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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2858/2021

ATAS/367/2022 du 26.04.2022 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2858/2021 ATAS/367/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 26 avril 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Maxime CLIVAZ

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L’ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1970, de nationalité espagnole, a été victime d’un accident, le 6 août 2014. Alors qu’il travaillait sur un chantier, il a reçu une plaque métallique sur le pied droit et a souffert d’une fracture du 3ème métatarsien et une déchirure de la plaque plantaire. Les suites de l’accident ont été prises en charge par l’assureur-accidents jusqu’au 31 juillet 2017.

b. Le 14 janvier 2015, l’assuré a déposé une demande auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé). À l’issue de l’instruction, le recourant a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) d’un recours à la suite duquel l’OAI a conclu à l’octroi d’une rente ordinaire entière limitée dans le temps du 1er août 2015 au 31 août 2017.

c. Ayant considéré que l’acte intitulé « recours » que l’assuré lui avait transmis le 13 mai 2019 était une demande de révision (ce que la CJCAS a confirmé dans un arrêt ATAS/776/2019 du 2 septembre 2019), l’OAI a invité l’assuré à lui faire parvenir les pièces propres à démontrer l’aggravation de son état de santé. Dans le cadre de la demande de révision, l’OAI a confié une expertise orthopédique au docteur B______ le 19 août 2020.

d. À l’issue de l’instruction, l’OAI a rejeté le 30 juin 2021 la demande de rente et de mesures de réadaptation, au motif que, dans une activité adaptée, la capacité de travail de l’assuré était de 100% avec une diminution de rendement de 30% selon l’expertise. L’OAI a en outre déduit 10% sur le revenu d’invalide pour tenir compte des limitations de l’assuré. Le marché équilibré du travail offrait un nombre significatif d’activités simples et légères accessibles sans aucune formation particulière. Faute de problématique médicale posant des problèmes majeurs dans la recherche d’un emploi, l’OAI n’avait pas à fournir de mesures d’aide au placement.

B. a. Par acte du 1er septembre 2021, l’assuré a formé un recours contre cette décision, en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l’OAI pour qu’il lui soit octroyé une rente d’invalidité entière, sous suite de frais et dépens. Il contestait le bien-fondé de l’expertise, dans la mesure où l’expert ne s’était pas prononcé sur les problèmes orthopédiques et dermatologiques qui justifiaient la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire. L’expert n’avait pas répondu correctement et pleinement au mandat, puisqu’il avait omis de se prononcer sur plusieurs points importants, tel que le taux d’activité exigible dans une activité adaptée. Il n’avait pas posé de diagnostics quant à la douleur à la palpation de l’épine iliaque antéro-supérieure à droite. En l’absence d’investigation radiologique du genou droit, l’expert n’avait pas recommandé d’instruction. On ignorait en outre le motif de la limitation de rendement à 30%. L’expertise devait être écartée. Il contestait en outre le calcul du taux d’invalidité notamment quant à l’abattement retenu.

b. Le 6 octobre 2021, le recourant a fait parvenir à la CJCAS un rapport médical du docteur C______, du 2 septembre 2021, selon lequel les anomalies liées à la kératose invalidante allaient persister à vie. Ce médecin sollicitait une investigation orthopédique.

c. Par réponse du 4 octobre 2021, l’OAI a conclu au renvoi de la cause à son office pour instruction complémentaire. Selon l’avis de son service médical régional (SMR), de nouvelles pièces avaient été produites à l’appui du recours, dont un rapport du docteur D______ selon lequel une IRM était demandée pour le genou droit, mais ne figurait pas au dossier, un rapport en espagnol du 30 juillet 2021 qui concluait à une chondropathie bilatérale. À l’examen de ces pièces, une hyperkératose plantaire d’appui secondaire à un défaut statique était relevée par le Dr C______, atteinte sur laquelle l’expert ne s’était pas prononcé. Afin de connaître l’impact de cette atteinte sur la capacité de travail, il convenait d’interroger le Dr C______.

d. Par courrier du 25 octobre 2021, le recourant s’est opposé à la conclusion de l’OAI tendant au renvoi du dossier pour réception d’un avis dermatologique, dans la mesure où il estimait insuffisante la mesure d’instruction mentionnée par le SMR, sollicitait une expertise pluridisciplinaire et contestait le bien-fondé de l’expertise orthopédique dans le cadre de laquelle l’expert ne s’était pas exhaustivement prononcé notamment sur le pourcentage d’abattement de 30%.

e. Le 17 novembre 2021, l’OAI a indiqué qu’il appartenait à l’administration de déterminer les instructions à mener. Il s’agirait en l’espèce dans un premier temps de recueillir les avis des médecins traitants sur la capacité de travail du recourant et ensuite pour le SMR de déterminer si une expertise était nécessaire ou non. L’OAI ne pouvait en outre pas à ce stade se prononcer sur le calcul de l’invalidité qui pouvait être influencé par l’instruction complémentaire.

f. La cause a été gardée à juger à la suite de l’échange d’écritures des parties.

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

Toutefois, les modifications légales contenues dans la LPGA constituent, en règle générale, une version formalisée dans la loi de la jurisprudence relative aux notions correspondantes avant l’entrée en vigueur de la LPGA; il n’en découle aucune modification du point de vue de leur contenu, de sorte que la jurisprudence développée à leur propos peut être reprise et appliquée (ATF 130 V 345 consid. 3).

Sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1; ATF 127 V 467 consid. 1 et les références). En ce qui concerne en revanche la procédure, et à défaut de règles transitoires contraires, le nouveau droit s’applique sans réserve dès le jour de son entrée en vigueur (ATF 117 V 93 consid. 6b, 112 V 360 consid. 4a; RAMA 1998 KV 37 p. 316 consid. 3b).

Le délai de recours est de 30 jours (art. 60 al. 1 LPGA).

1.3 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable, en vertu des art. 56ss LPGA.

2.             Le litige porte sur le droit du recourant à rente d’invalidité.

2.1 Est réputée invalidité, l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d’une infirmité congénitale, d’une maladie ou d’un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé physique ou mentale et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

2.2 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration ou l’instance de recours a tout d’abord besoin de documents que le médecin ou d’autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256, consid. 4; ATF 115 V 133, consid. 2).

2.3 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 125 V 351, consid. 3; ATF 122 V 157, consid. 1c).

2.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3, ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

2.5 Le juge cantonal qui estime que les faits ne sont pas suffisamment élucidés a en principe le choix entre deux solutions : soit renvoyer la cause à l’assureur pour complément d’instruction, soit procéder lui-même à une telle instruction complémentaire. Un renvoi à l’assureur, lorsqu’il a pour but d’établir l’état de fait, ne viole ni le principe de simplicité et de rapidité de la procédure, ni le principe inquisitoire. Il en va cependant autrement quand un renvoi constitue en soi un déni de justice (par exemple, lorsque, en raison des circonstances, seule une expertise judiciaire ou une autre mesure probatoire serait propre à établir l’état de fait), ou si un renvoi apparaît disproportionné dans le cas particulier (ATF non publié 9C_162/2007 du 3 avril 2008 consid. 2.3). À l’inverse, le renvoi à l’assureur apparaît en général justifié si celui-ci a constaté les faits de façon sommaire, dans l’idée que le tribunal les éclaircirait comme il convient en cas de recours (DTA 2001 n° 22 p. 170 consid. 2). Le Tribunal fédéral a précisé cette jurisprudence, en indiquant qu’un renvoi à l’administration est en principe possible lorsqu’il s’agit de trancher une question qui n’a jusqu’alors fait l’objet d’aucun éclaircissement, ou lorsqu’il s’agit d’obtenir une clarification, une précision ou un complément quant à l’avis des experts interpellés par l’autorité administrative; a contrario, une expertise judiciaire s’impose lorsque les données recueillies par l’administration en cours d’instruction ne revêtent pas une valeur probante suffisante sur des points décisifs (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.4 et 4.4.1.5).

3.             En l’espèce, lors de la décision attaquée (30 juin 2021), l’OAI n’avait pas eu connaissance des rapports médicaux postérieurs produits par l’assuré à l’appui de son recours (rapports des Drs D______ et C______ des 22 juillet et 2 septembre 2021) ni de l’examen fait à Madrid le 30 juillet 2021. Ce dernier rapport pose le diagnostic de chondropathie bilatérale déjà évoquée par le Dr D______. Le Dr C______ a quant à lui relevé que l’hyperkératose d’appui (d’ores et déjà connue) allait persister à vie et sollicitait un avis orthopédique.

L’intimé n’a ainsi pas pu statuer en toute connaissance de cause. C’est dès lors à juste titre qu’il conclut au renvoi du dossier pour procéder à une instruction médicale complémentaire. Cependant, une expertise orthopédique a déjà été réalisée et répond aux questions posées au sujet notamment de la capacité de travail entière dans une activité adaptée aux limitations retenues et quant à la réduction de 30%. Le recourant ne peut être suivi sur ce point.

Seul le diagnostic de chondropathie a été discuté par l’expert qui ne l’a pas retenu. Au vu des nouvelles pièces au dossier, il s’agirait d’éclaircir ce diagnostic et de compléter l’expertise orthopédique si nécessaire.

En outre, l’aspect dermatologique doit être instruit plus avant compte tenu des avis du médecin traitant qui a posé un diagnostic qu’il juge invalidant.

À défaut de ces éléments pertinents, la chambre de céans n’est pas en mesure de se prononcer sur le recours déposé. Elle prononcera dès lors un renvoi à l’intimé pour instruction complémentaire dans le sens des considérants (vérification des diagnostics et de leurs conséquences éventuelles sur la capacité de travail du recourant s’agissant de la chondropathie bilatérale et de l’hyperkératose d’appui, instruction complémentaire sur le volet dermatologique et complément du rapport d’expertise orthopédique en fonction des éléments recueillis dans la suite de l’instruction).

4.             Le recours est ainsi partiellement admis. La décision du 26 janvier 2021 est annulée et la cause renvoyée à l’OAI pour instruction complémentaire dans le sens des considérants.

Le recourant qui est assisté d’un conseil se verra allouer des dépens d’un montant de CHF 1’000.- à charge de l’intimé.

En revanche, dans la mesure où l’OAI a statué sur la base des renseignements fournis et que l’on ne peut pas lui faire grief de ne pas avoir tenu compte de rapports inconnus et postérieurs à sa décision, il sera renoncé à la perception d’un émolument.

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement et annule la décision du 30 juin 2021.

3.        Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire dans le sens des considérants.

4.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 1’000.- à titre de dépens mise à la charge de l’intimé.

5.        Renonce à la perception d’un émolument.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le