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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/856/2022

ATAS/301/2022 du 01.04.2022 ( PC )

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/856/2022 ATAS/301/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt incident du 1er avril 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à VERSOIX, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Jean-Pierre WAVRE

 

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A.      a. Madame A______ (ci-après : l’intéressée ou la bénéficiaire) est au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité de CHF 675.00 par mois.

b. Elle a été mise au bénéfice de prestations complémentaires dès le 1er août 2020.

B.       a. Par décision du 26 janvier 2022, le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC) a procédé à un nouveau calcul des prestations en intégrant aux ressources de la bénéficiaire le quart de la valeur d’un bien immobilier dont cette dernière avait hérité de sa mère (CHF 252’734.00) et le revenu hypothétique de cette fortune immobilière. Sur la base de ce calcul, le SPC a sollicité la restitution des prestations complémentaires versées depuis le 1er août 2020, soit un montant de CHF 53’830.00, et a nié le droit à des prestations pour l’avenir. Par décision du même jour, le SPC a sollicité la restitution du montant des subsides à l’assurance-maladie versés durant la même période pour le même motif (CHF 7’871.00).

b. L’intéressée s’est opposée le 2 février 2022 contre la décision de restitution, au motif que le bien immobilier dont elle avait hérité avec sa fratrie n’avait été ni vendu ni loué et qu’elle ne disposait que de sa rente de CHF 675.00 pour vivre.

c. Le 11 février 2022, l’intéressée a demandé l’aide sociale. Le dossier est en cours d’examen par le SPC.

d. Par décision du 14 février 2022, le SPC a confirmé ses décisions de restitution. C’était au moment de l’ouverture de la succession et non à la date du partage de celle-ci que le SPC devait intégrer la valeur d’un bien hérité dans le calcul des droits aux prestations. Dans ce cas, le calcul avait démontré que la fortune dépassait le seuil à partir duquel l’on ne pouvait plus prétendre à des prestations. En sus des voies de droit, le SPC a indiqué qu’un recours n’aurait pas d’effet suspensif, sauf en ce qui concernait l’obligation de rembourser.

C.       a. Par acte du 17 mars 2022, l’intéressée a recouru devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) contre la décision sur opposition, en concluant à titre préalable à l’octroi de l’effet suspensif et d’un délai au 30 avril 2022 pour compléter son recours, et principalement à l’annulation de la décision du 14 février 2022. Le fait qu’elle dispose d’une fortune hypothétique sous forme d’héritage non partagé allait l’empêcher de recevoir l’aide sociale et sa rente ne lui permettait pas de faire face à ses charges (loyer de CHF 1’808.00, prime d’assurance-maladie de CHF 499.95, impôts de CHF 25.00, minimum vital de CHF 1’200.00), de sorte qu’elle sollicitait l’effet suspensif.

b. Par acte du 28 mars 2022, le SPC a conclu au rejet de l’effet suspensif s’agissant des prestations dues à l’avenir conformément à la jurisprudence en matière de prestations sociales qui érige l’intérêt de l’administration à ne pas verser des prestations qu’il serait ensuite tenu de recouvrer au-dessus de l’intérêt de l’administré à percevoir des prestations que l’administration lui a refusées en raison de son revenu excessif au long de la procédure de recours. S’agissant de l’effet suspensif à la restitution, le SPC était en revanche d’avis que l’intérêt de la recourante l’emportait sur le sien, la restitution pouvant souffrir d’attendre l’entrée en force de la décision attaquée.

c. À l’issue de cet échange, la cause a été gardée à juger sur l’effet suspensif.

EN DROIT

1.        Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l’art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l’art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

3.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, le recours est par conséquent soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est prima facie recevable (art. 56 et 60 de la LPGA; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [(LPA-GE - E 5 10)].

5.         

5.1 Depuis le 1er janvier 2021, les art. 49 al. 5 et 52 al. 4 LPGA prévoient que l’assureur peut, dans sa décision ou dans sa décision sur opposition, priver toute opposition ou tout recours de l’effet suspensif, même si cette décision porte sur une prestation en espèces. Les décisions et les décisions sur opposition ordonnant la restitution de prestations versées indûment sont exceptées.

Selon le message du Conseil fédéral du 2 mars 2018 concernant la modification de la LPGA (FF 2018 1597), l’art. 49 al. 5 LPGA correspond à l’ancien art. 97 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, qui s’appliquait par analogie à l’assurance-invalidité et aux prestations complémentaires (cf. art. 66 LAI et 27 LPC dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020), et selon la jurisprudence, également par analogie à l’assurance-chômage et à l’assurance-maladie. Il était alors possible, par une application étendue de l’art. 55 al. 2 de la loi du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA - RS 107.021) en relation avec l’art. 55 al. 1 LPGA, de priver de l’effet suspensif tout recours éventuel contre une décision qui ne portait pas sur une prestation en espèces. De plus, conformément à la jurisprudence et à la majorité de la doctrine, mais contrairement à la lettre de la loi, seule une décision qui engageait son destinataire à une prestation en espèces était considérée comme une décision portant sur une prestation en espèces. Par conséquent, les décisions d’octroi de prestations des assurances sociales ne constituaient pas des décisions portant sur une prestation en espèces au sens de la PA. Si une prestation en espèces (durable ou non) était interrompue ou réduite, l’effet suspensif pouvait donc être retiré. Le Conseil fédéral a estimé que pour prévenir tout flou juridique dans ce domaine – puisqu’il est courant, dans les assurances sociales, de qualifier de prestations en espèces des prestations comme les rentes, les indemnités journalières, l’allocation pour impotent, etc. (cf. à ce sujet la définition des prestations en espèces à l’art. 15 LPGA) –, il était nécessaire d’élaborer une base légale claire pour toutes les assurances sociales soumises à la LPGA. La nouvelle réglementation assure ainsi la sécurité juridique et elle est essentielle, notamment en lien avec la règle relative à la suspension des prestations à titre provisionnel prévue par le nouvel art. 52a LPGA, entré en vigueur le 1er janvier 2021. La pratique fondée sur l’ATF 130 V 407, qui n’autorise pas le retrait de l’effet suspensif en cas de créances en restitution de prestations indûment perçues, n’est en revanche pas modifiée en vertu de cette harmonisation de la LPGA (cf. art. 49 al. 5 2ème phrase LPGA).

5.2 Les dispositions de la PA continuent à s’appliquer pour les questions liées à l’effet suspensif qui ne sont pas réglées par les art. 49 al. 5 et 52 al. 4 LPGA (cf. art. 55 al. 1 LPGA). Le juge saisi du recours peut restituer l’effet suspensif à un recours auquel l’autorité inférieure l’avait retiré ; la demande de restitution de l’effet suspensif étant traitée sans délai, conformément à l’art. 55 al. 3 PA.

5.3 En droit cantonal, selon l’art. 18 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC-AVS/AI - J 4 25.03), l’opposition a un effet suspensif, sauf dans les cas prévus par l’art. 11 de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11) appliqué par analogie (al. 1). Le service peut, sur requête ou d’office, retirer l’effet suspensif ou rétablir l’effet suspensif retiré dans la décision. Une telle requête doit être traitée sans délai (al. 2).

L’art. 66 LPA-GE prescrit que sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1). Toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 2).

5.4 Selon la jurisprudence, le retrait de l’effet suspensif est le fruit d’une pesée des intérêts qui s’inscrit dans l’examen général du principe de la proportionnalité, lequel exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 et la référence).

La possibilité de retirer ou de restituer l’effet suspensif au recours n’est pas subordonnée à la condition qu’il existe, dans le cas particulier, des circonstances tout à fait exceptionnelles qui justifient cette mesure. Il incombe bien plutôt à l’autorité appelée à statuer d’examiner si les motifs qui parlent en faveur de l’exécution immédiate de la décision l’emportent sur ceux qui peuvent être invoqués à l’appui de la solution contraire. L’autorité dispose sur ce point d’une certaine liberté d’appréciation. En général, elle se fondera sur l’état de fait tel qu’il résulte du dossier, sans effectuer de longues investigations supplémentaires. En procédant à la pesée des intérêts en présence, les prévisions sur l’issue du litige au fond peuvent également être prises en considération; il faut cependant qu’elles ne fassent aucun doute (ATF 124 V 82 consid. 6a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_885/2014 du 17 avril 2015 consid. 4.2).

L’intérêt de la personne assurée à pouvoir continuer à bénéficier des prestations qu’elle percevait jusqu’alors n’est pas d’une importance décisive, tant qu’il n’y a pas lieu d’admettre que, selon toute vraisemblance, elle l’emportera dans la cause principale. Ne saurait à cet égard constituer un élément déterminant la situation matérielle difficile dans laquelle se trouve la personne assurée depuis la diminution ou la suppression des prestations. En pareilles circonstances, l’intérêt de l’administration apparaît généralement prépondérant, puisque dans l’hypothèse où l’effet suspensif serait accordé et le recours serait finalement rejeté, l’intérêt de l’administration à ne pas verser des prestations paraît l’emporter sur celui de la personne assurée; il serait effectivement à craindre qu’une éventuelle procédure en restitution des prestations versées à tort ne se révèle infructueuse (ATF 119 V 503 consid. 4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_207/2014 du 1er mai 2014 consid. 5.3 et les références).

6.        En l’espèce, la recourante requiert la restitution de l’effet suspensif au recours, afin de continuer à percevoir des prestations complémentaires sans que le SPC ne tienne compte de la valeur de sa part successorale.

7.        À première vue, les chances de succès du recours ne paraissent pas évidentes, au vu de la jurisprudence en matière de prise en compte de la succession indivise dans le calcul des ressources de celui qui prétend à des prestations complémentaires. En effet, de manière constante, le Tribunal fédéral retient que lors du calcul de la prestation complémentaire, la part d’héritage d’un bénéficiaire de prestations complémentaires doit être prise en compte dès l'ouverture de la succession qu’il acquiert de plein droit (art. 560 al. 1 CC), soit au décès du de cujus (cf. art. 537 al. 1 CC) et non seulement à partir du moment où le partage est réalisé (arrêt du Tribunal fédéral P 22/06 du 23 janvier 2007 citant : RCC 1992 p. 347 consid. 2c; consid. 4 in fine de l’arrêt T. du 23 mars 2006, P 61/04; consid. 3.3 de l'arrêt V. du 17 septembre 2003, P 54/02; Carigiet, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, p. 116).

L’intérêt de l’intimé à cesser le versement de toute prestation à la recourante paraît prépondérant, puisqu’il n’est pas possible de considérer que, selon toute vraisemblance, la recourante obtiendra gain de cause sur le fond du litige.

En outre, si les prestations continuaient à être versées pendant la durée de la procédure, les intérêts financiers de l’intimé seraient mis en péril, puisqu’en cas de rejet du recours, la recourante serait tenue de restituer un montant de CHF 61'701.00 et en sus les prestations versées en raison de la restitution de l’effet suspensif.

Le remboursement des prestations ne serait pas garanti par ailleurs tant que la succession ne sera pas divisée et la maison vendue au profit de la recourante notamment.

Il s'ensuit que les motifs qui parlent en faveur de l'exécution immédiate de la décision de suppression du droit aux prestations l'emportent, en l'espèce, sur l'intérêt de la recourante à percevoir les prestations pendant toute la durée de la procédure.

En revanche, la décision en tant qu’elle vise la restitution des prestations perçues indûment avait déjà un effet suspensif à teneur même de son texte. La chambre n’a dès lors pas à statuer sur ce point.

8.        Au vu de ce qui précède, la requête en restitution de l’effet suspensif au recours ne peut qu’être rejetée. La suite de la procédure reste réservée.

Il sera statué sur les frais en même temps que sur le recours.

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant sur la demande de restitution d’effet suspensif

1.        Rejette la demande de restituer l’effet suspensif.

2.        Réserve la suite de la procédure.

3.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110) aux conditions de l’art. 95 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

 

La présidente

 

 

 

Marine WYSSENBACH

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le