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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/737/2022

ATAS/863/2022 du 30.09.2022 ( LAA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/737/2022 ATAS/863/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 septembre 2022

9ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER

 

 

recourante

 

contre

SWICA ASSURANCES SA, Centre de compétences LAA, sise Konradstrasse 15, WINTERTHUR

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1976, a travaillé en qualité de caissière pour la société B______. À ce titre, elle était assurée contre le risque d’accident, professionnel ou non, auprès de Swica assurance-maladie SA (ci-après : l’assurance).

b. Le 9 décembre 2017, l’assurée a été percutée par une voiture. La déclaration d’accident a été transmise à l’assurance par l’employeur le 14 décembre 2017.

c. Dans un rapport du 3 janvier 2018, les médecins des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) ont posé le diagnostic de fracture de type B2 C6-C7 avec fracture de la facette articulaire supérieure gauche de C7, fracture tear drop de C3 et fracture A1 de C7 à D4 et de rupture complète de la portion proximale du LCA, rupture complète de la portion proximale du ligament collatéral médial et syndrome du tunnel carpien post-traumatique.

B. a. Par courrier du 16 novembre 2021, l’assurance a informé l’assurée de son intention de mettre sur pied une expertise médicale pluridisciplinaire auprès du Centre d’expertise médicale (ci-après : CEMED) à Nyon. L’assurée était invitée à se déterminer sur les experts retenus, soit le docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, le docteur D______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, et le docteur E______, spécialiste FMH en neurologie.

L’assurée conteste avoir reçu ce courrier.

b. Par courrier du 7 décembre 2021, l’assurance, se référant à son courrier du 16 novembre 2021, a informé l’assurée de ce que le délai pour se déterminer sur les experts était échu. Elle lui a dès lors communiqué les détails de la mise sur pied de l’expertise médicale pluridisciplinaire auprès du CEMED, dont les dates d’examens et le catalogue des questions qui serait adressé aux experts.

c. Par courrier du 10 décembre 2021, l’assurance a informé l’assurée de ce qu’une erreur s’était produite dans la communication des dates d’examen.

d. Par courrier du 22 décembre 2021, l’assurée a informé l’assurance de ce qu’elle n’avait pas reçu son courrier du 16 novembre 2021. Elle n’avait dès lors pas pu s’exprimer sur les médecins retenus par l’assurance. Il convenait ainsi d’annuler le mandat confié au CEMED, précisant qu’elle ne souhaitait pas se soumettre à une expertise auprès de ce centre, « qui effectu[ait] presque exclusivement des expertises pour les assureurs sociaux et dont l’impartialité [était] économiquement impossible ». Une expertise neurologique ne semblait, au demeurant, pas utile, dans la mesure où elle ne souffrait pas de troubles neurologiques, mais de troubles neuropsychologiques principalement. Elle proposait les médecins suivants : pour l’orthopédie, le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, ou le docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique ; pour la psychiatrie, le centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML), ou le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et, pour la neuropsychologie, Madame I______, psychologue.

e. L’assurance a répondu par courrier du 11 janvier 2022. Il était surprenant que l’assurée n’ait pas reçu sa communication du 16 novembre 2021. Le fait que le CEMED effectuait des expertises pour les assureurs sociaux ne signifiait pas que les médecins-experts n’étaient pas impartiaux. Compte tenu de la récusation injustifiée, l’assurée était invitée à lui faire part de sa position en choisissant l’une des trois options suivantes : retirer sa demande de récusation, maintenir sa demande de récusation en invoquant des arguments plausibles à l’encontre du CEMED ou demander la notification d’une décision incidente, étant précisé que les éventuels frais d’annulation du CEMED seraient à sa charge et déduits des prestations en sa faveur. Enfin, seul un expert en neurologie était habilité à juger du fait qu’elle ne souffrait pas de troubles neurologiques.

f. Par courrier du 14 janvier 2022, l’assurée a précisé qu’elle n’avait pas invoqué de motif formel de récusation à l’encontre du CEMED. L’application du principe consensuel voulait que l’assurance ne pouvait pas nommer unilatéralement des médecins pour une expertise sans discuter du choix des médecins avec l’assurée et lui permettre de formuler des objections, et cela en dehors même de tout motif de récusation. Les médecins qu’elle avait proposés devaient être pris en compte et choisis en l’absence de motifs de les refuser.

g. Par courrier du 21 janvier 2022, l’assurance a relevé que le choix du CEMED avait été communiqué à l’assurée par courrier du 16 novembre 2021, de sorte qu’elle n’avait pas décidé unilatéralement de ce choix. La proposition était par ailleurs convenable et dans l’intérêt de l’assurée. L’assurance renonçait ainsi à entrer en matière sur d’autres propositions.

h. Le 27 janvier 2022, l’assurée a relevé qu’il ne s’agissait pas d’un problème de récusation mais d’un problème de droit d’être entendu. Il incombait à l’assurance de discuter du choix de l’expert et de chercher un consensus. Les docteurs E______ et C______ avaient fréquemment rendu des expertises qui n’étaient pas objectives. Dans bien des procédures, ils avaient été désavoués par la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS). Sa représentante avait des clients qui avaient indiqué s’être sentis traités de manière irrespectueuse par le Dr E______ et qui avaient très mal vécu leur expertise avec lui. Enfin, les frais d’annulation du rendez-vous d’expertise ne sauraient être à sa charge, l’assurance ayant été dûment informée qu’ils ne pourraient avoir lieu. Elle avait informé le CEMED qu’elle ne se présenterait pas au rendez-vous fixé. L’assurée concluait ainsi à ce que l’assurance rende une décision incidente, regrettant toutefois la perte de temps induite par une procédure judiciaire.

i. L’assurance a rendu une décision incidente le 1er février 2022. Les éventuels frais d’annulation des examens du 28 janvier 2022 seraient mis à la charge de l’assurée et déduits des prestations en sa faveur.

C. a. Par acte du 4 mars 2022, l’assurée a formé recours contre cette décision par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) concluant à son annulation et au renvoi du dossier à l’assurance pour mise sur pied d’une expertise « dans le respect du principe consensuel ». Elle a également demandé à ce que l’assurance soit ordonnée de se prononcer sur les médecins proposés par l’assurée et conclu à ce que les frais d’annulation du rendez-vous auprès du CEMED ne soient pas mis à sa charge.

La décision incidente n’était pas motivée, pas plus que le refus de l’assurance de procéder de manière consensuelle. L’assurance devait fournir un effort pour trouver un expert conjointement avec l’assurée. Cette dernière ne s’était pas contentée de refuser les médecins proposés, mais en avait suggéré d’autres et s’était déclarée prête à en discuter. S’agissant des frais d’annulation, il ne pouvait pas être retenu que l’assurée ait entravé de façon inexcusable l’instruction de son état de santé, souhaitant simplement que ses droits soient respectés. Elle avait informé l’assurance suffisamment tôt avant la date fixée pour l’expertise, de sorte qu’elle disposait du temps nécessaire pour annuler le rendez-vous sans frais. Les conditions formelles de l’art 45 al. 3 LPGA pour mettre les frais à la charge de l’assurée n’étaient ainsi pas été respectées.

b. Par réponse du 29 mars 2022, l’assurance a conclu au rejet du recours.

L’assurée n’invoquait des motifs de récusation ni d’ordre formel, ni d’ordre matériel. Ses allégations étaient fondées uniquement sur les dires de tiers, nullement étayés. Elle se prévalait exclusivement d’impressions ne reposant sur aucun élément objectif. La recherche d’un consensus n’était nécessaire que lorsqu’un assuré faisait valoir des objections « admissibles » de nature formelle en rapport avec un cas concret. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce. Selon la jurisprudence, l’assuré ne peut se prévaloir d’aucun droit à la désignation de l’expert de son choix. À cela s’ajoutait que les médecins proposés par l’assurée exerçaient dans des cabinets indépendants et allaient, chacun, rendre son rapport, sans qu’une synthèse finale ne soit établie, ce qui ne permettrait pas à l’assurance de statuer. Enfin, selon l’art. 44 al. 5 LPGA, les disciplines médicales étaient déterminées à titre définitif par le centre d’expertises pour les expertises pluridisciplinaires. S’agissant des frais d’annulation, sauf motif de récusation valable, ils devaient être mis à la charge de l’assurée.

c. Par observations du 19 avril 2022, l’assurée a persisté dans ses conclusions.

d. Lors de l’audience de comparution des mandataires le 20 mai 2022, l’avocate de la recourante a déclaré ne pas s’opposer à ce que l’expertise soit confiée au Dr D______ s’agissant du volet orthopédique. Elle n’avait pas d’opposition de principe s’agissant du CEMED, mais estimait que les experts mandatés pour les volets psychiatrique et neurologique devaient être acceptables pour l’assurée. Elle s’opposait à ce que le mandat soit confié aux docteurs J______ et K______.

L’assurance ne s’opposait pas à ce qu’un autre expert neurologue soit mandaté pour l’expertise et s’est engagé à contacter le docteur M______ et/ou la doctoresse L______ pour connaitre leurs disponibilités. Elle ne s’opposait pas à ce qu’un autre expert psychiatre soit mandaté s’il figurait sur la liste des experts CEMED et s’est engagée à demander au CEMED si l’un des cinq médecins suivants était disponible pour le volet psychiatrique : le docteur P______, la doctoresse N______, le docteur O______, le docteur Q______ et le docteur R______.

L’avocate de la recourante a relevé qu’elle n’avait pas de motif de récusation à l’encontre des Drs M______ et L______.

e. Le 31 mai 2022, l’assurance a transmis la demande de disponibilités d’experts qu’elle avait adressée par courriel au CEMED le 25 mai 2022.

f. Le 9 juin 2022, l’assurance a indiqué que la Dresse L______ était disponible s’agissant du volet neurologique de l’expertise. S’agissant en revanche des experts psychiatres, seuls les Drs C______ et J______ pratiquaient des expertises psychiatriques LAA. Ils étaient tous deux disponibles. Rien ne s’opposait à la désignation du Dr J______.

g. Le 28 juin 2022, l’assurée a sollicité la production des échanges intervenus entre l’assurance et le CEMED au sujet des experts psychiatriques. L’assurée maintenait son refus s’agissant des experts psychiatres proposés par l’assurance. Elle proposait les médecins suivants : le docteur H______, le docteur S______, le docteur T______, la doctoresse U______ et le docteur V______. Ces médecins étaient régulièrement nommés pour des expertises judiciaires et étaient à même de participer à un consilium avec les médecins d’un centre d’expertise.

h. Le 12 juillet 2022, l’assurance a produit l’échange de courriels du 25 mai au 1er juin 2022 avec le CEMED. Il ressortait en particulier du courriel du 30 mai 2022 que les experts psychiatres cités ne faisaient actuellement pas d’expertise LAA. Suite au courrier de l’assurée du 28 juin 2022, l’assurance avait pris contact avec le CEMED afin de savoir si l’un des experts désignés par l’assurée pouvait participer à un consilium. Le CEMED avait répondu que cela ne correspondait pas aux pratiques du centre.

i. Le 26 août 2022, l’assurée a répondu qu’elle peinait à comprendre pour quelles raisons les médecins du CEMED ne pourraient pas participer à un consilium avec un médecin qualifié externe au centre. Les médecins qui n’étaient pas capables de participer à un consilium avec des confrères externes au centre qui les employait ne remplissaient pas les conditions de capacité et d’impartialité requises pour rendre une expertise de qualité. Il s’agissait d’un motif de récusation. Elle s’opposait donc à leur nomination et proposait d’autres médecins spécialistes en orthopédie et neurologie. Dans un ultime effort consensuel, elle se déclarait prête à accepter que le CEMED effectue l’expertise orthopédique et neurologique et adresse son rapport final au psychiatre externe.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2  

1.2.1 Selon l'art. 44 LPGA, dans sa version – applicable en l’occurrence – en vigueur depuis le 1er janvier 2022, si l’assureur doit recourir aux services d’un ou de plusieurs experts indépendants pour élucider les faits dans le cadre d’une expertise, il communique leur nom aux parties. Les parties peuvent récuser les experts pour les motifs indiqués à l’art. 36 al. 1 et présenter des contre-propositions dans un délai de dix jours (al. 2). Si, malgré la demande de récusation, l’assureur maintient son choix du ou des experts pressentis, il en avise les parties par une décision incidente (al. 4). Cette nouvelle disposition intègre la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, notamment l’obligation de rendre une décision incidente en cas de désaccord sur le choix de l’expert (cf. ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7 ; pour l’assurance-accidents : ATF 138 V 318 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.4.1).

En application de l’art. 44 al. 2 LPGA, le Conseil fédéral a adopté l’art. 7j de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11) sur l’exigence de la recherche d’un consensus. D’après cette disposition, si une partie récuse un expert en vertu de l’art. 44 al. 2 LPGA, l’assureur doit examiner les motifs de récusation. En l’absence de motif de récusation, les parties tentent de trouver un consensus.

1.2.2 Selon la jurisprudence, l’assuré, qui, faute de consensus, entend contester la mise en œuvre d’une expertise médicale satisfait en principe aux conditions de l’intérêt digne de protection et du préjudice irréparable nécessaires (ATF 141 V 330 consid. 2 ; ATF 139 V 339 consid. 4.4 ; ATF 138 V 271 consid. 1 ; ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_207/2012 du 3 juillet 2013 consid. 1.2.6 et 1.2.7). Le Tribunal fédéral considère que la désignation d’un centre d’expertise comme tel ne comporte pas de risque de dommage irréparable. L’assuré ne peut faire valoir d’éventuels motifs de récusation qu’à l’égard des experts ensuite désignés par ce centre (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3).

1.3 Le recours est interjeté contre une décision incidente dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). La recourante, qui fait valoir que les Drs E______ et C______ ont fréquemment rendu des expertises qui ne semblaient pas objectives, peut invoquer la violation de ses droits de participation sur le choix des experts, dans la mesure où elle risquerait de subir un préjudice irréparable si elle ne pouvait le faire que dans le cadre d’un recours contre la décision finale (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 1.5). Il sera précisé à cet égard qu’en audience la recourante a relevé qu’elle ne s’opposait pas à la désignation du centre d’expertise comme tel - ce qui ne comporterait pas de risque de dommage irréparable -, mais qu’elle faisait valoir des motifs de récusation à l’égard des experts dudit centre. Le recours est donc recevable, sous réserve de ce qui suit.

2.             La recourante a conclu à ce qu’il soit constaté « que les frais d’annulation du rendez-vous auprès du CEMED ne peuvent être mettre mis à sa charge ».

2.1  

2.1.1 Les conclusions uniquement constatatoires sont irrecevables (ATF 141 II 113 consid. 1.7 p. 123) sauf si le recourant a un intérêt digne de protection (à ce sujet, cf. art. 89 al. 1 let. c LTF; voir aussi ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 p. 164) à la constatation immédiate d'un droit, qui ne peut être préservé au moyen d'une décision formatrice, constitutive de droits et d'obligations. L'intérêt doit être actuel, de fait ou de droit et ne pas se heurter à d'autres intérêts notables, publics ou privés (ATF 142 V 2 consid. 1.1 p. 4).

2.1.2 En principe, l'objet d'une demande en justice ne peut porter que sur des questions juridiques actuelles dont les conséquences touchent concrètement le justiciable. Il est cependant admis qu'une autorité puisse rendre une décision en constatation si le requérant a un intérêt digne de protection à la constatation immédiate d'un rapport de droit litigieux (art. 49 al. 2 LPGA; voir également l'art. 25 al. 2 PA en corrélation avec l'art. 5 al. 1 let. b PA). Selon la jurisprudence, un tel intérêt n'existe que lorsque le requérant a un intérêt actuel, de droit ou de fait, à la constatation immédiate d'un droit, sans que s'y opposent de notables intérêts publics ou privés, et à condition que cet intérêt digne de protection ne puisse pas être préservé au moyen d'une décision formatrice, c'est-à-dire constitutive de droits et d'obligations (arrêt du Tribunal fédéral 9C_381/2015 du 17 décembre 2015 destiné à la publication dans le Recueil officiel, consid. 1.1 et les arrêts cités; ATF 132 V 257 consid. 1 p. 259 et les références).

2.1.3 Dans la procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent être examinés et jugés, en principe, que les rapports juridiques à propos desquels l’autorité administrative compétente s’est prononcée préalablement d’une manière qui la lie, sous la forme d’une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par voie de recours. En revanche, dans la mesure où aucune décision n’a été rendue, la contestation n’a pas d’objet, et un jugement sur le fond ne peut pas être prononcé (ATF 131 V 164 consid. 2.1 ; ATF 125 V 414 consid. 1a ; ATF 119 Ib 36 consid. 1b et les références citées).

2.1.4 Selon l’art. 45 al. 3 LPGA, les frais peuvent être mis à la charge de la partie qui empêche ou entrave l’instruction de manière inexcusable après sommation et indication des conséquences.

2.2 En l’occurrence, outre le fait que la décision incidente porte uniquement sur le désaccord des parties quant à l'expertise telle qu'envisagée par l’intimée, on ne voit pas quel intérêt majeur exigerait l’examen préalable de la question des frais d’annulation du rendez-vous auprès du CEMED qui ne pourrait pas être préservé au moyen d’une décision formatrice ou condamnatoire. La conclusion constatatoire de la recourante est partant irrecevable. Il lui sera toutefois loisible d’invoquer le moyen tiré de la violation de l’art. 45 al. 3 LPGA dans le cadre d’un recours contre la décision finale.

3.              

3.1 Les objections que peut soulever l'assuré à l'encontre de la personne de l'expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 10 al. 1 PA [RS 172.021] et 36 al. 1 LPGA); d'autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d'adéquation personnelle de l'expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3 ; Jacques Olivier PIGUET, in Commentaire romand de la LPGA, 2018, n° 24 ad art. 44 LPGA).

3.1.1 S'agissant des motifs de récusation formels d'un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d'appliquer les mêmes principes que pour la récusation d'un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3 ; ATF 132 V 93 consid. 7.1 ; ATF 120 V 357 consid. 3a) et qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l'art. 30 al. 1 Cst. - qui en la matière a la même portée que l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) - respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l'art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu'il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s'agit toutefois d'un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l'expert. L'appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l'expertisé, la méfiance à l'égard de l'expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1 ; ATF 128 V 82 consid. 2a).

3.1.2 À l'ATF 139 V 349, le Tribunal fédéral a considéré que pour les expertises médicales mono- et bidisciplinaires qui n'étaient pas attribuées selon le principe aléatoire, l'incombance (Obliegenheit) de l'OAI et de la personne assurée de s'efforcer d'aboutir à une désignation consensuelle de l'expert ou des experts prenait une importance particulière et que, lorsqu'il entendait confier une telle expertise à un COMAI, l'OAI avait l'obligation d'entreprendre cette procédure de désignation consensuelle (consid. 5.4). Si l'assureur-accidents - comme l'Office AI pour les expertises mono- ou bidisciplinaires - doit s'efforcer de mettre en oeuvre une expertise sur une base consensuelle et prendre en considération les objections soulevées par l'assuré quant à la personne de l'expert, le Tribunal fédéral a clairement rejeté la conception selon laquelle un expert ne pourrait être désigné qu'avec le consentement de l'assuré dès que celui-ci émet des objections sur la personne de l'expert, car cela reviendrait à reconnaître un droit de veto à l'assuré; il a précisé que même en cas d'objection justifiée de l'assuré, l'assureur n'est pas tenu de suivre sans autre les contre-propositions de l'assuré (consid. 5.2.1).

3.2 Le fardeau de la preuve de la réception d'un envoi incombe en principe à la personne ou l'autorité qui entend tirer une conséquence juridique (ATF 122 I 100 consid. 3b, 114 III 53 consid. 3c et 4, 103 V 65 consid. 2a). L'envoi sous pli simple ne permet en général pas d'établir que la communication est parvenue au destinataire et la seule présence au dossier de la copie d'une lettre n'autorise pas à conclure avec un degré de vraisemblance prépondérante que cette lettre a effectivement été envoyée par son expéditeur et qu'elle a été reçue par le destinataire (ATF 101 Ia 8 consid.1). La preuve de la communication peut néanmoins résulter d'autres indices ou de l'ensemble des circonstances, en particulier, de la correspondance échangée ou de l'absence de protestation de la part d'une personne qui reçoit des rappels (cf. ATF 105 III 46 consid. 3). 

3.3 Dans le cas particulier, par courrier du 16 novembre 2021, envoyé sous pli simple, l’intimée a informé la recourante de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, en lui indiquant le nom des experts pressentis pour la réaliser (avec leurs spécialités) et en lui soumettant la liste des questions envisagées. Un délai de quinze jours était accordé à la recourante pour se déterminer. Or, la recourante n’a réagi que le 22 décembre 2021. Dans sa réponse au recours, l’intimée se prévaut du caractère tardif de la détermination de la recourante, faisant valoir que celle-ci n’a respecté ni le délai de dix jours de l’art. 7j OPGA ni celui de quinze jours imparti dans son courrier du 16 novembre 2021. Pour sa part, la recourante conteste avoir reçu ce courrier.

In casu, conformément à la jurisprudence précitée et dans la mesure où la communication du 16 novembre 2021 ne résulte d’aucun indice au dossier, l’intimée doit supporter l’absence de preuve de la réception de ce courrier, étant rappelé que la seule présence au dossier de la copie d’une lettre n’autorise pas à conclure avec un degré de vraisemblance prépondérante que cette lettre a effectivement été envoyée par son expéditeur. Il convient donc de retenir que la recourante a été informée, pour la première fois, de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire par courrier du 7 décembre 2021. Ainsi, en réagissant le 22 décembre 2021, l’intéressée s’est déterminée dans le délai de quinze jours imparti par l’intimée. Reste à examiner si les parties se sont efforcées à aboutir à une désignation consensuelle des experts.

En l’occurrence, par courrier du 22 décembre 2021, la recourante s’est catégoriquement opposée à la désignation des trois experts, au motif que le CEMED effectuait presque exclusivement des expertises pour les assureurs sociaux et qu’une expertise neurologique ne semblait pas utile. Entendue en audience, la représentante de la recourante a toutefois déclaré ne pas s’opposer à ce que l’expertise soit confiée au Dr D______ s’agissant du volet orthopédique. Il convient donc de retenir que les parties ont trouvé un consensus quant à sa désignation en qualité d’expert. Dans son courrier du 26 août 2022, la recourante est certes revenue sur sa position, considérant que les médecins qui n’étaient « pas capables de participer à un consilium avec des confrères médecins qualifiés externes au centre qui les emplo[yait] ne remplissai[ent] pas les conditions de capacité et d’impartialité requises pour rendre une expertise de qualité ». Ce nouvel argument doit toutefois être relativisé du moment que la recourante s’est déclarée prête, dans la même écriture, à accepter que le CEMED effectue l’expertise orthopédique et neurologique, à condition que l’expert psychiatre figure dans la liste qu’elle a proposée.

Le recours ne porte donc plus que sur la désignation des experts C______ (psychiatrie) et E______ (neurologie).

S’agissant d’abord du volet neurologique, l’intimée a déclaré en audience devant la chambre de céans qu’elle n’était pas opposée à ce qu’un autre expert neurologue soit mandaté pour l’expertise et s’est engagée à contacter les Drs M______ et L______, ce qu’elle a fait par courriel du 25 mai 2022. Le 9 juin 2022, l’assurance a indiqué que la Dresse L______ était disponible. Dans la mesure où la recourante, par l’intermédiaire de sa représentante, a indiqué en audience n’avoir pas de motif de récusation à faire valoir à l’encontre de ce médecin, il convient de retenir que les parties ont trouvé un consensus s’agissant de l’expert en neurologie. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment évoqués, le courrier de la recourante du 26 août 2022 ne modifie pas cette conclusion.

Quant au volet psychiatrique, et dans la mesure où la recourante s’est opposée en audience à ce que le mandat soit confié aux Drs J______, K______ et C______, l’intimée a déclaré qu’elle s’engageait à contacter les Drs P______, N______, O______, Q______ et R______, ce qu’elle a fait par courriel du 25 mai 2022. Le 9 juin 2022, l’intimée a toutefois relevé que seuls les Drs C______ et J______ pratiquaient des expertises psychiatriques LAA et que tous deux étaient disponibles. Cela ressortait d’un courriel du CEMED du 30 mai 2022, versé au dossier. Le 11 juillet 2022, l’intimée a encore contacté le centre pour savoir si des médecins externes pouvaient participer à un consilium avec les médecins du CEMED, ce à quoi il lui a été répondu que cela ne correspondait pas aux pratiques du centre. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de retenir que l’assurance a cherché un consensus sur la personne de l’expert psychiatre. Elle a en effet contacté le centre pour connaître les disponibilités de cinq experts psychiatres et s’est enquis de la possibilité de mandater un expert externe au centre. Si l’on peut certes regretter la pratique du CEMED visant à refuser de procéder à des appréciations consensuelles avec des médecins externes, l’intimée a clairement expliqué son point de vue, selon lequel elle nécessitait une synthèse finale. Elle maintenait ainsi sa décision de confier l’expertise à des médecins du CEMED, précisant toutefois qu’elle n’était pas opposée à ce que d’autres médecins du même centre soient désignés en lieu et place des experts pressentis. Pour sa part, la recourante s’est limitée à relever, pour seule objection, que les expertises des Drs E______ et C______ ne semblaient pas objectives et avaient été fréquemment désavouées par les tribunaux. En audience, la recourante a réitéré cette même objection à l’encontre des Drs J______ et K______, sans la préciser davantage. Quant à l’argumentation développée par la recourante dans son courrier du 22 décembre 2021, non reprise devant la chambre de céans, selon laquelle l’impartialité des médecins du CEMED était économiquement impossible, il suffit de rappeler la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, selon laquelle le recours régulier aux services d'un expert par un office AI, de même que le volume d'honoraires ainsi généré, ne sont pas des éléments constitutifs d'une apparence de prévention à l'encontre de l'expert (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_704/2018 du 29 janvier 2019 consid. 5.1). Dans ces conditions, il convient d’admettre que l’intimée a déployé des efforts suffisants pour mettre en œuvre une expertise sur une base consensuelle et qu’il ne lui appartenait pas, face au refus catégorique – et peu motivé – de la recourante, de continuer à rechercher une désignation consensuelle de l’expert. Admettre le contraire reviendrait à reconnaitre un droit de veto des assurés, ce qui n’est pas conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 4.2).

4.             Il suit des considérants qui précèdent que le recours est partiellement admis.

La décision du 1er février 2022 doit être annulée en tant qu’elle confirme la désignation du Dr E______ en qualité d’expert en neurologie et il sera dit que la Dresse L______ est désignée en cette qualité. La décision sera confirmée pour le surplus.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 1’000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

1.        Admet le recours partiellement, dans la mesure de sa recevabilité.

2.        Annule la décision du 1er février 2022 en tant qu’elle confirme la désignation du Dr E______ en qualité d’expert en neurologie.

3.        Désigne en cette qualité la Dresse L______.

4.        Confirme la décision pour le surplus.

5.        Condamne l'intimée à verser CHF 1’000.- à la recourante à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le