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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1758/2022

ATAS/329/2023 du 15.05.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1758/2022 ATAS/329/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 mai 2023

Chambre 1

 

En la cause

A______

représenté par Me Manuel MOURO, avocat

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1971, a travaillé en qualité de releveur de boîtes aux lettres pour la Poste à un taux de 75% dès 2005. Il a parallèlement exercé une activité de nettoyeur à 25% pour une entreprise de nettoyage dès 2014.

b. L’assuré a été en incapacité de travail totale dès janvier 2016 en raison d’une atteinte à l’épaule droite, consistant en une tendinopathie de la coiffe des rotateurs et d’une bursite sous-acromiale, ainsi que d’une arthrose acromio-claviculaire. Cette atteinte a fait l’objet de deux interventions pratiquées par le docteur B______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, en date des 20 mai 2016 et 24 janvier 2017.

Ce médecin a retenu, le 15 septembre 2016, que l’emploi de l’assuré à la Poste n’était définitivement plus compatible avec ses limitations fonctionnelles. Il a par la suite noté dans son rapport du 15 janvier 2019 que dans une activité légère sans port de charges, avec travail les bras à hauteur du bassin, la capacité de travail serait théoriquement de 100%.

c. Le 15 mars 2016, la Poste a déposé une demande de prestations pour l’assuré auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé).

d. Dans un avis du 18 septembre 2017, la docteure C______, médecin au Service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) a retenu les limitations fonctionnelles suivantes : pas de port de charges supérieures à 2 kg avec le membre supérieur droit, pas de station debout prolongée, pas de travail en ambiance froide, pas de travail du membre supérieur droit au-dessus de l'horizontale, pas de mouvements répétitifs des bras, activité légère et sédentaire, sans manutentions lourdes, de préférence en position assise avec alternance des positions.

e. L’OAI a accordé une mesure d’orientation professionnelle à l’assuré du 16 octobre 2017 au 21 janvier 2018, qui a toutefois dû être prématurément arrêtée en raison d’une nouvelle incapacité de travail, en dépit de la bonne volonté et de la motivation de l’assuré soulignées par les divers intervenants.

f. Le 18 janvier 2018, l’OAI a procédé au calcul du degré d’invalidité de l’assuré. Pour le revenu après invalidité, il s’est référé au revenu selon l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après : ESS) 2014 de CHF 67'022.- (TA1_tirage_skill_level, ligne Total, niveau 1) et adapté à la durée normale de travail de 41.7 heures en 2016, et CHF 56'969.- après abattement de 15%. Le revenu sans atteinte à la santé, également fondé sur le revenu statistique tiré de l’ESS, était de CHF 67'022.- en 2016. La comparaison de ces revenus aboutissait à un taux d’invalidité de 15%.

g. Dans un rapport de juin 2018, le docteur D______, spécialiste FMH en psychiatrie, a diagnostiqué une réaction dépressive prolongée (F 43.21) et un syndrome douloureux somatoforme persistant (F 45.4). Le moral de l’assuré avait été fortement affecté par l’évolution de son état de santé. Celui-ci présentait des affects dépressifs, des idéations morbides sans scénario, des douleurs importantes ainsi qu’une irritabilité. Il avait perdu sa mobilité et était isolé socialement. Sa capacité de travail était nulle en raison de l’état dépressif. Le 25 février 2019, ce médecin a signalé à l’OAI une aggravation de l’état de l’assuré, avec un trouble dépressif récurrent (F 33.1) depuis novembre 2018 à la suite de la troisième intervention à l’épaule, la péjoration des symptômes, et un sentiment d’échec et de découragement important. Le pronostic était réservé. L’assuré présentait une anergie, une anhédonie, une irritabilité, des affects dépressifs, un trouble de la concentration, des troubles du sommeil et une anxiété. Sa capacité de travail était nulle. Enfin, le 14 mai 2019, ce psychiatre a indiqué à l’OAI que l’échelle de dépression de Beck révélait un score de 33 points correspondant à un état dépressif sévère.

h. L’assuré a subi une troisième opération le 17 octobre 2018, avec reprise et excision de la cicatrice.

i. Le 26 juin 2019, l’assuré a subi une séquestrectomie L5-S1 droite en raison d’une hernie discale médiane importante.

j. Le Dr D______ a pris contact avec l’OAI le 26 août 2019 pour lui signaler un risque de dégradation de l’état psychique de l’assuré avec hospitalisation, puis une nouvelle fois le 10 septembre 2019 afin d’évoquer la situation psychologique et économique préoccupante de l’assuré. Dans un rapport du 20 septembre 2019, ce psychiatre a posé les diagnostics de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère (F 33.2) et de syndrome douloureux somatoforme persistant (F 45.4). La cure de hernie discale avait entrainé une péjoration thymique importante. L’assuré présentait une importante symptomatologie anxio-dépressive, une idéation morbide, un isolement social, une péjoration de la situation socio-économique familiale, une anhédonie, un trouble sévère du sommeil, une irritabilité et des douleurs chroniques diffuses. L’anergie, l’anhédonie, les pensées intrusives et les limitations liées aux douleurs avaient des répercussions sur le quotidien. La détresse économique avait dégradé les relations familiales, et partant les ressources et le soutien de l’assuré. Sa capacité de travail était nulle en raison du syndrome douloureux associé à la symptomatologie dépressive. Son état s’était progressivement dégradé malgré le traitement et la bonne compliance.

k. Dans un avis du 27 septembre 2019, le docteur E______, médecin au SMR, a retenu que la capacité de travail était nulle depuis l’aggravation de l’état de santé psychique en juin 2018.

l. Par décision du 2 décembre 2019, l’OAI a alloué à l’assuré une rente entière du 1er janvier au 30 juin 2017, puis dès le 1er juin 2019, soit à l’issue du nouveau délai de carence d’un an ouvert en raison d’une nouvelle atteinte à la santé.

B. a. L’OAI a entrepris une révision du droit à la rente de l’assuré.

b. Dans ce cadre, le docteur F______, spécialiste FMH en rhumatologie, a notamment indiqué le 6 mai 2021 qu’une maladie microcristalline (goutte) avait été diagnostiquée, dont le pronostic était favorable.

c. Le 20 mai 2021, le Dr D______ a quant à lui repris les diagnostics déjà posés, l’épisode dépressif actuel étant moyen. Il a notamment signalé des affects dépressifs et une anxiété importante, ainsi qu’un isolement social, une perte d’estime et un trouble du sommeil. La thymie s’était dégradée avec la nouvelle pathologie artérielle. La capacité de travail restait nulle.

d. La docteure G______, spécialiste FMH en angiologie, a rapporté le 20 mai 2021 que l’assuré présentait une symptomatologie de probable claudication intermittente du pied à gauche. Celui-ci souffrait en outre d’une insuffisance artérielle aiguë du membre inférieur droit de stade III, traitée en août 2020 par recanalisation de l'artère tibiale antérieure, la recanalisation des axes postérieurs ayant échoué, avec une récidive traitée le 30 novembre 2020 par une revascularisation des artères jambières.

e. Dans un avis du 8 juillet 2021, le docteur H______, médecin au SMR, a retenu une amélioration de l’état psychique, l’épisode dépressif étant désormais moyen. Le SMR ne pouvait suivre les conclusions des médecins traitants et préconisait la réalisation d’une expertise.

f. Une IRM lombaire du 14 juillet 2021 a mis en évidence un remaniement de style Modic 1 inflammatoire après cure de hernie discale.

g. Une IRM du pied droit du 2 août 2021 a révélé de discrets signes de fasciite plantaire.

h. L’OAI a confié une expertise pluridisciplinaire aux médecins de la Clinique romande de réadaptation (ci-après : CRR), après avoir donné à l’assuré la possibilité de se déterminer sur la mission d’expertise, puis lui avoir communiqué le nom des experts le 27 septembre 2021.

Les docteures I______, spécialiste FMH en médecine interne générale et en rhumatologie, J______, spécialiste FMH en psychiatrie, et K______, spécialiste FMH en médecine interne, ont rendu leur rapport le 19 novembre 2021. A l’issue de leurs examens, elles ont posé les diagnostics d’insuffisance artérielle aiguë du membre inférieur droit de stade III en août 2020, de goutte (M 10), de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite (M 75.1) avec status après deux interventions, de lombalgies chroniques sur discopathie L5-S1 (M 54.5), de talalgies plantaires (M 72.2) avec des signes d'enthésopathie, et de troubles statiques des pieds (Q 66.5) avec pied plat. D'un point de vue psychiatrique, le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant n’était pas retenu, et les critères d'un épisode dépressif n’étaient pas présents. Compte tenu d’un abaissement de l'humeur chronique de peu de sévérité depuis 2018, avec des ruminations sur le passé et sa situation actuelle, une insomnie, et un sentiment d'insuffisance envers ses enfants, le diagnostic de dysthymie (F 34.1) était posé. Même s'il y avait eu des périodes d'aggravation en lien avec les annonces diagnostiques et les différentes comorbidités sur le plan somatique, la Dre J______ estimait que les critères d'un épisode dépressif caractérisé sur la durée n’avaient jamais été remplis.

L'insuffisance artérielle induisait depuis août 2020 les limitations fonctionnelles suivantes : pas de travaux à l'extérieur, au froid, en position forcée (accroupie prolongée) ou comportant un risque de blessure, ni d’exposition aux vibrations. Les atteintes de l'appareil locomoteur excluaient depuis 2016 le port répété de charges supérieures à 5 kg, les mouvements en porte-à-faux du dos, les positions statiques prolongées au-delà d'une heure, des déplacements prolongés en terrains irréguliers et les manipulations au-dessus de la ligne des épaules. Dans une activité légère et sédentaire respectant ces limitations, l'exigibilité médico-théorique d'un point de vue somatique était entière depuis début 2021, soit trois mois après l'angioplastie du membre inférieur droit. D'un point de vue psychiatrique, l’assuré n’avait pas présenté de modification significative de son état psychique depuis juin 2019, bien qu'il ait pu présenter des fluctuations thymiques en lien avec les problèmes somatiques et de façon réactionnelle. Il n’y avait pas de limitation ni d'incapacité de travail dans une quelconque activité depuis juin 2019.

i. Dans un avis du 11 janvier 2022, le Dr H______ a retenu que l’expertise était convaincante. Il a noté une amélioration sur le plan psychiatrique depuis juin 2019 et admis une capacité de travail totale dans une activité adaptée dès le 1er janvier 2021.

j. A la même date, l’OAI a procédé au calcul du degré d’invalidité. Pour le revenu après invalidité, il s’est référé au revenu selon l’ESS 2018 de CHF 68'906.- (TA1_tirage_skill_level, ligne Total, niveau 1) indexé et adapté à la durée normale de travail de 41.7 heures en 2021, soit CHF 58'750.- après abattement de 15%. Le revenu sans atteinte à la santé, fondé sur la même statistique, était de CHF 70'065.-. La comparaison de ces revenus aboutissait à un taux d’invalidité de 16.41%.

k. Le 13 janvier 2022, l’OAI a adressé à l’assuré un projet de décision aux termes duquel la rente serait supprimée deux mois après la notification de la décision.

l. L’assuré a contesté ce projet par écriture du 11 février 2022, niant en substance que son état de santé se fût amélioré dès janvier 2021. Il a joint un rapport de consultation d’hémostase aux Hôpitaux universitaires de Genève du 9 décembre 2021, présentant plusieurs propositions thérapeutiques, ainsi qu’un rapport d’artériographie et angioplastie du membre inférieur gauche réalisées le 13 janvier 2022.

m. Dans un rapport du 1er mars 2022, la Dre G______ a fait état d’une insuffisance artérielle sévère des membres inférieurs, avec une nouvelle revascularisation en janvier 2022, et un status vasculaire restant très fragile au vu de la récidive. L’assuré restait très limité à la marche, et son état s’était aggravé dans la mesure où il éprouvait même des douleurs vasculaires au repos. Elle ne pensait pas qu’il fût capable de reprendre une activité. Elle a joint à son envoi une copie de son courrier du 11 février 2022 au médecin traitant de l’assuré, faisant état d’un très bon résultat un mois après la revascularisation du membre inférieur gauche, les symptômes douloureux et neuropathiques n’ayant toutefois pas été améliorés.

n. Le 1er avril 2022, l’assuré a transmis à l’OAI un rapport du Dr F______ du 4 mars 2022, évoquant notamment une bursite supra-patellaire en septembre 2021, des douleurs persistantes du pied et de la colonne cervicale en décembre 2021, et des douleurs limitant la marche en février 2022. Une consultation neurologique avait mis en évidence une atteinte nerveuse, probablement dans un contexte post ischémique. Les douleurs continues du mollet gauche limitaient le sommeil. Le Dr F______ a en outre évoqué un phénomène de Raynaud. La seule amélioration constatée par ce rhumatologue était le contrôle de la goutte en septembre 2021. Cette dernière atteinte n’entamait pas la capacité de travail, bien que les crises occasionnelles puissent entraîner un certain absentéisme.

o. Dans un avis du 6 avril 2022, le Dr H______ a retenu que les rapports des Drs G______ et F______ ne modifiaient pas ses précédentes conclusions.

p. Par décision du 6 avril 2022, l’OAI a supprimé la rente de l’assuré dès le premier jour du deuxième mois suivant sa notification, et a retiré l’effet suspensif à un éventuel recours. Il a fondé cette décision sur l’amélioration de l’état de santé constatée à partir du 1er janvier 2021.

C. a. Par écriture du 23 mai 2022, l’assuré a interjeté recours contre la décision de l’OAI. Il a conclu, sous suite de dépens, à son annulation, et subsidiairement à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire. Il a pour l’essentiel allégué que l’intimé n’avait pas démontré l’existence d’une amélioration de son état, notamment psychique. Il a ajouté qu’il avait dû être hospitalisé à plusieurs reprises après janvier 2021 et qu’une sciatique avait été diagnostiquée.

Il a produit les pièces suivantes :

-          rapport du Dr F______ du 4 mai 2022 mentionnant une sciatique S1 droite diagnostiquée à la suite d’une IRM ;

-          rapport du 8 avril 2022 de son médecin généraliste, la docteure L______, retraçant son anamnèse et rapportant une invalidité liée à des douleurs polyarticulaires récidivantes ainsi qu'à ses douleurs aux pieds à la suite des ischémies récidivantes, et concluant à une capacité de travail réduite et devant être adaptée aux douleurs ;

-          rapport de la Dre L______ du 3 mai 2022, aux termes duquel la situation du recourant s’était dégradée depuis janvier 2021, eu égard à l’exacerbation des douleurs plantaires, une électroneuromyographie ayant démontré une perte axonale du nerf tibial gauche et concluant à une capacité de travail de 20% dans une activité adaptée sans port de charges lourdes, sans travail en position debout prolongée et sans longues distances de marche ;

-          rapport du Dr D______ du 16 mai 2022 établissant un diagnostic de trouble dépressif récurrent oscillant entre moyen et sévère en fonction des péjorations somatiques du recourant, ayant atteint l’estime de soi et la capacité du recourant à gérer les exigences professionnelles. Le psychiatre avait observé une péjoration notable de la symptomatologie anxio-dépressive ayant mené à une adaptation du traitement médicamenteux.

b. Dans sa réponse du 27 juin 2022, l’intimé a préconisé la reprise de l’instruction au vu des nouvelles pièces médicales, en se référant à l’avis du SMR, et a réservé sa position quant au fond du litige.

Dans son avis joint du 16 juin 2022, le SMR, sous la plume de la Dre M______, a retenu une nouvelle atteinte sous la forme d’une sciatique et d’une atteinte au nerf, et a requis la reprise de l’instruction.

c. Par réplique du 15 juillet 2022, le recourant a affirmé que l’intimé disposait déjà le 11 février 2022 de certaines des pièces médicales dont se prévalait désormais le SMR pour proposer la reprise de l’instruction, alors qu’il incombait en toute hypothèse à ce dernier de la mener de manière complète. Les conditions de la révision n’étant pas remplies, la décision de l’intimé était précipitée et devait être annulée. L’intimé pourrait cas échéant ouvrir une nouvelle procédure de révision.

d. Le 2 mars 2023, le recourant a relancé la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La modification du 21 juin 2019 de la LPGA entrée en vigueur le 1er janvier 2021 est applicable au litige, dès lors que le recours n’était pas encore pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

La LAI a connu une novelle le 19 juin 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Conformément aux principes de droit intertemporel, selon lesquels en cas de changement de règles de droit, la législation applicable est en principe celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), les nouvelles dispositions ne sont pas applicables dès lors que la présente procédure porte sur des faits antérieurs à leur entrée en force.

3.             Interjeté dans les forme et délai prescrits par la loi, le présent recours est recevable (art. 56 à 61 LPGA).

4.             Le litige porte sur le point de savoir si c'est à bon droit que l'intimé a supprimé la rente du recourant, plus particulièrement s’il a retenu qu’une amélioration de l’état de celui-ci était survenue.

5.             Selon l'art. 17 al. 1 LPGA dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si le taux d'invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d'office ou sur demande, révisée pour l'avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

5.1 Tout changement important des circonstances, propre à influencer le degré d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l'art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l'état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 130 V 343 consid. 3.5). Une simple appréciation différente d'un état de fait, qui, pour l'essentiel, est demeuré inchangé n'appelle en revanche pas à une révision au sens de l'art. 17 LPGA (ATF 112 V 371 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_818/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2). Ainsi, le fait qu’un diagnostic ne soit plus retenu à l’issue d’un examen médical ne saurait justifier, à lui seul, la révision du droit à la rente, dans la mesure où un tel constat ne permet pas d’exclure que l’état de fait (demeuré pour l’essentiel inchangé) ait simplement été apprécié de manière différente. Une modification sensible de l’état de santé ne saurait être admise que si le nouveau diagnostic, ou l’absence d’un diagnostic posé précédemment, est corroboré par un changement clairement objectivé de la situation clinique et par l’amélioration, voire la disparition, des limitations fonctionnelles retenues précédemment (Margrit MOSER-SZELESS in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 12 ad. art. 17 LPGA).

5.2 Le point de savoir si un changement s'est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la dernière décision entrée en force reposant sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit, et les circonstances régnant à l'époque de la décision litigieuse (arrêts du Tribunal fédéral 9C_89/2013 du 12 août 2013 consid. 4.1 et 9C_431/2009 du 3 novembre 2009 consid. 2.1). Une communication rendue par l'administration dans le cadre d’une procédure de révision, lorsqu'elle s'est contentée de recueillir l'avis du médecin traitant, ne peut se voir conférer la valeur d'une base de comparaison déterminante dans le temps (arrêts du Tribunal fédéral 9C_76/2011 du 24 août 2011 consid. 5.1 et 9C_910/2010 du 7 juillet 2011 consid. 3.2). En revanche, une communication reposant sur une expertise et une constatation des faits pertinents d'ordre médical et leur incidence sur la capacité de gain d’un assuré a été considérée comme une base de comparaison déterminante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2011 du 7 novembre 2011 consid. 4).

6.             Pour trancher le droit aux prestations, le juge a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 ; ATF 115 V 133 consid. 2). Selon le principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA), le tribunal apprécie librement les preuves médicales qu'il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le tribunal doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit la provenance, puis décider s'ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S'il existe des avis contradictoires, il ne peut trancher l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu'une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). En ce qui concerne la valeur probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant c'est que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_453/2017 du 6 mars 2018 consid. 4.2).  

7.             Le Tribunal fédéral a récemment établi une nouvelle procédure pour déterminer la capacité de travail réellement exigible dans les cas de syndromes du type troubles somatoformes douloureux et affections psychosomatiques assimilées, nécessitant désormais un établissement des faits structuré et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d’une part et les ressources de compensation de l’assuré d’autre part. Il n'y a plus lieu de se fonder sur les critères ressortant de la jurisprudence rendue jusque-là, mais sur une grille d’analyse comportant des indicateurs rassemblant les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique, concernant les catégories du degré de gravité fonctionnelle et celle de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 3.6). Ces indicateurs sont les éléments pertinents pour le diagnostic et les symptômes, le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers, les comorbidités, les diagnostics de la personnalité et les ressources personnelles, le contexte social, le comportement de l’assuré, la limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie, et le poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (ATF 141 V 281 consid. 4.3 et 4.4).

Notre Haute Cour a par la suite étendu cette jurisprudence à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5). Ainsi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (arrêt du Tribunal fédéral 9C_115/2018 du 5 juillet 2018 consid. 4.1).

8.             En l’espèce, la rente octroyée au recourant dans le cadre de sa demande de prestations l’a été essentiellement eu égard à son état psychique, comme cela ressort de l’avis du Dr E______ du 27 septembre 2019, lequel avait retenu une incapacité de travail totale remontant à juin 2018 sur ce plan.

9.             Cette conclusion se fondait sur les éléments médicaux dûment recueillis auprès du psychiatre traitant, lequel avait décrit les symptômes du recourant, établi des diagnostics clairs et s’était prononcé sur la capacité de travail. Dans son expertise, la Dre J______ revient sur les diagnostics retenus par son confrère et procède à une réévaluation de la capacité de travail passée du recourant, pour conclure qu’elle a toujours été entière depuis juin 2019. A cet égard, il est important de souligner que cette experte retient de manière erronée que ce serait dès cette date que l’incapacité de travail aurait été attestée par le Dr D______, alors que celui-ci l’a en réalité retenue en juin 2018 déjà.

Ce faisant, l’experte procède ainsi à une appréciation différente d’un même état de fait, ce qui ne suffit pas à justifier une révision au sens de l’art. 17 LPGA, conformément à la doctrine et à la jurisprudence rappelées ci-dessus.

De plus, la force probante d'une expertise établie dans le cadre d'une révision dépend essentiellement du fait qu'elle se prononce de manière suffisante sur la modification notable de l'état de santé d'un assuré (arrêts du Tribunal fédéral 8C_481/2013 du 7 novembre 2013 consid. 2.3 et 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 4.2). Or, l’experte psychiatre, qui a limité temporellement son examen à partir de juin 2019, en se fondant sur la prémisse inexacte que la capacité de travail au plan psychique n’était pas litigieuse pour la période antérieure, retient expressément que le recourant n’a connu aucune aggravation ni amélioration nettes de son état psychique depuis cette date, malgré de possibles fluctuations thymiques n’atteignant pas le seuil d’un épisode dépressif sur la durée.

Il est donc erroné d’affirmer, comme le fait le Dr H______ dans son avis du 11 janvier 2022, qu’une amélioration de l’état psychique serait survenue en juin 2019, aucun élément de cet ordre ne ressortant du rapport d’expertise sur lequel il fonde cette conclusion. On précisera encore que l’avis du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux recueillis, de prendre position à leur sujet et de formuler des recommandations sur la suite à donner au dossier sur le plan médical (arrêt du Tribunal fédéral 9C_10/2017 du 27 mars 2017 consid. 5.1). L’interprétation du Dr H______ ne permet ainsi à l’évidence pas de pallier l’absence de toute amélioration déterminante retenue par les experts, et son avis ne suffit ainsi pas à démontrer l’existence d’une telle amélioration.

Par surabondance, on soulignera que l’expertise n’échappe pas à toute critique. On relève notamment au plan psychique que la Dre J______, tout en notant que le recourant est « sensible à l’anxiété » et rapporte une perte pondérale de 5 kg en lien avec la procédure de révision, paraît ignorer ce symptôme puisqu’elle ne le prend pas du tout en compte, fût-ce pour en écarter toute incidence sur la capacité de travail du recourant. Elle se contente par ailleurs d’imputer les problèmes de sommeil aux douleurs, à l’instar de la fatigabilité qu’ils entraînent, pour exclure toute pertinence diagnostique au plan psychique, sans guère motiver ce point. Elle semble par ailleurs minimiser les troubles du recourant, affirmant que celui-ci ne ressentirait plus de douleurs lorsqu’il se trouve au Portugal. Une telle indication ne manque pas d’étonner, dans la mesure où les autres expertes ont admis que ses plaintes sont parfaitement corrélées par les constatations cliniques objectives.

On ajoutera que le recourant a fourni plusieurs rapports médicaux semblant suggérer une aggravation de son état au plan somatique après l’expertise, de sorte que celle-ci ne suffirait en toute hypothèse pas à trancher son droit aux prestations, même si une amélioration au plan psychique devait être retenue.

Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait admettre que l'état de santé ou la capacité de gain du recourant a connu un changement influant sur le droit aux prestations depuis la décision initiale d'octroi de rente. L’intimé a requis la reprise de l’instruction. Il ne saurait être suivi. En effet, lorsqu’une modification notable de l'état de fait n'est pas démontrée au degré de la vraisemblance prépondérante, eu égard aux principes en matière de fardeau de la preuve, il faut s'en tenir à la situation juridique qui prévalait jusque-là (ATF 141 V 405 consid. 4.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 3.1 et 8C_549/2012 du 12 décembre 2012 consid. 2).

La décision de l’intimé doit ainsi être annulée.

10.         Le recours est admis.

Le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 2'000.- (art. 61 let. g LPGA).

La procédure en matière de prestations d’assurance-invalidité n’étant pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), l’intimé supporte l’émolument de procédure de CHF 200.-

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 6 avril 2022.

4.        Condamne l’intimé à verser au recourant une indemnité de dépens de CHF 2'000.-

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Fabienne MICHON RIEBEN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le