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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/135/2021

ATAS/614/2022 du 30.06.2022 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/135/2021 ATAS/614/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2022

3ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à MEYRIN, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Monique STOLLER FÜLLEMANN

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née B______ en 1972 à Lucerne, sans formation professionnelle, a vécu de 1988 à 1994, puis de 1996 à 2001 en Tunisie, où, en 1990, elle a épousé Monsieur C______. Le couple a eu cinq enfants : D______ (1991), E______ (1992), F______ (1997), G______ (2003), H______ (2007). De janvier 1997 jusqu’à son retour en Suisse, en 2001, l'assurée a été employée au sein de l’établissement de Monsieur C______, active dans le secteur du marché de gros de poissons en Tunisie.

b. Le 22 mars 2006, l’assurée a déposé auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI) une première demande de prestations, en raison d’un état dépressif profond et d’un trouble du comportement dont elle indiquait souffrir depuis 1998.

c. Sa demande a été rejetée par décision de l’OAI du 9 octobre 2007. L'OAI a retenu que l'atteinte à la santé n'entraînait aucune conséquence pour l'assurée, femme au foyer depuis son retour en Suisse.

d. Le 2 février 2016, l’assurée a saisi l’OAI d’une nouvelle demande de prestations, en invoquant une totale incapacité de travail depuis janvier 2014, en raison de douleurs invalidantes dans les jambes et les mains depuis environ quatre ans.

e. Par décision du 9 septembre 2016, l’OAI a rejeté la demande. L'assurée avait le statut de personne se consacrant entièrement à ses travaux habituels, pour l’accomplissement desquels elle présentait, à teneur des résultats d'une enquête ménagère, un degré d'invalidité de 1.5%, insuffisant pour ouvrir droit à une rente d’invalidité.

Saisie d'un recours de l'intéressée, la Cour de céans l'a rejeté par arrêt du 20 juin 2017 (ATAS/502/2017). Elle a considéré que c’était à juste titre que le statut de ménagère avait été retenu, l'assurée n’ayant pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante qu’en absence d’atteinte à sa santé, elle aurait exercé une activité lucrative en 2016. Elle n’avait pas travaillé depuis son retour en Suisse, en 2001, et n’avait jamais fait état d’une volonté en ce sens avant le dépôt du recours. Lors de l’enquête ménagère, elle avait confirmé que tenir un ménage de six personnes - dont deux enfants mineurs - requérait un investissement de temps et d’énergie important, pouvant lui faire préférer de s’y consacrer pleinement. Elle avait fait le choix de ne pas exercer d’activité lucrative, estimant que les avantages financiers qu’elle en tirerait n’en vaudraient pas la peine, une fois déduits les frais supplémentaires qui en résulteraient en termes de garde, de cuisines scolaires et d’activités parascolaires. Elle n'avait d'ailleurs fait aucune recherche d’emploi depuis 2003. Quant aux résultats de l’enquête ménagère sur lesquels l’OAI s’était fondé pour fixer le taux d’invalidité, ils n’étaient pas critiquables.

B. a. Le 16 janvier 2019, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’OAI, suite à l’aggravation de son état de santé.

Ont été versés au dossier, notamment :

-          une attestation rédigée le 29 octobre 2018 par le docteur I______, généraliste et médecin traitant, retenant les diagnostics d’algies diverses invalidantes, de polyarthrite chronique, de paresthésies douloureuses et de rhizarthrose bilatérale s’aggravant malgré les traitements par immobilisation et infiltrations en cours depuis six ans; le médecin fait état d'une capacité de travail nulle;

-          une nouvelle appréciation du Dr I______ du 11 février 2019 confirmant que la situation s'est fortement dégradée et que les limitations douloureuses ont augmenté de manière importante; les douleurs permanentes empêchent toute activité et débouchent sur un début d’impotence entraînant une sinistrose, elle-même en aggravation;

-          deux rapports d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) des poignets, datés des 28 et 30 janvier 2019, attestant de fortes aggravations des rhizarthroses, avec réactions inflammatoires majeures à gauche comme à droite;

-          un avis émis le 3 mai 2019 par le docteur J______, du service médical régional de l’AI (ci-après : SMR), constatant une aggravation de l’état de santé depuis la dernière décision de refus de prestations et retenant à titre de limitations fonctionnelles en lien avec la polyarthrite chronique, les dorso-lombalgies et la rhizarthrose bilatérale : l'obligation d'éviter le port de charges lourdes, la manutention, le travail fin avec les mains, tout travail en porte-à-faux ou penché en avant et l'utilisation d’escabeau, ainsi qu'une fatigabilité accrue.

b. En date du 12 octobre 2020, Madame K______, infirmière-évaluatrice auprès de l’OAI a procédé à une nouvelle enquête économique sur le ménage au domicile de l'assurée.

À teneur de son rapport du 14 octobre 2020, l'enquêtrice a retenu, sous la rubrique « détermination de l’activité lucrative », les mêmes données que lors de l’enquête de 2016, considérant que la situation familiale était identique et qu’il n’y avait aucune raison de modifier le statut retenu précédemment.

Pour rappel, l’assurée n’avait pas de formation professionnelle. En juin 1995, elle avait travaillé auprès de L______ à Écublens (VD), puis, de juin 1995 à août 1996, à temps partiel comme caissière à M______ à Prilly (VD). Lors de son installation en Tunisie avec sa famille, en janvier 1997, elle avait exercé comme secrétaire de l’entreprise de marché de gros de son beau-père, quatre à cinq heures par jour, du mardi au samedi, jusqu’à juin 2001. Depuis son retour en Suisse en juillet 2001, elle n’avait plus exercé d’activité lucrative, ayant fait le choix d’être mère au foyer après avoir fait des recherches d’emploi comme caissière à temps partiel, s’être inscrite au chômage entre 2001 et 2002 et avoir eu son quatrième enfant en 2003. Une fois que son cinquième enfant, né en 2007, avait eu neuf ans, elle s’était demandée si elle devait reprendre ou non un emploi, à un taux maximal de 50%, afin de participer au revenu du ménage, son mari travaillant à 50% pour un salaire mensuel de CHF 2'000.-, mais avait finalement fait le choix de rester mère au foyer, car travailler à mi-temps ne lui aurait rien rapporté, compte tenu des frais liés à la garde des enfants, aux cuisines scolaires et au parascolaire. Les enfants étaient alors âgés de 9 à 25 ans. Elle n’avait fait aucune recherche d’emploi depuis 2003. Depuis l’enquête de 2016, le mari de l’assuré avait vu sa rente d'invalidité (initialement un trois-quart de rente) être augmentée à une rente entière. Son fils aîné travaillait désormais à plein temps, alors qu’il était précédemment au chômage.

Les empêchements et l'aide exigible des proches pour l’accomplissement des tâches ménagères étaient évalués comme suit:

champs d’activité

exigibilité

pondération

empêchement brut

empêchement pertinent

empêchement pondéré

alimentation

35 %

36 %

50 %

15 %

5.4 %

entretien du logement

35 %

30 %

70 %

35 %

10.5 %

achats et courses diverses

25 %

6 %

25 %

0 %

0 %

lessive et entretien des vêtements

30 %

18 %

50 %

20 %

3.6 %

soins et assistance aux enfants et aux proches

0 %

10 %

20 %

20 %

2 %

totaux

---

100 %

---

---

21.5%

 

c. Le 20 octobre 2020, l’OAI a adressé à l'assurée un projet de décision dont il ressortait qu'il se proposait de rejeter sa demande. Si son état de santé s'était bel et bien aggravé, l’enquête ménagère n'avait mis en évidence que des empêchements à hauteur de 21,5%, de sorte que le taux d’invalidité demeurait insuffisant pour ouvrir droit à des prestations.

d. L’assurée s'est opposée à ce projet en contestant les constatations et conclusions de l’enquête ménagère, alléguant que, lors de celle-ci, elle n’avait pas été en mesure de répondre aux questions, car elle était en « pleine crise psychologique (pleurer, baver, parler comme un bébé) ». L’aggravation de son état général ainsi que les changements dans sa situation familiale n’avaient pas été dûment pris en compte. Les conséquences de sa dépression profonde sur son quotidien n’avaient pas non plus été évaluées. Elle ne pouvait plus accomplir la moindre activité ménagère et n’était même plus en mesure de se nettoyer seule.

e. Par décision du 3 décembre 2020, l’OAI a rejeté la demande de prestations de l’assurée.

C. a. L'assurée a interjeté recours auprès de la Cour de céans en concluant à l’octroi d’une rente d’invalidité, si nécessaire après mise en œuvre d’une expertise judiciaire.

La recourante conteste le statut de ménagère retenu, d'une part, les constatations et conclusions de l'enquête ménagère, d'autre part. À cet égard, elle argue que ses atteintes psychiques n'ont pas du tout été prises en compte, que ce soit par le SMR ou l’enquêtrice. Dans la mesure où elles n'ont pas même été investiguées, l’instruction de son dossier est lacunaire.

b. Invité à se déterminer, l'intimé, dans sa réponse du 9 février 2021, a conclu au rejet du recours.

Il soutient que l’enquête ménagère du 14 octobre 2020 doit se voir reconnaître pleine valeur probante, que la situation familiale de l'assurée est identique à celle prévalant en 2016 et qu'il n'y a donc pas lieu de modifier son statut. Selon lui, l’enquête ménagère prend dûment en compte toutes les atteintes à la santé et répercussions fonctionnelles retenues par le SMR sur la base du dossier médical.

D. a. Dans sa réplique du 11 mars 2021, la recourante a allégué que, sans atteinte à sa santé, elle aurait repris une activité lucrative, ce que confirme notamment son inscription auprès de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) en mai 2018. Quant à son état de santé, notamment psychique, il s’est encore aggravé en 2020.

À cet égard, elle produit notamment un rapport du Dr I______ attestant d'une détérioration, sous la forme d’une dépression profonde et de troubles de la personnalité.

Plusieurs membres de la famille de la recourante ont été entendus dans le cadre des enquêtes.

Madame N______, belle-fille de la recourante et épouse de son fils aîné, a indiqué avoir vu la situation se dégrader au fil du temps. Sa belle-mère et son beau-père ne s’occupent pratiquement plus des tâches ménagères, lesquelles ont été essentiellement reprises par les enfants. Elle-même aide quand elle le peut. Durant ses pauses, elle se rend chez eux pour faire la vaisselle, passer la serpillère ou l’aspirateur. La recourante connaît des épisodes inopinés durant lesquels elle se comporte comme un bébé, traverse des crises de larmes et respiratoires. Elle ne peut pratiquement plus sortir seule, du fait qu’elle craint la foule. Elle ne le fait que pour promener les chiens ; le reste du temps, elle reste à proximité immédiate de chez elle, accompagnée de l’un de ses enfants. Quant à son époux, il est perclus de douleurs, de sorte qu’il peut difficilement aider aux tâches ménagères. Tout au plus, la témoin l’a-t-elle vu nettoyer et débarrasser sa propre place à table. Elle sait que sa belle-mère a recherché un emploi et s’est inscrite au chômage afin d’aider financièrement.

Monsieur C______, époux de la recourante a expliqué souffrir d’un trouble mixte de la personnalité et d’un trouble de la conversion pour lesquels il a déjà dû être hospitalisé, ainsi que d’une sarcoïdose. Il a été victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) fin 2019, a été opéré de deux hernies en 2020 et du genou droit en 2021. Suite à une décision de l’OAI de 2017, il a été mis au bénéfice d’un trois-quarts de rente d'invalidité avec effet rétroactif à 2014. Depuis son AVC, il est au bénéfice d’une rente entière. Il sait que son épouse a cherché un emploi à 50%, notamment dans le secteur de la vente, afin d’aider économiquement la famille. Elle s'est inscrite au chômage pour le même taux. Suite à son AVC, la situation familiale s’était détériorée. Son épouse a multiplié les crises et les pleurs, s’enfermant dans les toilettes et se sentant incapable. Leur fils E______, âgé de 29 ans dort dans la même chambre qu'eux depuis deux ans afin de l'aider durant la nuit s’il doit se lever ou de calmer l'assurée, si elle fait une crise ou des cauchemars. Leur fils de 24 ans, F______, se charge pour sa part du ménage et des courses et accompagne tous les membres de la famille aux rendez-vous médicaux. Pour le surplus, le grand ménage est géré par l’une des belles-filles. Dans l’ensemble, la maison est « dégueulasse ». La famille mange dans des couverts jetables, la recourante ne pouvant plus faire la vaisselle en raison de ses douleurs aux mains. La famille ne mange plus chaud, sauf quand les enfants préparent des pâtes ou du riz blanc. Le reste du temps, les repas se composent de sandwiches, kebabs, tacos, etc.

D______, fils aîné de la recourante, a quitté le domicile familial en 2016. Il a confirmé que la situation s’était détériorée suite à l’AVC de son père, lequel a entraîné l’aggravation de l’état de santé de sa mère, notamment sur le plan psychologique. Il l’a vue, à quelques reprises, s’infantiliser en pleine conversation, réagir et parler comme un bébé. Quand bien même elle sort rarement seule, il est arrivé qu’elle l’appelle alors qu’elle se trouvait à l’extérieur et n’était plus en mesure de rentrer à la maison. Il doit alors aller la chercher et la ramener. Globalement, la situation familiale est terrible depuis l’AVC de son père. Les deux enfants mineurs, H______ et G______, sont d’ailleurs suivis par un psychiatre. Le témoin a confirmé que sa mère avait cherché un emploi dans la vente ou le nettoyage en 2017-2018, mais que c’était déjà difficile, du fait de ses problèmes au niveau des mains. Elle souhaitait aider la famille, en grande difficultés financières. Ce sont les fils aînés, qui travaillent, qui soutiennent la famille financièrement. La situation s’est légèrement améliorée depuis l’augmentation de la rente invalidité du père, mais les enfants doivent néanmoins continuer à contribuer aux frais domestiques. Selon le témoin, ses parents ne sont désormais plus capables de faire quoi que ce soit à la maison. C’est son épouse qui fait l’essentiel du ménage, lors de ses pauses ou durant les week-ends. Pour le reste, chacun fait ce qu’il peut.

b. Le Dr I______, médecin traitant de la recourante et de toute la famille depuis une vingtaine d’années, a également été entendu comme témoin. Il a confirmé les diagnostics posés préalablement, ainsi que la dégradation de la situation, notamment du point de vue des douleurs ostéo-articulaires. Initialement, la recourante est restée au foyer afin de s’occuper des cinq enfants et tenir le ménage. Suite à des conflits familiaux apparus dès 2012 pour des raisons financières, il est apparu qu’elle devrait reprendre une activité lucrative. Lorsqu’elle s’y est attelée en 2014, il a été constaté que son état rendait l’exercice d’une telle activité impossible. L’état psychique de sa patiente s'est également détérioré par la suite. Elle souffre désormais d’un état dépressif profond et d’une sinistrose la poussant à se tenir à l’écart (phobie du moindre contact). Elle prend du Temesta (50-100 mg.) et de la Fluctine (40-60 mg.). La situation n'est plus gérable par une simple prise médicamenteuse, en ambulatoire et par un généraliste. La nature même des pathologies dont souffre l'assurée (phobie du moindre contact) a cependant rendu impossible la mise en place d’un suivi auprès d’un spécialiste. Quant à la possibilité d’une hospitalisation, elle a systématiquement été refusée par la patiente ou son époux. La recourante souffre désormais de périodes d’absence, avec des pleurs fréquents et une tendance à s’exprimer comme une enfant. Cette pathologie ne relève cependant pas des compétences du médecin généraliste, qui atteste que cette situation dure depuis environ un an. Le témoin a confirmé que sa patiente s’était inscrite au chômage et avait fait des recherches d’emploi pour un taux de 50%, dans le domaine du secrétariat et du travail de bureau. Elle lui a même proposé de faire du classement dans son cabinet.

c. Entendue à son tour, la recourante s’est exprimée dans un langage enfantin, par des phrases non terminées et entrecoupées. En substance, elle a déploré ne plus pouvoir être une "bonne maman", s'est plainte de ne plus servir à rien, de "ne plus y arriver", d'avoir peur de sortir ou même de rester seule, de vouloir "rester tranquille, loin de tous", car le "monde et les gens étaient méchants". Selon elle, il n'y a pas de futur et que "tout est caca" (sic).

d. Dans ses conclusions après enquêtes, l’intimé a persisté dans ses conclusions en se référant à l'avis du SMR.

Selon ce dernier, l'état de santé psychiatrique de la recourante ne s’était pas suffisamment détérioré avant février 2021 pour nécessiter un suivi spécialisé. Le refus répété d’une hospitalisation par la recourante et son mari démontrait qu’eux-mêmes estimaient que l'état de l'intéressée n’était pas suffisamment grave pour justifier un suivi spécialisé. Aucune limitation fonctionnelle psychiatrique n’était évoquée par le Dr I______ dans ses rapports médicaux précédents. Il avait été dûment tenu compte, tant par le SMR que par l’enquêtrice, des diagnostics et limitations décrits par les médecins de la recourante et ayant une incidence sur les activités ménagères.

e. Par courrier du 17 août 2021, la recourante a contesté l’appréciation du SMR. Elle soutient qu'il ressort des enquêtes que son état psychologique s’est dégradé depuis l’AVC de son époux et non pas uniquement en février 2021. Le fait qu’elle n’ait pas consulté de psychiatre et n’ait pas accepté d’être hospitalisée à l’époque ne signifie pas que son état n'était pas dégradé, mais au contraire, qu’elle n’avait déjà plus les ressources nécessaires pour entreprendre de telles démarches.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA), le recours est recevable.

5.             Le litige porte sur le droit de la recourante à des prestations de l'assurance-invalidité.

6.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique ou mentale et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

7.             En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA; ATF 130 V 343 consid. 3.4). La détermination du taux d'invalidité ne saurait reposer sur la simple évaluation médico-théorique de la capacité de travail de l'assuré car cela revient à déduire de manière abstraite le degré d'invalidité de l'incapacité de travail, sans tenir compte de l'incidence économique de l'atteinte à la santé (ATF 114 V 281 consid. 1c et 310 consid. 3c; RAMA 1996 n° U 237 p. 36 consid. 3b).

8.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3, ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

9.             Tant lors de l'examen initial du droit à la rente qu'à l'occasion d'une révision de celle-ci (art. 17 LPGA), il faut examiner sous l'angle des art. 4 et 5 LAI quelle méthode d'évaluation de l'invalidité il convient d'appliquer (art. 28a LAI, en corrélation avec les art. 27 ss RAI). Le choix de l'une des trois méthodes entrant en considération (méthode générale de comparaison des revenus, méthode mixte, méthode spécifique) dépendra du statut du bénéficiaire potentiel de la rente : assuré exerçant une activité lucrative à temps complet, assuré exerçant une activité lucrative à temps partiel, assuré non actif. On décidera que l'assuré appartient à l'une ou l'autre de ces trois catégories en fonction de ce qu'il aurait fait dans les mêmes circonstances si l'atteinte à la santé n'était pas survenue. Lorsque l'assuré accomplit ses travaux habituels, il convient d'examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle, si, étant valide il aurait consacré l'essentiel de son activité à son ménage ou s'il aurait exercé une activité lucrative. Pour déterminer le champ d'activité probable de l'assuré, il faut notamment prendre en considération la situation financière du ménage, l'éducation des enfants, l'âge de l'assuré, ses qualifications professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels (ATF 137 V 334 consid. 3.2; ATF 117 V 194 consid. 3b; Pratique VSI 1997 p. 301 ss consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2016 du 17 février 2017 consid. 2.2). Cette évaluation tiendra également compte de la volonté hypothétique de l'assurée, qui comme fait interne ne peut être l'objet d'une administration directe de la preuve et doit être déduite d'indices extérieurs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2015 du 11 mai 2015 consid. 2.3 et l'arrêt cité) établis au degré de la vraisemblance prépondérante tel que requis en droit des assurances sociales (ATF 126 V 353 consid. 5b).

Selon la pratique, la question du statut doit être tranchée sur la base de l'évolution de la situation jusqu'au prononcé de la décision administrative litigieuse, encore que, pour admettre l'éventualité de la reprise d'une activité lucrative partielle ou complète, il faut que la force probatoire reconnue habituellement en droit des assurances sociales atteigne le degré de vraisemblance prépondérante (ATF 141 V 15 consid. 3.1; ATF 137 V 334 consid. 3.2; ATF 125 V 146 consid. 2c ainsi que les références).

10.         En l’espèce, l'assurée, entre 2001 et 2020, n'a pas exercé d'activité lucrative.

En 2020, les quatre enfants encore domiciliés chez elle avaient respectivement 28, 23, 17 et 13 ans, soit des âges compatibles avec l’exercice par l'assurée d’une activité lucrative, au moins à temps partiel. Contrairement à ce qu’indique l’enquête ménagère, la situation est ainsi bien différente de celle prévalant quatre ans auparavant, alors que les deux cadets étaient âgés de seulement 13 et 9 ans. La recourante avait alors expressément indiqué à l’enquêtrice avoir renoncé à reprendre une activité à 50% car l'intégralité de son salaire aurait servi à payer les frais de garde d’enfants, le parascolaire et la cantine. Or, cette considération n’avait plus lieu d’être en 2020, vu l’âge des enfants et leur plus grande autonomie. De plus, la situation financière du ménage est demeurée précaire, comme attesté par tous les témoins, notamment par le fils aîné de la recourante, qui a confirmé devoir continuer à soutenir financièrement ses parents avec l’aide de l’un de ses frères.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour de céans considère comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante que, sans atteinte à sa santé, la recourante aurait effectivement repris une activité lucrative à 50%, au plus tard en 2020, l’âge de ses plus jeunes enfants lui permettant désormais, de travailler à temps partiel sans que le fruit de son travail ne soit entièrement englouti dans les frais de garde et de parascolaire générés par son absence. Cette conviction est encore confortée par le fait que l'intéressée s’est inscrite au chômage en mai 2018, avant de voir son dossier clôturé par l’OCE en raison de son inaptitude au placement du fait de ses problèmes de santé, d'une part, par le fait que les témoins attestent tous, sans exception, de son intention de reprendre une activité lucrative à temps partiel, d'autre part, étant rappelé que la recourante est allée jusqu'à proposer à son médecin traitant de l'engager dans son cabinet. Enfin, le fait que la recourante a travaillé à mi-temps (4 à 5 heures par jour) comme secrétaire dans l’entreprise familiale en Tunisie, de 1996 jusqu’à son retour en Suisse, en juin 2001, malgré trois jeunes enfants à charge, rend également crédible l'assertion qu’elle aurait repris une activité à un taux comparable au moment opportun, soit lorsque les revenus y relatifs n’auraient plus été intégralement absorbés par les charges supplémentaires induites par son absence du foyer.

La Cour de céans considère que c’est donc à tort que l’intimé a qualifié l'assurée de ménagère à plein temps, alors qu’il apparaît au degré de la vraisemblance prépondérante que, sans atteinte à la santé, elle aurait repris une activité lucrative à temps partiel et que le degré d’invalidité doit donc être évalué selon la méthode mixte.

11.         Lors de l’évaluation de l'invalidité d'un assuré d'après la méthode mixte, l'invalidité des assurés qui n'exercent que partiellement une activité lucrative est, pour cette part, évaluée selon la méthode ordinaire de comparaison des revenus (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l’art. 16 LPGA). S'ils se consacrent en outre à leurs travaux habituels, l'invalidité est fixée selon la méthode spécifique pour cette activité. Dans ce cas, il faut déterminer la part respective de l'activité lucrative et celle de l'accomplissement des autres travaux habituels et calculer le degré d'invalidité d'après le handicap dont l'assuré est affecté dans les deux activités en question (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 27bis RAI, ainsi que les art. 16 LPGA et 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA).

Ainsi, il convient d’estimer d'une part l'invalidité dans les travaux habituels par comparaison des activités (art. 27 RAI) et d'autre part l'invalidité dans une activité lucrative par comparaison des revenus (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA); on pourra alors apprécier l'invalidité globale d'après le temps consacré à ces deux champs d'activité. La part de l'activité professionnelle dans l'ensemble des travaux de l'assuré est fixée en comparant l'horaire de travail usuel dans la profession en question et l'horaire accompli par l'assuré valide; on calcule donc le rapport en pour-cent entre ces deux valeurs (ATF 104 V 136 consid. 2a ; RCC 1992 p. 136 consid. 1b). La part des travaux habituels constitue le reste du pourcentage (ATF 130 V 393 consid. 3.3 et ATF 104 V 136 consid. 2a). Activité lucrative et travaux habituels non rémunérés sont en principe complémentaires dans le cadre de la méthode mixte. En d’autres termes, ces deux domaines d'activités forment ensemble, en règle générale, un taux de 100% et la proportion de la partie ménagère ne doit pas être fixée en fonction de l'ampleur des tâches entrant dans le champ des travaux habituels. Aussi, ne sont pas déterminants le temps que l'assuré prend pour effectuer ses tâches ménagères, par exemple, s'il préfère les exécuter dans un laps de temps plus important ou plus court, ou la grandeur de l'appartement (ATF 141 V 15 consid. 4.5). Le fait qu'une personne assurée réduise son taux d'occupation exigible dans l'exercice d'une activité lucrative sans consacrer le temps devenu libre à l'accomplissement de travaux habituels au sens de l'art. 28a al. 2 LAI n'a aucun effet sur la méthode d'évaluation de l'invalidité (ATF 131 V 51 consid. 5.1 et 5.2).

Chez les assurés travaillant dans le ménage, le degré d'invalidité se détermine, en règle générale, au moyen d'une enquête économique sur place, alors que l'incapacité de travail correspond à la diminution - attestée médicalement - du rendement fonctionnel dans l'accomplissement des travaux habituels (ATF 130 V 97).

11.1 In casu, pour ce qui est de la répartition du temps de travail, la Cour de céans considère que, sans atteinte à la santé, la recourante aurait repris une activité lucrative à mi-temps et se serait consacrée aux travaux habituels au sens des art. 28a al. 2 LAI et 8 al. 3 LPGA l’autre moitié du temps. Le taux retenu correspond à celui de la dernière activité lucrative exercée entre 1996 et 2001 et à celui que la recourante a annoncé vouloir assumer à son médecin (lorsqu’elle avait demandé à faire du classement pour son compte), à sa famille (cf. procès-verbaux d’auditions de D______, C et N), ainsi qu’à l’infirmière ayant procédé à l’enquête ménagère de 2016 (soit avant même que la question de son statut ne soit litigieuse). Il semble en outre compatible avec l’entretien d’un ménage ne comportant plus que deux enfants mineurs, âgés respectivement de 17 et 13 ans.

11.2 Pour ce qui est du degré d’invalidité relatif à chacun des domaines concernés, le caractère lacunaire de l’instruction menée par l’intimé ne permet pas de le calculer.

11.2.1 Tout d’abord, dans la mesure où l’intimé a retenu à tort le statut de ménagère, il n’a pas jugé opportun d’évaluer l’invalidité dans une activité lucrative. Aucune appréciation médicale ne figure ainsi au dossier quant à une quelconque capacité de travail de l’intéressée, pas plus qu’une évaluation des revenus avec et sans invalidité (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l’art. 16 LPGA).

Le SMR retient bien une aggravation manifeste de l’état de santé somatique de la recourante à partir d’octobre 2018 et reconnait diverses limitations fonctionnelles en lien avec la polyarthrite chronique, les dorso-lombalgies et la rhizarthrose bilatérale (pas de port de charges lourdes, pas de manutention, pas de travail exigeant une motricité fine, fatigabilité accrue, pas de travail en porte-à-faux ou penché en avant, pas d’utilisation d’escabeau; cf. avis du SMR des 3 mai et 16 octobre 2019). Il n’en tire cependant aucune conséquence quant à la capacité de travail résiduelle et au rendement de la recourante dans une éventuelle activité adaptée.

Cela étant, les rapports du médecin traitant attestant d’une capacité de travail nulle (au demeurant dans toute activité) ne suffisent pas non plus à trancher la question, faute de contenir tous les éléments formels nécessaires pour se voir reconnaître valeur probante selon la jurisprudence, eu égard notamment à leur faible densité de motivation.

Dans ces circonstances, il convient de renvoyer la cause à l’intimé afin qu’il complète l’instruction, notamment sous l’angle médical, qu’il détermine les conséquences concrètes des diverses atteintes à la santé sur la capacité de travail et le rendement de la recourante dans le cadre d’une activité lucrative et qu’il procède, cas échéant, à une évaluation des revenus avec et sans invalidité.

11.2.2 Pour le surplus, la Cour de céans constate que l’instruction est également lacunaire du fait que l’intimé a renoncé à investiguer l’état psychiatrique de la recourante. Dans ses déterminations écrites du 17 juin 2021, il motive ce choix par le fait que le médecin traitant n’a pas posé de diagnostic psychiatrique précis et n’a pas non plus fait état de limitations fonctionnelles en lien avec les pathologies psychiatriques alléguées. Selon l'intimé, la situation n’était vraisemblablement pas suffisamment problématique à l’époque de l’instruction de la demande, vu que c’est seulement en février 2021 que le médecin traitant a finalement adressé sa patiente à une consœur psychiatre en vue d’un suivi spécialisé. Enfin, l’absence de gravité de la situation était démontrée par le refus répété d’une hospitalisation de l’intéressée.

Cette appréciation de la situation ne saurait être suivie au vu des divers éléments figurant au dossier.

Ainsi, tout d’abord, l’intimé omet que le Dr I______ mentionne d’ores et déjà une sinistrose en aggravation dans son rapport du 11 février 2019 (pièce 7 rec.), tout comme une dépression, avec incidence sur la capacité de travail de la recourante dans son rapport du 2 juillet 2019 (pièce 12 rec., p. 4). Certes, les diagnostics posés et leurs incidences concrètes sur la capacité de travail demeurent quelque peu imprécis, le médecin traitant n’étant pas psychiatre. On rappellera cependant l’obligation de l’assureur social d’établir d’office les faits déterminants. Or, ces troubles psychiatriques ne sont pas même mentionnés, encore moins instruits, que ce soit dans les rapports du SMR des 3 mai et 16 octobre 2019, dans l’enquête ménagère du 14 octobre 2020, ou dans un quelconque document de l’intimé antérieur à la décision entreprise et ce, alors même qu'au vu des indications du médecin-traitant, il appartenait à l'intimé d’investiguer l’état psychiatrique de l’intéressée, à tout le moins en sollicitant des renseignements complémentaires de la part du médecin traitant. Ce dernier aurait ainsi notamment pu évoquer les éléments qu’il a finalement développés lors de son audition par la Cour de céans, à savoir que la situation dépassait ses compétences et que l’absence de suivi par un spécialiste en psychiatrie et le refus d’hospitalisation s’expliquaient au demeurant (et selon son appréciation de généraliste), non pas par un manque de collaboration et de volonté, mais du fait même de la pathologie.

De plus, la recourante a largement évoqué sa problématique psychiatrique dans ses observations du 2 novembre 2020 relatives au projet de décision du 20 octobre 2020. Elle y explique de manière circonstanciée : que du fait de ses troubles psychiatriques, elle n’a pas été en mesure de répondre aux questions de l’infirmière ayant procédé à l’enquête ménagère, vu qu’elle était en « pleine crise psychologique (pleurer, baver, parler comme un bébé) », qu’elle est plongée dans une dépression profonde et aggravante, qu’elle s’est enfermée sur elle-même, ne sort plus, sauf par nécessité et accompagnée de ses enfants, qu’elle ne veut plus voir personne et surtout pas des inconnus, ni se rendre dans des endroits qu’elle ne connaît pas, qu’elle panique très vite, craint la foule et "ce monde", qu’elle est devenue agressive, perd le contrôle d’elle-même, tape, s’enferme dans les toilettes durant trente à soixante minutes, parle comme un bébé, pleure et bave, voit des choses qui n’existent pas et entend des voix, etc., qu’elle ne sait même plus qui elle est et ce qu’elle fait dans ce monde, qu'elle a l’impression d’être deux personnes à la fois.

Ces éléments, emportent la conviction de la Cour de céans, confortée en tant que besoin par l’audition (particulièrement édifiante) de la recourante et de divers membres de sa famille, que l’état psychiatrique de l’intéressée, ainsi que sa potentielle incidence sur sa capacité de travail auraient dû être investigués par l’intimé.

Dans un souci d’exhaustivité, il sied de préciser que l’intimé ne peut pas non plus être suivi lorsqu’il affirme que les pathologies décrites seraient uniquement devenues significatives en 2021, soit après la fin de l’instruction de la demande.

Si, lors des enquêtes, le Dr I______ a effectivement expliqué avoir uniquement adressé sa patiente à une psychiatre de sa connaissance en février 2021, il n’a en revanche jamais indiqué que la situation n’était pas problématique auparavant. Au contraire, il ressort de son audition, ainsi que de celles du fils et de l’époux de la recourante, que la situation s'est détériorée dès l’AVC de ce dernier, soit en 2019. Le fait qu’aucun suivi spécialisé, ni aucune hospitalisation n’aient été mis en place depuis lors (ni au demeurant jusqu’à ce jour), résulterait ainsi de la nature de la pathologie de la recourante - expliquée par elle-même et ses proches et attestée par son médecin - soit notamment une phobie de l’extérieur et du moindre contact, particulièrement des personnes et lieux inconnus.

Certes, à nouveau, les informations médicales au dossier ne sont, à cet égard, pas suffisamment documentées, ni circonstanciées pour permettre de trancher la question de manière définitive. C’est d’autant moins le cas que, de l’aveu même du Dr I______, les pathologies psychiatriques de sa patiente dépassent ses compétences. Cela étant, indépendamment de leur qualification exacte et de leur ampleur, il se justifiait de les investiguer plus en avant avec l'aide d'un spécialiste et d’examiner leurs éventuelles conséquences en termes d’invalidité. L’intéressée semblait d’ailleurs pleinement disposée à collaborer, vu qu’elle concluait ses observations relatives au projet de décision du 20 octobre 2020 en indiquant que, quand bien même elle avait peur d’aller voir quelqu’un d’autre que son médecin traitant, qui plus est dans un endroit inconnu, elle était disposée à se faire expertiser, pour autant qu’elle puisse se faire accompagner par un membre de sa famille.

Au vu de ce qui précède, la Cour de céans n’a d’autre choix que de renvoyer le dossier à l’intimé afin qu’il mette en œuvre une expertise psychiatrique.

11.3 Il y a lieu de réserver, en l’état, la reconnaissance d’une quelconque valeur probante à l’enquête ménagère du 14 octobre 2020, sur laquelle l’intimé fonde son calcul du taux d’invalidité dans l’activité habituelle. En effet, celle-ci se fonde exclusivement sur les limitations fonctionnelles retenues par le SMR, à l’exclusion des troubles psychiatriques. L’enquêtrice les écarte explicitement, précisant que si un rapport médical figurant au dossier « fait mention d’un état dépressif qui pourrait en partie expliquer le fait que l’assurée n’a plus la force ni l’énergie nécessaire pour participer aux différentes tâches ménagères », « cet état dépressif n’a pas été investigué et nous n’avons actuellement aucun élément permettant de prendre en compte cet état de fait au niveau des empêchements dans la sphère ménagère » (enquête ménagère p. 10). Dès lors, si l’expertise psychiatrique venait à mettre en lumière une ou plusieurs pathologies ayant des incidences sur la capacité de la recourante à accomplir ses travaux habituels, ses conclusions viendraient indubitablement modifier celles de l’enquête ménagère et, conséquemment, le calcul du degré d’invalidité relatif aux tâches ménagères.

À cette fin, l’expert prendra soin de se prononcer sur les empêchements rencontrés dans la tenue du ménage.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis et la cause renvoyée à l’intimé à charge pour ce dernier de mettre en œuvre une expertise psychiatrique répondant aux nouveaux indicateurs établis par la jurisprudence avant de se prononcer sur l’incidence concrète des limitations fonctionnelles retenues, tant sur le plan psychique que somatique, puis sur la capacité de la recourante à exercer une activité lucrative à 50% et à accomplir ses travaux habituels à 50%.

13.         La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3'500.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 750.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision du 3 décembre 2020.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision, au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimé à verser à la recourante la somme de CHF 3’500.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Met un émolument de CHF 750.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

Marie-Catherine SÉCHAUD

 

La Présidente

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le