angle orthopédique, en l’absence de problématique mécanique, le Dr C______ n’avait pas d’autre traitement à proposer. En cas d’algoneurodystrophie, un retour au travail lui paraissait utopique pendant encore plusieurs mois, voire années.

g. L’OAI a été confié une expertise pluridisciplinaire de l’assuré au centre médical d’expertises CEMEDEX. Dans leur rapport du 20 avril 2020, les docteurs D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, E______, spécialiste en médecine interne générale, F______, spécialiste FMH en psychiatrie-psychothérapie, et G______, spécialiste FMH en neurologie, ont retenu les diagnostics suivants : ankylose en rotation externe et flexum de la hanche droite (M24.65) ; gonalgies chroniques handicapantes (M25.56), flexum du genou droit suspect d’être fixé, douleur nociceptive à l’interne du genou droit ; trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2).

De façon consensuelle, les experts estimaient que seules les atteintes orthopédiques engendraient des limitations fonctionnelles et restreignaient la capacité de travail. Dans l’activité antérieure de chauffeur-livreur, la capacité de travail était nulle depuis l’accident du 28 septembre 2016. La capacité de travail pourrait être de 100% avec une diminution de rendement de 20% en respectant les limitations fonctionnelles mentionnées depuis le 6 juillet 2017, soit depuis le rapport médical du Dr H______ des HUG, comme l'avait évalué également le SMR dans son avis du 28 août 2018. Il fallait cependant tenir compte d’une probable aggravation de l'état de santé de l’assuré.

Enfin, dans le rapport d’expertise psychiatrique, l’expert-psychiatre a conclu que, du point de vue psychiatrique, la capacité de travail était entière, depuis toujours, indiquant notamment « [ ] il est possible que [l’assuré] présente une majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques [ ]. Cependant, nous devons tenir compte que, si une présence d’algnoneurodystrophie il y a, cette maladie peut s’avérer extrêmement douloureuse, ce fait devra être confirmé dans la partie orthopédique et rhumatologique [ ] ».

h. Par décision du 15 juin 2020, l’OAI a nié à l’assuré le droit à une rente d’invalidité et à des mesures d’ordre professionnel.

B. a. Par acte du 10 août 2020, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS) d’un recours, concluant à l’annulation de la décision de l’OAI et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 6 juillet 2017.

b. Par ordonnance du 10 mai 2021 ATAS/439/2021, la chambre de céans a ordonnée une expertise rhumatologique qu’elle a confiée au professeur I______, spécialiste FMH en rhumatologie, du CHUV, considérant que les conclusions de l’expertise du CEMEDEX étaient peu claires, voire contradictoires.

c. Dans son rapport du 25 juin 2021, le Prof. I______ a retenu le diagnostic de syndrome chronique (ICD-10 F48) avec :

-      status après rupture du ménisque grade II en septembre 2016 ;

-      douleurs régionales avec limitation fonctionnelle antalgique genou et hanche droite ;

-      trouble trophique et neurovasculaire, extra-articulaire genou droit, potentiellement par brûlure du froid (usage excessif de glace) ;

-      lombalgies chroniques, douleurs multifocales ;

-      fatigue ;

-      syndrome anxiodépressif.

L’assuré n’avait jamais rempli les critères diagnostiques pour une algoneurodystrophie et l’imagerie n’avait pas confirmé un tel diagnostic.

L’état de santé du recourant s’était détérioré depuis juillet 2018. L’extension des symptômes s’était produite dans le cadre d’un syndrôme douloureux chronique.

Les limitations fonctionnelles qui existaient au niveau du membre inférieur droit étaient à prendre dans le contexte du syndrome douloureux chronique et comme conséquence d’une posture de protection durable. Il existait un flexum du genou flexion/extension de 90-30°. L’hyperalgésie ne permettait pas d’examiner la hanche correctement. Il existait également des contractures musculaires au niveau de la colonne vertébrale lombaire qui limitait la mobilité et une limitation à la marche, à la station debout prolongée et au port d’objets. La position à genoux n’était pas possible, mais la position assise l’était.

Prises ensemble, les plaintes actuelles ne pouvaient pas être objectivées. La diminution de la température du genou n’expliquait pas les symptômes.

Il existait une discohérence entre la musculature symétrique des deux jambes et une situation d’immobilisation complète pendant l’expertise. Lors de l’expertise, la douleur n’était plus focalisée sur le genou droit mais aussi au niveau de la crête iliaque à droite et lombaire ainsi que cervicale. L’extension des symptômes correspondait à un syndrome de douleur chronique, mais pas à une algoneurodystrophie.

À la question de savoir si l’évolution correspondait à ce qui était attendu pour le diagnostic retenu, l’expert a mentionné qu’une hypothermie permanente avec une limitation sévère des mouvements, du genou et de la hanche n’était pas une évolution typique pour un tel trauma au genou, ni d’un CRPS (algodystrophie). De l’autre côté, l’évolution d’une problématique post-traumatique d’abord locale au niveau du genou, après une rupture du ménisque et entorse du ligament collatéral, qui se transformait progressivement vers un syndrome douloureux chronique était connu.

Il était difficile de comprendre comment l’assuré pouvait accompagner ses enfants à l’école avec l’état de santé qu’il présentait ce jour. Il y avait une discordance entre les plaintes très démonstratives de paralysie du membre inférieur et ses activités dans la vie quotidienne. La béquille du patient était très utilisée. Il devait donc être mobile au moins avec des cannes.

L’assuré n’était pas capable de travailler dans son ancienne activité de chauffeur livreur, en raison des limitations fonctionnelles au niveau du membre inférieur mais aussi du syndrome douloureux chronique. En effet, ce métier demandait une concentration importante et des activités physiques. Selon l’expert, l’assuré était capable de travailler à 50% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à 50% pour le moment. Depuis le début de l’année 2017, une activité physique légère avec une possibilité de changement de position semblait possible. En prédominance, une activité assise ne nécessitant pas une flexion au niveau du genou. Il existait au maximum un rendement de 10%

Le taux d’exigibilité d’une activité adaptée ne s’était pas modifié entre 2017 et 2018. En 2017, on pouvait encore argumenter que les symptômes de la déchirure du ménisque étaient en première ligne. En parallèle, un syndrome douloureux chronique s’était développé. Des mesures médicales étaient nécessaires préalablement à la reprise d’une activité lucrative. L’assuré devait arrêter le traitement excessif par la glace et continuer la physiothérapie. Éventuellement une réévaluation psychiatrique serait justifiée.

d. Le 14 janvier 2022, le recourant a accepté les constatations de l’expertise judiciaire.

e. Sur la base d’un avis du SMR du 20 janvier 2022, l’intimé a estimé que le rapport d’expertise rhumatologique devait être écarté, car il comprenait de nombreuses incohérences et lacunes.

f. Sur demande de la CJCAS, l’expert s’est prononcé sur les critiques faites par l’intimée sur son rapport.

g. Le 19 juillet 2022, l’intimé a maintenu ses conclusions sur la base d’un avis du SMR du 14 juillet 2022.

h. Le recourant a persisté dans ses conclusions.

i. Le 6 décembre 2022, la chambre de céans a posé des questions complémentaires au Prof. I______ sur le diagnostic posé.

j. Le 9 décembre 2022, le Prof. I______ a répondu qu’il retenait finalement le diagnostic ICD-10 R52.2 (au lieu F48), qui lui semblait plus approprié pour ce cas.

k. Le 11 janvier 2023, l’intimé a maintenu ses conclusions, en se fondant sur un avis du SMR du 10 janvier 2023.

l. Le 2 février 2023, le recourant persisté dans ses conclusions et produit un rapport médical établi le 27 janvier 2023 par le Dr B______, qui se disait convaincu par les conclusions du Prof. I______, sans plus de motivation.

m. Par courrier du 8 mai 2023, la chambre de céans a informé les parties de son intention de mettre en œuvre une expertise psychiatrique et leur a communiqué le nom de l’expert pressenti, ainsi que les questions qu’elle avait l’intention de lui poser, en leur impartissant un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées.

n. Le 9 mai 2023, le recourant a relevé deux erreurs dans des dates de rapports de médecins dans le dispositif de la mission d’expertise.

o. Le 25 mai 2023, l’intimé a informé la chambre de céans qu’il s’opposait à une expertise judiciaire, une expertise psychiatrique remplissant tous les réquisits jurisprudentiels pour se voir reconnaître pleine valeur probante figurant déjà au dossier. Si la chambre persistait dans son intention, il n’avait pas de motifs de récusation contre l’expert annoncé. Il proposait de joindre à la mission les questions complémentaires suivantes, selon l’avis SMR du 25 mai 2023 annexé :

-      décrire les activités quotidiennes de l’assuré et le déroulement d’une journée habituelle ;

-      effectuer un dosage sanguin des psychotropes et antalgiques afin d’évaluer la compliance et/ou la biodisponibilité.

EN DROIT

 

1.             La compétence de la CJCAS et la recevabilité du recours ont déjà été admises dans l’ordonnance d’expertise du 10 mai 2021.

2.              

2.1 L’assuré a droit à une rente lorsqu’il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art.8 LPGA) à 40% au moins (cf. art. 28 al. 1 let. b et c LAI, en sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2008 – 5ème révision AI). En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

2.2  

2.2.1 L'évaluation des syndromes sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique ne fait pas l'objet d'un consensus médical (arrêt du Tribunal fédéral 9C_619/2012 du 9 juillet 2013 consid. 4.1).

La reconnaissance de l'existence de troubles somatoformes douloureux persistants suppose d'abord la présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 396 consid. 5.3). Le diagnostic de fibromyalgie, qui est d’abord le fait d’un médecin rhumatologue, doit s’appuyer lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu (ATF 132 V 65 consid. 3.4 et 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2009 du 27 novembre 2009 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 134/05 du 13 mars 2006 consid. 3.2.1.3 et 3.2.2.3).

Le diagnostic d'un trouble douloureux somatoforme doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. En particulier, l’exigence d’une douleur persistante, intense et s’accompagnant d’un sentiment de détresse doit être remplie. Un tel diagnostic suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (ATF 131 V 49 consid. 1.2).

Une expertise psychiatrique est, en principe, nécessaire quand il s'agit de se prononcer sur l'incapacité de travail que les troubles somatoformes douloureux sont susceptibles d'entraîner (ATF 130 V 352 consid. 2.2.2 et 5.3.2). Une telle appréciation psychiatrique n'est toutefois pas indispensable lorsque le dossier médical comprend suffisamment de renseignements pour exclure l'existence d'une composante psychique aux douleurs qui revêtirait une importance déterminante au regard de la limitation de la capacité de travail.

2.2.2 Les principes jurisprudentiels développés en matière de troubles somatoformes douloureux sont également applicables à la fibromyalgie (ATF 132 V 65 consid. 4.1), au syndrome de fatigue chronique ou de neurasthénie (ATF 139 V 346; arrêt du Tribunal fédéral 9C_662/2009 du 17 août 2010 consid. 2.3 in SVR 2011 IV n° 26 p. 73), à l'anesthésie dissociative et aux atteintes sensorielles (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 9/07 du 9 février 2007 consid. 4 in SVR 2007 IV n° 45 p. 149), à l’hypersomnie (ATF 137 V 64 consid. 4) ainsi qu'en matière de troubles moteurs dissociatifs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_903/2007 du 30 avril 2008 consid. 3.4), de traumatisme du type « coup du lapin » (ATF 141 V 574 consid. 5.2 et ATF 136 V 279 consid. 3.2.3) et d’état de stress post-traumatique (ATF 142 V 342 consid. 5.2). En revanche, ils ne sont pas applicables par analogie à la fatigue liée au cancer (cancer-related Fatigue) (ATF 139 V 346 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 9C_73/2013 du 2 septembre 2013 consid. 5).

2.2.3 Dans un arrêt du 3 juin 2015 (ATF 141 V 281), le Tribunal fédéral a jugé que la capacité de travail réellement exigible des personnes souffrant d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique doit être évaluée dans le cadre d’une procédure d’établissement des faits structurée et sur la base d’une vision d’ensemble, à la lumière des circonstances du cas particulier et sans résultat prédéfini. L’évaluation doit être effectuée sur la base d’un catalogue d’indicateurs de gravité et de cohérence.

Il faut examiner, en premier lieu, le degré de gravité inhérent au diagnostic du syndrome douloureux somatoforme, dont la plainte essentielle doit concerner une douleur persistante, intense, s’accompagnant d’un sentiment de détresse selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé. Dans ce contexte, il faut tenir compte des critères d'exclusion, à savoir des limitations liées à l’exercice d’une activité résultant d’une exagération des symptômes ou d’une constellation semblable, telle qu’une discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l’allégation d’intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l’absence de demandes de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l’anamnèse, le fait que les plaintes très démonstratives laissent insensibles l’expert, ainsi que l’allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact.

La gravité de l'évolution de la maladie doit aussi être rendue plausible par les éléments ressortant de l'étiologie et de la pathogenèse déterminantes pour le diagnostic, comme par exemple la présence de conflits émotionnels et de problèmes psycho-sociaux.

Un deuxième indicateur est l’échec de tous les traitements conformes aux règles de l’art, en dépit d'une coopération optimale. Il n’y a chronicisation qu’après plusieurs années et après avoir épuisé toutes les possibilités de traitement, ainsi que les mesures de réadaptation et d’intégration. Le refus de l’assuré de participer à de telles mesures constitue un indice sérieux d’une atteinte non invalidante.

Pour déterminer les ressources de l’assuré, il convient d'établir s'il y a des comorbidités psychiatriques et somatiques. Un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme peut être considéré comme une comorbidité psychiatrique.

La structure de la personnalité de l’assuré constitue un indicateur pour évaluer ses ressources. Il faut tenir compte non seulement des formes classiques des diagnostics de la personnalité, mais également des capacités inhérentes à la personnalité, qui permettent de tirer des conclusions sur la capacité de travail (notamment la conscience de soi et de l’autre, l'examen de la réalité et la formation du jugement, le contrôle des affects et des impulsions ainsi que l’intentionnalité.

Il faut prendre en compte les effets de l'environnement social. L’incapacité de travail ne doit pas être essentiellement le résultat de facteurs socio-culturels. Pour l'évaluation des ressources de l'assuré, il faut tenir compte de celles qu'il peut tirer de son environnement, notamment du soutien dont il bénéficie éventuellement dans son réseau social.

Il convient encore d'examiner si les limitations sont uniformes dans tous les domaines de la vie et d’effectuer une comparaison des activités sociales avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

La souffrance doit se traduire par un recours aux offres thérapeutiques existantes. Il ne faut toutefois pas conclure à l’absence de lourdes souffrances, lorsque le refus ou la mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et exigible doivent être attribués à une incapacité de l’assuré de reconnaître sa maladie. Le comportement de la personne assurée dans le cadre de la réadaptation professionnelle, notamment ses propres efforts de réadaptation, doivent également être pris en compte.

L'organe chargé de l'application du droit doit avant de procéder à l'examen des indicateurs mentionnés analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2).

Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective. Une expertise psychiatrique est, en principe, nécessaire quand il s'agit de se prononcer sur l'incapacité de travail que les troubles somatoformes douloureux sont susceptibles d'entraîner (ATF 130 V 352). Une telle appréciation psychiatrique n'est toutefois pas indispensable lorsque le dossier médical comprend suffisamment de renseignements pour exclure l'existence d'une composante psychique aux douleurs qui revêtirait une importance déterminante au regard de la limitation de la capacité de travail (ATF 141 V 281 consid. 8; arrêt du Tribunal fédéral 9C_797/2017 du 22 mars 2018 consid. 4.2).

2.3  

2.3.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

2.3.2 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

2.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3, ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

3.             En l’espèce, il convient en premier lieu d’examiner la valeur probante de l’expertise du Dr I______.

3.1 Celle-ci remplit les critères formels permettant de lui reconnaître en principe une pleine valeur probante.

3.2 Le SMR a toutefois fait valoir que l’expert rhumatologue avait posé le diagnostic de syndrome douloureux chronique F48, qui n’était pas de son ressort, mais de celui d’un psychiatre.

L’expert a répondu à cette critique en indiquant qu’il utilisait depuis plus de 15 ans dans ses expertises le diagnostic F45 pour le syndrome douloureux chronique, car il n’existait pas de rubrique ICD-10 adaptée à ce tableau clinique. Il était difficile de différencier les troubles somatoformes et les troubles de la gestion de la douleur. Du moins, ce dernier n’était en aucun cas un diagnostic psychiatrique. À sa connaissance, cela n’avait jamais été contesté. Dans le cas présent, le tableau douloureux concernait surtout le genou et le dos, avec une extension secondaire de la douleur à tout le corps. Au vu de la demande, la ICD-10 R52.2 lui semblait finalement plus approprié pour ce cas. Dans ses explications, il a évoqué à plusieurs reprises des symptômes fonctionnels, par exemple dues à des tensions musculaires réactives. Hormis le code F45, il ressortait clairement de son point de vue qu’il se référait à des symptômes, limitations des ressources physiques et non psychiques.

Le SMR a relevé que selon la CIM-10, le code R52.2 correspondait à « autres douleurs chroniques » telles que : douleurs osseuses généralisées, douleurs chroniques, syndrome douloureux chronique, état douloureux chronique, syndrome algique chronique, souffrances chroniques, douleurs invalidantes, syndrome algique permanent, douleurs chroniques diffuses, souffrances chroniques, souffrances. Pour le SMR, ce diagnostic n’amenait pas plus de clarification sur le diagnostic rhumatologique final, les limitations rhumatologiques et la capacité de travail résiduelle qui en découlait. Il s’agissait d’un diagnostic d’exclusion qui englobait aussi un état douloureux chronique. Lors de son expertise, l’expert n’avait pas analysé les différents diagnostics différentiels concernant les lombalgies et les douleurs multifocales. Par ailleurs, son examen clinique ne permettait pas d’évaluer si le recourant présentait effectivement des contractures musculaires objectives, notamment du rachis. Ainsi, l’expertise rhumatologique n’était pas convaincante.

En l’occurrence, l’expert a constaté que les plaintes actuelles du recourant ne pouvaient être objectivées. Il a néanmoins retenu une atteinte à la santé au raison des limitations fonctionnelles constatées et des ressources du recourant, qu’il estimait limitées sur le plan physique et probablement psychique, relevant qu’une réévaluation psychique serait éventuellement justifiée. Il a posé des diagnostics concernant des syndromes sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique. Dans ces circonstances, une expertise psychiatrique apparaît nécessaire pour déterminer si un diagnostic psychiatrique doit être posé en l’espèce ainsi que pour examiner les critères d’exigibilité d’une activité professionnelle développés par le Tribunal fédéral et se prononcer sur la capacité de travail du recourant.

4.             Une expertise psychiatrique sera ainsi ordonnée.

5.             Les erreurs de date relevées par le recourant seront corrigées et les questions complémentaires requises par l’intimé intégrées à la mission d’expertise.

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

1.             Ordonne une expertise psychiatrique de Monsieur A______.

2.             Commet à ces fins le docteur J______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

3.             Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

a)        prendre connaissance du dossier de la cause ;

b)        si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’assuré ;

c)        examiner et entendre l’assuré, après s’être entourés de tous les éléments utiles, au besoin  d’avis d’autres spécialistes ;

d)       si nécessaire, ordonner d’autres examens.

4.             Charge l’expert d’établir un rapport détaillé et de répondre aux questions suivantes :

1.        Anamnèse détaillée.

2.        Plaintes et données subjectives de l’assuré.

3.        Décrire les activités quotidiennes de l’assuré et le déroulement d’une journée habituelle.

4.        Status clinique et constatations objectives.

5.        Diagnostics selon la classification internationale.

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse).

6.        Depuis quand les différentes atteintes sont-elles présentes ?

7.        Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

8.        Les troubles psychiques constatés nécessitent-ils une prise en charge spécialisée ?

9.        Existe-t-il un trouble de la personnalité ou, une altération des capacités inhérentes à la personnalité ?

10.    Quelles sont ses répercussions fonctionnelles (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité, motivation, notamment) sur la capacité à gérer le quotidien, à travailler et/ou en termes d’adaptation ? Motiver votre position.

11.    De quelles ressources mobilisables l’assuré dispose-t-il ?

12.    Quel est le contexte social ? L’assuré peut-il compter sur le soutien de ses proches ?

13.    Pour le cas où il y aurait refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et accessible : cette attitude doit-elle être attribuée à une incapacité de l’assuré à reconnaître sa maladie ?

14.    Dans l’ensemble, le comportement de l’assuré vous semble-t-il cohérent ? Pourquoi ?

15.    Les plaintes sont-elles objectivées ?

16.    Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par l’assuré).

17.    Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

18.    Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

19.    Quels ont été les traitements entrepris et avec quel succès (évolution et résultats des thérapies) ?

20.    L’assuré a-t-il fait preuve de résistance à l’égard des traitements proposés ? La compliance est-elle bonne ?

21.    Dans quelle mesure les traitements ont-ils été mis à profit ou négligés ?

22.    Effectuer un dosage sanguin des psychotropes et antalgiques afin d’évaluer la compliance et/ou la biodisponibilité.

23.    Les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel mais aussi personnel) ? Quel est le niveau d’activité sociale et comment a-t-il évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

24.    Mentionner, pour chaque diagnostic posé, les limitations fonctionnelles qu’il entraîne

a)        dans l’activité habituelle,

b)        dans une activité adaptée.

25.    Quelles sont les conséquences de l’ensemble des diagnostics retenus sur la capacité de travail de l’assuré, en pourcent.

a)      dans l’activité habituelle,

b)      dans une activité adaptée.

26.    Dater la survenance de l’incapacité de travail durable, le cas échéant, indiquer l'évolution de son taux.

27.    Évaluer l'exigibilité, en pourcent, d'une activité lucrative adaptée, indiquer depuis quand une telle activité est exigible et quel est le domaine d'activité adapté.

28.    Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

29.    En cas de baisse de rendement, préciser si celle-ci a été prise en compte dans la capacité de travail ou si elle vient en sus.

30.    Évaluer la possibilité d'améliorer la capacité de travail par des mesures médicales. Indiquer quelles seraient les propositions thérapeutiques et leur influence sur la capacité de travail.

31.    a) Êtes-vous d'accord avec l’appréciation du Prof. I______ (rapports des 25 juin 2021 et 9 décembre 2022) ? Prière de motiver votre réponse.

b) Êtes-vous d'accord avec les appréciations du SMR (avis des 28 août 2018 et 30 avril 2020) ? Indiquer pour quelles raisons cet avis est confirmé ou écarté.

32.    Formuler un pronostic global.

33.    Toute remarque utile et proposition.

5.             Invite l’expert à déposer dans les trois mois dès réception de la mission d’expertise un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

6.             Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le