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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4205/2021

ATAS/572/2022 du 22.06.2022 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4205/2021 ATAS/572/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 juin 2022

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Sacha CAMPORINI

 

 

recourante

 

contre

VAUDOISE GÉNÉRALE COMPAGNIE D’ASSURANCES SA, sise Place de Milan, LAUSANNE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née en 1963, a été engagée le 1er mai 2014 en qualité de concierge à 50% par B______ (ci-après : l’employeur). À ce titre, elle est assurée auprès de la Vaudoise générale compagnie d’assurances SA (ci-après : l’assureur ou l’intimée) pour les accidents professionnels et non professionnels. Également inscrite à l’office cantonal de l’emploi et au bénéfice d’un délai cadre d’indemnisation courant du 2 février 2021 au 1er février 2022, l’assurée percevait, à ce titre, des indemnités journalières de l’assurance-chômage.

b. Le 25 février 2021, l’employeur a fait parvenir à l’assureur une déclaration d’accident indiquant qu’en date du 23 février 2021, l’assurée s’était « fait mal au doigt en sortant les containers ». Sous « blessures », il était indiqué que celles-ci correspondaient à une « foulure, torsion » et que l’intéressée était en arrêt de travail depuis le 24 février 2021.

c. Invitée à donner des précisions sur l’événement du 23 février 2021, l’assurée a complété un questionnaire le 8 mars 2021 et indiqué que dans le cadre de son activité professionnelle habituelle, elle avait ressenti une forte douleur à son pouce droit en poussant un container de poubelles de 800 litres. Comme elle travaillait seule, aucun témoin n’avait été présent au moment des faits. L’activité en question s’était déroulée dans des conditions normales. Invitée à dire s’il s’était produit quelque chose de particulier (coup, chute, glissade, etc.), l’assurée a répondu « non, mais je crois l’avoir tordue leger[e]ment, mon pouce ! ». La douleur ressentie était apparue au moment même de l’événement sus-décrit, suite auquel elle avait consulté le docteur C______, médecin praticien. Elle n’avait jamais souffert par le passé d’une atteinte à cette partie du corps.

d. Le 11 mars 2021, le Dr C______ a délivré à l’assurée un bon pour neuf séances de physiothérapie « de la [ ] du pouce » en raison d’une déchirure partielle du long extenseur du pouce droit.

e. Le 4 juin 2021, le docteur D______, radiologue FMH, a pratiqué une IRM du poignet du pouce droit de l’assurée en précisant que cette investigation était motivée par un accident survenu le 23 février 2021 avec torsion du pouce. Selon ce médecin, il existait une rhizarthrose sévère, s’accompagnant d’un important œdème de part et d’autre des berges de l’articulation, prédominant aux dépens du trapèze et des parties molles adjacentes et de l’appareil capsulo-ligamentaire, ouvrant le diagnostic différentiel d’une rhizarthrose très inflammatoire versus un status après entorse capsulo-ligamentaire et contusion osseuse post-traumatique trapézo-métacarpienne. De même, il existait un hypersignal dans le canal carpien autour des tendons fléchisseurs des doigts, s’étendant au niveau de la paume de la main, faisant suspecter des signes de ténosynovite « sous réserve de l’absence d’injection de contraste intraveineux refusé par la patiente ».

f. Dans un rapport du 23 juin 2021, le Dr C______ a indiqué avoir apporté les premiers soins à l’assurée le 23 février 2021. Invité à communiquer les indications de cette dernière au sujet du déroulement de l’accident, ce médecin a mentionné : « Se coince le pouce droit ». Selon les constatations de celui-ci, l’atteinte consistait en une tuméfaction et enflure du pouce droit, répondant au diagnostic d’entorse du pouce droit.

g. Dans un rapport du 16 juillet 2021, faisant suite à une consultation donnée la veille, la doctoresse E______, cheffe de clinique auprès du département de chirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : les HUG), a posé le diagnostic de décompensation post-traumatique d’une rhizarthrose droite. Relatant l’anamnèse du cas, elle a mentionné que l’assurée avait présenté, le 23 février 2021, un traumatisme par écrasement du pouce droit dans le cadre de son travail comme concierge (« écrasement contre container »). En synthèse, la décompensation post-traumatique de la rhizarthrose nécessitait la mise en place d’une attelle spécifique pour la nuit et d’une attelle en néoprène de jour, et qu’il soit procédé à une infiltration trapézo-métacarpienne. En cas d’échec de cette dernière mesure, une arthroplastie de l’articulation trapézo-métacarpienne pourrait être proposée.

B. a. Par courrier du 20 juillet 2021, la SUVA a informé l’assureur que l’événement du 23 février 2021 lui avait été déclaré mais qu’à la différence de l’assureur, elle n’était pas compétente pour la prise en charge de ce sinistre. La SUVA a joint à ce courrier une déclaration de sinistre LAA pour les chômeurs, datée du 19 juillet 2021, indiquant qu’en date du 23 février 2021 et dans le cadre de son travail, « l’assuré[e] s’est blessé[e] au pouce en poussant un container ».

b. Le 21 juillet 2017, l’assurée a subi l’infiltration précitée.

c. Dans un rapport du 27 juillet 2017, la doctoresse F______, médecin praticien, spécialiste en médecine physique et réadaptation, a indiqué, sous rubrique « indications du patient/déroulement de l’accident et plaintes », qu’il y avait eu « torsion du pouce suite choc direct par un[e] gros[se] poubelle métallique ». Selon les constatations de ce médecin, qui renvoyaient à l’IRM du
4 juin 2021, cette atteinte répondait au diagnostic de rhizarthrose sévère très inflammatoire de la base du pouce avec ténosynovite. Le suivi était assuré par le service de chirurgie de la main des HUG. En cas d’évolution défavorable, une cure chirurgicale était prévue.

d. Par appréciation ni datée ni signée, reçue le 27 septembre 2021 par l’assureur, le docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin-conseil de l’assureur, a posé le diagnostic de rhizarthrose sévère du pouce droit, tout en précisant qu’il n’existait pas de lésions corporelles assimilées à un accident. Invité à dire s’il existait des éléments étrangers à l’événement, ce médecin a répondu par l’affirmative en indiquant que la rhizarthrose droite était une arthrose trapézo-métacarpienne. Il s’agissait d’une maladie dégénérative articulaire du cartilage.

e. Par décision du 27 septembre 2021, l’assureur a informé l’assurée qu’il ne pouvait pas entrer en matière, l’événement du 23 février 2021 ne correspondant pas à un accident. En effet, il ressortait de la déclaration d’accident du 25 février 2021 et du questionnaire du 8 mars 2021 que dans le cadre de son activité professionnelle, en poussant un container de 800 litres, elle avait ressenti une forte douleur à son pouce droit. L’assurée avait précisé qu’il s’agissait pour elle d’une activité habituelle qui s’était déroulée dans des conditions normales. Ainsi, il ne s’était rien produit de particulier qui fût d’origine externe. Partant, en l’absence de cause extérieure extraordinaire, il y avait lieu de conclure que l’assurée n’avait pas été victime d’un accident. Une prise en charge du cas n’entrait pas non plus en ligne de compte au titre d’une éventuelle lésion assimilée à un accident, une lésion de ce type faisant précisément défaut.

f. Par courrier du 15 octobre 2021, H______ (ci-après : l’assureur-maladie), assureur-maladie de l’assurée, a formé une « opposition de principe » à l’encontre de ladite décision. Après réception du dossier et examen du cas, il ferait part de sa détermination définitive au sujet du maintien ou non de son opposition.

g. Dans un rapport du 16 octobre 2021, adressé au médecin-conseil de l’assureur, la Dresse E______ a indiqué qu’elle avait revu, ce jour, l’assurée dans le cadre du suivi de sa décompensation post-traumatique de sa rhizarthrose au niveau
du pouce droit. Elle présentait, depuis son traumatisme, une décompensation importante des douleurs qui étaient récalcitrantes au traitement conservateur (attelles et infiltration). Dans ce contexte, la Dresse E______ a demandé au Dr G______ si l’assureur prenait en charge l’intervention chirurgicale qu’elle envisageait de pratiquer, à savoir la mise en place d’une arthroplastie prothétique.

h. Le 22 octobre 2021, l’assurée, représentée par un avocat, a formé opposition conservatoire à la décision du 27 septembre 2021, sollicité un délai pour motiver son opposition et demandé la transmission d’une copie du dossier.

i. Le 26 octobre 2021, l’assureur a informé la Dresse E______ qu’il ne prendrait pas en charge l’intervention chirurgicale envisagée, celle-ci étant du ressort de l’assurance obligatoire des soins.

j. Le 2 novembre 2021, l’assureur-maladie a informé l’assureur qu’il retirait son opposition de principe et reconnaissait ses obligations légales dans ce cas.

k. Le 5 novembre 2021, l’assurée a complété son opposition en concluant à l’annulation de la décision du 27 septembre 2021, à ce que l’assureur constate que l’atteinte à la santé liée à l’événement du 23 février 2021, avait pour cause un accident, et qu’il reprenne l’instruction du cas aux fins d’établir les prestations dues, soit notamment la prise en charge des traitements médicaux et des indemnités journalières.

À l’appui de ses conclusions, l’assurée a expliqué que le lourd container qu’elle poussait le 23 février 2021 avait échappé à sa maîtrise et qu’il était venu heurter un autre container à proximité immédiate. Ce faisant, la main droite (en particulier le pouce) s’était malheureusement retrouvée entre les deux containers. L’action avait entraîné une importante torsion du pouce droit. À la suite de cet accident,
il lui était difficile de faire usage de sa main droite et d’écrire étant donné qu’elle était droitière. En outre, elle maîtrisait mal le français. Dans ces conditions, elle avait demandé l’aide d’une amie, Madame I______, pour compléter le questionnaire de l’assureur, tout en le signant elle-même, bien que difficilement. Faisant confiance à la compréhension que son amie avait eue de son récit dans sa langue maternelle, l’assurée n’avait pas pensé à relire attentivement et avec l’aide d’une traduction les déclarations olographes. Cette raison expliquait la différence importante entre les éléments médicaux du dossier et la « malencontreuse indication erronée de son amie » sur le questionnaire, non conforme au déroulé des faits.

l. Par décision du 10 novembre 2021, l’assureur a rejeté l’opposition en faisant valoir qu’il convenait de se fier aux faits tels que rapportés par l’assurée à son employeur au moment de déclarer l’événement, puis dans ses réponses du 8 mars 2021 au questionnaire envoyé. Aucun choc ni doigt coincé entre deux containers n’avait alors été évoqué. Même s’il était possible que l’assurée n’ait pas rempli elle-même ledit questionnaire, il n’en restait pas moins qu’elle avait apposé sa signature juste en dessous de la mention « Je confirme l’exactitude de ces déclarations ». Quant aux versions contenues dans les rapports médicaux, il ne fallait pas perdre de vue qu’elles avaient été rapportées par des tiers et étaient sujettes à interprétation. Pour terminer, il convenait encore de relever que les diagnostics posés étaient avant tout d’origine maladive et non pas traumatique.

C. a. Le 13 décembre 2021, l’assurée a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision, concluant, sous suite de dépens, à son annulation, à ce qu’il soit constaté qu’elle avait été victime d’un accident le 23 février 2021 et que l’intimée soit condamnée à lui octroyer les prestations auxquelles elle avait droit, en prenant notamment en charge, dès cette date, les traitements médicaux et les indemnités journalières.

À l’appui de ses conclusions, elle a réitéré en substance les observations faites dans son opposition et soutenu qu’en retenant qu’il y avait lieu de considérer qu’il ne s’était rien produit de particulier qui aurait excédé les « aléas objectivement normaux », l’intimée avait constaté de manière inexacte les faits pertinents pour l’issue de la cause. Nonobstant les erreurs qui s’étaient glissées dans les réponses apportées le 8 mars 2021 au questionnaire de l’intimée – qui s’expliquaient par l’allophonie de la recourante –, la maxime inquisitoire aurait imposé à l’intimée, compte tenu des rapports médicaux versés au dossier, d’entreprendre des démarches d’instruction complémentaires, ce aux fins d’établir la réalité des faits de la cause, soit le déroulé exact de l’accident.

Outre des rapports médicaux figurant déjà au dossier constitué par l’intimé, la recourante a également produit :

-          une échographie du pouce droit, pratiquée le 2 mars 2021 par la doctoresse J______, radiologue FMH. Selon cette dernière, il existait des signes inflammatoires au niveau de l’articulation trapézo-métacarpienne et une déchirure partielle du long extenseur du pouce droit avec ténosynovite ;

-          une attestation du 9 décembre 2021 du Dr C______, renvoyant à l’échographie du 2 mars 2021 précitée, et certifiant que la recourante avait été victime d’un accident le 23 février 2021, occasionnant une déchirure partielle du long extenseur du pouce.

b. Par réponse du 17 janvier 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours. Tout en renvoyant pour l’essentiel à la motivation de la décision litigieuse, elle a souligné que la prise en charge de la décompensation d’une atteinte dégénérative par un événement qui ne pouvait pas être qualifié d’accident ne relevait pas de la compétence de l’assurance-accidents.

c. Par pli du 9 février 2022, la recourante a indiqué qu’elle n’entendait pas répliquer à la réponse de l’intimée, étant donné qu’aucun élément nouveau
n’en ressortait. Elle sollicitait néanmoins, au besoin, l’audition de son amie,
Mme I______, qui l’avait aidée le 8 mars 2021 à compléter le questionnaire litigieux.

d. Le 19 février 2022, une copie de ce courrier a été transmise, pour information, à l’intimée.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA – RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.              

2.1 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-accidents, à moins que la loi n’y déroge expressément.

2.2 La procédure devant la chambre de céans est régie par les dispositions de la LPGA et de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10).

2.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 LPA). Lorsque le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal, son terme est reporté au premier jour ouvrable qui suit (art. 38 al. 3 LPGA et 17 al. 3 LPA).

2.4 Après réception de la décision sur opposition le 12 novembre 2021, le délai de recours a commencé à courir le lendemain et est arrivé à échéance le 13 décembre 2021, le dernier jour du délai tombant un dimanche (12 décembre 2021). Posté le 13 décembre 2021, le recours a été interjeté en temps utile. Respectant également les exigences de forme prévues par l’art. 61 let. b LPGA (cf. aussi l’art. 89B LPA), le recours est recevable.

3.             Dans la mesure où l’événement litigieux est survenu le 23 février 2021, le droit de la recourante aux prestations d’assurance est soumis au nouveau droit, en vigueur depuis le 1er janvier 2017 (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017.

4.             Le litige porte sur la question de savoir si l’événement du 23 février 2021 peut être qualifié d’accident ou être assimilé à un accident.

5.              

5.1 Aux termes de l’art. 6 LAA, l’assureur-accidents verse des prestations à l’assuré en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable; le caractère soudain de l’atteinte; le caractère involontaire de l’atteinte; le facteur extérieur de l’atteinte; enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 3.1).

5.2 Suivant la définition même de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 129 V 402 consid. 2.1). Pour des lésions dues à l’effort (soulèvement, déplacement de charges notamment), il faut examiner de cas en cas si l’effort doit être considéré comme extraordinaire, en tenant compte de la constitution physique et des habitudes professionnelles ou autres de l’intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_827/2017 du 18 mai 2018 consid. 2.1). Il n’y a pas d’accident, au sens de ce qui précède, lorsque l’effort en question ne peut entraîner une lésion qu’en raison de facteurs maladifs préexistants, car c’est alors une cause interne qui agit, tandis que la cause extérieure – souvent anodine – ne fait que déclencher la manifestation du facteur pathologique (ATF 116 V 136 consid. 3b).

5.3 Selon la jurisprudence, le critère du facteur extraordinaire extérieur peut résulter d’un mouvement non coordonné. Lors d’un mouvement corporel, l’exigence d’une incidence extérieure est en principe remplie lorsque le déroulement naturel d’un mouvement corporel est influencé par un empêchement «non programmé», lié à l’environnement extérieur. Dans le cas d’un tel mouvement non coordonné, l’existence du facteur extérieur doit être admise, parce que le facteur extérieur – la modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1). On peut ainsi retenir à titre d’exemples de facteurs extérieurs extraordinaires le fait de trébucher, de glisser ou de se heurter à un objet (RAMA 2004 n°U 502 p. 184 consid. 4.1, RAMA 1999 n°U 345 p. 422 consid. 2b).

5.3.1 La preuve d’un accident causant des lésions touchant l’intérieur du corps est soumise à des exigences strictes, en ce sens que la cause immédiate de la blessure doit être établie dans des circonstances particulièrement évidentes. En général, un accident entraîne des lésions qui sont perceptibles de l’extérieur, et son absence constitue une probabilité accrue qu’elle est d’origine maladive (ATF 99 V 136 consid. 1). A cet égard, le facteur externe est un élément central (ATF 134 V 72 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 8C_225_2019 du 20 août 2019 consid. 3.4).

5.3.2 Lorsque la lésion se limite à une atteinte corporelle interne, qui pourrait également survenir à la suite d’une maladie, le mouvement non coordonné doit en apparaître comme la cause directe selon des circonstances particulièrement évidentes. Un accident se manifeste en règle générale par une lésion perceptible à l’extérieur. Lorsque tel n’est pas le cas, il est plus vraisemblable que l’atteinte soit d’origine maladive (arrêt du Tribunal fédéral 8C_693/2010 du 25 mars 2011 consid. 5.2).

6.              

6.1 Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA, dans sa teneur en vigueur depuis le
1er janvier 2017, l’assurance alloue aussi ses prestations pour les lésions corporelles suivantes, pour autant qu’elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie : les fractures (let. a); les déboîtements d’articulations (let. b); les déchirures du ménisque (let. c); les déchirures de muscles (let. d); les élongations de muscles (let. e); les déchirures de tendons (let. f); les lésions de ligaments (let. g); les lésions du tympan (let. h).

On précisera que l’art. 6 al. 2 LAA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016, conférait au Conseil fédéral la compétence d’étendre la prise en charge par l’assurance-accidents à des lésions assimilables à un accident. L’ancien art. 9 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-accidents (OLAA – RS 832.202), adopté sur la base de cette disposition, contenait la liste exhaustive des lésions corporelles assimilées à un accident pour autant qu’elles ne fussent pas manifestement imputables à une maladie ou à des phénomènes dégénératifs. La liste des lésions énumérées par l’art. 6 al. 2 LAA dans sa nouvelle teneur est identique à celle auparavant contenue dans l’art. 9 al. 2 aOLAA.

6.2 Selon la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 9 al. 2 aOLAA, pour que des lésions corporelles puissent être qualifiées de semblables aux conséquences d’un accident, seul le caractère extraordinaire de l’accident pouvait faire défaut, mais l’existence d’une cause extérieure était en revanche indispensable (cf. ATF 139 V 327 consid. 3.1). Dans son Message à l’appui de la révision de l’art. 6 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a relevé que cette jurisprudence avait été source de difficultés pour les assureurs-accidents et d’insécurité pour les assurés. C’est pourquoi une nouvelle réglementation faisant abstraction de l’existence d’une cause extérieure a été proposée, conformément à la volonté du législateur à l’époque du message de 1976 à l’appui de la LAA. En cas de lésion corporelle figurant dans la liste, il y a désormais présomption que l’on est en présence d’une lésion semblable aux conséquences d’un accident, qui doit être prise en charge par l’assureur-accidents. Ce dernier pourra toutefois se libérer de son obligation s’il apporte la preuve que la lésion est manifestement due à l’usure ou à une maladie (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accidents du 30 mai 2008, FF 2008 4893).

6.3 Dans un arrêt de principe du 24 septembre 2019 (ATF 146 V 51), le Tribunal fédéral a précisé que selon l’interprétation de l’art. 6 al. 2 LAA, l’application de cette disposition ne présuppose aucun facteur extérieur et donc aucun événement accidentel ou générant un risque de lésion accru au sens de la jurisprudence relative à l’art. 9 al. 2 aOLAA. Cependant, la possibilité pour l’assureur-accidents de rapporter la preuve prévue par l’art. 6 al. 2 LAA impose de distinguer la lésion corporelle assimilée, d’une lésion corporelle figurant dans la liste due à l’usure et à la maladie à charge de l’assurance-maladie. Dans ce contexte, la question d’un événement initial reconnaissable et identifiable est également pertinente après la révision de la LAA – notamment en raison de l’importance d’un lien temporel (couverture d’assurance; compétence de l’assureur-accidents; calcul du gain assuré; questions juridiques intertemporelles). Par conséquent, dans le cadre de son devoir d’instruction (cf. art. 43 al. 1 LPGA), l’assureur-accidents doit clarifier les circonstances exactes du sinistre à l’annonce d’une lésion selon la liste. Si celle-ci est imputable à un événement accidentel au sens de l’art. 4 LPGA, l’assureur-accidents est tenu de verser des prestations jusqu’à ce que l’accident ne représente plus la cause naturelle et suffisante, c’est-à-dire que l’atteinte à la santé est fondée uniquement et exclusivement sur des causes autres qu’accidentelles (voir consid. 5.1 et 8.5). Si, en revanche, tous les critères de la définition de l’accident au sens de l’art. 4 LPGA ne sont pas remplis, l’assureur-accidents est généralement responsable pour une lésion selon la liste selon l’art. 6 al. 2 LAA dans la version en vigueur depuis le 1er janvier 2017, à moins qu’il puisse prouver que la lésion est principalement due à une usure ou maladie (consid. 9.1).

Si aucun événement initial ne peut être établi, ou si seul un événement bénin ou anodin peut être établi, cela simplifie de toute évidence la preuve de la libération pour l’assureur-accident. En effet, l’ensemble des causes des atteintes corporelles en question doit être pris en compte dans la question de la délimitation, qui doit être évaluée avant tout par des médecins spécialistes. Outre la condition précédente, les circonstances de la première apparition des troubles doivent également être examinées plus en détails (par exemple, un bilan traumatologique du genou est une aide utile pour l’évaluation médicale des blessures au genou, publié in BMS 2016 p. 1742 ss). Les différents indices qui parlent pour ou contre l’usure ou la maladie doivent être pondérés d’un point de vue médical. L’assureur-accidents doit prouver, sur la base d’évaluations médicales concluantes – au degré de la vraisemblance prépondérante – que la lésion en question est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, c’est-à-dire plus de 50% de tous les facteurs en cause. Si la « palette des causes » se compose uniquement d’éléments indiquant une usure ou une maladie, il s’ensuit inévitablement que l’assureur-accidents a apporté la preuve de la « libération » et qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des clarifications supplémentaires (consid. 8.6).

7.              

7.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l’accident, l’incapacité de travail, l’invalidité, l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale) supposent l’instruction de faits d’ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l’assuré à des prestations, l’administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

7.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d’apprécier certains types d’expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

7.2.1 Ainsi, le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d’un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu’aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l’assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l’objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l’égard de l’assuré. Ce n’est qu’en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l’impartialité d’une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l’importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l’impartialité de l’expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Dans une procédure portant sur l’octroi ou le refus de prestations d’assurances sociales, lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes suffisants quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_301/2013 du 4 septembre 2013 consid. 3).

7.2.2 Une appréciation médicale, respectivement une expertise médicale établie sur la base d’un dossier n’est pas en soi sans valeur probante. Une expertise médicale établie sur la base d’un dossier peut avoir valeur probante pour autant que celui-ci contienne suffisamment d’appréciations médicales qui, elles, se fondent sur un examen personnel de l’assuré (RAMA 2001 n° U 438 p. 346 consid. 3d). L’importance de l’examen personnel de l’assuré par l’expert n’est reléguée au second plan que lorsqu’il s’agit, pour l’essentiel, de porter un jugement sur des éléments d’ordre médical déjà établis et que des investigations médicales nouvelles s’avèrent superflues. En pareil cas, une expertise médicale effectuée uniquement sur la base d’un dossier peut se voir reconnaître une pleine valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_681/2011 du 27 juin 2012 consid. 4.1 et les références).

7.2.3 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l’expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S’il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l’objectivité ou l’impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l’éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l’existence d’éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

8.              

8.1 Sauf disposition contraire de la loi, le juge des assurances sociales fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b). En droit des assurances sociales, il n’existe pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

Les explications d’un assuré sur le déroulement d’un fait allégué sont au bénéfice d’une présomption de vraisemblance. Il peut néanmoins arriver que les déclarations successives de l’intéressé soient contradictoires avec les premières. En pareilles circonstances, selon la jurisprudence, il convient de retenir la première affirmation, qui correspond généralement à celle que l’assuré a faite alors qu’il n’était pas encore conscient des conséquences juridiques qu’elle aurait, les nouvelles explications pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATF 143 V 168 consid. 5.2.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016, déjà cité, consid. 4.3).

Le Tribunal fédéral a admis qu’un questionnaire dépourvu de tout commentaire explicatif, que doit remplir un assuré à la suite d’un accident, ne permet pas d’exclure la survenance d’un événement particulier, même si l’assuré n’en fait pas expressément mention lorsqu’il remplit le questionnaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_496/2007 du 29 avril 2008 consid. 4). En outre, un document qui fait état d’un renseignement recueilli oralement ou par téléphone ne constitue un moyen de preuve recevable et fiable que s’il porte sur des éléments d’importance secondaire, tels que des indices ou des points accessoires. Si les renseignements portent sur des aspects essentiels de l’état de fait, ils doivent faire l’objet d’une demande écrite (ATF 117 V 282 consid. 4c).

8.2 La procédure dans le domaine des assurances sociales est régie par le principe inquisitoire d’après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’assureur (art. 43 al. 1 LPGA) ou, éventuellement, par le juge (art. 61 let. c LPGA). Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée peut être restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation de ces dernières d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2; VSI 1994, p. 220 consid. 4). Si le principe inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences, sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s’applique toutefois que s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références).

8.3 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu’il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu’ils n’auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu’il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu’une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu’il considère que l’état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l’expertise administrative n’a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu’ici, lorsqu’il s’agit de préciser un point de l’expertise ordonnée par l’administration ou de demander un complément à l’expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

9.             En l’occurrence, il convient d’examiner en premier lieu si l’événement qui s’est produit le 23 février 2021 répond à la définition d’un accident.

9.1 Selon l’intimée, qui se réfère à la déclaration d’accident du 25 février 2021 et au questionnaire complété le 8 mars 2021 par la recourante, l’événement du 23 février 2021 n’entrainerait aucune obligation à la charge de l’assurance-accidents : dans la mesure où l’affection serait survenue alors que l’assurée poussait, dans le cadre de son activité habituelle, un container dans des conditions que la recourante a elle-même qualifiées de « normales », et sans qu’il soit fait état, par ailleurs, d’un mouvement qui aurait été influencé par un empêchement non programmé lié à l’environnement extérieur, il n’y aurait pas de cause extérieure extraordinaire et, partant, pas d’accident. Selon la recourante en revanche, il n’y aurait pas lieu de se fonder sur les réponses qu’elle avait apportées le 8 mars 2021, avec l’aide d’une amie, au questionnaire de l’intimée, mais sur la version des faits présentée dans son complément d’opposition du 5 novembre 2021, qui était corroborée par les rapports médicaux. Étant de langue maternelle portugaise, elle ne maîtriserait pas bien le français et aurait fait confiance à la compréhension que son amie aurait eue de son récit livré en portugais. Par ailleurs, elle n’aurait pas pensé à relire attentivement, et avec l’aide d’une traduction, les déclarations olographes.

9.2 Comme mentionné plus haut, il convient en principe, en cas de déclarations contradictoires d’un assuré sur la survenance d’un événement, d’accorder la préférence à la première affirmation, qui correspond généralement à celle que
la personne assurée a faite alors qu’elle n’était pas encore consciente des conséquences juridiques qu’elle aurait, les nouvelles explications pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ci-dessus : consid. 7.1). Il convient en outre de souligner que les constatations médicales ne peuvent que rarement remplacer la preuve insuffisante d’un événement répondant aux caractéristiques de l’accident. Dans le cadre de l’appréciation des preuves en faveur ou en défaveur de l’existence d’un événement accidentel, elles n’ont en général que la valeur d’indices. De plus, la notion de traumatisme ne se recoupe pas avec la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA (arrêt du Tribunal fédéral 8C_225/2019 du 20 août 2019 consid. 3.4 et les réf.). En effet, un événement traumatique ou un traumatisme au sens médical peut englober, outre l’accident au sens juridique du terme, des événements dépourvus de caractère extraordinaire et/ou soudain (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 199/03 du 10 mai 2004 consid. 1, non publié in ATF 130 V 380).

9.3 En l’espèce, ce n’est qu’après la décision (initiale) du 27 septembre 2021, lui refusant tout droit aux prestations, que la recourante a soutenu que l’indication donnée le 8 mars 2021 « non, mais je crois l’avoir tordue leger[e]ment, mon pouce » était en contradiction avec le déroulé des faits et l’ensemble des pièces
du dossier. Étant donné que ces premières déclarations sont au bénéfice d’une présomption de vraisemblance, il convient d’examiner si cette dernière peut être renversée par un nombre suffisant d’indices en faveur d’un accident.

9.3.1 À titre liminaire, la chambre de céans constate que la décision litigieuse n’apparaît pas contestable en tant qu’elle refuse de déceler un facteur extérieur de caractère extraordinaire dans le fait que la recourante ait simplement poussé un container de poubelles. La recourante ne soutient pas le contraire sur la base de ces faits – erronés selon elle – mais insiste sur les constatations médicales qui, de son point de vue, se recouperaient avec les faits décrits dans le complément d’opposition du 5 novembre 2021, à savoir que sa main droite, en particulier le pouce, se serait retrouvée entre deux containers au moment où le premier de ces deux, qui aurait échappé à sa maîtrise, serait venu heurter le second.

9.3.2 À cet égard, la chambre de céans considère qu’en tant qu’ils indiquent que la recourante « se coince le pouce droit » (rapport du 23 juin du Dr C______), qu’il y a eu écrasement du pouce droit contre un container (rapport du 16 juillet 2021 de la Dresse E______) ou qu’il y a eu torsion du pouce suite à un choc direct avec une grosse poubelle métallique (rapport de la Dresse F______ du 27 juillet 2017), ces informations médicales, d’ailleurs antérieures à la décision de refus du 27 septembre 2021, apparaissent à première vue compatibles avec la nouvelle présentation des faits du 5 novembre 2021. Selon la jurisprudence, elles ne sauraient toutefois satisfaire aux exigences strictes de la preuve d’un accident lorsque l’atteinte à la santé considérée pourrait être due à d’autres causes qu’une atteinte dommageable soudaine, et donc ne pas être la conséquence typique d’un facteur extérieur (ATF 134 V 72 consid. 4.3.2.1 ; ci-dessus : consid. 4.3.1 et s.). En revanche, si l’atteinte à la santé est la conséquence typique d’un facteur extérieur, cela permet éventuellement de tirer des conclusions sur le caractère extraordinaire de ce dernier, étant toutefois rappelé que les constatations médicales ne peuvent que rarement remplacer la preuve insuffisante d’un événement répondant aux caractéristiques de l’accident (ATF 134 V 72 précité, consid. 4.3.2.2).

Force est de constater qu’en l’espèce, le rapport IRM du 4 juin 2021 pose le diagnostic différentiel d’entorse capsulo-ligamentaire et contusion osseuse post-traumatique trapézo-métacarpienne versus rhizarthrose très inflammatoire. Ce second diagnostic, que la Dresse E______ retient dans ses rapports des 16 juillet et 16 octobre 2021, correspond, selon les constatations – non contestées – du médecin-conseil de l’intimée, à une arthrose trapézo-métacarpienne, soit à une maladie dégénérative articulaire du cartilage. Dans ces circonstances, marquées par un diagnostic différentiel admettant la possibilité d’une simple atteinte dégénérative, on ne saurait considérer que les constatations médicales des
Drs C______, E______ et F______, faisant état respectivement d’un pouce coincé, d’un écrasement du pouce et d’une torsion du pouce, satisfassent aux exigences strictes de la preuve d’un accident, notamment d’un traumatisme constitutif d’un accident, d’autant qu’elles restent muettes sur le déroulement des faits qui auraient conduit aux lésions rapportées (cf. l’arrêt 8C_225/2019 précité, consid. 5.2, pour une appréciation similaire). Il s’ensuit que dans le cas particulier, les constatations médicales ne sauraient remplacer l’absence de preuve d’un accident découlant de la déclaration d’accident du 25 février 2021 et des précisions apportées le 8 mars 2021 par la recourante.

9.3.3 Enfin, la recourante ne saurait rien déduire en sa faveur de ses difficultés linguistiques alléguées puisque la conscience de celles-ci l’a précisément conduite à faire appel à l’aide d’une amie, à qui elle a eu le loisir d’expliquer, dans sa langue maternelle, le déroulement des faits. En outre, il n’y a pas lieu de penser que ceux-ci ne seraient pas conformes à la vérité dans la mesure où le questionnaire l’invitait expressément, avant signature, à confirmer l’exactitude des déclarations faites. Enfin, le présent cas se distingue de l’arrêt 8C_496/2007 précité (ci-dessus : consid. 7.1) à un double titre. En premier lieu, la question « S’est-il produit un événement particulier ? », à laquelle la recourante a répondu par la négative, était assortie des précisions « (coup, chute, glissade, etc.) ». En second lieu, la possibilité que l’atteinte au pouce constitue une simple atteinte dégénérative ne permet pas de considérer que celle-ci serait la conséquence typique d’un facteur extérieur (ci-dessus : consid. 8.3.2).

Dans ces circonstances, la chambre de céans se dispensera, par appréciation anticipée des preuves, d’entendre Mme I______, non présente au moment de la survenance des faits rapportés dans le questionnaire de l’intimée.

10.         Il reste à examiner si l’événement du 23 février 2021 devrait néanmoins être pris en charge par l’intimée en raison d’une lésion corporelle assimilée au sens de l’art. 6 al. 2 LAA.

10.1 Dans son appréciation non datée, reçue le 27 septembre 2021 par l’assureur, le Dr G______ a indiqué, sans motiver sa position, qu’il n’existait pas de lésions corporelles assimilées à un accident. Cela étant, il importe de relever que la liste des lésions assimilées de l’art. 6 al. 2 LAA comprend également les déchirures de tendons (let. f), les déchirures partielles de ceux-ci étant suffisantes (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2015 du 19 août 2015 consid. 2 et les réf.). Il ressort
à cet égard du dossier de l’intimée qu’en raison d’une déchirure partielle du long extenseur du pouce droit, le Dr C______ a délivré, le 11 mars 2021, un bon
pour neuf séances de physiothérapie. Ce diagnostic de déchirure partielle du long extenseur du pouce droit ne se retrouve certes pas dans d’autres rapports versés
au dossier constitué par l’intimée, mais dans le chargé de pièces produit par la recourante, notamment dans une attestation du 9 décembre 2021 du Dr C______ (cf. pièce 5 recourante), renvoyant elle-même à une échographie du 2 mars 2021 de la Dresse J______, concluant à une déchirure partielle du long extenseur du pouce droit avec ténosynovite (pièce 6 recourante).

10.2 Bien que le terme « déchirure » ne soit employé que par les Drs C______ et J______, il n’en demeure pas moins qu’à réception de l’annonce d’une lésion relevant de la liste de l’art. 6 al. 2 LAA, l’assureur-accidents est en principe tenu de prester, à moins de prouver que celle-ci est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie. Par conséquent, dans le cadre de son devoir d’instruction (cf. art. 43 al. 1 LPGA), l’assureur-accidents doit clarifier les circonstances exactes du sinistre à l’annonce d’une lésion relevant de ladite liste. Si aucun événement initial ne peut être établi, ou seulement un événement tout à fait bénin ou anodin, cela simplifie de toute évidence la preuve libératoire de l’assureur-accidents. C’est en premier lieu aux médecins spécialisés qu’il incombe de procéder à la délimitation litigieuse en prenant en compte l’ensemble du spectre des causes à l’origine de la lésion corporelle en cause. Il convient ainsi de faire la lumière non seulement sur l’état antérieur, mais aussi sur les circonstances dans lesquelles les plaintes sont apparues pour la première fois. Les différents indices qui parlent en faveur ou en défaveur de l’usure ou de la maladie doivent être pondérés d’un point de vue médical. L’assureur-accidents doit prouver, au degré de la vraisemblance prépondérante, sur la base d’évaluations médicales concluantes, que la lésion en question est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, c’est-à-dire plus de 50% de tous les facteurs en cause. Si le spectre des causes se compose uniquement d’éléments indiquant une usure ou une maladie, il s’ensuit inévitablement que l’assureur-accidents a apporté la preuve libératoire et qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des clarifications supplémentaires (arrêt du Tribunal fédéral ATF 146 V 51 consid. 8.6).

10.3 En recevant, en l’espèce, le bon de physiothérapie délivré le 11 mars 2021 par le Dr C______, l’intimée ne pouvait pas faire l’économie d’une instruction médicale portant sur les termes « déchirure partielle long extenseur pouce d[roi]t » employés par ce praticien et – en cas de confirmation d’une telle atteinte au sens de l’art. 6 al. 2 let. f LAA –, sur les éléments exposés ci-dessus (consid. 9.2). Dans la mesure où elle s’est abstenue de telles mesures d’instruction, la chambre de céans ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour pouvoir se prononcer sur le droit aux prestations litigieuses. On précisera encore que si l’instruction – qu’il incombera à l’intimée de mettre en œuvre – aboutissait non seulement à la confirmation d’une déchirure au sens de l’art. 6 al. 1 let. f LAA, mais aussi à l’établissement d’un lien de causalité entre celle-ci et l’événement
du 23 février 2021 invoqué, sans que ladite déchirure soit due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, il suffirait que l’événement en question soit en partie à l’origine des troubles que la recourante présente au niveau de sa main droite. En effet, un (éventuel) état dégénératif ou morbide antérieur n’exclut pas l’existence d’une lésion corporelle assimilée à un accident, cela pour autant que l’événement considéré ait au moins déclenché ou aggravé l’atteinte préexistante (arrêt du Tribunal fédéral U 532/06 du 13 mars 2007 consid. 4.2.1 et les réf.). Dans l’affirmative, les obligations de l’assureur-accidents ne prennent fin que lorsqu’il apparaît que l’atteinte à la santé n’est plus imputable à l’événement, en particulier que cet état est parvenu au stade d’évolution qu’il aurait sans doute atteint sans cet événement (arrêt U 532/06 précité, consid. 4.2.3).

11.         Compte tenu de ce qui précède, le recours est partiellement admis, la décision sur opposition du 10 novembre 2021 annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour instruction au sens des considérants et nouvelle décision.

12.         Étant donné que la recourante obtient partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 1’500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimée (art. 61 let. g LPGA; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 – RFPA ; RS E 5 10.03).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 

*****

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 10 novembre 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Condamne l’intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 1’500.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le