Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/525/2022

ATAS/360/2023 du 22.05.2023 ( LAA )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/525/2022 ATAS/360/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 22 mai 2023

Chambre 3

 

En la cause

Madame A______

recourante

 

contre

CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS - SUVA

 

 

intimée

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née en 1969, mariée, travaillait pour plusieurs employeurs pour un total d’environ 20 h./sem. en tant qu’employée domestique, lorsque, le 3 décembre 2014, elle a été victime d’un accident dans le cadre de son activité professionnelle : alors qu’elle ramassait des feuilles mortes à l’aide d’un tracteur, celui-ci s’est coincé. En voulant le débloquer, l’assurée s’est blessée à la main droite. Elle a été conduite aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où les diagnostics d’amputation de la deuxième phalange du troisième doigt et de la troisième phalange du cinquième doigt, ainsi que de fracture comminutive avec délabrement des tissus mous du quatrième doigt au niveau des deux premières phalanges de la main droite ont été posés, étant précisé que l’assurée est droitière.

b. L’assurée a par la suite rapidement développé des troubles psychiques importants, puisque, le 19 janvier 2015, elle a été admise au Département de santé mentale et de psychiatrie des HUG. Le docteur B______, interne, a indiqué un début de suivi au centre de thérapies brèves pour des troubles de l’humeur. Il a expliqué que la patiente souffrait d’un état anxio-dépressif post-accident après une amputation de plusieurs doigts de la main droite, d’un syndrome post-traumatique (cauchemars et irritabilité), et qu’elle rencontrait des problèmes relationnels avec son mari.

c. En entretien avec un collaborateur de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA), le 16 mars 2015, l’assurée a fait état de douleurs dans toute la main droite, plus particulièrement dans les doigts touchés par l’accident. Le majeur et l’annulaire gonflaient tous les jours et lui occasionnaient des douleurs très importantes. L’index était également douloureux et ne lui permettait pas de faire la pince. L’auriculaire – déjà opéré lors d’un accident survenu en 2008 – était raide et douloureux.

d. Lors d’un entretien ultérieur, le 19 mai 2015, l’assurée a indiqué souffrir toujours de douleurs importantes et invalidantes dans les quatre doigts de la main droite. Le majeur et l’annulaire gonflaient toujours. Une algoneurodystrophie était en cours. Elle se plaignait également d’un manque de sensibilité (auriculaire raide et douloureux, impossibilité de faire le mouvement de pince avec l’index et le pouce). Elle expliquait avoir du mal à voir sa main dans cet état et être désormais suivie par un psychiatre, le docteur C______.

e. Le 27 mai 2015, le psychiatre traitant a fait état d’une symptomatologie aiguë de type post-traumatique (anxiété, flash-back, troubles du sommeil). Il avait orienté l’assurée vers un centre de thérapies brèves et intensives pour un suivi qui s’était terminé en avril 2015. Le traitement était encore en cours et devait se poursuivre durant au moins une année. Malgré une évolution positive, la capacité de travail demeurait nulle du point de vue psychique.

f. Le 31 juillet 2015, le psychiatre traitant a confirmé le diagnostic de syndrome post-traumatique et émis un pronostic réservé.

g. Un examen électroneuromyographique (ci-après : ENMG) pratiqué le 5 août 2015 a montré une amplitude réduite et une vitesse de réponse du nerf médian droit à la limite de la norme aux niveaux du majeur et de l’annulaire, une amplitude et une vitesse de conduction dans les limites de la norme aux niveaux de l’index et du nerf ulnaire. Des signes d’atteinte axonale et myélinique des branches sensitives du majeur et de l’annulaire du nerf médian en rapport avec l’accident ont été relevés. Par rapport à l’index, la perte axonale était d’environ 50 à 60%. Le pronostic à moyen terme semblait bon.

h. Dans un rapport du 25 septembre 2015, la docteure D______, spécialiste FMH en chirurgie de la main et chirurgie plastique et reconstructive, a constaté, au niveau du médius, une limitation à 84° de flexion pour la métacarpo-phalangienne (MP) et une limitation à 55° pour l’interphalangienne proximale (IPP). Au niveau de l’annulaire, elle a noté l’équivalent d’une arthrodèse IPP, sans mouvement particulier, avec un flexum de 30°. S’agissant de l’auriculaire, elle a constaté un status après arthrodèse. Les différents moignons montraient une couverture cutanée d’une relativement bonne qualité.

i. Le 30 septembre 2015, le psychiatre traitant a qualifié la situation de stationnaire.

j. Dans un rapport du 2 octobre 2015, le docteur E______, du Département de chirurgie des HUG, a adressé l’assurée à la Consultation de la douleur chronique en expliquant que le traumatisme avait été extrêmement sévère dans sa perception par la patiente et dans l’acceptation de sa main. Malgré une chirurgie au résultat global satisfaisant au vu du traumatisme sévère, l’assurée souffrait toujours de douleurs persistantes. Des douleurs diffuses dans les troisième et quatrième doigts, mal systématisées, rétrogrades, d’allure neuropathique, étaient rapportées, pour lesquelles une prise en charge par Lyrica avait débuté. L’assurée se plaignait également de douleurs au niveau du deuxième doigt, probablement sur de l’arthrose. La portion distale du quatrième doigt semblait en outre présenter une symptomatologie évoquant une allodynie en régression.

k. Lors d’un entretien le 7 octobre 2015 auprès de la SUVA, l’assurée a indiqué souffrir toujours de douleurs, d’un manque de sensibilité, de gonflements au niveau de l’index et du majeur. Les angoisses, la tristesse et les pleurs faisaient partie de son quotidien. Il lui était difficile de surmonter la crainte pour son avenir professionnel, d’une part, de supporter le regard des autres sur sa main blessée, d’autre part. Elle continuait à être suivie de manière bimensuelle par son psychiatre traitant et envisageait de se faire confectionner des prothèses esthétiques pour améliorer sa thymie. Elle continuait une rééducation fonctionnelle à base d’ergothérapie et de physiothérapie à raison de deux à trois séances par semaine.

l. Le 27 octobre 2015, le Dr B______ a confirmé le diagnostic d’état de stress post-traumatique et ajouté celui de trouble de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive.

m. L’assurée a fait l’objet d’une appréciation psychiatrique en date du 25 novembre 2015 par le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et médecin-conseil de la SUVA. Il a conclu à l’existence d’un lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques retenus (état de stress post-traumatique et troubles de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive) et l’accident.

n. Dans un rapport du 3 février 2016, le psychiatre traitant a constaté la persistance d’une symptomatologie importante (reviviscence, souvenirs envahissants, anxiété, insomnies, dissociation, anhédonie, troubles de la concentration). Il a émis un pronostic défavorable, tout en précisant qu’un traitement prothésique des doigts amputés pourrait influencer très favorablement l’évolution des troubles psychiatriques.

o. Le 8 mars 2016, l’assurée a chuté dans un tram ayant freiné d’urgence, ce qui lui a occasionné un traumatisme crânien, une plaie de l’arcade sourcilière gauche et un syndrome de Berlin au niveau de l’œil gauche. Les médecins ont considéré que le statu quo sine avait été atteint six mois après le traumatisme sur le plan orthopédique.

p. Le 9 mars 2016, le docteur G______, médecin généraliste aux HUG, a estimé que le pronostic relatif à une récupération de la capacité de travail dépendait de l’évolution de son état psychique.

q. Dans un courrier du 4 avril 2016, le Dr E______, a indiqué que sa patiente se plaignait de douleurs au niveau du deuxième doigt évoquant une possible arthrose et de douleurs pulsatiles majorées à la palpation au niveau du troisième doigt, probablement sur un conflit avec la vis. L’examen laissait également apparaître une dysesthésie. S’agissant du quatrième doigt, une hypersensibilité pulpaire et un flexum de l’IPP de 45°, irréductible, était constatée. Au même niveau, la vis distale gênait l’assurée et une allodynie était décrite. Le cinquième doigt n’était pas douloureux. Le médecin a encore fait état d’une symptomatologie de canal carpien. Les douleurs chronique ont été qualifiées de neuropathiques post-amputation. Enfin, un état anxio-dépressif sévère contribuait à abaisser le seuil de tolérance de la douleur. Le Service de douleurs chroniques des HUG proposait la prise de Lyrica et la poursuite de la prise en charge psychique, les problèmes thymiques semblant « très intriqués dans la prise en charge multidisciplinaire » de l’assurée.

r. Le dossier a alors été soumis pour évaluation à la docteure H______, spécialiste en chirurgie et médecin d’arrondissement de l’assurance qui, le 26 avril 2016, a souligné l’importance de prendre une décision quant à une éventuelle future intervention (réintervention et ablation du matériel d’ostéosynthèse), avant de mettre en route l’achat de prothèses digitales afin de s’assurer que celles-ci soient adéquates. Au vu des troubles psychiques, ces prothèses esthétiques étaient médicalement justifiées.

s. Le 2 juillet 2016, le psychiatre traitant a mentionné un état stationnaire.

t. En entretien avec la SUVA le 12 juillet 2016, l’assurée s’est plainte d’un syndrome du tunnel carpien du bras gauche et de douleurs au genou droit.

u. La docteure I______, du Service de chirurgie orthopédique et traumatologie du département de chirurgie des HUG, a confirmé, le 28 novembre 2016, que persistaient une hypersensibilité au niveau du moignon du troisième doigt et une sensibilité au niveau du moignon du quatrième doigt, associées à une gêne sur le matériel d’ostéosynthèse sous-jacent.

v. Dans un rapport non daté, reçu par la SUVA le 19 janvier 2017, le psychiatre traitant a une nouvelle fois fait état d’une situation inchangée (thymie triste, troubles de l’attention et de la concentration, troubles du sommeil, idées noires, idées de dévalorisation). Les diagnostics de syndrome de stress post-traumatique et d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques étaient toujours valables. Le traitement psychiatrique et psychothérapeutique intégré se poursuivait à raison de séances bihebdomadaires et par la prise quotidienne de Cipralex (20 mg) et de Rivotril (2 x 0.5 mg).

w. Le docteur J______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’arrondissement de la SUVA a conclu, en date du 29 mars 2017, à une situation stabilisée, avec des douleurs pulsatiles récurrentes et constantes, une intolérance aux variations barométriques, une diminution de la force de préhension et de la force de pince au niveau de la main droite. Selon lui, une ablation du matériel d’ostéosynthèse du quatrième doigt pouvait se discuter.

x. L’assurée a également été adressée pour examen au Dr F______, qui, dans son rapport du 29 mars 2017, a relevé une détresse émotionnelle avec des plaintes assez peu systématisées, chronicisées et quasiment aucune évolution favorable. Il notait un léger décalage entre le subjectif et les constats objectifs et concluait à une anxiété psychique, ainsi qu’à une labilité de l’humeur avec dominante dépressive d’intensité légère et autres réactions émotionnelles (irritabilité, colère, conduite régressive). Ce dernier aspect était qualifié de particulièrement inquiétant car compromettant la réinsertion de l’assurée. Il a été noté que celle-ci se montrait incapable de faire le deuil de son accident et restait fixée sur ses conséquences, qu’elle interprétait sur un mode particulièrement dramatisé, raison pour laquelle le médecin concluait à un trouble de l’adaptation, avec perturbations mixtes des émotions et des conduites. En revanche, le diagnostic d’état de stress post-traumatique n’était plus retenu, vu l’absence de symptomatologie intrusive et d’hyperactivité neurovégétative.

y. Un bilan neuropsychologique par Madame K______, neuropsychologue FSP, en mars 2017, a conclu à un syndrome dysexécutif cognitif (déficit de la mémoire de travail, défaut de flexibilité mentale, ralentissement de la vitesse de traitement et faiblesse du contrôle inhibiteur) et comportemental (inertie cognitive et baisse de la motivation), ainsi qu’à des difficultés attentionnelles importantes (déficit du maintien attentionnel et attention sélective et divisée) retentissant sur les capacités mnésiques. Les difficultés cognitives s’associaient à des difficultés comportementales, dans le contexte d’un état anxio-dépressif notable cliniquement.

z. Dans un rapport du 26 mai 2017, le Dr G______ a posé les diagnostics d'amputation de D3 trans P2, d'amputation D5 trans P3, de fracture comminutive avec délabrement des tissus mous de D4 intéressant Pl et P2, d'amputation de trans P3, de syndrome de canal carpien de la main droite, de protrusion discale focale en C5-C6, de cervicobrachalgies chroniques droites, de discarthrose en L4-L5, de traumatisme cranio-cérébral modéré à sévère, de céphalées mixtes de tension et migraines post-traumatiques, de vertiges positionnels cervicaux, de tendinite des abducteurs de la hanche droite, de syndrome rotulien du genou gauche, de troubles visuels avec un scotome au niveau de l'œil gauche post-traumatique, d'état de stress post-traumatique, de troubles de l'adaptation, réaction mixte anxieuse et dépressive, de rhino-conjonctivite allergique, de bronchite chronique asthmatique et d'hypercholestérolémie traitée. Le traitement consistait en une thérapie de soutien et d'écoute. La capacité de travail était nulle au vu de l’état de l’assurée, tant psychique que physique, et le pronostic était sombre.

aa. Le 12 juin 2017, le Dr J______ s’est livré à une nouvelle évaluation. À l’examen clinique, il a constaté une diminution de la force de préhension au niveau de la main droite et un état stabilisé. S’agissant du deuxième événement survenu en mars 2016, devant l’absence de lésions objectivables, il a conclu à un statu quo sine six mois après le traumatisme sur le plan orthopédique, en particulier au niveau du rachis cervical. Une activité sans port de charges, ni utilisation de la pince à droite semblait exigible. Les limitations fonctionnelles concernaient les mouvements répétés avec port de charges et préhension franche au niveau de la main ; compte tenu des problèmes survenant en cas de variations de température, un travail à l’extérieur n’était pas exigible. Une capacité totale de travail sans limitation de rendement était retenue sur le plan purement orthopédique.

bb. Le 11 septembre 2017, le Dr C______ a estimé que la capacité de travail de l’assurée était nulle dans toute activité. Au titre des limitations fonctionnelles, il a cité un ralentissement psychomoteur, de la fatigue et des troubles de l’attention et de la concentration. Il a également relevé que la douleur physique quotidienne, ainsi que la confrontation visuelle aux doigts amputés réveillaient automatiquement la symptomatologie post-traumatique et dépressive.

B. a. Par décision du 20 novembre 2017, confirmée sur opposition le 5 février 2018, la SUVA a nié à l’assurée tout droit à une rente d’invalidité, faute de perte de gain suffisante. En effet, les séquelles physiques de l’accident ne l’empêchaient pas d’exercer une activité adaptée, c’est-à-dire n’impliquant ni mouvements répétés avec port de charges, ni préhension franche au niveau de la main droite. D’éventuels troubles psychogènes n’étaient en outre pas à prendre en considération par la SUVA, faute de relation de causalité adéquate entre ceux-ci et l’accident. Pour le surplus, l’assurée se voyait reconnaître un droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 15%.

b. Saisie d’un recours de l’assurée, la Cour de céans, par arrêt du 29 août 2019 (ATAS/800/2019), l’a partiellement admis et a renvoyé la cause à la SUVA à charge pour celle-ci de compléter l’instruction de manière à prendre en compte l’intégralité du tableau, tant physique que psychique.

L’évènement du 3 décembre 2014 devait être qualifié de gravité moyenne, à la limite d’un accident grave. Dès lors, et au vu des circonstances particulièrement dramatiques de l’accident, ainsi que de la nature et la gravité particulières des lésions physiques, il convenait de reconnaître l’existence d’un lien de causalité entre l’évènement et les atteintes psychiques alléguées.

C. a. Le 31 janvier 2020, le Dr C______ a indiqué à la SUVA que la capacité de travail de l’assurée restait nulle du fait de son humeur trop fluctuante, l’amélioration de la thymie demeurant insuffisante au maintien d’une capacité de travail durable. Les diagnostics de syndrome de stress post-traumatique et d’épisode dépressif modéré étaient retenus.

b. Dans un rapport du 27 février 2020, consécutif à un examen pratiqué le 19 février 2020, le Dr F______ a retenu les diagnostics de troubles de l’humeur (affectifs) persistants sans précision (F 34.9), de symptômes séquellaires d’état de stress post-traumatique (F 43.1) et, possiblement, de syndrome douloureux somatoforme persistant, au vu des plaintes de l’intéressée (céphalées quotidiennes, douleurs continues du dos, aux cervicales, au niveau des épaules et des deux mains). Le médecin d’arrondissement suggérait que la capacité de travail soit évaluée après un stage d’évaluation. L’IPAI était évaluée à 20%.

c. Par plis séparés du 15 septembre 2020, la SUVA a confié un mandat d’expertise bidisciplinaire en psychiatrie et orthopédie aux docteurs L______ (spécialiste en psychiatrie et psychothérapie) et M______ (spécialiste en chirurgie orthopédique et en chirurgie de la main).

d. À une date inconnue, le Dr L______ a rendu son rapport d’expertise, erronément daté du 27 octobre 2020. Il a diagnostiqué une dysmorphophobie (F 45.2) ainsi qu’une majoration de symptômes physiques pour des raisons psychologiques (F 68.0). Il a en revanche écarté tous les autres diagnostics, en particulier ceux d’état de stress post-traumatique et de trouble dépressif (p. 14 à 16). Concernant la capacité de travail, il a conclu : « une estimation prudente de la capacité de travail serait de l'ordre de 50% de l'activité professionnelle antérieure de manière globale sans pouvoir distinguer la diminution horaire et la diminution de rendement. Cette diminution de la capacité de travail est identique à celle déterminée par le Dr M______ dans son rapport du 18 janvier 2021 et ne saurait s'y additionner » (p. 18). L’état de l’assurée était en outre décrit comme stabilisé et le pronostic peu favorable sur le plan psychique. Concernant l’IPAI, un taux de 30% était retenu, distinct de celui de 10% relatif aux atteintes somatiques, reconnu par le Dr M______ dans son volet de l’expertise (p. 21). Pour le surplus, notamment la question des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail dans une activité adaptée, l’expert-psychiatre renvoyait à l’expertise du Dr M______ du 18 janvier 2021 (p. 20). Concernant l’aspect consensuel de l’expertise, il indiquait que « les experts ont échangé leurs projets de rapport puis ont eu un entretien téléphonique le 18 janvier 2021 et sont parvenus à un accord consensuel sur toutes les questions posées » (p. 19).

e. Le 18 janvier 2021, le Dr M______ a adressé à la SUVA son rapport d’expertise. Il a retenu, sous l’angle orthopédique les diagnostics de : limitation fonctionnelle douloureuse du 3e et du 4e rayon de la main droite avec diminution de la force digito-palmaire ; status après ablation partielle du matériel d'ostéosynthèse de D4 droit et décompression du tunnel carpien droit le 15 janvier 2018 ; status après confection de moignons d'amputation de bonne qualité aux têtes de P2 D3 et D4 et ostéosynthèse de Pl D3 et D4 en urgence ; status après délabrement des extrémités des trois derniers doigts de la main droite le 3 décembre 2014 avec amputation IPD de D3, fracture multifragmentaire ouverte des trois phalanges de D4 et plaie de la pulpe de D5 ; status après ancienne arthrodèse IPD de D5 droit en 2008 (expertise p. 13). L’expert a relevé diverses incohérences faisant suspecter l’intervention de phénomènes d’auto-limitation (p. 15).

Dans la partie finale de l’expertise intégrant tant les aspects de chirurgie de la main que psychiatriques, le Dr M______ a indiqué que l’état de santé était stationnaire. L'utilisation de la main droite en force, de façon très répétitive ou pour des gestes nécessitant une haute habilité manuelle était définitivement compromise. Quant à des activités nécessitant des gestes de préhension répétitifs « à pleine main » de la main droite, elles n’étaient exigibles qu'avec une diminution du temps ou de rendement de l'ordre de 50%. Les activités se limitant principalement à l'usage des deux premiers doigts de la main droite restaient exigibles à 100% (en terme de temps et de rendement). L'utilisation légère de la main droite restait parfaitement exigible « surtout avec le pouce et l'index », sans limitation de temps, ni de rendement (p. 16). Au vu de ces limitations fonctionnelles, la capacité de travail, alternativement de rendement, dans l’activité habituelle d’employée domestique était de l’ordre de 50%. Il n’y avait en revanche aucune limitation dans une activité adaptée (p. 17). L’IPAI était évaluée à 10% sous l’angle somatique et à 30% supplémentaires pour les seuls troubles psychiques.

f. Par courrier du 11 avril 2021, le Dr C______ a fait part de son désaccord avec l’expertise psychiatrique de sa patiente, tant sous l’angle des diagnostics posés que sous celui de la capacité de travail résiduelle, qu’il a estimée à 25% au maximum.

g. Sur questions complémentaires de la SUVA, le Dr M______ a indiqué que, sur le plan orthopédique, la capacité de travail dans l’activité habituelle d’employée domestique était de 50% sans perte de rendement, ou de 100% avec un rendement diminué de moitié. Il a pour le surplus renvoyé au Dr L______ pour ce qui était des limitations fonctionnelles sous l’angle psychique. Il a enfin conclu qu’en prenant en compte l’état de santé tant physique que psychique, la capacité de travail dans une activité adaptée, soit « ne nécessitant qu’une utilisation légère de sa main droite, surtout avec le pouce et l’index », était totale, sans perte de rendement.

h. Également en réponse à la SUVA, le Dr L______ a précisé le 30 mai 2021 que, du point de vue strictement psychiatrique, l’assurée pouvait effectuer toutes les tâches ménagères qu’elle effectuait précédemment, « sans restriction autre qu’une restriction horaire et rendement ». Il a encore relevé : elle « peut effectuer toutes les tâches ménagères dans sa vie privée. Elle peut donc effectuer les mêmes tâches dans son activité professionnelle. Il est vraisemblable qu’en raison des séquelles somatiques et des troubles psychiques, une telle activité professionnelle peut être exercée à 50% ». Enfin, concernant une activité adaptée, qui épargnerait en partie l’utilisation de la main droite et sans exigences de rendement élevées, la capacité de travail serait de 75%.

i. Par courriel du 11 juin 2021, l’assurée a relevé l’absence de prise de position consensuelle des experts concernant sa capacité de travail résiduelle.

j. Les experts ont complété leur appréciation par rapport commun du 21 août 2021, dans lequel ils ont indiqué avoir abouti consensuellement à une « capacité de travail, en termes de temps et de rendement de 50% dans l’activité antérieure d’employée domestique » et à une pleine capacité, sans perte de rendement, dans une activité adaptée, soit sans mouvements répétés avec port de charges et préhension franche au niveau de la main droite.

k. Par pli du 10 septembre 2021, l’assurée s’est étonnée de l’évolution des conclusions des experts, « au gré du temps et des questions posées, sans qu’il ne soit possible de comprendre les motivations de ces changements de posture ». Au vu de ces revirements successifs et de l’incapacité des experts à appréhender sa problématique psychiatrique, elle a fait valoir qu’il convenait d’invalider l’expertise.

l. Par décision du 20 septembre 2021, la SUVA a reconnu à l’assurée une diminution de capacité de gain de 18%, ouvrant, sur la base d’un gain assuré de CHF 12'755.-, le droit à une rente mensuelle de CHF 153.05. Le gain réalisable sans l’accident a été évalué à CHF 61'218.- par an pour un plein temps. Quant au gain d’invalide, il a été fixé à CHF 46'580.-, sur la base des chiffres ressortant, au niveau de compétence 1, de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), en tenant compte d’une réduction de 15% du fait des limitations fonctionnelles et de l’appréciation globale.

Pour le surplus, une atteinte à l’intégrité de 40% a été reconnue, ouvrant le droit à une IPAI de CHF 50'400.-.

m. Le 15 octobre 2021, l’assurée s’est opposée à cette décision en concluant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité, subsidiairement à la mise en œuvre d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire.

n. Par décision du 18 janvier 2022, la SUVA a rejeté l’opposition. Certes, il manquait initialement dans l’expertise une appréciation consensuelle de la capacité de travail de l’assurée, mais cette lacune avait, sur demande, été corrigée. Les conclusions prises à cette occasion n’étaient pas contradictoires avec les rapports précédents des experts, de sorte qu’il n’y avait aucune raison de mettre en cause la validité de l’expertise.

D. a. Le 14 février 2022, l’assurée a interjeté recours contre cette décision en concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente d’invalidité d’au minimum 75%, subsidiairement à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire.

La recourante réitère ses critiques à l’encontre de l’expertise, notamment concernant le volet psychiatrique.

Elle s’étonne que, sous l’angle psychiatrique l’activité habituelle soit considérée comme exigible à 50% alors qu’une autre activité, adaptée aux limitations fonctionnelles retenues, pourtant purement orthopédiques, le serait à 100%. Suivre la réflexion de l’expert reviendrait ainsi à dire que les troubles psychiatriques s’amenderaient purement et simplement lors de l'exercice d'une activité adaptée aux limitations purement orthopédiques.

b. Dans sa réponse du 15 février 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours.

Selon elle, l’expertise est parfaitement claire et concluante. Les contradictions alléguées par la recourante n’en sont pas, mais résultent du fait que celle-ci élude une partie des éléments essentiels du rapport initial du Dr L______. Ainsi, dans ce rapport, l’expert s’est uniquement penché sur la capacité de travail dans l’activité antérieure, sans donner d’indications sur « une activité adaptée, ni sur les éventuelles limitations à prendre en compte ». Ce dernier aspect a cependant été clarifié dans le cadre du complément d’expertise du 21 août 2021, de manière claire et circonstanciée.

c. Par écriture du 22 mars 2022, la recourante a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

Elle rappelle que le Dr L______ a lui-même indiqué, dans son rapport initial, qu’il était « vraisemblable qu’il faille lui reconnaître certaines limitations en raison des troubles psychiques qu’elle présente » (expertise, p. 18), dans l’exercice d’une activité professionnelle (non définie).

d. Le 14 avril 2022, l’intimée a persisté dans sa position.

e. Le 16 novembre 2022, sur ordonnance de la Cour de céans, l’Office cantonal de l’assurance-invalidité (ci-après : l’OAI) a versé à la procédure le dossier complet de l’assurée auprès de ses services.

Il en ressort que, par décision du 12 juillet 2018 (pièces 68 et 69 OAI), l’OAI a reconnu à l’assurée le droit à une rente entière d’invalidité à partir du 1er décembre 2015. Il a retenu que son statut était celui d’une personne se consacrant à 43% à son activité professionnelle et à 57% à l’accomplissement de ses travaux ménagers habituels. Depuis le 3 décembre 2014, elle est dans l’incapacité totale d’exercer toute activité lucrative. Elle rencontre en outre des empêchements à accomplir ses activités habituelles à hauteur de 46,6% (en tenant compte de l’aide exigible de son mari).

Sous l’angle médical, la décision de l’OAI se fonde principalement sur l’appréciation de son service médical régional (SMR) du 7 août 2017, admettant une capacité de travail nulle dans toute activité du fait des diagnostics retenus (amputation de P3D5, avec fracture comminutive de P1, P2, P3 et D4, amputation de l’IPD D3 de la main droite, épisode dépressif sévère et syndrome de stress post-traumatique). Au titre des limitations fonctionnelles figurent : un rendement réduit de la force et de la préhension fine, un manque de sensibilité associé à des douleurs chroniques d’amputations au niveau de la main droite, un trouble du sommeil, un syndrome dysexécutif cognitif, un ralentissement de la vitesse de traitement et des difficultés attentionnelles (pièce 50 OAI).

Par décision du 25 février 2021, l’OAI a remplacé la rente entière allouée à l’assurée par un trois-quarts de rente, du fait d’un taux d’invalidité réduit à 61% (pièces 115 à 117 OAI). Une incapacité totale de travailler reste reconnue, mais il a été tenu compte du gain réalisé depuis août 2019 en qualité d’aide à domicile, ramenant la perte de gain à 88.07% (au lieu de 100%). Le SMR a considéré que l’état de santé de l’intéressée ne s’est pas amélioré depuis le 7 août 2017. Cette appréciation se fonde notamment sur un rapport du 12 février 2020 du Dr C______ attestant d’une capacité de travail de 20%, uniquement dans une activité adaptée avec une grande souplesse de la part de l’employeur (pièce 90 OAI).

f. Amenées à se déterminer sur le dossier de l’OAI, les parties ont indiqué que celui-ci n’appelait pas d’observations supplémentaires. L’intimée s’est contentée de relever que la recourante a repris une activité professionnelle.

g. Par courrier du 31 mars 2023, la Cour de céans a avisé les parties de son intention de mettre sur pied une expertise bidisciplinaire, comprenant un volet psychiatrique, confié au docteur N______, et un autre, confié aux docteurs O______ et P______, spécialistes en chirurgie de la main auprès de la Clinique de la main, à Genève.

h. Si la recourante a indiqué qu’elle n’avait ni question complémentaire, ni motif de récusation à faire valoir, l’intimée, en revanche, s’est opposée à la désignation du Dr P______, arguant que le Professeur Q______ avait déclaré ne pouvoir être impartial, l’assurée ayant été suivie dans l’unité de chirurgie dont il était responsable depuis 2009. La SUVA fait remarquer que le Dr P______ a exercé en tant que médecin assistant à l’unité de chirurgie de la main des HUG, sous la direction du prof. Q______ et qu’en 2019- 2020, il a été chef de clinique de l’unité de chirurgie de la main, également sous la direction du Prof. Q______. La SUVA lui fait en outre le reproche de ne pas être « certifié SIM ». En revanche, la SUVA n’a pas émis d’objection à la désignation du Dr N______. Pour le reste, elle a fait quelques remarques concernant les questions posées aux experts.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu avant cette date, le droit de la recourante aux prestations d'assurance est soumis à l'ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016.

5.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

6.             Le litige porte sur la quotité de la rente d’invalidité que la recourante peut prétendre de la part de l’intimée.

7.             Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA ; ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 et les références).

La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références ; ATF 129 V 402 consid. 4.3.1 et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence ; ATF 129 V 402 consid. 2.2 et les références).

8.             Si l'assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d'invalidité (art. 18 al. 1 aLAA). Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA ; méthode ordinaire de la comparaison des revenus).

8.1 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

-            Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3)

A.           Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.           Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.           Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-            Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

Opéré dans le domaine de l'assurance-invalidité, ce changement vaut par analogie lorsqu'il y a lieu d'examiner le droit à une rente de l'assurance-accidents obligatoire en cas de syndrome sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique dont la relation de causalité naturelle et adéquate avec l'accident assuré a été admise (ATF 141 V 574 consid. 5.2).

9.             La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 132 V 93 consid. 4 et les références ; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

9.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

9.2 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 137 V 210 consid. 1.3.4 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

9.3 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

9.4 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. A cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; SVR 2008 IV n. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références).

10.         Le point de départ de l'évaluation prévue pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409), les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418) et les troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (ATF 145 V 215) est l'ensemble des éléments médicaux et constatations y relatives. Les experts doivent motiver le diagnostic psychique de telle manière que l'organe d'application du droit puisse comprendre non seulement si les critères de classification sont remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1), mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d'occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_551/2019 du 24 avril 2020 consid. 4.1 et la référence).

Dans un arrêt de principe du 2 décembre 2019 (ATF 145 V 361), le Tribunal fédéral, à la lumière de l'ATF 141 V 281, a notamment posé une délimitation, entre l'examen (libre), par les autorités chargées de l'application du droit, de l'admission d'une incapacité de travail par l'expert psychiatre, d'une part, et une appréciation juridique parallèle inadmissible, d'autre part.

Selon le Tribunal fédéral, dans tous les cas, l’administration et, en cas de recours, le juge, doivent examiner si et dans quelle mesure les experts ont suffisamment et de manière compréhensible étayé leur évaluation de l'incapacité de travail, en tenant compte des indicateurs pertinents (questions de preuve). À cette fin, les experts doivent établir un lien avec la partie précédente de l'expertise médico-psychiatrique (avec extraits du dossier, anamnèse, constatations, diagnostics, etc.), c'est-à-dire qu'ils doivent se référer en détails aux résultats médico-psychiatriques des examens et explorations cliniques menés dans les règles de l’art qui relèvent de leur compétence. Le médecin doit donc exposer de manière détaillée les raisons médico-psychiatriques pour lesquelles les éléments constatés sont susceptibles de restreindre la capacité fonctionnelle et les ressources psychiques en termes qualitatifs, quantitatifs et temporels (ATF 143 V 418 consid. 6). À titre d’exemple, dans le cadre de troubles dépressifs récurrents de degrés légers à modérés qui sont souvent au premier plan dans l’examen de l’invalidité au sens de l’AI, cela signifie qu’il ne suffit pas que l'expert psychiatre déduise directement de l'épisode dépressif diagnostiqué une incapacité de travail, quel qu'en soit le degré ; il doit bien plutôt démontrer si et dans quelle mesure les constatations qu'il a faites (tristesse, désespoir, manque de dynamisme, fatigue, troubles de la concentration et de l'attention, diminution de la capacité d'adaptation, etc.), limitent la capacité de travail, en tenant compte - à des fins de comparaison, de contrôle et de plausibilité - des autres activités personnelles, familiales et sociales de la personne requérant une rente. Si les experts s'acquittent de cette tâche de manière convaincante, en tenant compte des éléments de preuve établis par l'ATF 141 V 281, l'évaluation des répercussions de l’atteinte psychique sera également valable du point de vue des organes chargés de l’application du droit, que ce soit l’administration ou le juge. A défaut, il se justifie, juridiquement, de s'en écarter (ATF 145 V 361 consid. 4.3 et la référence).

11.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6. 1 et la référence).

12.         Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, les autorités administratives et les juges des assurances sociales doivent procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raison pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Ils ne peuvent ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, ils doivent mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 283 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

13.         En l’espèce, la recourante soutient que l’expertise bidisciplinaire des Drs M______ et L______ doit se voir écartée du fait des contradictions et lacunes qu’elle comporte. Elle reproche essentiellement à l’expert psychiatre d’avoir procédé à plusieurs revirements inexpliqués quant à sa capacité de travail et d’avoir abouti à des conclusions incohérentes en retenant que, sur le plan psychique, l’activité habituelle est exigible à 50% alors qu’une autre activité, adaptée aux limitations fonctionnelles retenues, purement orthopédiques, l’est à 100%.

13.1 La Cour de céans constate qu’en effet, pour diverses raisons, le volet psychiatrique de l’expertise, et particulièrement les conclusions auxquelles il aboutit, ne sont pas convaincants.

13.1.1 Tout d’abord, au niveau des diagnostics, l’expert psychiatre écarte un état de stress post-traumatique (retenu tant par le psychiatre traitant que par le psychiatre-conseil de l’intimée) au motif que « le premier critère de ce diagnostic est un critère normatif [qui] exige que la personne ait risqué sa vie au cours de l’évènement. Or, à aucun moment, Madame A______ n’a risqué sa vie » (expertise du Dr L______, p. 15). Cet argument ne convainc pas, dans la mesure où, selon le DSM-V (309.81) et la CIM-10 (F43.10), le critère normatif est rempli non seulement en cas d’exposition à la mort, mais également à des blessures graves, ce qui est manifestement le cas en l’espèce.

De même, le fait d’écarter les diagnostics de trouble dépressif et de troubles affectifs persistants (posés respectivement par le Dr C______ et le Dr F______), au motif qu’ils feraient partie intégrante de celui de dysmorphophobie retenu par l’expert (p.16) n’est pas non plus concluant. En effet, la dysmorphophobie requiert que le patient pense présenter un ou plusieurs défauts esthétiques, en réalité inexistants ou légers. Or, ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce, les défauts esthétiques de l’accident devant manifestement et objectivement être qualifiés d’importants. En outre, il ressort des plaintes de la recourante et de son dossier médical que ses troubles de l’humeur et sa labilité émotionnelle ne résultent pas uniquement des séquelles esthétiques de l’accident, mais également d’autre éléments, tels la reviviscence de l’évènement et la présence de douleurs chronicisées depuis lors.

Enfin, le possible diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant, évoqué par le Dr F______ dans son rapport du 27 février 2020, au vu notamment des plaintes de l’intéressée (céphalées quotidiennes, douleurs continues du dos, aux cervicales, au niveau des épaules et des deux mains), n’est pas même abordé par l’expert-psychiatre, ce qui s’avère également insatisfaisant.

13.1.2 Au-delà des diagnostics retenus et écartés, il sied de relever que l’expert-psychiatre omet d’examiner, sur la base de la grille d’évaluation normative et structurée à l’aide des indicateurs jurisprudentiels applicables, si les troubles qu’il retient entraînent une incapacité de travail totale ou partielle. Les éléments d’une telle grille n’apparaissent nulle part, l’expert semblant évaluer la capacité de travail finale en fonction d’un critère unique de « surmontabilité ». Une telle approche n’est manifestement pas conforme à la jurisprudence en vigueur.

L’unique paragraphe relatif à la « surmontabilité » n’est d’ailleurs guère argumenté : il stipule seulement que « les troubles psychiques que présente Mme A______ ne l’empêchent pas entièrement de mobiliser ses ressources ni de surmonter en partie ses troubles psychiques comme le montre l’évaluation du Mini-CIF-App » (p. 18). Les termes « pas entièrement » et « en partie », non explicités, rendent cette conclusion peu limpide.

En outre, force est de constater que les ressources dont il est question ne ressortent pas de manière claire de l’expertise, celle-ci stipulant uniquement à cet égard que « Mme A______ peut mener une vie autonome sans aucune aide extérieure. Elle peut faire ses courses, faire du vélo, s'occuper de son ménage, prendre soin d'elle. Elle a donc des ressources qu'elle peut mobiliser dans sa vie privée. Il n 'y a donc aucune raison qu'elle ne puisse pas mobiliser ses ressources également dans une activité professionnelle » (p. 18).

Enfin, les déficits fonctionnels ne sont pas non plus énumérés, ni décrits, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer s’ils ont été pris en compte par l’expert et mis en balance avec les éventuelles ressources. À titre d’exemple, les douleurs récurrentes, même chroniques, attestées tant par les médecins traitants (cf. notamment rapports des 2 octobre 2015, 4 février et 4 avril 2016 du Dr E______ et rapport du 23 juin 2016 du Dr G______) que par le médecin d’arrondissement (rapport du 29 mars 2017) et le psychiatre-conseil (rapport du 27 février 2020 soulevant l’hypothèse d’un éventuel syndrome somatoforme douloureux persistant), ne sont jamais abordées et encore moins examinées par l’expert. Celui-ci semble implicitement les écarter, comme d’ailleurs l’essentiel des plaintes de la recourante, du fait qu’elles seraient difficilement plausibles et que la manière qu’elle a « de ne jamais répondre aux questions posées laisse un sentiment de malaise à l’expert et jette un doute sur l’ensemble du tableau clinique » (p. 16 et 17). Guère argumentée, cette posture n’est pas satisfaisante et ne permet pas de tirer des conclusions pertinentes relativement à la problématique des ressources mobilisables.

Ainsi, non seulement la structure formelle de l’expertise ne correspond pas à la grille d’évaluation normative préconisée par la jurisprudence, mais son contenu est également insuffisant, tant qualitativement que quantitativement, pour permettre d’en tirer des conclusions convaincantes quant à la capacité de travail de la recourante.

13.1.3 Les appréciations successives de l’expert-psychiatre à cet égard sont d’ailleurs difficilement compréhensibles.

Dans un premier temps, dans le cadre de son rapport d’expertise initial, le Dr L______ indique que « l’impact psychologique de l’amputation [qui] a rendu toute tentative de réinsertion professionnelle impossible » (p. 15) ; que, « du point de vue psychiatrique, Mme A______ présente une capacité de travail restreinte qu’il est particulièrement difficile à évaluer » ; qu’il est « vraisemblable qu’il faille lui reconnaître certaines limitations en raison des troubles psychiques qu’elle présente » ; « qu’une estimation prudente de la capacité de travail serait de l’ordre de 50 % de l’activité antérieure de manière globale sans pouvoir distinguer la diminution horaire et la diminution de rendement » ; que « cette diminution de la capacité de travail est identique à celle déterminée par le Dr M______ dans son rapport du 18 janvier 2021et ne saurait s’y additionner » et, enfin, que les troubles psychiques présentés « ne l'empêchent pas entièrement de mobiliser ses ressources ni de surmonter en partie ses troubles psychiques » (p. 18).

S’il est ardu de déduire de ces éléments une conclusion précise quant à la capacité de travail résiduelle de la recourante, il semble néanmoins évident que l’expert estime qu’elle est bien restreinte pour des motifs psychiques, indépendamment des atteintes somatiques. Cet aspect est cependant complètement remis en question par les deux compléments d’expertise (datés des 30 mai et 21 août 2021) qui, loin de clarifier la capacité de travail de la recourante sous l’angle psychique, la rendent complètement inintelligible.

Ainsi, dans le premier complément, le Dr L______ explique que, du point de vue strictement psychiatrique, la recourante peut effectuer toutes les tâches ménagères qu’elle effectuait précédemment, « sans restriction autre qu’une restriction horaire et rendement ». Il estime encore qu’elle « peut effectuer toutes les tâches ménagères dans sa vie privée. Elle peut donc effectuer les mêmes tâches dans son activité professionnelle. Il est vraisemblable qu’en raison des séquelles somatiques et des troubles psychiques, une telle activité professionnelle peut être exercée à 50% ». Enfin, concernant une activité adaptée, qui épargnerait en partie l’utilisation de la main droite et qui n’aurait pas d’exigence de rendement élevée, la capacité de travail serait de 75%.

Dans le second complément, signé conjointement par les deux experts, ceux-ci aboutissent consensuellement à une « capacité de travail, en termes de temps et de rendement de 50% dans l’activité antérieure d’employée domestique » et à une pleine capacité, sans perte de rendement, dans une activité adaptée, soit « sans mouvements répétés avec port de charges et préhension franche au niveau de la main droite ».

Aux termes de ce dernier rapport, les experts semblent désormais considérer que les troubles psychiques retenus par l’expert-psychiatre ont une incidence sur la capacité de travail dans l’activité habituelle, mais que ceux-ci s’amenderaient purement et simplement lors de l'exercice d'une activité adaptée sur le plan orthopédique. À défaut d’une quelconque explication sur ce point, force est de constater que cette conclusion n’est ni cohérente, ni convaincante. Elle l’est encore moins lorsqu’il est procédé à la juxtaposition du rapport initial et de ses deux compléments, qui donne l’impression que, comme le relève la recourante, l’expert-psychiatre n’a pas uniquement précisé ses conclusions, mais qu’il les a également ajustées, sans raison objective apparente.

14.         Au vu de ces éléments, le volet psychiatrique de l’expertise ne peut se voir reconnaître une quelconque valeur probante.

Pour autant, les rapports du psychiatre traitant, attestant d’atteintes à la santé et d’une capacité de travail maximale de 25%, ne suffisent pas non plus à trancher la cause eu égard à leur faible densité de motivation. Ils ne permettent notamment pas de se déterminer sur la capacité de travail de la recourante à l'aune des indicateurs développés par la jurisprudence applicable en matière de troubles psychiques.

Partant, il est indispensable de compléter l'instruction médicale en ordonnant une nouvelle expertise. Celle-ci devra également comporter un volet confié à un spécialiste de la main du fait que les lacunes du volet psychiatrique invalident également les conclusions consensuelles des experts, relatives notamment aux limitations fonctionnelles, ainsi qu’à la capacité de travail et de rendement résiduelles de la recourante, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée.

15.         L’intimée s’est opposée à la désignation du Dr P______, arguant que le Prof. Q______ avait déclaré ne pouvoir être impartial, l’assurée ayant été suivie dans l’unité de chirurgie dont il était responsable depuis 2009, que le Dr P______ a exercé en tant que médecin assistant à l’unité de chirurgie de la main des HUG, sous la direction du prof. Q______ et qu’en 2019- 2020, il a été chef de clinique de l’unité de chirurgie de la main, également sous la direction du Prof. Q______. La SUVA lui fait en outre le reproche de ne pas être « certifié SIM ».

15.1 La récusation d'un expert judiciaire – qui ne fait pas partie du tribunal – s'examine au regard de l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantissant l'équité du procès (ATF 125 II 541 consid. 4a p. 544). Cette disposition assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198).

Les parties à une procédure ont le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de l'expert ne peut guère être prouvée ; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération ; les impressions individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (cf. ATF 134 I 20 consid. 4.2 p. 21 et les arrêts cités).

15.2 En ce que concerne les connaissances spécifiques nécessaires pour effectuer cette expertise, il sied de relever que le Dr P______ est spécialiste en chirurgie de la main et qu’il dispose ainsi des compétences pour répondre aux questions de la Cour, ce que l’intimée ne conteste pas au demeurant.

15.3 La certification SIM est certes exigée pour les experts mandatés par les assureurs (art. 44 LPGA et 7m al. 2 de l'ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 [OPGA - RS 830.11] entré en vigueur le 1er janvier 2022), mais non pour les expertises judiciaires, comme c’est le cas en l’espèce. Quand bien même, cette obligation est soumise à un délai de cinq ans depuis le 1er janvier 2022 (disposition transitoire de la modification du 3 novembre 2021).

Quant au fait que le Dr P______ ait, par le passé, travaillé sous la direction du Prof. Q______, qui a lui-même refusé un mandat d’expert au motif que l’assurée avait été reçue dans l’unité dont il avait la responsabilité, n’est pas relevant. Certes, le Dr P______ a exercé en tant que médecin assistant à l’unité de chirurgie de la main des HUG et a été chef de clinique de cette même unité en 2019-2020. Il ne lui est cependant pas demandé de porter un jugement de valeur sur les soins qui ont été dispensés à l’assurée dans cette unité. Il n’est pas prétendu non plus qu’il aurait lui-même suivi l’assurée à l’époque. Il n’apparaît pas, dans ces conditions, que son impartialité pourrait être mise en doute.

Dès lors, la Cour de céans maintient la désignation du Dr P______ comme expert.

Pour le reste, des modifications ont été apportées à la mission d’expertise, tenant compte des remarques de l’intimée.

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Préparatoirement :

I. Ordonne une expertise médicale bidisciplinaire de Madame A______. La confie aux docteurs N______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, et P______, spécialiste en chirurgie de la main.

II. Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A. Prendre connaissance du dossier de la cause

B. Si nécessaire prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, notamment le docteur C______ (psychiatre et psychothérapeute), les spécialistes ayant suivi Mme A______ aux HUG, ainsi que de Madame K______ (neuropsychologue FSP) et les experts mandatés par la SUVA, soit les docteurs L______ (spécialiste en psychiatrie et psychothérapie) et M______ (spécialiste en chirurgie orthopédique et en chirurgie de la main).

C. Examiner la personne expertisée et, si nécessaire, ordonner d'autres examens.

D. Charge le Dr N______ d’établir un rapport comprenant les éléments et les réponses aux questions suivantes :

1. Anamnèse détaillée

2. Plaintes de la personne expertisée

3. Status et constatations objectives

4. Diagnostics

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail

4.1.1 Dates d'apparition

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail

4.2.1 Dates d'apparition

4.3 L’état de santé de la personne expertisée est-il stabilisé ?

4.3.1 Si oui, depuis quelle date ?

4.4 Parmi les atteintes à la santé constatées, quelles sont celles qui, au moins au degré de la vraisemblance prépondérante (>50%), sont en rapport de causalité naturelle avec l’évènement du 3 décembre 2014 ? Motivez.

5. Limitations fonctionnelles

5.1. Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic

5.1.1 Dates d'apparition

6. Cohérence

6.1 Est-ce que le tableau clinique est cohérent, compte tenu du ou des diagnostic(s) retenu(s) ou y a-t-il des atypies ?

6.2 Est-ce que ce qui est connu de l'évolution correspond à ce qui est attendu pour le ou les diagnostic(s) retenu(s) ?

6.3 Est-ce qu'il y a des discordances entre les plaintes et le comportement de la personne expertisée, entre les limitations alléguées et ce qui est connu des activités et de la vie quotidienne de la personne expertisée ? En d’autre termes, les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel, personnel) ?

6.4 Quels sont les niveaux d’activité sociale et d’activités de la vie quotidienne (dont les tâches ménagères) et comment ont-ils évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

6.5 Dans l’ensemble, le comportement de la personne expertisée vous semble-t-il cohérent et pourquoi ?

7. Personnalité

7.1 Est-ce que la personne expertisée présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence et si oui, lequel ? Quel code ?

7.2 Est-ce que la personne expertisée présente des traits de la personnalité pathologiques et, si oui, lesquels ?

7.3 Le cas échéant, quelle est l'influence de ce trouble de personnalité ou de ces traits de personnalité pathologiques sur les limitations éventuelles et sur l'évolution des troubles de la personne expertisée ?

7.4 La personne expertisée se montre-t-elle authentique ou y a-t-il des signes d'exagération des symptômes ou de simulation ?

8. Ressources

8.1 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur le plan somatique ?

8.2 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur les plans :

a) psychique

b) mental

c) social et familial. En particulier, la personne expertisée peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

9. Capacité de travail compte tenu des seules atteintes en relations de causalité (au moins probable) avec l’accident du 3 décembre 2014

9.1 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée dans son activité habituelle et comment cette capacité de travail a-t-elle évolué depuis l’accident compte ?

9.1.1 Si la capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ? En cas de baisse de rendement, veuillez préciser la nature et/ou la durée (besoin de pauses supplémentaires, combien de fois, combien de temps ?)

9.2 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée dans une activité adaptée ?

9.2.1 Si cette capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ? En cas de baisse de rendement, veuillez préciser la nature et/ou la durée (besoin de pauses supplémentaires, combien de fois, combien de temps ?)

9.3 Comment la capacité de travail a-t-elle évolué depuis le 3 décembre 2014 ?

10. Traitement

10.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation

10.2 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée

10.3 Peut-on attendre de la poursuite du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée ?

10.4 Si non, à partir de quel moment ne peut-on plus attendre de la continuation du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée (état final atteint)

11. Appréciation d'avis médicaux du dossier

11.1 Êtes-vous d'accord avec l'avis du Dr C______ ? En particulier avec les diagnostics posés et l'estimation d'une capacité de travail de la personne expertisée de 25 % ? Si non, pourquoi ?

11.2 Êtes-vous d'accord avec l'avis du Dr L______ ? En particulier avec les diagnostics posés et l'estimation d'une capacité de travail de la personne expertisée de 25 % ? Si non, pourquoi ?

11.3 Quel est le pronostic ?

12. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

E. Charge le Dr P______, d’établir un rapport comprenant les éléments et les réponses aux questions suivantes :

1. Anamnèse détaillée

2. Plaintes de la personne expertisée

3. Status et constatations objectives

4. Diagnostics

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail

4.1.1 Dates d'apparition

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail

4.2.1 Dates d'apparition

4.3 L’état de santé de la personne expertisée est-il stabilisé ?

4.3.1 Si oui, depuis quelle date ?

4.4. Les atteintes et les plaintes de la personne expertisée correspondent-elles à un substrat organique objectivable ?

4.5 Parmi les atteintes à la santé constatées, quelles sont celles qui, au moins au degré de la vraisemblance prépondérante (>50%), sont en rapport de causalité naturelle avec l’évènement du 3 décembre 2014 ? Motivez.

5. Limitations fonctionnelles

5.1. Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic

5.1.1 Dates d'apparition

 

6. Capacité de travail compte tenu des seules atteintes en relations de causalité (au moins probable) avec l’accident du 3 décembre 2014

6.1 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée dans son activité habituelle, et comment cette capacité de travail a-t-elle évolué depuis l’accident ?

6.1.1 Si la capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ? En cas de baisse de rendement, veuillez préciser la nature et/ou la durée (besoin de pauses supplémentaires, combien de fois, combien de temps ?)

6.2 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée dans une activité adaptée ?

6.2.1 Si cette capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ? En cas de baisse de rendement, veuillez préciser la nature et/ou la durée (besoin de pauses supplémentaires, combien de fois, combien de temps ?)

6.3 Comment la capacité de travail a-t-elle évolué depuis le 3 décembre 2014 ?

7. Traitement

7.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation

7.2 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée

7.3 Peut-on attendre de la poursuite du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée ?

7.4 Si non, à partir de quel moment ne peut-on plus attendre de la continuation du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée (état final atteint).

8. Appréciation d'avis médicaux du dossier

8.1 Êtes-vous d'accord avec l'avis du Dr M______ ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles retenues et l'estimation d'une capacité de travail ou de rendement de la personne expertisée de 50 % dans l’activité habituelle d’employée domestique et de 100 % dans une activité adaptée ? Si non, pourquoi ?

8.2 Quel est le pronostic ?

9. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

F. Invite les experts à faire une appréciation consensuelle du cas, s'agissant de toutes les problématiques ayant des interférences entre elles, notamment l'appréciation de la capacité de travail résiduelle.

G. Invite les experts à déposer leur rapport en trois exemplaires dans les meilleurs délais auprès de la chambre de céans.

H. Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le