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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2413/2021

ATAS/576/2022 du 23.06.2022 ( LCA )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2413/2021 ATAS/576/2022

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 23 juin 2022

8ème Chambre

 

En la cause

 

Madame A______, domiciliée ______ [GE],
comparant avec élection de domicile en l'étude de
Maître Radivoje STAMENKOVIC

 

 

demanderesse

contre

 

B______, sise ______ [BS], comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Michel D'ALESSANDRI

 

 

 

défenderesse

EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après: l'assurée ou la demanderesse), née le ______ 1965, divorcée et mère de deux enfants nés en 1992 et 2005, était engagée jusqu'au 31 mars 2017 comme responsable marketing à 80%.

2.        Le 23 novembre 2013, le docteur C______, médecin généraliste FMH, a attesté une incapacité de travail de l'assurée dès le 22 août 2013 en raison d'une dépression.

3.        En février 2014, l'assurée a déposé une première demande de prestations de l'assurance-invalidité, en se prévalant d'un trouble dépressif.

4.        Le 13 janvier 2015, le Dr D______, psychiatre-psychothérapeute, a fait état de difficultés professionnelles depuis un an et du risque d'un licenciement. En réaction à ces évènements, l'assurée avait développé un trouble dépressif, épisode actuellement léger. Le traitement consistait en psychothérapie et antidépresseurs.

5.        Selon le rapport du 15 juin 2014 du Dr C______, l'assurée avait souffert d'un état dépressif sévère et d'un trouble de l'adaptation depuis avril 2013. À cela s'ajoutaient des lombalgies chroniques et des troubles fonctionnels du côlon. La capacité de travail était de 50% dès le 24 février 2014 et une reprise complète était prévue en juillet-août. Dans l'anamnèse, ce médecin a mentionné une crise de panique au travail avec hospitalisation le 22 août 2013 en relation avec un état dépressif réactionnel au changement du poste de travail et des difficultés familiales depuis de nombreuses années. En raison de troubles de la concentration, d'une fatigabilité et d'une anxiété, l'assurée était ralentie au travail et son rendement était diminué. Le pronostic était bon.

6.        L'assurée ayant repris son travail le 10 juillet 2014, l'office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après: OAI) lui a refusé ses prestations, par décision du 29 janvier 2015.

7.        En raison d'une incapacité de travail totale depuis le 2 août 2016, l'assurée a déposé une deuxième demande de prestations de l'assurance-invalidité en mars 2017, en mentionnant souffrir notamment de lombo-sciatalgies droites L4-L5, de douleurs dans le dos, de la hanche et de la péri-hanche.

8.        À la demande de l'assurance perte de gain de l'employeur, une expertise médicale a été réalisée par le docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne. Dans son rapport du 25 avril 2017, l'expert n'émet aucun diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail. Quant aux diagnostics de syndrome de fibromyalgie, de lombo-pygalgies et pseudosciatalgies droite d'origine indéterminée et de syndrome du côlon irritable, ils ne restreignaient pas la capacité de travail. Dans les plaintes de l'assurée, l'expert a rapporté qu'elle ne se sentait pas bien, dormait moins bien, manquait d'énergie et de motivation. En 2013, elle avait présenté un épisode dépressif avec attaque de panique ayant nécessité une hospitalisation. Depuis lors, elle était suivie par un psychiatre qu'elle continuait à voir toutes les deux à trois semaines. Le syndrome douloureux lombo-sacré, existant depuis plusieurs années et exacerbé à plusieurs reprises, était résistant à toutes les thérapies. L'assurée présentait également des douleurs diffuses dans la ceinture scapulaire, le rachis cervical et les temporo-mandibulaires. À l'examen clinique, l'expert avait trouvé de multiples tenomyoses diffuses correspondant au tableau de fibromyalgie.

9.        Selon le rapport du docteur D______, psychiatre-psychothérapeute FMH, du 3 juillet 2017, l'état de santé de l'assurée s'était amélioré sur le plan psychiatrique. Il existait une dépression moyenne. Il n'y avait pas de limitations sur le plan psychiatrique. La compliance était bonne et il y avait une bonne concordance entre les plaintes et l'examen clinique. L'assurée était suivie toutes les semaines par la psychologue du cabinet. Un traitement antidépresseur était en cours.

10.    Selon le rapport non daté, reçu en mars 2018 à l'OAI, du docteur F______, psychiatre, l'assurée présentait un trouble de l'adaptation avec anxiété. L'humeur était stable. L'anxiété était due à sa situation. D'un point de vue psychiatrique, il n'y avait pas de limitations fonctionnelles.

11.    Dans son rapport du 9 avril 2019, le Dr C______ a attesté d’une lombosciatalgie droite avec protrusion discale depuis août 2016 et des lombalgies chroniques depuis environ 2004. À titre de diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, il a notamment mentionné un état anxio-dépressif réactionnel depuis août 2016 et un status après une dépression sévère en 2013 et 2014.

12.    Dans le rapport d'évaluation pour l'intégration professionnelle de l'OAI du 18 mai 2017, il est mentionné notamment que l'assurée souffre de douleurs en permanence en bas du dos, à la hanche et à la jambe du côté droit avec une perte de sensibilité. Elle a des difficultés à la marche et ne peut plus conduire. À cela s'ajoutent une fatigue importante et des difficultés de sommeil à cause des douleurs.

13.    Dès le 5 mai 2019, l'assurée a été engagée en tant qu'assistante de direction à 70% par O______ SA (ci-après: l'employeur). À ce titre, elle était assurée auprès de B______ (ci-après: l'assurance perte de gain, puis la défenderesse) dans le cadre d'un contrat collectif d'indemnité journalière en cas de maladie.

14.    Dans son avis médical du 10 septembre 2019, le docteur G______ du service médical régional de l'assurance-invalidité pour la Suisse romande (ci-après : SMR) a considéré qu'une incapacité de travail totale dans toute activité était justifiée du 23 août 2016 au 19 août 2018 en raison de coxalgies droites invalidantes. Dès le 20 août 2018, l'assurée avait retrouvé une capacité de travail de 20% et dès le 1er février 2019 une capacité de travail entière.

15.    Dès le 1er octobre 2019, une incapacité de travail de 30% est attestée par le docteur H______, spécialiste FMH en médecine interne générale, puis de 50% à partir du 11 octobre 2019.

16.    Dans son rapport du 17 octobre 2019, le Dr H______ a diagnostiqué un conflit fémoro-acétabulaire et une tendinopathie ilio psoas à droite. Un dommage permanent était à craindre, car les douleurs étaient inchangées.

17.    Le 1er novembre 2019, le docteur I______, médecin du sport, spécialiste FMH en médicine physique et réadaptation, ainsi que rhumatologie, a émis les diagnostics de capsulite rétractile de la hanche droite avec douleur et raideur post-opératoire dans le contexte d'une arthrose débutante, de status après acétabuloplastie avec suture labrale, ostéochondroplastie fémorale à droite en avril 2018, de notion de déchirure et kyste dégénératif du ménisque externe du genou gauche, de lombalgie chronique mécanique sur discopathie dégénérative et de côlon irritable. Dans une activité de bureau et de marketing, la capacité de travail était vraisemblablement de 50%, en fonction de l'évolution des douleurs, et "normale" dans une activité adaptée, soit un poste avec limitation de postures statiques assise et débout, sans port de charges et possibilité d'adapter la posture en fonction des douleurs. Il était difficile à ce médecin de justifier une incapacité de travail totale malgré les douleurs fortes et invalidantes décrites.

18.    Le 23 septembre 2019, l'OAI a informé l'assurée qu'il avait l'intention de lui octroyer une rente d'invalidité entière pendant une période limitée. Dans sa contestation du 25 juin 2021 de ce projet de décision, l'assurée a notamment mentionné avoir repris un travail à 70%, nonobstant d'importantes douleurs et limitations, dans le cadre d'une tentative de retour sur le marché du travail dans une activité "dite" adaptée. Ce retour s'était toutefois soldé par un échec. Son état de santé s'était péjoré, des douleurs à la hanche et des lombosciatalgies étant apparues également du côté gauche.

19.    L'assurée a été licenciée pour le 31 décembre 2019.

20.    Dès le 26 décembre 2019, une incapacité de travail totale a été attestée par le Dr H______.

21.    Depuis le 1er février 2020, l'assurée est aidée financièrement par l'Hospice général.

22.    Dans son rapport du 27 mars 2020, le Dr H______ a attesté une incapacité de travail dans toute activité en raison d'un conflit fémoro acétabulaire, d'une arthrose et d'une tendinopathie ilio psoas droite qui provoquaient une douleur au moindre mouvement. À cela s'ajoutaient une lombo-sciatalgie à gauche sur discarthrose lombaire et une douleur au genou gauche sur lésion méniscale, rotulienne et arthrose.

23.    Selon le rapport du 9 mars 2020 du Dr I______, l'assurée présentait des problématiques dégénératives d'ordre mécanique avec des douleurs invalidantes et limitantes, n'ayant pas obligatoirement un point de départ structurel, en particulier sur les différentes imageries effectuées. Elle avait bénéficié de nombreuses infiltrations qui semblaient être peu efficaces ou avec un effet très temporaire.

24.    Dans son avis médical du 8 mai 2020, le Dr G______ du SMR a considéré que la situation médicale était parfaitement documentée et actualisée. Sur la base du rapport précité du Dr I______, le médecin du SMR a constaté qu'il n'y avait pas d'éléments médicaux objectifs parlant pour une aggravation. L'assurée n'avait ainsi pas rendu plausible une péjoration de son état de santé.

25.    Par décision du 26 mai 2020, l'OAI a octroyé à l'assurée une rente d'invalidité entière limitée à la période du 1er septembre 2017 au 30 avril 2019 en raison de coxalgies invalidantes à droite.

26.    Le 3 août 2020, l'assurée a consulté le docteur J______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation. Selon ce médecin une fibromyalgie n'était pas exclue, raison pour laquelle il avait adressé l'assurée au docteur K______, rhumatologue. Il a par ailleurs constaté un déconditionnement global et une pseudo-sciatalgie à gauche. Une capacité de travail résiduelle de 50% lui paraissait raisonnable.

27.    Selon le rapport du 26 août 2020 du Dr K______ au Dr J______, l'assurée présentait des douleurs au niveau lombaire et du genou gauche, ainsi qu'au niveau inguinal d'origine mécanique sans argument pour une atteinte inflammatoire. Les critères pour le diagnostic de fibromyalgie n'étaient pas remplis. Dans l'anamnèse étaient notamment mentionnés un moral fluctuant avec des pleurs itératifs rares quant à sa situation et une visite chez un psychiatre qui avait diagnostiqué un épuisement.

28.    Selon l'avis du 25 septembre 2020 du Dr E______, médecin-conseil de l'assurance perte de gain, l'assurée présentait probablement un trouble somatoforme douloureux persistant, expliquant la résistance au traitement. Un tel diagnostic devait en principe être posé par un psychiatre et l'OAI aurait dû mettre en œuvre une expertise bi-discipliniare. Néanmoins, le médecin-conseil a conclu à une capacité de travail de 70% dès le 6 mai 2019 dans une activité administrative. Sur la base du dossier de l'OAI, il a par ailleurs constaté que les douleurs au dos, d'origine indéterminée, existaient depuis 2004. Après un trouble dépressif en 2013 et 2014, l'assurée avait présenté des douleurs lombaires avec coxalgies droite. L'origine des douleurs à la hanche, à la cuisse et au niveau de la péri-hanche droite n'avaient pas reçu d'explications.

29.    Par courrier du 22 octobre 2020, l'assurance perte de gain a refusé à l'assurée ses prestations au motif que, selon l'OAI, sa capacité de travail était entière dans une activité adaptée depuis le 1er février 2019 et que son travail actuel était compatible avec ses limitations fonctionnelles.

30.    Par courrier du 22 décembre 2020, l'assurée a contesté ce refus, par l'intermédiaire de son conseil, et a sommé l'assurance perte de gain de lui verser les prestations dues dans un délai échéant au 31 décembre 2020. Son état de santé s'était péjoré, si bien que les données soumises au médecin-conseil n'étaient plus à jour. Elle lui avait par ailleurs régulièrement remis ses certificats d'arrêt de travail.

31.    Le 18 janvier 2021, l'assurée a signé un "ordre de paiement" en faveur de l'assurance perte de gain, en la priant de verser à l'Hospice général "les arriérages de rente d'invalidité qui [lui] seront alloués avec effet rétroactif". Dans cet acte, elle s'engage en outre à rembourser à ce dernier les prestations allouées, au cas où elle toucherait directement le rétroactif de l'assurance perte de gain. L'Hospice général a communiqué cet "ordre de paiement" à celle-ci.

32.    Le 20 janvier 2021, l'assurance perte de gain a informé l'assurée qu'elle avait eu connaissance des rapports médicaux récents des Drs I______, H______ et L______ et l'a invitée à lui transmettre tout autre document médical dont elle n'aurait pas eu connaissance, afin qu'elle puisse réexaminer le cas.

33.    Le 24 mars 2021, le Dr L______ et son médecin assistant, le docteur M______, ont attesté que l'assurée présentait une maladie chronique multiple au niveau rachidien et au niveau des deux hanches et des sacro-iliaques. Une tentative de traitement conservateur par arthroscopie de la hanche n'avait pas pu améliorer la situation ni les nombreux investigations, bilans et infiltrations. On se trouvait ainsi dans une impasse thérapeutique. L'état était stable avec importantes limitations fonctionnelles dans la vie quotidienne. Toute activité professionnelle manuelle ou avec port de lourdes charges était compromise.

34.    Dans son rapport du 9 avril 2021, le Dr H______ a confirmé ses précédents diagnostics. Une tentative de reprise du travail à 70% en mai 2019 s'était soldée par un échec en raison d'une péjoration des douleurs à la hanche droite et de l'apparition de douleurs au niveau de la hanche gauche et de lombosciatalgies à gauche. Ses investigations ont également mis en évidence une tendinite ischio-jambière et piryrochantérienne à gauche, une discarthrose multi-étagée associée à un débord médio-latérale à gauche L4-L5. L'assurée souffrant également d'une hépatite B virale chronique, les infiltrations étaient actuellement déconseillées.

35.    En juin 2021, l'assurée a déposé une troisième demande de prestations de l'assurance-invalidité en se prévalant d'une péjoration de son état de santé.

36.    Par demande du 14 juillet 2021, l'assurée a saisi la chambre de céans, en concluant à la condamnation de l'assurance perte de gain au paiement de CHF 105'823.70 avec intérêts à 5% l'an à compter du 1er octobre 2019. Son incapacité de travail était médicalement attestée et il y avait lieu de reconnaître une pleine force probante aux certificats établis par ses médecins. À défaut, la défenderesse aurait dû mettre en œuvre une expertise médicale. Suivant les appréciations de l'OAI, elle avait par ailleurs repris le travail pendant cinq mois. Cependant, les prévisions des médecins dudit office s'étaient avérées trop optimistes.

37.    Par courrier du 9 août 2021, la demanderesse a renoncé à la tenue d'une audience de premières plaidoiries.

38.    Dans sa réponse du 31 août 2021, la défenderesse a conclu, par l'intermédiaire de son conseil, à l'irrecevabilité de la demande et subsidiairement à son rejet, sous suite de dépens. Elle a également renoncé à la tenue d'une audience de débats. En premier lieu, elle a nié la légitimation active de la demanderesse, du fait qu'elle avait cédé sa créance en paiement des indemnités journalières à l'Hospice général. Quant au fond, la demanderesse n'avait pas apporté la preuve de son incapacité de gain entre le 31 octobre 2019 et le 29 septembre 2021. Il y aurait par ailleurs lieu d'imputer sur les prestations éventuellement dues celles que la demanderesse avait reçues de l'Hospice général.

39.    Dans sa réplique du 29 octobre 2021, la demanderesse a persisté dans ses conclusions, en considérant que la défenderesse ne pouvait se fonder sur les avis de l'OAI, en particulier en raison de la complexité de la situation médicale attestée par ses médecins et du nouveau diagnostic de trouble somatoforme douloureux persistant émis.

40.    Dans sa duplique du 5 novembre 2021, la défenderesse a maintenu ses conclusions.

41.    Le 7 avril 2022, la défenderesse s'est déterminée sur le dossier de l'assurance-invalidité dont la Chambre de céans avait ordonné l'apport, et a maintenu ses conclusions. La demanderesse n'avait pas apporté la preuve s'être trouvée, au degré de la vraisemblance prépondérante, en incapacité de gain durant la période litigieuse. En particulier, le Dr L______ avait attesté que seule une activité professionnelle manuelle ou avec port de charges lourdes était compromise. Or, la demanderesse n'exerçait pas de travail manuel. Le Dr I______ avait considéré qu'une incapacité de travail formelle était difficile à justifier, à moins de tenir compte des douleurs subjectives.

42.    Le 13 avril 2022, la chambre de céans a informé les parties qu'elle avait l'intention d'ordonner une expertise psychiatrique judiciaire et de la confier au docteur N______, psychiatre-psychothérapeute FMH.

43.    Le 2 mai 2022, la défenderesse s'est prononcée sur la mission d'expertise.

44.    À la même date, la demanderesse a accepté la nomination de l'expert pressenti et sa mission. Elle a par ailleurs requis la mise en œuvre d'une expertise rhumatologique.

EN DROIT

1.        Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que lorsque les instances cantonales de recours constatent qu'une instruction est nécessaire parce que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise, elles sont en principe tenues de diligenter une expertise judiciaire si les expertises médicales ordonnées par l'OAI ne se révèlent pas probantes (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3). Cela étant, un renvoi à l'administration pour mise en œuvre d'une nouvelle expertise reste possible, même sous l'empire de la nouvelle jurisprudence, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

2.        S'agissant des prestations dues par l'assurance-invalidité, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur, dans l’ATF 141 V 281, le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF
141 V 281 consid. 4). Pour l'évaluation de la capacité de travail en cas de troubles psychiques, d'un syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables, il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4). Il s'agit des indicateurs suivants:

-       Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3),

A.    Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.     Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles; consid. 4.3.2) 

C.     Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-       Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

Il sied d'appliquer ces principes par analogie également en matière d'assurance privée.

3.        En l'occurrence, le Dr E______ qui a expertisé la demanderesse et 2017, considère, dans son avis du 25 septembre 2020, qu'elle présente probablement un trouble somatoforme douloureux persistant, expliquant la résistance au traitement. Un tel diagnostic doit être posé par un psychiatre et l'OAI aurait dû mettre en œuvre une expertise bi-discipliniare. L'origine des douleurs à la hanche, à la cuisse et au niveau de la péri-hanche droite n'est au demeurant pas connue, selon cet expert, ce que le Dr I______ semble reconnaitre également dans son rapport du 9 mars 2020. En effet, aux termes de ce rapport l'assurée présente des problématiques dégénératives d'ordre mécanique avec des douleurs invalidantes et limitantes, n'ayant pas obligatoirement un point de départ structurel, en particulier sur les différentes imageries effectuées. Le Dr L______ ne parvient pas non plus à objectiver des atteintes somatiques, tout en constatant une impasse thérapeutique. En l'absence de substrat organique objectivable, le SMR juge que la capacité de travail de la demanderesse est complète dès le 1er février 2019.

Cela étant, il appert que la capacité de travail n'a jamais été évaluée en fonction d'un éventuel trouble somatoforme douloureux chronique en dépit des douleurs qualifiées d'invalidantes et d’incapacitantes constatées par tous les médecins. En l'absence d'une évaluation psychiatrique sur la base de la grille d'analyse élaborée par le Tribunal fédéral, la chambre de céans s'estime incapable d'apprécier la capacité de travail de la recourante durant la période litigieuse, soit entre le 31 octobre 2019 et le 29 septembre 2021.

Aussi s'avère-t-il nécessaire de soumettre la demanderesse à une expertise psychiatrique judiciaire.

Toutefois, la chambre de céans estime que la situation médicale est suffisamment investiguée sur le plan somatique, de sorte qu'une expertise rhumatologique judiciaire n'est pas justifiée.

4.        Cette expertise sera confiée au Dr N______.

Quant à sa mission, la chambre de céans tiendra compte des remarques de la défenderesse dans la mesure jugée pertinente. Il est à cet égard à relever que les douleurs de la demanderesse sont bel et bien présentes et pas seulement "éventuelles", selon les constatations de tous les médecins qui ont examiné la demanderesse. Seule est litigieuse la question de savoir si ces douleurs peuvent justifier une incapacité de travail, en application de la jurisprudence en la matière.

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

I.         Ordonne une expertise psychiatrique de la recourante.

II.      Commet à ces fins le docteur N______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, rue ______[GE].

III.   Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A.       Prendre connaissance du dossier de la cause.

B.       Si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, ainsi que de son entourage.

C.       Examiner l'expertisée et, si nécessaire, ordonner d’autres examens.

D.       Charge l’expert d’établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :

1.        Anamnèse (avec la description d’une journée-type).

2.        Dans quel contexte et à partir de quand l'expertisée a-t-elle commencé à ressentir des douleurs ostéoarticulaires.

3.        Plaintes de l'expertisée.

4.        Status clinique et constatations objectives.

5.        Diagnostics sur le plan psychiatrique dans une classification internationale reconnue.

6.        Qu'est-ce-qui a déclenché l'apparition des douleurs sans substrat organique objectivable alléguées ?

7.        Quel est le degré de gravité des douleurs alléguées, le cas échéant d'un éventuel trouble somatoforme douloureux persistant ?

8.        Y-a-t-il une exagération des symptômes ou une constellation semblable ? En d'autres termes, la souffrance physique alléguée par l'expertisée paraît-elle crédible ?

9.        Quelles sont les limitations fonctionnelles liées aux diagnostics sur le plan psychiatrique, y compris aux douleurs sans substrat organique objectivable alléguées ?

10.    Les limitations psychiatriques et celles relevant des douleurs liées à un éventuel trouble somatoforme douloureux persistant sont-elles uniformes dans tous les domaines de la vie (professionnel et privé) ?

11.    Le tableau clinique est-il cohérent, compte tenu des diagnostics retenus ?

12.    L'expertisée présente-t-elle un trouble ou des traits de la personnalité ?

13.    Le traitement est-il adéquat au niveau psychiatrique ?

14.    Quelle est la compliance ?

15.    Quel est son environnement social ?

16.    Quelle est la capacité de travail dans son activité habituelle et dans une activité adaptée, compte tenu de la gravité des diagnostics sur le plan psychiatrique, en particulier des douleurs liées à l'éventuel trouble somatoforme douloureux persistant, de la personnalité et des ressources de l'expertisée ? En d'autres termes, dans quelle mesure l'expertisée est-elle capable de surmonter la douleur pour exercer sa profession habituelle ou une activité professionnelle adaptée ?

17.    Depuis quelle date sa capacité de travail est-elle réduite et quelle a été l'évolution de sa capacité de travail depuis l'apparition des troubles diagnostiqués ?

18.    Quel est votre pronostic?

E.        Invite l’expert à déposer, dans un délai de trois mois, son rapport en trois exemplaires auprès de la Chambre de céans.

F.        Réserve le fond.

 

 

MALANGA Adriana

 

 

 

Greffière

 

CRAMER Maya

 

 

 

Présidente suppléante

 

 

 

 

 

 

 

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le ______